Archives de la catégorie ‘Littérature française’

Tout le bleu du ciel est un roman de Mélissa Da Costa paru en février 2019 chez Carnets Nord, éditeur qui a malheureusement été contraint de mettre la clef sous la porte depuis (liquidation judiciaire).
Il est depuis peu disponible en Livre de poche.

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Émile, 26 ans, apprend qu’il est atteint d’une maladie orpheline dégénérative s’apparentant à un Alzheimer précoce. Il va avoir des trous de mémoire, des problèmes à se repérer, de plus en plus de difficultés à pratiquer des choses simples et à se souvenir du nom de ses proches… Son espérance de vie est estimée, au mieux, à deux ans. Ne voulant pas mourir sans souvenirs dans un hôpital, branché à des machines et devant des proches compatissants, Émile décide de profiter au mieux du temps qui lui reste à vivre et de voyager. Mais pour ça, il lui faut trouver un compagnon de voyage. Il met donc une annonce en ligne.

Mon avis

Bien qu’on sache dès les premières lignes comment tout cela va se terminer – par la mort inévitable d’Émile –, on se prend rapidement d’intérêt pour cette histoire assez originale et finalement assez peu larmoyante (c’était une crainte que l’on pouvait avoir à la lecture du résumé et des toutes premières pages). Émile fait donc, via une petite annonce, la connaissance de Joanne, une jeune fille mystérieuse et quasi mutique, toute de noire vêtue, chapeau compris, qui aime s’adonner à la méditation et à la contemplation de la nature. Les personnages et leurs réactions sont globalement très crédibles et on comprend assez aisément leurs choix de vie, provoqué par des évènements divers dont l’auteur nous dévoile les précisions au fur et à mesure, à l’aide de flashbacks plutôt bien sentis dans l’ensemble. Sur le final, ils sont de plus en plus nombreux et l’ensemble est de plus en plus confus mais c’est peut-être un choix fait délibérément par Mélissa Da Costa pour faire coïncider la trame de son récit avec la confusion de plus en plus grande qui règne dans l’esprit d’Émile.

Difficile d’en dire beaucoup plus sur le parcours d’Émile et Joanne et sur les péripéties qu’ils vivront en cours de route sans trop dévoiler l’intrigue. Sur leur chemin, ils vont faire de belles rencontres et apprendre à se connaître, à force de devoir se faire confiance.
Bien que l’écriture soit très simple, une certaine poésie se dégage du texte par moments et le personnage de Joanne et son rapport au monde est particulièrement intéressant.

Bien que loin de mes standards de lecture, j’ai lu sans déplaisir ce roman qui a semble-t-il connu un certain succès en librairie. Ce qui est somme toute assez mérité au final car il n’est pas évident de parler de ce type de sujet sans tomber dans la noirceur plombante ou la mièvrerie inappropriée. Mélissa Da Costa, dans ce qui est son premier roman qui plus est, a su trouver un bon équilibre tout en nous proposant quelques rebondissements bien trouvés.

Tout le bleu du ciel, de Mélissa Da Costa, Carnets Nord (2019), 654 pages.

Le polar de l’été est un roman de Luc Chomarat initialement paru à La Manufacture de livres en 2017 et réédité ce mois-ci avec une nouvelle couverture.

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Le narrateur est un écrivain anonyme, en vacances à l’île de Ré avec sa nouvelle compagne, ses enfants et une famille d’amis. N’appréciant qu’assez peu l’oisiveté, il compte bien profiter de ce temps libre pour écrire le polar de l’été, celui que toutes les belles femmes s’arracheront bientôt pour le lire, topless, sur la plage, à l’instar des romans de Douglas Kennedy. Seulement, notre homme n’est pas inspiré. Aussi décide-t-il de « réécrire » Pas de vacances pour les durs, un obscur roman noir hardboiled de Paul Terreneuve, lu il y a des décennies dans la bibliothèque paternelle. Aucun exemplaire en vente en ligne ni dans les catalogues de bibliothèque. Pas le choix… Lorsqu’il se décide enfin à abandonner ses proches et l’Atlantique pour se rendre à la maison familiale, le livre en question, horreur, semble avoir disparu !

Mon avis

Écrire un polar, un roman d’espionnage ou un thriller, c’est trop convenu. Luc Chomarat préfère prendre un malin plaisir à s’emparer des codes du genre pour proposer toute autre chose. Après L’espion qui venait du livre où un éditeur entrait dans un roman d’espionnage pour le sauver de la catastrophe industrielle, et avant l’excellent Le dernier thriller norvégien, dans lequel un éditeur français se retrouvait à la fois dans un manuscrit et dans une ville où sévit un tueur en série, paraissait en 2017 Le polar de l’été.

Réédité ce mois-ci par la Manufacture de livres avec un nouvel habillage, Luc Chomarat s’y amusait déjà follement à bousculer ses lecteurs. Virtuose du décalage, professionnel de la mise en abyme, l’auteur a toujours plus d’un tour dans son sac, et de l’humour à revendre. Bien difficile pour le lecteur de savoir où tout ça va le mener, mais quel plaisir de se laisser embarquer par les roublardises de l’écrivain, qui s’amuse sans doute au moins autant que nous à imaginer ces intrigues tordues à souhait.
Vous l’aurez compris, Le polar de l’été n’en est pas vraiment un, et le bouquin tant recherché est l’archétype du MacGuffin. C’est autour de lui que va se dérouler l’intrigue, prétexte à la remontée de souvenirs, à l’évocation du deuil du père ou à des tensions familiales diverses et variées desquelles notre narrateur peine à se dépêtrer.

Un titre drolatique et un auteur malicieux en diable que l’on conseille vivement à ceux qui n’ont pas peur de se faire bousculer… pour leur plus grand plaisir.

Le polar de l’été, de Luc Chomarat, La Manufacture de livres (2017), 208 pages.

Nafar est un roman de Mathilde Chapuis paru chez Liana Levi en 2019.

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Il attend devant le fleuve Meriç de pouvoir traverser sans se faire arrêter par les gardes-frontière turcs ou grecs. Il a fui la guerre et les bombardements de Oms et connu mille difficultés déjà depuis sa Syrie natale. Mais il ira en Suède, coûte que coûte. Aucun obstacle ne saurait lui résister. S’il tombe sept fois, qu’importe, il se relèvera huit.

Mon avis

Mathilde Chapuis a beaucoup voyagé (Grèce, Liban…) et vécu deux ans à Istanbul où elle a côtoyé de nombreux exilés syriens. Pas étonnant qu’elle ait choisi ce thème pour son premier roman. Si le sujet intéressera d’emblée beaucoup de lecteurs, les partis-pris stylistiques pourront, peut-être, en déconcerter certains.

« C’est une nuit d’octobre. Tu marches, pressé mais silencieux, tu t’enfonces dans l’étoffe d’une abondante végétation, le cœur battant, le souffle court. Tu ne sais ni dans quoi ni sur quoi tu marches mais droit devant toi tu hâtes le pas, butant, trébuchant, les bras tendus comme pour repousser l’obscurité. »

Le texte s’ouvre de cette manière, à la deuxième personne du singulier, et une voix – dont on ne sait au départ à qui elle appartient – nous raconte, a posteriori, le parcours de cet homme dont on saura beaucoup de choses mais jamais le nom. Il est un et unique mais il pourrait aussi être des milliers d’autres.

Il est un « nafar », terme que les passeurs utilisent « pour parler des prétendants à l’Europe, les nommant ainsi par paquet, comme une quelconque marchandise de contrebande ».

Les 150 pages de ce roman très sensible se lisent avec grand intérêt. Mathilde Chapuis nous donne à voir le quotidien de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de fuir leur pays et qu’on refoule trois fois, cinq fois, dix fois… Rentrer dans une ville en ruine où les proches et l’avenir sont morts n’est pas une option envisageable. Alors qu’importe, ils réessaieront, autant de fois que nécessaires, quitte à enrichir des passeurs peu scrupuleux, quitte à y laisser la vie, dans le froid ou dans la Méditerranée.

Nafar est un premier roman de grande qualité, jamais bavard, parfois teinté d’onirisme, toujours juste.
Sur le même sujet et chez le même éditeur, en complément, on n’a de cesse de conseiller l’excellent récit de l’itinéraire d’Enaiatollah Akbari par le journaliste italien Fabio Geda : Dans la mer il y a des crocodiles.

Nafar, de Mathilde Chapuis, Liana Levi (2019), 151 pages.

Vaincre à Rome est un roman de Sylvain Coher paru chez Actes Sud en août dernier.

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Rome, samedi 10 septembre 1960, 17h30.
Avec son coach suédois, qu’il surnomme « Papa », sur les hauts plateaux éthiopiens, il a préparé son marathon à la perfection, à l’abri des regards. Aujourd’hui,
nous y sommes, c’est le grand jour. Son grand jour, si tout se déroule comme prévu. Il faudra ne pas partir trop vite, et se méfier de Radi, le terrible concurrent Marocain. Sauf que lui, Abebe Bikila, décide de ne rien faire comme prévu, en enlevant ses chaussures avant même le départ. S’il gagne, Papa ne pourra rien dire. Et vaincre à Rome, vingt ans après la prise d’Addis-Abeba par Mussolini, et pieds nus de surcroît, ce serait comme vaincre mille fois.

Mon avis

Tous les passionnés de sport ont déjà entendu parler d’Abebe Bikila, ce valeureux soldat éthiopien, premier athlète noir à gagner le marathon olympique. Et pieds nus s’il vous plaît ! En effet, pour lui qui a toujours couru comme ça dans sa jeunesse en Éthiopie, les chaussures sont plus gênantes qu’autre chose et source d’ennuis potentiels, à commencer par les ampoules.

Auteur d’une dizaine de romans depuis 2002, Sylvain Coher est un auteur assez touche-à-tout dans les thématiques qu’il aborde. Avec Fidéicommis (Naïve, 2006, Prix du roman de la ville de Carhaix), il se frottait à la question de la paternité via une histoire d’héritage quelque peu tordu. Nord Nord Ouest (Actes Sud, 2015, Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs) était un huis clos sur un bateau traversant la Manche mettant en scène un couple qui veut mettre les voiles et une adolescente qu’on imagine fugueuse. L’auteur a même flirté avec le polar avec ses Trois cantates policières.

Ici, il s’attaque au sport par le biais de la performance historique d’Abebe Bikila.
Sylvain Coher prend un parti pris narratif fort, un peu déroutant
au départ mais qui a le mérite de rendre cette course de 42,195km intéressante jusqu’au bout, quand bien même on sait déjà qu’il va le remporter, ce fameux marathon de Rome. Grâce à l’usage de la première personne du singulier, nous sommes dans la tête et dans le corps d’Abebe tout au long de la course.
Ce procédé est intéressant et bien employé dans l’ensemble mais pose aussi quelques questions si l’on s’attache au côté vraisemblable du personnage. Certains passages sur l’anatomie et la biomécanique humaine lors de l’effort sont très précis. Ils sont intéressants mais on ne peut s’empêcher de se demander si Abebe, jeune soldat de la garde impériale éthiopienne né en 1932, avait ces connaissances. On peut en douter, ce qui ne l’empêchait pas de courir mieux que tous les autres sur cette distance – le roman ne l’évoque pas mais il remporta aussi le marathon des J.O. de
Tokyo quatre ans plus tard.

Né le jour-même du marathon des Jeux Olympiques de Los Angeles avant d’en remporter deux et de mourir jeune et paraplégique après un terrible accident de la route, Abebe Bikila a connu une destinée hors-du-commun à tous les égards. Pas étonnant que certains, à commencer par Sylvain Coher, aient décidé de s’emparer de ce matériau historique épique. À l’instar de Lola Lafon avec son ouvrage sur Nadia Comăneci, Vaincre à Rome est un roman penchant par certains aspects du côté du documentaire. Bien écrit, il n’est peut-être pas très accessible aux personnes éloignées de la littérature classique.

Vaincre à Rome, de Sylvain Coher, Actes Sud (2019), 176 pages.

La Bibliothèque noire est un roman de Cyrille Martinez paru aux éditions Buchet/Chastel en 2018.

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«Ce livre, je ne connaissais pas son titre, je ne savais pas de quoi il parlait, je ne savais à quoi il pouvait ressembler. Tout ce que pouvais en dire, c’est que je ne l’avais jamais lu. Lui, en revanche, avait une idée de qui j’étais. Il avait pris connaissance de mon profil de lecteur. Mes goûts et mes attentes ne lui étaient pas étrangers.
Un livre m’attendait à la Grande Bibliothèque et j’avais la faiblesse de croire qu’il avait été écrit spécialement pour moi.»
Désespéré car il n’a plus rien à lire chez lui, un lecteur compulsif se rend à la Grande Bibliothèque dans l’espoir d’y dénicher la perle rare, le départ d’une drôle d’aventure.

Mon avis

La Bibliothèque noire est un curieux texte. Il s’agit d’une fiction, pleine de fantaisie par moments et non dénuée d’un certain humour. Mais il y a là aussi, de manière à peine voilée, une réflexion sur la place du livre papier et des bibliothèques dans le monde d’aujourd’hui.
Son personnage principal en est d’ailleurs incontestablement la Grande Bibliothèque – on reconnaît là sans peine la Bibliothèque la Bibliothèque nationale de France chère à François Mitterand.

« Les lecteurs avaient donc changé, ils avaient des besoins différents, dorénavant ils se passaient sans problème des livres. […] Pour accéder au réseau d’informations fausses et vraies, les lecteurs, enfin ceux qu’on a toujours appelé les lecteurs, avaient impérativement besoin d’une connexion. C’était leur principale demande. […] Dans cette nouvelle configuration, les bibliothécaires n’avaient plus grand chose à faire à part régler des questions logistiques. Quand on ne les sollicitait pas pour rétablir la connexion, on leur demandait où se trouvaient les toilettes. Quand on ne leur demandait pas le chemin des toilettes, on les invitait à régler la climatisation… »

Tour à tour racontée par le lecteur compulsif, par un petit livre rebelle, boudé par les lecteurs, puis par une bibliothécaire, l’histoire est atypique, autant dans le fond que dans la forme.
Si l’idée – rappelant Matheson et d’autres maîtres du fantastique – de faire s’animer les objets la nuit n’est pas nouvelles, faire parler un livre et l’entendre se plaindre de sa condition n’est pas des plus banales.
Intéressant, La Bibliothèque noire l’est assurément pour qui a un attrait pour les livres et la fréquentation des bibliothèques. Il y a fort à parier qu’il laissera d’autres personnes assez insensibles à ces préoccupations… d’un autre age ? C’est justement l’une des réflexions amorcées par Cyrille Martinez, qui manque peut-être, non pas de discernement, mais de nuance. Car si le livre numérique semble avoir de beaux jours devant lui, pas sûr que ça se fasse réellement au détriment du livre papier – vaste débat.

« Fondée sur la convivialité et des rapports interpersonnels intenses et productifs, la GrandeBib/Lab est une immense aire de jeu ouverte h24. A la fois novatrice et familière, elle vous apparaîtra très vite comme un second « chez-soi ». »

Certains passages sur l’évolution des bibliothèques et sur les nouvelles attentes de leurs « lecteurs », ou plutôt de leurs « séjourneurs » pour ceux qui justement, n’y viennent plus nécessairement pour lire, sont un petit régal. L’auteur manie différents types d’humour allant du cynisme à l’absurde avec une certaine réussite mais tombe aussi dans le cliché, parfois volontairement il est vrai (cf. le portrait de la bibliothécaire, qui est forcément célibataire et vit entourée de livres avec son chat).

Ni excellent ni décevant, La Bibliothèque noire est un petit roman très étonnant qui devrait plaire aux bibliophiles et aux professionnels du livre, à défaut de toucher un plus large public.

La Bibliothèque noire, de Cyrille Martinez, Buchet/Chastel (2018), 180 pages.

Plaqué or est un roman de Nora Hamdi paru au Diable Vauvert en 2005.

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Seloula est actrice. Enfin, quand elle trouve du boulot. La plupart du temps, elle est plutôt désœuvrée. Hédi est un saxophoniste de jazz talentueux, passé par toutes les étapes du Conservatoire, et qui s’apprête, avec sa chère et tendre, à sortir son premier album. Séparés très jeunes par les aléas de la vie, ces deux enfants d’immigrés cherchent encore leur place dans la société.

Mon avis

Si je choisis souvent mes lectures en fonction de mes goûts et de critères tels que les auteurs, les collections, les éditeurs, les traducteurs… ou encore suite à des conseils, il m’arrive aussi parfois (c’est ma nature curieuse) de tenter un coup, au petit bonheur la chance. Ici, la couverture et le titre ont quelque peu attirés mon regard. J’ai parcouru la quatrième de couverture. Un roman qui traite d’immigration et de recherche d’identité écrit par une jeune femme née à Argenteuil dans une famille d’origine Algérienne, pourquoi pas… Ça pouvait m’intéresser, sur le papier.

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a tromperie sur la marchandise mais le récit correspond très peu à ce que j’attendais et ce fut une déception totale. La vie parisienne de musiciens d’un côté, la vie bourgeoise d’une actrice de l’autre, ses vacances à la Rochelle avec ses « amis » bien comme il faut, ses caprices de midinette, des amourettes qui nous laisse complètement indifférent. Rien ne m’a passionné dans ce roman qui m’a fait me poser deux questions : Pourquoi écrire ça ? Et surtout, pourquoi l’éditer ? Sans doute suis-je passé complètement à côté de l’intérêt du livre. J’ai seulement apprécié quelques passages sur la musique et la relation entre Hédi et son père adoptif Aberkan autour de leur passion commune pour la musique et un instrument en particulier : le saxophone.

Ce roman n’est sans doute pas « mauvais » mais disons que je n’ai eu quasiment aucune affinité avec les personnages dont les vies m’ont laissé de marbre. Ça ne m’arrive pas souvent mais pour une fois, j’étais content de finir un livre pour passer à autre chose. Je l’ai fini ceci dit, ce que je n’aurais sans doute pas fait s’il avait été mal écrit ou s’il avait fait quelques centaines de pages de plus.
Un raté total pour ma part donc, mais je serais curieux de lire l’avis de quelqu’un qui a apprécié.

Plaqué or, de Nora Hamdi, Au Diable Vauvert (2005), 252 pages.

Le Discours est un roman de Fabrice Caro paru il y a quelques semaines dans une nouvelle collection de Gallimard : Sygne

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Adrien a la quarantaine et une vie plutôt quelconque. Il vient de se faire larguer mais il y a bien pire : le copain de sa sœur lui demande de préparer un discours pour leur mariage à venir. Que raconter ? Sera-t-il seulement capable de prendre la parole en public ? Cette demande, anodine pour d’autres, donne des sueurs froides à Adrien rien que d’y penser…

Mon avis

Vous connaissez Fabcaro, l’auteur de BD souvent très drôles  ? Non ? Et bien il vous faut absolument lire Zaï zaï zaï zaï, chef-d’œuvre d’humour absurde paru en 2015 aux éditions Six pieds sous terre et ayant reçu quelque prix dont le Prix SNCF du polar dans la catégorie BD. C’est pas vraiment polar en vérité mais le personnage principal, qui n’avait pas sa carte de fidélité à la caisse du supermarché, s’enfuit en brandissant un poireau et devient de fait l’ennemi public numéro un. Le début d’une cavale désopilante. Je me rends compte que c’est ma BD préférée de 2015 et que je n’ai même pas pris le temps d’en parler ici (il va me falloir réparer cet oubli, chouette, ça fera une excuse pour la relire).
Mais pourquoi nous parle-t-il de ce Fabcaro me direz-vous ? Parce que, vous l’aurez deviné même si vous n’êtes pas détective… Fabcaro et Fabrice Caro sont en fait une seule et unique personne (#scoop), le pseudo étant réservé à la partie dessinée de son œuvre. S’il ne s’agit pas là de son premier roman – Figurec avait été publié chez Gallimard en 2006 – c’est en tout cas le premier que je lis (j’ai lu une bonne partie de ses BD).

En ouvrant Le Discours, je dois confesser que j’avais peur d’être déçu. Peur que ça n’ait rien à voir avec tout ce que j’aime beaucoup chez Fabcaro, à commencer par son humour fait de situations de la vie de tous les jours revues d’un point de vue décalé, avec un espèce de redoutable « nonsense », genre qui est en général plutôt l’apanage des Brittaniques mais qu’il manie à la perfection. Grâce à ce procédé, Fabrice Caro, sans avoir l’air d’y toucher, nous fait prendre du recul et conscience de l’absurdité de nombre de nos agissements, en particulier dans notre vie sociale.

Non seulement je n’ai absolument pas été déçu mais j’ai fait durer le plaisir – le roman fait tout juste deux cents pages – en lisant quelques courts chapitres tous les soirs. Rien de tel pour décompresser. Si certains thèmes ont déjà été abordés par ailleurs, en particulier dans les bandes dessinées où il se met lui-même en scène, on ne se lasse pas de (re)vivre ce pensum qu’est le repas de famille revu par l’auteur. Des sujets aussi rebattus que la vie de couple prennent ici une dimension aussi comique qu’émouvante que j’affectionne beaucoup. Peut-être parce que je me retrouve assez dans ces personnages – assurément proches de l’auteur également – de losers sympas en grande partie inadaptés à la sauvagerie du monde d’aujourd’hui et à la difficultés des codes – parfois absurdes si l’on y réfléchit – régissant notre quotidien et en particulier nos interactions sociales.

Le Discours, s’il est difficile à résumer tant l’auteur (à travers les réflexions intimes d’Adrien) part dans tous les sens, est un régal de lecture qu’il n’est pas difficile de conseiller.
Commencez par ce roman ou par ses bandes dessinées, peu importe, mais si j’ai un tant soi peu éveillé votre curiosité, sautez le pas, lisez cet auteur !

Le Discours, de Fabrice Caro, Gallimard/Sygne (2018), 197 pages.

Mercy, Mary, Patty est un roman de Lola Lafon paru en 2017.

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Le 4 février 1974, Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse et âgée de 19 ans est enlevée alors qu’elle se trouvait dans son appartement du campus de l’université de Berkeley.
Le rapt est parfaitement planifié et revendiqué par l’Armée de libération symbionaise, groupuscule d’extrême gauche qui avait déjà fait parler de lui l’année précédente à Oakland en tuant un directeur d’école, accusé par eux de fascisme.
Des enregistrements de Patty parviennent à la famille et à la presse, notamment pour demander le versement d’une contrepartie contre sa remise en liberté. Au fur et à mesure de l’envoi de ces bandes, Patty semble se rapprocher des idées/idéaux de ses ravisseurs. Certains y verront un « lavage de cerveau » à l’œuvre, d’autres une prise de conscience politique.

Mon avis

Voilà pour les faits. Sauf que Lola Lafon n’aborde pas ce faits divers aussi frontalement, mais par l’intermédiaire d’autres personnages et d’autant d’anecdotes.
L’on suit Gena Neveva, une professeur au fort caractère, chargée par l’avocat de Patricia Hearst de rédiger un rapport pour faciliter le travail de la défense au procès Hearst, qui doit bientôt s’ouvrir à San Francisco. L’on s’intéresse aussi à Violaine, une étudiante française qui assiste Mme Neveva dans ses travaux, elle qui a été invitée à passer un an dans une petite commune des Landes.
On l’avait déjà observé avec plaisir dans La petite communiste qui ne souriait jamais (qui s’intéressait au parcours exceptionnel de la gymnaste soviétique Nadia Comăneci), Lola Lafon est véritablement douée pour donner à voir des évènements réels et des personnages existants par l’intermédiaire d’un récit qui emprunte beaucoup au romanesque sans jamais s’éloigner de la réalité pour autant. En déstructurant la chronologie et en abordant les évènements par des sentiers détournés, elle offre une lecture différente du faits divers, à mille lieues d’un article de presse ou d’un résumé d’encyclopédie.
Comme l’indique le titre, le roman s’intéressera aussi – plus brièvement – à d’autres jeunes femmes qui ont radicalement tourné le dos à leur milieu d’origine, à d’autres moments de l’Histoire et dans de tout autres contextes : Mercy Short et Mary Jamison.

Intelligent sans jamais être rasant, Mercy, Mary, Patty est un récit qui passionnera plus d’un lecteur. Pour autant, Lola Lafon ne juge pas et le récit apporte en vérité plus de questions que de réponses, mais on ne s’en plaint pas.

Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon, Actes Sud (2017), 233 pages.

Ma reine est un roman de Jean-Baptiste Andréa paru aux éditions L’Iconoclaste l’an dernier.

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Provence, 1965.
Déscolarisé et vivant seul avec ses parents, à les aider à la station-service, Shell s’ennuie. Pour ne pas aller dans cet institut spécialisé dans lequel souhaitent l’envoyer ses parents à la rentrée, il veut devenir un homme et décide donc de partir à la guerre. Dans sa fugue mal organisée, un peu plus loin sur un plateau de la vallée de l’Asse, il tombe nez-à-nez sur Viviane, une jeune fille de son âge. Shell est ébloui et Viviane trouve le garçon simplet mais rigolo. Assez vite, elle instaure un jeu entre eux. Elle est sa reine et il doit faire tout ce qu’elle veut sans poser de questions. C’est vrai qu’elle a tout d’une reine pour Shell, qui ne se voit même pas refuser.

Mon avis

Au dîner j’ai annoncé à mes parents :
– Je m’en vais.
Mon père n’a pas répondu parce que son feuilleton venait de commencer. Ma mère m’a dit de finir mes lentilles et de ne pas parler la bouche pleine. C’était tant mieux au fond, parce que s’ils m’avaient ordonné de rester je me serais dégonflé.

Vous l’aurez peut-être deviné, Shell – surnom que lui a donné Viviane en raison de son blouson de la station-service, celui avec le gros coquillage jaune – est atteint de troubles de type autistique. Plus d’un auteur s’est cassé les dents à essayer de se mettre dans la peau d’un autiste. À l’instar de Mark Haddon dans son magnifique Le bizarre incident du chien pendant la nuit, Jean-Baptiste Andréa s’en sort plus que bien dans cet exercice délicat. Le lecteur est rapidement pris d’empathie pour le jeune homme, dont la naïveté n’a d’égal que l’envie de bien faire. Shell est un de ces personnages de fiction touchants, qu’on garde longtemps dans un coin de sa mémoire. Les autres protagonistes – il y en a peu – ne sont pas en reste, à commencer par Viviane, jeune parisienne intrépide qui vient passer ses vacances dans ce coin perdu de Provence. C’est d’abord pour tromper l’ennui de ces longues journées d’été qu’elle aborde Shell. La frontière entre le jeu un brin cruel et l’amitié s’estompe à mesure qu’elle côtoie le jeune homme qui, s’il est différent, n’a pas une once de méchanceté en lui. Mais lorsque les vacances s’achèvent, sa reine doit quitter son château local et Shell se retrouve seul et assez vite mal en point à force de ne pas manger et boire. Il est alors recueilli par Matti, un vieux berger muet qui l’aide à se retaper.

Ma reine est un fort joli premier roman, tout en émotions et poésie, qui aborde le thème de la différence avec tact, en faisant le choix de survoler certains sujets (le harcèlement scolaire dont est victime Shell par exemple) plutôt que de les prendre à bras-le-corps. Jean-Baptiste Andréa hameçonne le lecteur avec facilité pour ne plus le lâcher jusqu’à l’ultime page.

Ma reine, de Jean-Baptiste Andréa, L’Iconoclaste (2018), 240 pages.

Marx et la poupée est un roman de Maryam Madjidi paru au Nouvel Attila l’an dernier.

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Encore dans le ventre de sa mère, Maryam a déjà un aperçu de la révolution iranienne qui va bouleverser sa vie, celle de ses proches et plus largement, celle de tout un pays.
Six ans plus tard, Maryam rejoint avec sa mère la France, et son père qui s’y était déjà réfugié.

Mon avis

Si l’on écrit rarement des romans juste pour écrire des romans, on ressent ici avec puissance le besoin qu’a du ressentir Maryam Madjidi de coucher ses mots/maux sur le papier. Cette autobiographie devait lui sembler nécessaire et a vraisemblablement dû la libérer comme jamais.
Sans trop respecter de chronologie ou de trame à proprement parler, l’auteur nous propose des petits bout d’enfance et de jeunesse qui l’ont marquée d’une manière ou d’une autre. Tantôt avec gravité tantôt avec humour, elle évoque son « iranité », qui est en France tantôt une source de questions intarissable, tantôt une arme de séduction. Elle évoque sa langue maternelle, le persan, qu’elle a d’abord refusé de parler en France au grand dam de ses parents avant d’éprouver le besoin profond de s’y remettre de manière intensive. Ses parents occupent une bonne place dans le récit et l’on ressent beaucoup d’affection pour eux, notamment pour ce père, humble travailleur, qui s’est toujours efforcé d’offrir les meilleurs conditions de vie à sa famille. On sourit à l’évocation de ce drame d’enfance qui a consisté à laisser ses maigres possessions, poupées et autres jouets, sur place, pour d’autres enfants, lors de son départ forcé (d’où le titre, jolie allusion au communisme concret mis en pratique par ses parents). Le retour au pays natal, des années après, est particulièrement émouvant.

Pour le lecteur francophone, difficile de ne pas penser à Marjane Satrapi en lisant Marx et la poupée. Le sujet, le pays d’origine, l’exil forcé, le ton, entre nostalgie, humour et colère… La liste des points communs entre ces deux belles œuvres est longue.
Pour autant il ne s’agit pas ici d’une resucée de Persépolis mais bien d’une œuvre originale. Celle d’une vie. Celle de Maryam Madjidi.

Marx et la poupée, de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila (2017), 208 pages.