Trois mille chevaux vapeur / Antonin Varenne

Publié: 30 octobre 2014 dans Polar français
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Trois mille chevaux vapeur est un roman d’Antonin Varenne paru cette année chez Albin Michel.

Résumé

Birmanie, 1852.
La Compagnie des Indes entre en guerre pour maintenir les intérêts commerciaux de la couronne britannique dans la région. Le sergent Arthur Bowman est envoyé là-bas, à bord du Healing Joy avant de se voir confier le commandement de quelques hommes pour une mission importante le long de l’Irrawady. Capturés et torturés par les Birmans, ces soldats n’en ressortiront pas indemnes.

Londres, 1858.
Détruit à tout jamais mais encore vivant, Bowman est de retour à Londres. Lorsqu’un corps y est retrouvé atrocement mutilé, à la manière des tortures qu’il a connues là-bas, le cauchemar recommence pour le sergent, persuadé que le meurtre n’a pu avoir été commis que par l’un de ses hommes. Pour en avoir le cœur net, il va partir à la recherche des rescapés de l’enfer des jungles birmanes.

Mon avis

« J’écoute les bruits de Londres dehors et je suis presque heureux d’y retourner après avoir supporté la sollicitude écœurante de ces gens. La méchanceté est bien plus sûre que la bonté, dont les mobiles sont toujours suspects. »

Trois mille chevaux vapeur est le cinquième roman d’Antonin Varenne, à qui l’on doit notamment Fakirs et Le mur, le Kabyle et le marin, parus chez Viviane Hamy. Cette fois, c’est chez Albin Michel qu’il signe cet imposant opus aux frontières du polar, du western et du roman d’aventures.
Des descriptions des personnages à celles des lieux qu’ils traversent, l’auteur parvient à nous embarquer totalement. Le temps de la lecture, on est avec Bowman et tous ceux qu’il croise pendant son odyssée, et il est bien difficile de lâcher l’affaire en cours de route, routes qui sont nombreuses, de la Birmanie aux États-Unis en passant par l’Angleterre.

« La ville avait embauché des bras supplémentaires, mais sans eau pour fluidifier les canalisations, le travail ne servait à rien et les égouts se remplissaient jusqu’aux sommets des voûtes.

Fin juin, la température avait continué à grimper et la Tamise s’était épaissie au point de devenir une lente coulée de lave putride. Les déchets des usines, déversés dans les mêmes égouts ou directement des berges, s’accumulaient en nappes noires et grasses. Les rejets des abattoirs flottaient à la surface du fleuve solidifiée. Des carcasses de vaches et de moutons, engluées dans la boue, passaient lentement devant le nouveau Parlement de Westminster. Les pattes des squelettes pointaient en l’air comme sur un champ de bataille abandonné et des corbeaux venaient s’y percher. Il fallait une demi-journée pour que les cornes d’un bœuf, à l’horizon du pont de Lambeth, passent sous les fenêtres de la Chambre des lords et disparaissent sous le pont de Waterloo.

On prétendait qu’à certains endroits on pouvait traverser le fleuve à pied.

Le 2 juillet, la chaleur fut sans égale et la ville toute entière recouverte par l’odeur d’un gigantesque cadavre. »

L’enquête, qui touche Bowman de près, est en elle-même assez intrigante pour qu’on ait envie de connaître le fin mot de l’histoire. Mais surtout, c’est le parcours personnel du sergent, initiatique et semé d’embûches, que l’on suit avec grand plaisir.

« Peut-être qu’il aurait dû écrire une dernière lettre. […] Mais il n’avait plus rien à ajouter. Les mots aussi tournaient en rond. Il regardait la masse noire du Pacifique et les étoiles au-dessus, autres gardiens éternels, et repensa aux séquoias. Les arbres centenaires savaient que la fuite était inutile. Arthur se souvient d’avoir déjà respiré l’air de cette forêt. […] L’air d’un cercueil refermé sur lui. Bowman réalisait, écoutant les vagues au loin, qu’il n’avait pas impunément traversé tous ces paysages. Chaque fois, il y avait laissé un morceau de lui, de temps passé et de vie disparue. Le sergent Bowman était maintenant éparpillé aux quatre coins du monde. Il ne restait plus grand-chose de lui. »

Difficile d’en dire beaucoup plus sans déflorer l’histoire davantage mais pour faire simple, on peut dire qu’il y a dans ce texte tout ce qu’il faut pour faire un grand roman : de l’action, de l’amour, de la haine, des personnages forts. Si parfois tous ces ingrédients sont réunis sans que la mayonnaise ne prenne, ils sont ici parfaitement dosés par Antonin Varenne. Et quand on referme à regret un livre de quelque 550 pages en se disant que le temps est passé trop vite et qu’on serait bien resté un peu plus avec ses personnages c’est qu’on a effectivement affaire à un grand roman.

Avec Fakirs, Antonin Varenne avait commencé à faire parler de lui. Avec cet épique Trois mille chevaux vapeur, il franchit un sérieux cap. Il devient un auteur au talent confirmé, qu’on attendra de relire avec impatience. Une bien belle histoire qui donne envie de connaître la suite de Varenne.

Trois mille chevaux vapeur, d’Antonin Varenne, Albin Michel (2014), 553 pages.

commentaires
  1. Muller dit :

    Je suis aussi un fan de lecture voici mon blog http://rubendu25.blogspot.fr/

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  2. BMR dit :

    En pleine transformation industrielle, le XIX° siècle finissant annonce déjà les terribles fracas des années à venir et la plume d’Antonin Varenne a suffisamment de souffle et d’ampleur pour nous entrainer et nous faire partager ces bouleversements. Bien sûr on peut se dire que le récit d’Antonin Varenne joue la facilité avec des épisodes assurés d’emporter l’adhésion de ses lecteurs. Mais il faut bien reconnaitre aussi que l’auteur maîtrise et sa plume et ses effets et que sans ces talents il nous aurait perdus en chemin depuis bien longtemps. Les romans d’aventure modernes sont assez rares pour s’attarder sur celui-ci, inhabituel et intéressant.

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  3. trafic organique dit :

    On en veut plus traité de cette manière. Sympa.

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  4. BMR dit :

    En pleine transformation industrielle, le XIX° siècle finissant annonce déjà les terribles fracas des années à venir et la plume d’Antonin Varenne a suffisamment de souffle et d’ampleur pour nous entrainer et nous faire partager ces bouleversements. Bien sûr on peut se dire que le récit d’Antonin Varenne joue la facilité avec des épisodes assurés d’emporter l’adhésion de ses lecteurs. Mais il faut bien reconnaitre aussi que l’auteur maîtrise et sa plume et ses effets et que sans ces talents il nous aurait perdus en chemin depuis bien longtemps. Les romans d’aventure modernes sont assez rares pour s’attarder sur celui-ci, inhabituel et intéressant.

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  5. Au fil des plumes dit :

    Là aussi une découverte!

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  6. […] la fois, et bien plus encore. Un bien bel ouvrage, qui évoque Moby Dick ou, plus proche de nous, Trois mille chevaux vapeur. Espérons que ce grand moment de lecture passé en compagnie de la plume de Ian McGuire en […]

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