Archives de la catégorie ‘Faudrait peut-être songer à A.B.C. ta PAL’

41c7pgutvvlDark Horse est le cinquième roman de l’Américain Craig Johnson.
Paru en français chez Gallmeister (dans la collection « Noire ») en 2013, il a la particularité d’être sorti en poche en Points/Seuil (en 2015) et non chez Gallmeister comme c’était habituellement le cas.

Résumé

Wade Barsad est retrouvé mort, abattu de six balles dans le crâne durant son sommeil. Auparavant, il avait enfermé dans la grange les chevaux de sa femme avant d’y mettre le feu. Tout semble accuser Mary Barsad, qui n’est d’ailleurs pas longue à avouer avant de sombrer dans un mutisme inquiétant. Sauf que, sans qu’il ne s’explique vraiment pourquoi, le shérif Longmire ne croit pas un instant à la culpabilité de la veuve. Pour mener l’enquête incognito dans le comté voisin de sa juridiction, Walt va se faire passer pour un représentant d’assurances.

Mon avis

Après Little Bird, Le camp des morts, L’indien blanc, Enfants de poussière et autant de pépites littéraires, Dark Horse est le cinquième roman de Craig Johnson et par la même occasion la cinquième enquête de Walt Longmire. C’est un véritable plaisir que de retrouver Walt et son équipe – la fougueuse Vic, l’adjoint Branch, mais aussi l’affable Ruby ou encore Henry Standing Bear, l’ami cheyenne du shérif. Comme dans les précédents opus, on retrouve le talent de Craig Johnson pour nous décrire sa rude et belle région du Wyoming. Ici, plus particulièrement la bourgade d’Absalom, petite voisine d’Absaroka, ses quelques rues et ses habitants pas commodes.

Mais contrairement à d’autres auteurs américains (chacun pensera à qui il veut), Craig Johnson prend le soin d’écrire à chaque fois un roman différent. Dans cet épisode, l’auteur s’est amusé à utiliser une construction chronologique originale – obligeant le lecteur à rester attentif – faisant s’alterner des passages relatant l’isolement de Mary Barsad et d’autres, plus récents d’une semaine, narrant l’infiltration de Walt dans le comté d’Abasalom.

« Dans ma vie, j’ai reçu des coups de pieds de chevaux, j’ai été mordu. J’ai été piétiné, écrasé contre des grilles et désarçonné, mais ces merveilleux animaux m’ont aussi câliné, frotté, porté, réchauffé et henni doucement au visage. Je pensais à tous les chevaux que j’avais connus et n’en trouvais pas un de mauvais. Mon père disait que les animaux ne ressentaient pas la douleur comme nous, mais jamais je ne l’avais vu en maltraiter un, jamais. »

Dark Horse, comme son titre le laisse augurer, fait aussi la part belle aux chevaux. Et c’est peu dire qu’on sent rapidement que l’auteur au chapeau les connait bien et les aime, lui qui possède un ranch. Certains passages concernant la « plus vieille conquête de l’homme » sont magnifiquement écrits et le lecteur gardera sans doute en tête quelques scènes mémorables comme cette folle chevauchée sous les éclairs sur une mesa du Wyoming.

Si l’on peut dire que Dark Horse n’est peut-être pas le meilleur opus de la série, Craig Johnson n’arrive décidément pas à décevoir. Chacun de ses romans est une belle réussite et donne furieusement envie de lire le suivant. S’ils peuvent bien sûr se lire indépendamment, il est néanmoins conseillé de lire les aventures du sympathique shérif Longmire dans l’ordre, en commençant par le déjà très bon Little Bird.

Dark Horse (The Dark Horse, 2009), de Craig Johnson, Gallmeister / Noire (2013). traduit de l’Américain par Sophie Aslanides, 327 pages.

Allez, assez glandé, avec le retour des beaux jours je vais peut-être réussir à me mettre un bon coup de pied au c*l pour me remettre à écrire régulièrement des chroniques. J’en ai écrit quelques unes (Dark Horse, Psychiko…), mais en attendant, en voici une qui s’était égarée, retrouvée aujourd’hui mais écrite il y a… un an. L’occasion aussi de poursuivre avec mon challenge « Faudrait peut-être songer à A.B.C. ta PAL » (voir ici). Vu que j’aime bien l’Islande, les romans policiers et les enquêtes d’Erlendur, c’eut été simple de choisir Indriđason. Un peut trop d’ailleurs, et vu que j’ai de la ressource, voici un autre auteur de polar islandais en I. ^^

9782021071238L’énigme de Flatey (Flateyjargáta en VO) est un roman islandais de Viktor Arnar Ingólfsson publié au Seuil dans sa collection Policiers en 2013 dans une traduction de Patrick Guelpa. Il est depuis disponible au format poche en Points.

Résumé

Premier juin 1960, au large de l’île de Flatey, Breiðafjörður, Islande.
Le petit Nonni est parti en promenade avec son père et son grand-père, à la recherche de phoques sur la petite île de Ketilsey. À peine ont-ils accostés qu’il est pris d’une envie pressante. En s’isolant pour aller faire ses besoins, il tombe sur le cadavre d’un homme, méconnaissable.
L’enquête peine à trouver l’identité de la victime avant de conclure qu’il s’agit de Gaston Lund, un chercheur danois spécialiste du Codex Flateyensis, plus connu sous le nom de « livre de Flatey », un précieux manuscrit contenant une énigme toujours irrésolue et se présentant sous la forme de quarante questions.

Mon avis

Si les inconditionnels du polar nordique connaissent un peu Reykjavík, Keflavik voire Akureyri grâce à Arnaldur Indriđason, Arní Thorarinsson ou encore Stefan Mani, peu de chances qu’ils aient entendu parler de Flatey avant d’avoir ouvert ce livre. Et pour cause, cette minuscule île (deux kilomètres de long sur un de large) perdue au milieu du Breiðafjörður (grand fjord du nord-ouest de l’Islande) et dont le nom signifie « île plate » en islandais ne compte plus aujourd’hui que cinq habitants l’hiver (et quelques estivants de plus à la belle saison) !

« Quelques rochers isolés constituaient un bon abri en pente : tout près du garçon couvaient deux eiders femelles. Elles ne bougeaient pas et il fallait des yeux exercés pour les discerner dans les mottes de gazon. Un huîtrier pie se tenait sur une pierre et faisait beaucoup de bruit. Son nid n’était probablement pas très éloigné du rivage. Plus loin, sous un énorme rocher, gisait le cadavre d’un gros animal. Nonni avait déjà vu ce genre de choses sur la plage : des baleineaux, de grands phoques gris ou des carcasses ballonnées de moutons qui s’étaient noyés. Mais que ce cadavre-là soit revêtu d’un anorak vert, ça c’était nouveau. »

A l’époque du roman, elle était un peu plus peuplée mais absolument pas préparée à enquêter sur un meurtre. Car si l’on a cru au départ à une noyade, il s’avère vite que Gaston Lund a été tué. C’est pourquoi Elliðagrímur, le bourgmestre de l’île, appelle Kjartan, jeune et inexpérimenté sous-préfet de Patreksfjörður – il vient de se voir confier ce poste – pour les besoins de l’enquête. Laquelle s’annonce compliquée car personne ne semble avoir su que la victime se trouvait sur l’île – pas même ses proches, qui le croyaient resté au Danemark. Peu à peu, grâce au concours de Þormóður Krákur, le sacristain, d’Högni, l’instituteur, et de Jóhanna, la jeune médecin, Kjartan en apprend davantage.

Viktor Arnar Ingólfsson achève chaque chapitre par un extrait du livre de Flatey, ce manuscrit narrant la saga d’Ólafur Haraldsson et d’Ólafur Tryggvason, dont la petite bibliothèque de l’île possédait un fac-similé – l’original, revenu depuis en Islande, étant alors conservé à Copenhague.

L’intrigue n’est pas nécessairement exceptionnelle mais se laisse suivre sans déplaisir, d’autant que l’intérêt du roman réside largement dans son côté dépaysant. Comme Kjartan, le « continental », on s’étonne de l’existence rude et simple des habitants de Flatey, qui vivaient alors principalement de pêche et de chasse. Celle de l’eider dont on récoltait le précieux duvet, et celle du phoque, dont on commerçait la peau et mangeait la viande, souvent accompagnée de pommes de terre et de mörflot (graisse de mouton fondue).

Sans être des plus mémorables, L’énigme de Flatey fera passer un bon moment d’évasion aux lecteurs curieux d’ailleurs, prêts à suivre une enquête assez lente dans une petite île islandaise des années 1960. À consommer de préférence au coin du feu avec un doigt de brennivín.

L’énigme de Flatey (Flateyjargáta, 2002) de Viktor Arnar Ingólfsson, Seuil (2013). Traduit de l’islandais par Patrick Guelpa. Lu en poche aux éditions Points (2014), 377 pages.

Je n’avais pas encore pris le temps de lire ce grand classique qu’est le Moisson rouge de Dashiell Hammett. Ce défi A.B.C. était donc l’occasion rêvée.

Résumé

Le narrateur, un privé de la Continental Detective Agency, est invité à Personville (ou Poisonville, comme la surnomment ses habitants) par Donald Willsson. Il se rend chez lui, où il est accueilli par sa femme, mais attendra en vain l’éditeur du Morning et Evening Herald. En effet, sa femme lui apprend vers onze heures qu’il ne rentrera pas chez lui ce soir. Et pour cause, car il a été abattu de quatre balles vers dix heures, comme le « Continental Op » l’apprendra le lendemain. Il commence alors à enquêter sur le meurtre et rencontre Elihu Willsson, père de la victime et magnat local, à la demande de qui il va se charger de « nettoyer la ville ».

Mon avis

Paru initialement en 1929, puis en 1932 en France sous le titre La moisson rouge, Red Harvest est depuis considéré comme l’un des plus grands classiques du « noir ». Premier roman de Dashiell Hammett (1894-1961), il est également le premier à mettre en scène le « Continental Op », détective récurrent de l’auteur. Le texte a été retraduit intégralement en 2009 par Pierre Bondil et Nathalie Beunat pour Gallimard. Il a été publié en Série Noire (et depuis en Folio Policier), ainsi qu’en Quarto dans un volume comprenant de nouvelles traductions des autres romans de l’auteur, Sang maudit, Le faucon maltais, La clé de verre et L’introuvable, ainsi que deux textes introductifs et une biographie de l’auteur bien documentée et richement illustrée.

Le « Continental Op », l’un des premiers détectives dits « hard-boiled » (ou durs à cuire), a un sens de la justice tout particulier, pour ainsi dire amoral, tant que cela va dans le sens de ses intérêts. C’est en montant les gangs rivaux de la cité minière de Personville les uns contre les autres, faisant au passage grimper en flèche le taux de criminalité, qu’il va la mettre à feu et à sang pour mieux la nettoyer, quitte à risquer lui-même sa peau. Il sera en cela aidé par la belle Dinah Brand, archétype de la femme fatale du roman noir, qui a fricoté un temps avec Donald Willsson, comme avec pas mal d’autres hommes d’ailleurs.

« Pourquoi tu as apporté un pic à glace ?
– Pour t’expliquer comment mon cerveau fonctionne. Il y a deux jours, si par hasard j’y pensais, c’était un outil approprié pour briser des morceaux de glace. » Je fis courir mon doigt le long des quinze centimètres de la lame arrondie, jusqu’à son extrémité pointue. « Pas mal pour épingler ses vêtements sur le corps d’un type. C’est le genre de pari que je me tiens, je ne te mens pas. Je ne peux même plus contempler un briquet sans songer à le remplir de nitroglycérine en pensant à quelqu’un que je n’aime pas. Il y a un bout de fil de cuivre qui traîne dans le caniveau devant chez toi… fin, malléable, et juste assez long pour entourer un cou en serrant avec chaque extrémité. J’ai eu un mal de chien à me retenir de le ramasser pour le glisser dans ma poche, au cas o
ù…

– Tu es cinglé.

– Je sais. C’est ce que je n’arrête pas de te dire. Je suis en train de devenir ivre de sang. »

Hormis le point de départ, Moisson Rouge est plutôt difficile à résumer, surtout sans trop en dire, car l’action et les rebondissements sont incessants. Fusillades, courses-poursuites, explosions, cadavres en pagaille… C’est un véritable feu d’artifice, qui ne peut s’achever que comme il a commencé, dans le sang.

L’histoire étant racontée par le détective à la première personne, on se doute bien qu’il ne va pas mourir en plein milieu du roman. D’ailleurs, sa propension à se tirer des fusillades et autres explosions pour ainsi dire sans une égratignure agacera peut-être certains lecteurs. Malgré cela, on suit avec beaucoup d’intérêt l’enquête musclée du « Continental Op ». Et l’on comprend aisément pourquoi, à une époque où les romans policiers se déroulaient généralement dans l’ambiance feutrée des manoirs anglais, ce roman fit sensation, marquant d’une pierre blanche l’histoire des littératures policières.

Moisson rouge (Red Harvest, 1929), de Dashiell Hammett, lu en Quarto/Gallimard (2009). Nouvelle traduction de Pierre Bondil et Nathalie Beunat.

Cette même traduction existe en Série Noire (2009), 288 p. et en Folio Policier (2011), 304p.

Ça faisait un moment que je n’avais pas pris le temps d’avancer dans mon défi consistant à A.B.C. ma P.A.L. (voir ici), et je crains de ne pas arriver à Z avant 2015. Mais bon, voici déjà le G.

Gōkan, paru au Cherche Midi en 2012, est le premier roman de Diniz Galhos, connu comme traducteur par ailleurs.

Résumé

Tōkyō, 2010.
Une valise diplomatique remplie de billets de banque. Un Français, professeur à la Sorbonne et spécialiste de Zola de son état, qui se laisse convaincre par un inconnu de voler une bouteille de saké appartenant à Quentin Tarantino. Un tueur américain plus que raciste bien décidé à éliminer un maximum de Japonais. Une jolie garagiste qu’il ne faudrait pas approcher de trop près. Et quelques autres…

Mon avis

Gōkan (du nom d’un type de livres japonais illustré d’estampes et s’inspirant souvent d’histoires de vendettas) est le premier roman de Diniz Galhos. Pour autant, l’auteur n’est pas un nouveau venu dans le monde littéraire puisqu’il est également traducteur, du portugais (qu’il parle depuis son enfance du fait de ses racines familiales), mais aussi de l’anglais. On lui doit notamment la traduction de la fameuse série de l’auteur anonyme publié par Sonatine et mettant en scène le « Bourbon Kid ». C’est d’ailleurs en traduisant Le livre sans nom (premier titre de cette série), qu’il a décidé de se lancer dans son projet, après s’être rendu compte qu’on pouvait écrire et publier des romans « pop et déjantés » (cf, l’interview de l’auteur dans le numéro Hors-Série Automne-Hiver 2014 de la revue Alibi).

Amateurs de réalisme social ou de procédure policière fouillée, passez votre chemin. Ici l’action prime sur la vraisemblance et certains personnages ne dépareilleraient pas dans un film d’action ou un manga. L’histoire concoctée par Diniz Galhos peut d’abord sembler fouillis, voire décousue, chaque chapitre pouvant se lire indépendamment des autres, avant que les protagonistes soient finalement amenés à se croiser. L’auteur nous offre des scènes très cinématographiques, et nous assistons tantôt à une fusillade dans un onsen (établissement thermal typique du Japon) tantôt à un cours sur les trente-et-une façons de tuer un homme.

On ne criera pas au chef-d’œuvre, et l’on aura peut-être oublié une bonne partie de ce livre dans quelques mois. Mais peu importe, car Diniz Galhos nous offre là un pur roman de divertissement, avec beaucoup d’action – l’auteur aime Tarantino et ne s’en cache pas – et pas mal d’humour, qui laissera plus d’un lecteur sans répit tout au long de ses quelque 200 pages. On retiendra tout particulièrement le final, très réussi, avec une scène d’impasse mexicaine d’anthologie (ces fameuses scènes, typiques du western, où plus de deux personnes se menacent mutuellement d’une arme létale).

 

Gōkan, de Diniz Galhos, Le Cherche Midi (2012), 211 pages.

Gun Machine, paru au Masque en février, est le second roman de Warren Ellis, célèbre scénariste de comics britannique (après Artères souterraines, paru Au Diable Vauvert en 2010, et qui vient de sortir en Livre de poche pour l’occasion).

Résumé

Frank Tallow est un flic new-yorkais fatigué de tout. Répondant à un appel radio, il se rend avec son coéquipier Jim Rosato dans un immeuble de Pearl Street où un type armé et visiblement dérangé importune ses voisins. Alors qu’ils arrivent sur place, tout dégénère. Le type se met à tirer à tout va, Rosato s’en prend une en pleine tête et tombe raide mort. Tallow riposte et s’acharne sur le forcené, défonçant un mur au passage. Ce trou involontaire permet aux techniciens de la police de faire une découverte aussi inattendue qu’exceptionnelle : une salle dont les murs sont entièrement recouverts d’armes. Les résultats des premières analyses tombent et l’incroyable se poursuit : chacune des armes semble reliée à une affaire non-élucidée.

Mon avis

« En réécoutant l’enregistrement du 911, on aurait l’impression que Mme Stegman était plus affolée par la nudité intégrale du zèbre qui squattait son palier que par le gros fusil qu’il brandissait. »

La première phrase de ce roman annonce la couleur : ce sera vitaminé, noir, et un brin déjanté. Tallow doit faire face à la mort de son coéquipier et ami de longue date mais malgré ça, ses supérieurs ne lui laissent aucun répit. Sous-effectif oblige, il doit reprendre le travail au plus vite et se débrouiller seul. Après une avancée significative, il se fait finalement aider par deux agents de la police technique et scientifique assez originaux dans leur genre : Bat, le geek limite autiste, et Scarlie, la jolie lesbienne qui jure comme un charretier.

« Je suis de mauvais poil. Je viens de tomber sur vos neveux et hier, j’ai dû buter un de vos locataires alors que j’avais de la cervelle de mon coéquipier plein la manche. Alors je vous suggère de m’apporter une franche et amicale coopération, histoire que j’aie pas à ajouter ce petit détail à la montagne de merde que je pourrais déverser sur votre moquette. »

L’enquête avance peu à peu et la tension est palpable puisqu’on suit en parallèle « le chasseur », cet homme mystérieux qui a passé vingt ans de sa vie à collectionner ces armes et à s’en servir. Il est d’ailleurs prêt à tout pour les récupérer.

« Jim Rosato disait que l’appartement de Tallow était l’endroit où il vidait sa tête.
L’une des chambres était bourrée de bouquins, de magazines et de paperasse. Elle n’avait plus de porte et, comme à travers une digue percée, le flot de documents se répandait dans le salon pour monter en crête sous la table, où campaient à demeure deux vieux ordinateurs portables et un disque dur externe. Deux hauts baffles se dressaient tels des phares à la surface de ce foutoir. L’autre chambre était à moitié murée par des CD, cassettes et vinyles. Un portant récupéré dans une benne faisait office de penderie à l’angle du salon, mais la plupart des fringues qui auraient dû y être accrochées s’entassaient en-dessous, par terre.
Tallow entra chez lui d’un coup de coude, ses magazines du jour sous le bra
s. »

Avec Gun Machine, Warren Ellis signe un polar à l’intrigue originale et à l’écriture très énergique qui tient globalement ses promesses (des lecteurs pourront éventuellement trouver certaines révélations un peu « grosses »).

Gun Machine (Gun Machine, 2013), de Warren Ellis, Le Masque (2014). Traduit de l’anglais par Claire Breton, 304 pages.

Florida Roadkill, paru aux États-Unis en 1999, est le premier roman de Tim Dorsey.

Traduit par Laetitia Devaux, il a été publié en France par Rivages l’année suivante.

Cet auteur m’a été plusieurs fois conseillé et cela faisait des années que j’envisageais de le lire. Voilà qui est fait.

Résumé

Serge et Coleman, deux types que beaucoup qualifieraient de psychopathes, vont rencontrer la superbe Sharon, une espèce de mante religieuse qui épouse de riches types avant de les éliminer – souvent de façon originale – pour mieux récupérer leur assurance vie. En virée, les trois dingos (qui carburent à tout et n’importe quoi pourvu que ça procure des sensations fortes) vont tomber sur Veale, un orthodontiste aussi riche que magouilleur. Ce dernier a le malheur de clamer haut et fort qu’il a fait assurer ses mains à hauteur de cinq millions de dollars. Il va être victime d’un « malheureux accident » de tronçonneuse puis amené aux urgences avec quelques doigts en moins. Mais alors que le trio pensait le contraindre à verser les millions promis par l’assurance, Veale parvient à prendre la poudre d’escampette. Commence alors une virée haute en couleurs dans toute la Floride du sud.

Mon avis

« – Jusque-là, on est en vacances, répondit Serge. Ça te dit de découvrir la vraie Floride ?

Sharon retourna à la voiture et sniffa du speed à même le tapis de sol. Coleman s’assit au bord de la Banana River avec sept bières. Serge lui conseilla de s’éloigner de l’eau, qui pullule en général d’alligators. Car même si, avant chaque lancement, des trappeurs viennent les exterminer en secret, ils en oublient toujours quelques uns.

– Je crois que j’en vois un ! lança Coleman, ivre, en désignant un morceau de cheeseburger à la surface.

– Je crois que t’as raison, lança Serge.

Coleman recula précipitamment jusqu’à Serge. »

De la lecture des premières pages de Florida Roadkill ressortent plusieurs impressions : c’est drôle, déjanté à souhait, mais aussi (de fait ?) très décousu. Le roman, choral, passe d’un personnage à un autre, puis à un autre, tous plus foutraques les uns que les autres, sans qu’on ne comprenne toujours où l’auteur veut en venir. Peu à peu notre cerveau s’habitue à cette gymnastique et l’on prend plaisir, au fil des pages, à retrouver les différents énergumènes précédemment évoqués. Au final, c’est habilement construit car ils joueront tous tôt ou tard un rôle dans les pérégrinations de Serge, Coleman et Sharon. Les membres du trio se disputent, s’aiment (sauvagement), picolent, fument, regardent le baseball, mais surtout, cherchent à mettre la main sur les millions évaporés dans la nature. Et pour ça, pas de pitié, tous les moyens sont bons.

« – C’est juste une question de temps, ou quoi ? demanda Sean. On est en sécurité dans cet État, ou on a eu de la chance jusqu’à présent ?

– Tu est paranoïaque, lui répondit David en traversant Tavernier Creek. J’ai lu un article dans le journal. Il disait que les habitants de Floride ont une peur injustifiée des vols à main armée. Une étude montre qu’ils les craignent quinze fois plus que dans le reste du pays, alors qu’ils n’ont que dix fois plus de raisons d’avoir peur. »

Comme Serge, Tim Dorsey, qui a été reporter au Tampa Tribune pendant une douzaine d’années, est un vrai passionné de la Floride. Avec eux, on découvre avec plaisir l’État ensoleillé et ses habitants, sans doute pas tous aussi givrés dans la réalité, espérons-le.

« Les Indians en étaient à trois-zéro dans le troisième tour de batte. Coleman sortit des bouteilles d’alcool miniatures du frigo et les versa dans une espèce de poche qu’il avait formée avec le devant de sa chemise à quatre cent dollars. Il retourna s’allonger près de Serge. Tous deux mirent leur chapeau en mousse des Marlins et s’apprêtèrent à suivre le match.
Sharon alla se planter devant la télévision, nu
e.

– Je m’ennuie, dit-elle d’une voix câline.

Serge attrapa le TEC 9 posé sur la table de nuit et le pointa sur elle.

– Casse-toi. »

Au programme de ce road trip déjanté avec en fil rouge la finale des World Series : le cartel le moins dangereux du monde (le bien-nommé « Cartel de Mierda »), un bébé caïman congelé, un meurtre commis à l’aide d’une navette spatiale modèle réduit, un assureur qui meurt à cause des clauses qu’il a lui-même écrites pour escroquer les clients, un présentateur radio élu sénateur grâce à son homophobie affichée, des « bikers » sans moto refusés par tous les Hell’s Angels, ou encore une procession de sosies d’Ernest Hemingway !

« La clientèle avait quelque chose de bizarre : elle était exclusivement composée d’hommes âgés et ventripotents, barbus, avec des cheveux blancs ou gris. Visages roses et rebondis, certains tannés par le soleil, d’autres parsemés de nombreux capillaires sous la peau. Ils portaient presque tous un pull à col roulé blanc.

– Je crois qu’ils se prennent tous pour Hemingway, déclara Sean. »

La lecture des aventures de Serge & co n’est pas forcément des plus faciles au premier abord mais, pour peu qu’on s’adapte à ce rythme endiablé, on passera une belle partie de plaisir. Tim Dorsey a l’imagination débridée au possible et rarement on aura autant ri en découvrant, comme certains policiers du roman, des crimes abracadabrantesques.

On retrouvera Serge et la Floride dans plusieurs autres romans parus chez Rivages (pour l’instant, seulement 6 sur les 14 que compte la série aux USA par contre).

Florida Roadkill (Florida Roadkill, 1999), de Tim Dorsey, Rivages/Thriller (2000), traduit de l’américain par Laetitia Devaux 289 pages.
Réédité en Rivages/Noir n°476 (2003), 384 pages.

Initialement publié en 1920, mais seulement en 1996 en France, Le tonneau (The Cask) est le premier roman policier de l’Irlandais Freeman Wills Crofts.
Dans son essai Simple comme le crime, Raymond Chandler le qualifia de « meilleur premier roman policier jamais écrit ».

Résumé

1912, Londres, docks Sainte-Katherine.
Chargé de veiller au bon déroulement du déchargement d’une péniche en provenance de Rouen, le jeune Broughton assiste à de curieux faits. Tout commence par une chute de fûts. L’un des tonneaux endommagés, différent des autres, laisse derrière lui de la sciure, mais aussi des pièces d’or, alors qu’il est supposé contenir une sculpture. Fouillant plus avant le tonneau par sa brèche, Broughton croit sentir une main humaine. Statue ou cadavre ? Il faut en être sûr, aussi, ne pouvant se permettre d’ouvrir seul le tonneau, il s’en va en référer à son patron. Lorsqu’il revient accompagné de ce dernier, stupeur, le mystérieux tonneau a tout bonnement disparu !

Mon avis

On connaît tous Edgar Allan Poe ou Sir Arthur Conan Doyle. Mais qui connaît Freeman Wills Crofts ? Bien avant Agatha Christie, les Britanniques avaient déjà en la personne de l’Irlandais un grand talent dans ce genre so british qu’est le whodunit.
Singulière histoire aussi que celle de l’édition française de ce Tonneau. Référence incontournable pour de nombreux auteurs anglo-saxons, ce roman qui a marqué l’histoire du polar mondial a dû attendre l’initiative de Claude Chabrol pour être finalement publié chez Rivages en 1996 (ce que le cinéaste passionné de polars explique dans une intéressante préface).

En 1920, Freeman Wills Crofts signait donc cette intrigue machiavélique au possible. Le nombre de rebondissements est incalculable et à chaque fois qu’un nouvel indice est découvert, il vient tout remettre en cause. Quand on croit progresser, ce sont aussi les mobiles ou les alibis qui ne collent pas et viennent contredire les hypothèses les plus plausibles. Il faudra pas moins de trois enquêteurs (un policier anglais, son homologue français et un détective privé) et un grand nombre d’allers-retours de chaque côté de la Manche pour découvrir l’identité de l’assassin et fin mot de l’histoire. Au final tout se tient et paraît plutôt logique. Pour autant, la multitude d’astuces imaginées par l’auteur font qu’il est impossible pour le lecteur d’entrevoir seul la solution. C’est donc dans les toutes dernières pages qu’il découvrira les ultimes révélations, scié par l’ingéniosité redoutable de l’auteur.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, alors qu’il était ingénieur pour la compagnie des chemins de fer irlandais, un homme tomba malade. C’est alité qu’il commença à écrire, pour tromper l’ennui, son premier roman que le grand Raymond Chandler alla jusqu’à qualifier de « meilleur premier roman policier jamais écrit ». Après ce coup de maître initial qui lança sa carrière d’auteur à succès sur de bons rails, Freeman Wills Crofts a publié de nombreuses nouvelles et une trentaine de romans policiers, mettant pour la plupart en scène l’inspecteur French. Une bonne part d’entre eux ont pour cadre des ports ou des gares. On ne se refait pas.

Le tonneau (The Cask, 1920), de Freeman Wills Crofts, Rivages/Mystère (1996), traduit de l’anglais par Dominique Mainard, 342 pages.
Lu en Rivages/Noir n°787 (2010), 501 pages, avec une préface de Claude Chabrol.

Ce n’est pas un mais deux auteurs en « B » que voici.

Éden, premier tome de la trilogie Complex est un polar fantastique signé Denis Bretin et Laurent Bonzon paru aux éditions du Masque en 2006.

Résumé

Après une affaire délicate, Renzo Sensini, brillant officier d’Interpol, a été relégué à une brigade aux maigres moyens chargée d’identifier les écologistes radicaux et de prévenir d’éventuels attentats. C’est dans ce cadre qu’il recherche Thomas Hearing, soupçonné d’appartenir au groupe Eden, qui aurait incendié des serres où l’on élabore de nouvelles espèces de roses.
Il apprend vite que l’homme est en cavale, et qu’il a laissé derrière lui les corps de sa femme et de ses deux filles, assassinées au domicile familial.
Sensini, accompagné de son adjoint Dragulescu, va tenter de retrouver Hearing. Mais il semblerait que la police ne soit pas seule à vouloir lui mettre la main dessus…

Mon avis

« La minute qui s’était écoulée depuis le premier coup de feu prit fin. Les détonations cessèrent. Le type en noir et la fille avaient disparu. À côté du premier cadavre, il y en avait d’autres maintenant, la grosse femme en robe désormais rouge, un type en short, la tête baignant dans une botte de cresson bleu, plié sur un bac de pivoines roses. Roman était là, à côté de lui maintenant, qui lui demandait haletant, s’il n’était pas touché et ce qu’il s’était passé. Sensini se releva et remit son arme dans son holster. Sa main tremblait et sa voix était blanche.

– L’enfer Roman. Le contraire du jardin d’éden. Et j’ai malheureusement peur que nous n’en soyons qu’au premier cercle. »

S’ils ont aussi signé Discount, un excellent polar humoristique paru en 2010, Denis Bretin et Laurent Bonzon, qui écrivent ensemble depuis 1999 (et La servante du Seigneur), sont avant tout les spécialistes du polar flirtant avec le fantastique. C’est dans cette veine que s’inscrit Eden, premier tome de la trilogie Complex, dont le troisième opus, Génération, sera publié aux éditions du Masque en février.

« La tranquillité qui régnait à l’étage du pavillon, plombé par la chaleur qui embrasait les chambres mansardées, était aussi irréelle que le décor de Noël installé au salon. Sensini marqua une pause sur la dernière marche, s’épongea le front. Était-il possible que les trois housses glissées dans le couloir contiennent le corps d’une femme et de deux fillettes sans que rien ici n’en semble atteint ? Le soleil de sang séché et le souvenir des formes aperçues sous le vinyle translucide tournoyèrent devant ses yeux. Le parquet était jaune paille, d’une vilaine couleur. Les meubles en bois clair, les lits des gosses, superposés, encombrés de peluches énormes, criardes, comme on en gagne dans les fêtes foraines. Aux murs, des posters de chanteuses, gamines qui devaient avoir dans les douze ou treize ans, habillées et maquillées comme si elles en avaient vingt. Des cœurs avec des paillettes, des cartes postales et des dédicaces de boys-band.

Roman était déjà installé devant le PC, tapotant le clavier avec une précision que la machine ne connaissait pas à ses anciens propriétaires. Une petite musique idiote accompagnée par une voix de personnage animé tout aussi synthétique grésillait dans les haut-parleurs de l’appareil. Sur l’écran, Adibou et ses petits yeux ronds souhaitait la bienvenue en chanson aux enfants qui grandissent dans un monde où l’on ne meurt pas. Pas comme ça en tout cas. »

Si vous ne voulez lire que du polar réaliste, passez votre chemin. Par contre, si vous acceptez de croire l’invraisemblable, voire l’impossible, pourvu que ce soit bien raconté, vous pouvez ouvrir Eden sans appréhension. Car bien raconter, c’est une des principales qualités de ce duo d’auteurs. Ils nous embarquent rapidement dans leur univers où manipulations génétiques et complots sont au programme. Suivant en alternance Hearing et Sensini dans leurs (en)quêtes respectives, on en vient à éprouver pour eux une certaine empathie, bien qu’ils ne soient pas forcément de ces protagonistes foncièrement sympathiques. Si l’humour des auteurs, qui faisait tant mouche dans Discount, se fait ici plus discret, leur plume reste alerte et le suspense est largement au rendez-vous, de même que les rebondissements.

Mené tambour battant, ce thriller fantastique bien construit, riche en bonnes idées et plus intelligent qu’il n’y paraît (les auteurs amorcent sans en avoir l’air d’intéressants questionnements) atteint parfaitement son objectif : nous donner envie de lire le suivant. En attendant la parution prochaine du dernier tome, on pourra lire le second, Sentinelle, disponible en poche.

Éden (Complex, t. 1) de Denis Bretin et Laurent Bonzon, éditions du Masque (2006), 382 pages.

Voici donc le premir roman de mon challenge pour faire ABC ma PAL.
Avant de gagner des destinations plus exotiques, je trouvai logique de partir de chez moi, du Finistère. Ca tombe bien, ça fait des années que je voulais lire
Gérard Alle, et en particulier ce « polar fermier », dont le titre me plait beaucoup.
Il faut buter les patates, paru chez Baleine dans la collection Ultimes polar en 2001, est le second roman de Gérard Alle.

Résumé

Yves, sorti satisfaire une envie pressante, croit entendre des gémissements. Il trouve son voisin Michel allongé dans la boue à côté de son tracteur, assommé, une vilaine plaie à la tête. Pour les deux agriculteurs, pas de doute, il s’agit d’un avertissement des hommes de Raymond Cloarec, le « roi du cochon », président de la « Coopé », qui veut faire main basse sur les terres des deux paysans pour agrandir son empire. Ces derniers ne veulent pas vendre leur ferme familiale et sont bien décidés à résister à tout prix.

Mon avis

« Les gens d’ici, ils sont pas comme toi, ils sont comme moi, ils aiment leur pays. Et plus il est pourri, plus ils l’aiment. Plus tu leur dis qu’ici c’est foutu, qu’il faut foutre le camp, plus ceux qui restent sont fiers d’être là. Ils ont la rage. Aucun moyen d’agir, aucune imagination, mais la rage. Les quelques jeunes qui restent, tu leur proposes quelque chose d’exaltant… Par exemple : on fait la plus grande porcherie d’Europe ou, pourquoi pas, le plus grand festival de rock du monde. On le fait ici. On le fait ensemble. Dans les journaux, ça sera marqué : ce sera ici et pas ailleurs. On sera les meilleurs. On réussira quelque chose ensemble, tous ensemble. Pour arrêter de passer pour des ploucs, ces gens sont capables de beaucoup de choses, tu sais. »

Paru en 2001 chez Baleine, ce second roman de Gérard Alle est sous-titré « polar fermier ». Tout un programme. Ajoutez à cela une citation de Victor Hugo mise en exergue (« Le fait est que les Bretons ne comprennent rien à la Bretagne. Quelle perle et quels pourceaux ! ») et un premier chapitre plantant le décor bien comme il faut et on comprend d’emblée dans quelle ambiance on va être plongés. Dans la boue de la Bretagne profonde, celle où les cochons sont plus nombreux que les habitants et où l’agriculture intensive fait les dégâts que l’on sait.

« Il aperçut dans le lointain les rares talus qui avaient échappé aux remembrements successifs, de timides bosquets, de petits bouts de lande miraculés, autant de vestiges d’un temps révolu, quand les êtres humains habitant la contrée étaient plus nombreux que toutes les poules et les cochons réunis. Ce n’était plus le cas. Les poulaillers industriels et les porcheries ponctuaient çà et là, de leurs taches grises et blanches, le paysage massacré.
Tandis que triomphait sur le haut de la plus haute colline l’immense maison des Cloarec, au bas de la même colline, leur décharge familiale vomissait dans l’eau de la rivière son content d’insultes : carcasses de bagnoles, fûts de produits chimiques éventrés, boîtes de conserve rouillées, vieux sac d’engrais, chat crevé. »

Un habile saut dans le temps nous fait rapidement comprendre que Michel se morfond en prison, sans qu’on ne sache pourquoi. Retour au présent. Hervé, un jeune qui souhaitait s’installer comme agriculteur, a disparu. C’est louche. Michel et Yves vont partir à sa recherche avec l’aide de Joël, un hippie contestataire fort en gueule.

« Moi, je suis pas pour les feignants. Ça non ! Mais c’est devenu une vie de fous, au jour d’aujourd’hui. Et y en a qui feraient mieux de s’arrêter un peu pour réfléchir. Ça ferait moins de dégâts. Pour sûr. »

L’intrigue tient la route, les personnages sont attachants, et comme dans un Poulpe – l’auteur en a d’ailleurs écrit un peu après, Babel Ouest, le seul titre bilingue de la collection, moitié français moitié breton – Gérard Alle en profite pour dénoncer. Ici, la cible est le modèle agricole intensif et tout ce qui va avec : les ravages qu’il a provoqués en Bretagne, pour les hommes comme pour la nature, mais aussi les collusions entre les patrons de l’agrobusiness et les édiles locaux. On dépasse les quotas, on pollue à foison, on nourrit les bêtes aux farines animales… mais tant qu’on crache au bassinet, on est couvert par les huiles, au grand dam des écolos.

« En arrivant au-dehors, cochons et coches hésitaient, ne voulaient plus avancer. Comme si le grand air les effrayait. […] Certains animaux ne tenaient pas sur leurs guiboles et s’effondraient en grognant. Mais au bout de quelques minutes, la plupart s’enhardissaient. Les verrats, qui n’avaient jamais connu que la branlette, dont le sperme n’avait servi qu’à remplir les pailles d’insémination, montaient les truies, qui subissaient le premier coït de leur vie, sans état d’âme apparent. Cochons et coches, verrats et porcelets découvraient le ciel, le vent, la pluie, la vie. Tout à la fois. Ils goûtaient l’herbe verte, puis grattaient le sol, se roulaient par terre. Certains donnait l’impression de rire aux éclats. D’autres gambadaient allégrement ou ruaient de plaisir. D’un seul coup, de vulgaires sacs à merde redevenaient des animaux. Vivants et heureux de vivre. »

Si l’ensemble se lit bien, le lecteur pourra peut-être regretter que les dosages ne soient pas les mêmes du début à la fin. Alors que le roman commence comme un roman noir social, les touches d’humour se font de plus en plus présentes et le récit se termine en comédie loufoque, où certaines situations cocasses feront assurément passer un bon moment de rigolade. L’auteur s’amuse avec la langue française, passant sans mal de descriptions plutôt classiques à une gouaille paysanne. Il parvient même à nous faire l’accent québécois par écrit, ce qui n’était pas gagné d’avance.

« Souvent, dans les bouquins, ce sont les flics qui sont les héros ou les méchants. Singulière idée. La plupart des policiers sont tout à fait insignifiants. Ceux qui m’ont interrogés jusqu’à présent l’étaient. Fonctionnaires. Médiocres. Au service des puissants. Comme dans toute administration, les meilleurs et les originaux, ceux qui pourraient devenir des héros, ont toutes les chances de rester dans le rang. Bien sûr, il reste les pourris. Mais être flic, c’est déjà beaucoup. Pas la peine d’en rajouter… tout me porte à penser qu’il n’y a pas plus de héros et de pourris chez les flics que chez les péquenots. »

Paru il y a une douzaine d’années, Il faut buter les patates entre encore étonnamment en résonance avec l’actualité bretonne. Les manifestants du roman arborent des casquettes et non des bonnets rouges mais pour le reste, les choses n’ont guère changé. Les lecteurs de l’Ouest saisiront les clins d’œil adressés par Gérard Alle, tel ce festival de rock ambitieux créé par un certain Tristan Cloarec pour redynamiser le territoire.

 

 

Il faut buter les patates, de Gérard Alle, Baleine/Ultimes polar (2001), 193 pages.

Une idée de défi sympa m'est venue pour 2014 (bon, ça a sûrement déjà été fait ailleurs).

Je vois depuis trop longtemps chez moi des couvertures de livres que je ne lis pas. Pas parce que je ne veux pas les lire, mais juste parce que y en a tellement d'autres, et que ceux-là, ils sont à moi, donc je sais que je pourrai les lire quand je le voudrais…

Mais le problème c'est que j'achète bien trop de livres par rapport à ce que je lis, et en plus je lis surtout ceux de la bibliothèque ou ceux qu'on me prête, alors forcément, la fameuse "pile à lire" (PAL pour les intimes) ne fait que croître de manière exponentielle (bon en vérité y plusieurs piles et pas mal de cartons, ça ne ressemble pas tout à fait à ça ^^).

Pour lire plus, chroniquer plus et surtout abaisser ma PAL, je vous propose donc ce petit jeu.
A votre rythme, vous piocherez dans votre PAL un livre écrit par un auteur dont le nom commence par A, puis par B, et ainsi de suite.
Vous verrez, si vous avez une grosse PAL comme moi, vous aurez généralement l'embarras du choix, sauf pour quelques lettres vers la fin où il faudra peut-être tricher un peu (aucun auteur en X dans le DILIPO de Mesplède et pour l'instant je vois pas…).

Si ça vous tente, à vous de jouer, à votre sauce.

Pour ma part histoire de corser le tout, j'essaierai d'en faire un par semaine (sacré challenge, on va voir si j'arrive à tenir le rythme), en veillant à varier les pays et les époques : un peu de tous les continents, du récent et du plus ancien.

Je me suis déjà fait une préliste mais je vous ne la fournis pas pour diverses raisons. Je risque de changer d'avis 36 fois avant d'arriver à Z, ça maintient un petit suspense et ça vous fera peut-être réfléchir un peu de votre côté.

Rendez-vous très vite pour la lettre A…

A comme Gérard Alle, Il faut buter les patates