Archives de la catégorie ‘Nouvelles noires’

Le premier volume de la collection Double Noir réunit les nouvelles La Voleuse d’enfants du duo de romanciers Erckmann-Chatrian et Chorus de Marc Villard.

pol_cover_30850Résumé

Double noir, édité par l’association Nèfle Noire est un concept brillant imaginé par Claude Mesplède : faire cohabiter dans le même petit ouvrage deux nouvelles noires, l’une contemporaine, l’autre plus ancienne et d’un auteur connu et reconnu, mais pas nécessairement pour des écrits de type policier. Parmi les huit premiers titres de la collection, on croisera ainsi Émile Zola, Guy de Maupassant, Prosper Mérimée ou encore Abraham Lincoln (oui oui, le président américain himself !) auprès d’auteurs comme Marin Ledun, Laurence Biberfeld ou Franck Thilliez.

Mon avis

Dans ce premier titre, Émile Erckmann et Alexandre Chatrian partagent l’affiche avec Marc Villard.
Alors étudiant en droit pour le premier et surveillant de collège pour le second, les deux hommes unissent vite leur passion pour la littérature pour devenir sous le nom d’Erckmann-Chatrian l’une des références du roman-feuilleton dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cette nouvelle très sombre, La Voleuse d’enfants, a été initialement publiée en 1866 chez Hetzel dans un recueil intitulé Contes du bord du Rhin. La malheureuse Christine y erre dans les rues de Mayence à la recherche de sa petite Deubche, disparue subitement. Rapidement, une dizaine d’enfants disparaissent de la même façon, à la tombée de la nuit, plongeant la ville dans la psychose. Écrite il y a plus de cent-cinquante ans, cette nouvelle efficace n’a rien à envier à des textes plus récents.
Le texte des deux hommes est associé à une nouvelle très musicale de Marc Villard que l’on sait fondu de jazz. Chorus met en scène Sam Carter, trompettiste au KoKo, dont le penchant pour la bonne poudre va lui attirer des ennuis qui vont bouleverser sa vie. Aussi dure que sa musique est suave, la destinée du pauvre jazzman ne laisse pas indifférent.double noir

Très chouette idée que celle qu’a eue Claude Mesplède de faire vivre ensemble deux textes que rien ne prédestinait à se retrouver dans le même volume. Comme un beau pied-de-nez à ceux qui veulent enfermer la littérature dans des cases préétablies.
L’objet est tout petit (format A6) mais très esthétique, avec sa couverture travaillée en papier glacé, et ne coûte que 2€. A ce prix-là, on aurait tort de s’en priver – les différents titres, difficilement trouvables en librairie, sont à commander sur le site dédié à la collection Double Noir.

La Voleuse d’enfants, d’Erckmann-Chatrian & Chorus de Marc Villard, Nèfle noire/Double noir n°1 (2017), 32 pages.

Tohu-bohu est un recueil de nouvelles noires du duo Jean-Bernard Pouy & Marc Villard paru en Rivages/Noir en 2008.

51em9i5yjqlRésumé

Une vache, un cheval, une bonne soeur stripteaseuse, un tueur à gages, un renard révolutionnaire, un éditeur sans scrupules, un frigo (!), un père qui menace de se « casser à Létrangeais », et bien d’autres…
Autant de personnages qui peuplent ces improbables nouvelles – souvent drôles – signées Jean-Bernard Pouy et Marc Villard.

Mon avis

Plutôt que de le paraphraser inutilement, laissons l’éditeur nous expliquer le concept de ce sympathique recueil.

Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ont écrit, chacun de leur côté, six nouvelles ; à charge pour l’autre de « sampler » chaque texte, c’est-à-dire, selon l’humeur, de le poursuivre, d’en donner un autre aperçu, de s’intercaler dans une ellipse, voire d’en contredire une vision ou une stylistique. »

Si vous ne connaissez pas encore les deux auteurs, ce recueil peut-être l’occasion de découvrir leur travail, tantôt sérieux tantôt farfelu, quand ce n’est pas les deux à la fois. Après Ping-Pong (où ils se renvoyaient la balle) et avant Zigzag (où ils slalomaient en parallèle sur les thèmes favoris de l’autre), les voici au meilleur de leur forme.

« Au début, je survivais chez Total Confort. C’était un peu le souk, côté stockage, et j’ai dû patienter deux semaines à trois mètres des canapés.
Ils se prennent tous pour des convertibles. Abrutis. Après, le patron des stocks – Raoul Meunier – nous a bien séparés : les frigos devant, les canapés derrière.
Ils chauffent trop leur stocks chez Total, c’est pas bon pour les moteurs. Puis un mardi matin, putain je m’en souviens parfaitement, Raoul m’a monté avec le vieux Frigeavia dans le hall d’exposition. J’étais le seul Millénium métallique. Couleur gris métallique, je veux dire. Double panier à crudités, deux bacs pour le beurre, une rampe horizontale pour les bouteilles et un freezer gris avec des rayures blanc cassé. Le look impérial. »

Les textes, souvent très courts, sont majoritairement des nouvelles à chute et pour la plupart humoristiques, pour ne pas dire loufoques. Vous admettrez que faire d’un frigo le personnage principal d’une nouvelle policière n’est pas monnaie courante. Malgré les vingt-quatre nouvelles annoncées par l’éditeur, le recueil en compte en vérité vingt-cinq car un texte de Gilles Mangard (autour du jazz), auquel rendent hommage Marc Villard puis Jean-Bernard Pouy, est inclus dans le livre.

Rivages disait que Zigzag, sorti de leur « atelier de littérature policière expérimentale est un concentré d’humour décapant, de fantaisie, de punch et de science du récit court ». On peut en dire autant pour Tohu-bohu, et si l’on peut se méfier des boniments des éditeurs avec raison, vous pouvez croire Rivages sur ce coup-là.

Bienvenue dans l’univers décalé de Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, qui sont parmi les meilleurs duettistes de la nouvelle noire, affutée et poilante. À déguster au compte-gouttes ou d’une traite, sans modération mais avec le sourire.

Tohu-bohu, de Marc Villard & Jean-Bernard Pouy, Rivages/Noir n°673 (2008), 217 pages.

Chiennes de vie : chroniques du sud de l’Indiana (Crimes in Southern Indiana) est un recueil de nouvelles de Frank Bill paru à la Série Noire cette année, traduit de l’américain par Isabelle Maillet.

 

Résumé

 

Des dealers amateurs recevant une bonne leçon. Un jeune vétéran de l’Afghanistan qui pète un câble. Un agent de la protection de l’environnement pour le moins malchanceux. Une tragique histoire d’amour. Un fils surprenant son père en train d’assassiner froidement sa cousine. Un accident d’ascenseur. Un gamin utilisé par sa mère pour commettre des larcins. L’enlèvement du chien de race d’un chasseur de ratons laveurs. Mais aussi des combats de chiens, le viol de la femme d’un policier, des trafics de meth, de la boxe, etc.

 

 

Mon avis

 

« Il avait poussé jusqu’à Morehead, puis rebroussé chemin en direction de Pine Ridge, Campton, Jackson, Hazard. Et Whitesburg, où chacun connaissait l’arbre généalogique de son voisin, pêchait à la dynamite et chassait avec un calibre 12 à deux coups. Tous les pères de familles possédaient de grandes exploitations où travaillaient dans les mines de charbon des comtés environnants, comme Harlan, qui payaient bien. Personne ne manquait l’office du dimanche, et peu importait le montant de l’obole au moment de la quête ; c’était un endroit où les gens menaient une vie simple, sans prétention. Et c’était là que Deets avait compris qu’il avait voyagé pendant si longtemps pour oublier qui il était, et ce qu’il essayait de fuir. »

 

Voici certains des sujets abordés dans les dix-sept nouvelles de ce livre. On reproche souvent aux recueils de ce type de contenir des textes inégaux, voire hétérogènes. Rien de tout cela ici. Si chacun raconte des histoires différentes, ces dernières auraient toutes pu figurer dans la rubrique faits divers d’une gazette du sud de l’Indiana. Chaque morceau raconte l’histoire de gens simples, plutôt ordinaires dans l’ensemble, dont la vie bascule subitement pour une raison ou pour une autre, et rarement pour le meilleur. À travers les destins tragiques de ces quelques personnages, Frank Bill nous dépeint avec une plume acérée les conditions de vie difficiles de l’Amérique profonde d’aujourd’hui et ce qu’elles entraînent. Au fil des histoires, tout y passe : l’alcoolisme, la drogue, les violences conjugales, les viols, le stress post-traumatique des vétérans des G.I., etc.

 

« À cette époque, personne ne parlait du syndrome de stress post-traumatique. Des dégâts provoqués par la guerre dans le cerveau d’un homme. Des conséquences de ce que celui-ci avait pu voire, entendre et faire avec d’autres. De même, la maltraitance des femmes était un sujet tabou. On ignorait le problème, tout simplement. C’était l ‘époque où le « jusqu’à ce que la mort nous sépare » était la règle imposée du mariage. Une femme ne quittait pas son mari, elle lui obéissait.

Quand le Mécano battait son épouse, pourtant, la violence ébranlait les murs. Le corps de la malheureuse rebondissait d’une cloison à l’autre comme une boule de flipper, sauf qu’il n’y avait pas de petite musique électronique pour ponctuer le score, juste des suppliques et des excuses étranglées qui ne rencontraient aucune pitié. Rien que de la sauvagerie. Une fois la porte refermée sur la chambre d’à peine neuf mètres carrés, à peine plus qu’une boîte, la violence traversait les cloisons de Placoplâtre pour aller contaminer le salon. Où, du canapé dont les coussins avachis assuraient une assise confortable, deux adolescentes dévoraient des yeux l’écran du téléviseur noir et blanc. Un téléviseur qui égayait la pièce avec des images de Tom et Jerry – le genre de dessin animé conçu pour distraire les enfants, qui nourrissait leur propre dépendance à la violence. Portes claquées sur différentes parties du corps. Assiettes fracassées sur des crânes. Coups de maillet répondant aux coups de poing dans la chambre d’en face.

Même le joli papier peint de couleur vive ne suffisait pas à la masquer – toute cette laideur dans l’air. Les filles savaient qu’à la moindre tentative de leur part pour défendre la femme, leur mère, elles auraient le droit à un traitement semblable : le déchaînement de dix articulations divisées en deux poings.

Cette notion s’était enracinée dans leur esprit innocent, elle était devenue une partie intégrante de leur vie quotidienne, un réflexe aussi instinctif que celui de respirer. Pour elles, c’était la norme. »

 

Si ce recueil n’est assurément pas à mettre entre toutes les mains – certaines passages sont vraiment difficiles – on ne peut guère taxer l’auteur d’avoir voulu faire étalage de violence gratuite. Ces Crimes du sud de l’Indiana (traduction littérale du titre original) sont le résultat de processus divers et variés ;ils résultent de quelque chose. Et si l’on ne peut les accepter, on peut parfois les comprendre. Pour se venger, pour défendre sa famille, par amour, par peur, dans un accès de folie, ou simplement pour essayer de s’en sortir, on peut être amené à commettre l’irréparable. Chaque meurtrier n’est pas né « monstre » mais les circonstances de la vie ont fait que leur destin croise celui d’une victime.

« Wayne le voyait à l’attitude de son père, à ses mains obstinément fourrées dans les poches de son pantalon bleu passé, à son pas traînant, à ses regards dont il s’efforçait d’exclure tout jugement : il redoutait le moment où son fils péterait les plombs. Dennis ne savait pas tout, évidemment, mais il en devinait une bonne partie ; pour avoir connu les jungles du Vietnam, il était conscient de la part d’ombre en lui. Il avait dit à Wayne qu’une thérapie l’aiderait peut-être, même s’il n’en avait lui-même jamais suivi à l’époque. En ce temps-là, personne ne respectait les soldats qui rentraient au pays. On attendait d’eux qu’une fois revenus ils reprennent leur vie comme s’il ne s’était rien passé, qu’au pire ils plongent dans l’alcool à la recherche de la personne qu’ils étaient avant de partir. »

 

Chiennes de vie est un recueil de qualité, qui pourra trouver des lecteurs pourvu qu’ils aient le cœur bien accroché et qu’ils soient prêts à lire des nouvelles où l’espoir est pour ainsi dire absent. En refermant le livre, on comprend pourquoi Donald Ray Pollock (cf. son excellent Le Diable, tout le temps) a choisi d’aider Frank Bill à entrer en littérature. Et on l’en remercie.

 

Chiennes de vie : chroniques du sud de l’Indiana (Crimes in Southern Indiana, 2011) de Frank Bill, Gallimard / Série Noire (2013). Traduit de l’américain par Isabelle Maillet, 247 pages.

Chapeau est une nouvelle d’Hervé Sard initialement parue aux éditions Krakoen dans la collection Petit Noir en 2012 (et pour une modique somme).
Aujourd’hui, elle est disponible gratuitement dans sa version numérique (.ePUB) sur diverses plates-formes.

Ça tombe bien, une de mes sœurs vient de m’offrir une liseuse (la Mini Kobo, si vous êtes connaisseur) et ce texte a donc été le premier que j’ai lu via cet appareil, plutôt agréable et simple d’utilisation au demeurant.
Chapeau est aussi offert sous format papier pour tout achat de certains romans de l’auteur via son site.

Résumé

Le narrateur, fils d’un patron de bar, nous raconte un peu le quotidien du P’tit tonneau et en particulier l’itinéraire d’un habitué, Chapeau. Présent tous les jours ce type mystérieux est ainsi nommé par tout le monde en raison du couvre-chef qu’il arbore en toutes circonstances, et parce que personne ne connaît ni son vrai nom ni son parcours.

Mon avis

J’ai connu Hervé Sard à l’époque de la sortie de son très bon roman Vice Repetita (que je conseille volontiers), soit en 2007.
Il a depuis publié un certain nombre de romans, que je n’ai toujours pas lus, ainsi que des nouvelles, parues dans des recueils collectifs la plupart du temps.

Je retrouve avec plaisir son écriture gouailleuse dans cette excellente et courte nouvelle (18 pages dans sa version papier).
Tout en donnant à voir le quotidien ordinaire des petites gens peuplant ce café, Hervé Sard tisse l’air de rien une très bonne intrigue qui va laisser plus d’un lecteur sur son séant une fois l’ultime rebondissement survenu. Et quel rebondissement !

Une nouvelle à chute (j’adore ce genre) particulièrement réussie, chapeau !

Nouvelles d’Écosse (Hope) est un recueil de nouvelles de Laura Hird publié en français en 2012 par les éditions 13e note.

Résumé

Un homo un peu paumé s’installe chez une riche dame qui pourrait être sa mère. Une femme se réveille avec un ado dans son lit et aucun souvenir de la soirée de la veille. Un fan de foot perd son meilleur ami supporter dans un accident de voiture et se rend à son enterrement. Une jolie femme adore rendre les hommes complètement dingues. Une adolescente est prête à tout pour qu’un photographe réputé lui tire le portrait. Une jeune femme se retrouve sans affaires dans un endroit inconnu sans aucune idée de comment elle est arrivée là.

Mon avis

« De toute façon, elle ne l’aimait pas. C’était juste un connard qui lui payait des verres, la laissait conduire sa bagnole et le traiter comme de la merde. La simple idée qu’elle avait failli s’installer avec ce débile la faisait se réjouir de son absence. Elle espérait qu’il soit mort. Jetant un coup d’oeil vers le type auquel elle avait demandé l’heure, elle vit qu’il la matait toujours en souriant. Elle lui rendit son sourire. Édimbourg était plein de trous du cul névrosés n’attendant qu’une seule chose : qu’on les maltraite. »

Voilà quelques-uns des points de départ des onze nouvelles qui composent ce recueil. Hope, la première d’entre elles (et qui donne son titre au recueil en anglais), est de loin la plus longue, avec ses 70 pages – les autres nouvelles font 10-20 pages. Elle raconte la vie d’un homme perdu dans sa vie, qui n’a aucun projet à part se prendre une nouvelle cuite. Il tombe par hasard sur une vieille dame, Hope, veuve et richissime, qui accepte de l’héberger gracieusement. Une complicité naît rapidement entre eux. Dans cette nouvelle comme dans les autres, Laura Hird dresse un sombre portrait d’Édimbourg, où personne n’est épargné par les malheurs de la vie, du bobo à l’adolescente sans le sou. Alcoolisme, solitude, mort, sexualité, folie, etc. : l’auteur ne connaît pas les sujets tabous, et c’est tant mieux.

« Le pasteur, une femme, nous fait un petit speech à propos de Ronnie, le même qu’elle doit prononcer douze fois par jour. Comme aucun d’entre nous n’a été contacté, il n’est question que de travail, famille, patrie et bonnes mœurs. À l’entendre, on croirait qu’il était mormon, le mec.
On prie, puis on fait semblant de chanter un hymne que personne n’a l’air de connaître. Il n’y a pas de livret de chants au fond de la salle, ce qui rend la chose encore plus ridicule. Qu’est-ce que toutes ces simagrées ont à voir avec Ronnie ? Ils feraient mieux de passer Rod Steward ou Stevie Wonder. On devrait tous entonner un chant des Hearts – enfin je sais pas, quelque chose qu’il aimait, non ? Ronnie ne croyait même pas en Dieu. Qui y croit encore, d’ailleurs, à part quelqu’un comme Bono ? »

Un peu à la manière d’un photo-reporter, elle observe tout ce beau monde sur le terrain, au ras du bitume, et nous livre ses observations sous le nez, sans artifices, avec un réalisme exacerbé et parfois dérangeant. Quelques nouvelles, inintéressantes, ne resteront pas dans les mémoires. Heureusement, la plupart d’entre elles valent le détour, pour leurs personnages ou leur chute.

Le moins qu’on puisse dire c’est que les nouvelles de Laura Hird ne sont pas roses. Mais la vie l’est-elle ? Un sombre recueil, à éviter avant de partir en Écosse si vous n’avez pas d’assurance annulation.



Nouvelles d’Écosse
(Hope, 2006), de Laura Hird, 13e note éditions (2012). Traduit de l’anglais (Écosse) par Alain Defossé, 234 pages.

Les roubignoles du destin est un recueil de 12 nouvelles signé Jean-Bernard Pouy et édité pour la première fois en 2001 chez Gallimard. Les textes le composant avaient auparavant déjà pu être lus, mais dans diverses publications.

Résumé

Un joueur de hockey qui n’arrive plus à jouer sa finale à cause du… hoquet ! Un militant du FN qui aurait mieux fait de ne pas vénérer Jeanne d’Arc. Le frère de Luis Ocaña qui décide de se marier en plein Tour de France. Un auteur fatigué par les ateliers d’écriture qui se fait aborder par un insistant graphomane. Un père qui ne comprend plus son fils et décide de le prendre en filature. Voici le point de départ de quelques-unes des douze nouvelles composant ce recueil.

Mon avis

Comme souvent avec ce type de recueils, certaines histoires plairont d’avantage que d’autres. Les goûts et les couleurs mis à part, certaines d’entre elles sont peut-être objectivement moins bonnes (Manus militari ou Le cargoète par exemple). Leur taille varie aussi beaucoup, de trois pages à une trentaine selon les cas.

Elles sont différentes dans le style mais on y retrouve toujours la patte de Jean-Bernard Pouy, son talent pour nous accrocher le sourire aux lèvres et pour s’approprier la langue, qu’il n’a de cesse de modeler à sa guise, comme un potier avec la terre glaise, aussi à l’aise pour écrire « avé l’acent du Sud » qu’en mauvais « angliche ». Comme souvent avec l’inventeur du Poulpe, l’humour est très présent, dans les dialogues comme dans les jeux de mots, l’un d’entre eux servant même de point de départ à une nouvelle (Hoquet sur glace). Rien qu’appeler un texte Les roubignoles du destin (c’est le premier, celui qui donne son titre au recueil), il fallait le faire, et le titre est d’autant plus drôle une fois qu’on a terminé l’histoire en question, dont la chute est, comment dire… mortelle.

« Et comme moi, je n’en peux plus, fatigué de ne plus parler, de ne plus comprendre, de ne plus avoir aucun contact avec mon propre fils, vacherie, je joue au détective minable, au flic pourri de base, s’il savait, peut-être que ça le ferait exploser, mais ça serait déjà quelque chose, merde, Arafat et Rabin sont bien arrivés à se parler, pourquoi pas Jérôme et moi, merde. »


Certaines nouvelles sont très réussies, pour leur dénouement donc (I got my mogette working), mais aussi pour leurs histoires (L’équarrisseur, La mauvaise graine). L’ABC du métier, exercice de style « oulipien », vaut quant à elle le détour juste pour son écriture : il s’agit d’un long acrostiche alphabétique (chaque ligne commençant par l’une des 26 lettres de l’alphabet dans l’ordre, et ainsi de suite), réussi qui plus est.

« Niant le sordide, cachant le glauque,
opacifiant le réel, Yvonne
puisait dans toutes ces petites histoires
qui meublaient son quotidien non pas une
résignation, mais, au contraire, un
salutaire énervement.
Traitant de la misère sociale et morale
une fois sur deux, elle tentait de dégager une
vérité impalpable, qu’elle décorait à la
Walter Scott, ensuite, faisant d’une affaire
x le papier de la semaine.
Y’a pas de raison, disait-elle, à
zozo, zozo et demi… »

Bien que quelques-unes soient moins intéressantes que les autres, les nouvelles constituant ce recueil (publié en 2001) se lisent globalement avec beaucoup de plaisir. On y retrouve le style, l’humour et la malice qui caractérisent si bien l’œuvre de Jean-Bernard Pouy, l’une des plus belles plumes du polar français actuel.


Les roubignoles du destin, de Jean-Bernard Pouy, éditions Gallimard (2001 et 2004), 176 pages.

(Je suis en ce moment en plein dans la préparation de plusieurs concours de la fonction publique (pour bosser en bibliothèque), ce qui explique en partie (avec le beau temps aussi) que j’ai du mal à trouver du temps pour chroniquer.)

 

En attendant des chroniques plus conséquentes, je vous parle de deux nouvelles de Donald Westlake, inédites en français jusqu’aujourd’hui.

 

J’ai fait au salon du livre de Paris l’acquisition de Pauvres zhéros, que m’a gentiment dédicacé Pierre Pelot. Grâce à cet achat, je me suis fait offrir le fameux recueil.

Ce Rivages/Noir est « hors-commerce » et ne peut donc pas être acheté (en principe). Il peut par contre vous être offert par votre libraire préféré. Renseignez-vous !

 

 

fille-de-mes-reves.jpgLa fille de mes rêves

 

The Girl of My Dreams a initialement été publié en 1979 dans la célèbre revue Ellery Queen’s Mystery Magazine.

 

« Hier, j’ai acheté un revolver.

Je ne sais plus où j’en suis ; je ne sais vraiment pas quoi faire.

J’ai toujours été un jeune homme doux, timide, conventionnel et honnête. Depuis maintenant cinq ans – depuis que j’ai quitté l’université faute de moyens, à dix-neuf ans – je suis employé au rayon des chemises de Willis & DeKalb, Vêtements pour Hommes, Succursales dans les Principales Villes, et je dois dire que d’une façon générale je m’estime satisfait de mon sort. Même si, dernièrement, le nouveau directeur, M. Miller, m’a paru quelque peu crispant – le mot n’est pas trop fort –, le travail lui-même a toujours été agréable, et je me voyais bien continuant à mener une petite vie paisible à cette même place. »

 

Ronald Grady, le narrateur, rencontre dans ses rêves la somptueuse Delia.

Dans la (triste) réalité, ce vendeur de chemises est contrarié par le remplacement de son ancien directeur par le terrible M. Miller. Les journées sont longues et il lui tarde de s’endormir pour retrouver Delia dans ses songes.

Une nouvelle intelligente, très originale, qui nous montre qu’entre rêve et réalité, la frontière est parfois ténue.

 

 

Intrigue conjugale

 

Domestic Intrigue a pour sa part été publié pour la première fois dans le magazine The Saint Detective Magazine, en 1966.

 

« Si seulement c’était William qui était riche, plutôt que Robert. Mais William était pauvre, et, comme il était poète, il n’y avait guère d’espoir qu’il fît fortune un jour. En ce qui me concerne, je reconnais que je suis une enfant gâtée, que l’idée de renoncer au confort et au luxe que m’apportait l’argent de Robert était de nature à me rendre blême, tout comme celle de renoncer à William. J’avais un besoin impérieux de l’un et de l’autre, de l’amour de William et de l’argent de Robert. »

 

Un homme parvient à entrer au domicile de la narratrice en se faisant passer pour un employé d’une société de sondage. Rapidement, Madame Carroll se rend compte que ce « vilain bonhomme » en sait beaucoup trop sur sa vie privée.

Selon sa mère, tous les hommes sont des salauds. Mais qu’en est-il vraiment ? Tiraillée entre son amant et son mari, Madame Carroll n’est pas au bout de ses surprises.

Utilisant le fameux triangle amoureux, point de départ d’une innombrable quantité d’œuvres – on pense notamment au grand classique de James M. Cain, Le facteur sonne toujours deux fois, et à ses adaptations sur grand écran – Westlake nous propose une nouvelle efficace, riche en suspense.


 

Les deux nouvelles sont suivies d’un « catalogue raisonné » présentant un certain nombre d’auteurs de la collection, plusieurs listes de livres à lire à tout prix (les « 10 titres indispensables », les « 10 titres à découvrir »…) et l’intégralité du catalogue Rivages/Noir.

 

Puisqu’on parle de Westlake, signalons que ses fans vont être gâtés cette année. Rivages va mettre le paquet, avec la parution en juin de quatre titres (rien que ça !).

Monstre sacré va paraître en Rivages/Thriller (grand format).

Le Paquet, paru dans les années 1980 et difficilement trouvable depuis, va être réédité en Rivages/Noir sous un nouveau titre : Comment voler une banque.

Ceux qui préfèrent Westlake dans la forme courte vont pouvoir apprécier 11 nouvelles mettant en scène Dortmunder dans Voleurs à la douzaine.

Enfin, Breakout (un Richard Stark, mais c’est pareil), déjà sorti en grand format va paraître en Rivages/Noir.

 

Pour ma part, je dois avouer que ma connaissance de l’œuvre de Westlake se limite pour l’instant au Couperet (quel livre ! Un de mes préférés !), à Ordo (pas mal du tout non plus), et désormais à ce recueil. Oui, avant d’avoir lu tout Westlake, j’ai du pain sur la planche !

 

Ce week-end, j’ai acheté tout plein de vieux polars dans une brocante, même des vieux Série Noire jaune et noir des années 1950.

Pourquoi je vous dis ça ? Parmi mes achats, je vous le donne en mille, deux Westlake : Festival de crêpe, SN n°979 (Pity Him Afterwards, 1964) et Les cordons du poêle, SN n°1068 (The Busy Body, 1966, apparemment réédité sous le titre La mouche du coche). Raté, ce sont des one-shot. Du coup, c’est pas encore avec ces romans que je vais découvrir Dortmunder ou Parker.

D’ailleurs, question aux connaisseurs, ces fameuses séries, vaut mieux les commencer par le premier ou bien cela importe-t-il peu ?

 


La fille de mes rêves (The Girl of My Dreams, 1979) & Intrigue conjugale (Domestic Intrigue, 1966), de Donald Westlake, Rivages/Noir (2011). Nouvelles respectivement traduites de l’anglais (États-Unis) par Gérard de Chergé et Jean-Paul Gratias, 65 pages + catalogue raisonné.

La 3e enquête de Walt Longmire (après Little Bird et Le camp des morts), le fameux shérif imaginé par Craig Johnson, est intitulée L’indien blanc et paraîtra chez Gallmeister en avril prochain.
Il s’agit de la traduction de Kindness Goes Unpunished, paru aux États-Unis en 2007.

En attendant, pour Noël et parce qu’on a été sages, Craig Johnson et les éditions Gallmeister nous proposent une nouvelle inédite.
Elle s’appelle Un vieux truc indien et est susceptible de vous être offerte par votre libraire préféré.
Il est également possible de la lire directement en PDF et/ou de la télécharger, à cette adresse.

https://i0.wp.com/www.gallmeister.fr/images/medias/Johnson_Un_vieux_truc.jpgPubliée en 2006 dans le magazine Cowboys & Indians (sous le titre Old Indian Trick), elle a remporté le Tony Hillerman Short Story Award.

Walt Longmire conduit son ami indien Lonnie Little Bird à l’hôpital, où il doit contrôler son diabète. Sur la route, ils décident de faire un arrêt au Blue Cow Cafe, pour y casser la croûte.

« Le Blue Cow, qui avait été quelque temps un casino, était devenu depuis longtemps déjà un restaurant ; son Montana Breakfast ! Servi du matin au soir ! La recette du Reader’s Digest ! consistait en une demi-livre de bacon, quatre gros œufs, douze pancakes, trois quarts de livre de patates sautées, une pinte de jus d’orange et du café à volonté ; toute une épopée, célèbre d’un bout à l’autre des Hautes Plaines. »

En entrant, ils apprennent que l’établissement vient d’être visité, la jeune Wanda ayant été sommée par un inconnu de lui donner le contenu de la caisse, le tout sous la menace d’un calibre .22.
La police envoie sur place un débutant qui ne se débrouille pas encore très bien tout seul. Du coup, Walt et Lonnie décident de les aider à mener l’enquête, chacun à sa façon…

En quelques pages, on retrouve le style de Craig Johnson et on a de nouveau envie d’aller se boire une mousse avec Walt et Lonnie. De plus, la chute de cette courte nouvelle est particulièrement ingénieuse, ce qui ne gâche rien, bien au contraire…

En bonus, Gallmeister nous offre même le premier chapitre du prochain roman. Pour tout vous dir, je n’ai même pas pris le risque de le lire car ce serait alors sans doute encore plus difficile d’attendre avril et la parution de L’indien blanc,… Rien que le résumé me donne déjà beaucoup envie, jugez plutôt.

« Walt Longmire est le shérif du comté d’Absaroka depuis près d’un quart de siècle et il n’a pas pour habitude de s’éloigner de ses terres familières du Wyoming. Quand il décide d’accompa – gner son vieil ami Henry Standing Bear à Philadelphie, où vit sa fille Cady, il ne se doute pas que son séjour va prendre une tournure tragique. Lorsque Cady se fait agresser et se retrouve dans un profond coma, elle n’est que la première victime d’une longue liste.
Entouré de ses fidèles compagnons – Henry, son adjointe Vic,qui ne tarde pas à le rejoindre, et le chien –, Walt se lance sur la piste d’un vaste réseau de trafiquants de drogue. Commence alors une longue errance urbaine sous la surveillance d’un mystérieux Indien blanc. »

Bonne lecture, et bonne attente…


Un vieux truc indien (Old Indian Trick, 2006) de Craig Johnson, Gallmeister (2010). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides.

Los Angeles Noir

Publié: 8 octobre 2010 dans Nouvelles noires

Los Angeles Noir est un recueil de dix-sept nouvelles noires ayant pour cadre la Cité des anges présenté par Denise Hamilton et publié en France par Asphalte (l’éditeur original étant Akashic Books).
Les dix-sept auteurs sont, dans l’ordre d’apparition, Michael Connelly, Naomi Hirahara, Emory Holmes II, Denise Hamilton, Janet Fitch, Patt Morrison, Christopher Rice, Héctor Tobar, Susan Straight, Jim Pascoe, Neal Pollack, Lienna Silver, Gary Phillips, Scott Phillips, Brian Ascalon Roley, Robert Ferrigno, et Diana Wagman.

losangelesnoirRésumé

Le riche conducteur d’une Porsche Carrera se tue sur Mulholland Drive après avoir fait un plongeon avec son bolide. Le PDG d’origine chinoise d’une entreprise produisant des puces de silicone est pris en otage à San Marino. Des villas de Beverly Hills se font cambrioler à la chaîne. Une jeune et jolie serveuse rêve de devenir actrice. Des ados trouvent un pistolet alors qu’ils jouent sur un chantier d’East Hollywood. Deux immigrés russes vont pêcher à Santa Monica. A Mar Vista, un ancien délinquant devenu pasteur ne peut supporter que les autres enfants prennent le fils de sa cousine pour un souffre-douleur en raison de son handicap. Voici le point de départ de quelques nouvelles de ce Los Angeles noir, qui en compte dix-sept.

Mon avis

La jeune maison d’édition Asphalte a lancé une nouvelle collection ayant pour but de faire découvrir les grandes métropoles du monde à travers une anthologie de nouvelles noires. Après nous avoir fait visiter le Paris Noir sous la direction d’Aurélien Masson (le boss de la Série Noire), la série poursuit son voyage et nous propose maintenant de voir le côté obscur de la Cité des Anges, avec pour guide principale Denise Hamilton, bien aidée par ses seize collègues auteurs, qui nous propose tous leur vision de Los Angeles.

« Pour tout le monde à Rio Seco, L.A. n’était qu’une seule cité immense. Ils ignoraient que L.A. était en fait un millier de petites villes, des mondes entiers recrées parmi les arroyos, les champs de fraises et les flancs de collines. Et que Downtown avait ses canyons de verre noir et argent, le Grand Central Market, Broadway et sa propre favela.
C’est là-bas que je me rendais à présent. J’étais près du croisement de 3rd Street et Main Street. Si vous n’êtes jamais allé au Brésil, si vous n’avez jamais vu de favela, eh bien, il vous suffit de faire un tour à Skid Row. Des abris en carton, d’autres creusés sous les ponts des autoroutes, des hommes vautrés sur le trottoir en plein jour, leurs joues collés contre les grillages. »
Le Golden Gopher, de Susan Straight

Chacune des nouvelles correspond à un quartier de la ville – un plan en début de recueil permet d’ailleurs au lecteur de se situer dans la cité – et met en scène différents types de personnages. Au fil des textes, nous croisons des starlettes, des drogués, des policiers du LAPD, des familles richissimes, des has been fauchés, des travailleurs clandestins… Un simple aperçu de la diversité de cette ville, qui est avec ses alentours la deuxième agglomération la plus peuplée des Etats-Unis.

« Quand il rentra chez lui d’un pas nonchalant et qu’il alluma la minuscule télévision dans sa chambre, ce fut pour tomber sur le couple de l’affiche, dans la bande-annonce du film. « Dans les allées sombres d’une ville où règne la violence, récita une voix off, il n’y a pas de temps à perdre. » Il constata qu’on faisait l’apologie des armes à feu sur près de la moitié des chaînes cablées. On pouvait y voir des soldats portant des fusils, des méchants qui brandissaient des mitraillettes, des femmes au foyer tapies dans des placards, un calibre 22 argenté à la main, prêtes à repousser intrus et violeurs. Certaines de ces scènes avaient été filmées dans des quartiers résidentiels bordés de palmiers qui ressemblaient à s’y méprendre au sien. Les gens tiraient, accroupis derrière des murs en ciment ; ils tiraient dans des cuisines ; ils tiraient en tombant d’un avion ; ils tiraient avant de sauter dans des lacs et des fleuves ; ils tiraient dans des entrepôts, et leurs balles renvoyaient un bruit métallique lorsqu’une poutre en fer faisait dévier leur trajectoire. »
Lazare à Hollywood, d’Héctor Tobar

Les auteurs peuvent être mondialement connus, à l’instar d’un Michael Connely, mais pas nécessairement. Ils ont cependant quelques points communs : ils connaissent bien L.A. pour y avoir vécu (on le sent à la lecture) et savent ce qu’écrire une nouvelle veut dire. L’action ne manque pas, l’atmosphère est généralement sombre à souhait, on visualise bien les scènes et les chutes sont souvent de qualité. Pour achever de nous mettre dans l’ambiance, les auteurs ont concoté une playlist, que l’on retrouve en fin d’ouvrage.

« Yancy était une cause perdue. Il croyait en Dieu… en son Dieu, pas au leur. Là était le problème. Dieu ne pardonne certainement pas tout ce qu’on fait, faut pas rêver. Sinon, il serait quand même sacrément con. On passe toute sa vie à jouer les salopards et puis, à la dernière minute, on dit qu’on regrette, et les portes du paradis s’ouvriraient toutes grandes devant vous ? Des clous, ouais. Si c’était le cas, le ciel serait rempli de crapules et d’escrocs. Non, Dieu était un arbitre. Il ne faisait que compter les points. Et, à la fin, on était soit dans le positif, soit dans le négatif. Dieu n’entendait pas les « j’suis désolé ». Il se moquait bien des pleurnicheries. Il faisait les comptes, c’est tout. On lui devait le respect, à ce fils de pute. »
When the ship comes in, de Robert Ferrigno

Chaque auteur ayant une écriture propre et des préoccupations différentes, bien difficile de dire quelle est la meilleure de ces nouvelles. Personnellement, je retiendrai surtout Mulholland dive de Michael Connelly, La méthode de Janet Fitch, 90210 Morocco Junction de Patt Morrison, Lazare à Hollywood d’Héctor Tobar et Roger Crumbler de Gary Phillips. Je trouve qu’elles sortent du lot au niveau de la chute – élément primordial d’une nouvelle selon moi – ou parfois au niveau du sujet abordé.

Gageons cependant que chacun trouvera son bonheur dans ce recueil homogène et de bon niveau.
Prochaine destination de ce tour du monde des nouvelles noires : Londres (fin octobre). Mais de nombreuses autres suivront, parmi lesquelles Rome, New Delhi, Brooklyn, ou encore Mexico.

Un grand merci à Babelio pour m’avoir permis de découvrir cette collection dont le concept me plaît beaucoup et que je suivrai dorénavant de près.

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Los Angeles Noir (Los Angeles Noir, 2007) présenté par Denise Hamilton, Asphalte (2010). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patricia Barbe-Girault et Adelina Zdebska, 335 pages.

Le pays où la mort est moins chère est un recueil de nouvelles de Thierry Marignac, auteur que j’avais découvert – outre ses traductions – avec Renegade Boxing Club. Il est paru récemment chez Moisson Rouge, où vient de paraître une nouveau roman traduit par l’auteur (du russe) dont je vous parlerai dans les prochaines semaines (Racailles de Vladimir Kozlov).

le_pays-o-_la_mort_est_moins_ch-re.jpgRésumé

De jeunes bourgeois jouant aux rebelles dans Paris, de l’amour (un peu), de la drogue (beaucoup), du sport (avec Ben Johnson à Séoul), des prostitué-e-s en tous genres, des violences urbaines, des dealers, et bien d’autres… Voilà ce que l’on peut trouver dans ce recueil de nouvelles noires, très noires.

Mon avis

Le pays où la mort est moins chère – qui est aussi le titre de l’un des textes – contient onze nouvelles, écrites par Thierry Marignac sur une vingtaine d’années.
Plutôt courts – de trois à vingt-cinq pages – ces écrits sont regroupés par « archétype polar » dans trois rubriques respectivement intitulées « Poursuites », « Règlements de comptes » et « Kamikazes ». Si l’on voyage un peu avec ce recueil, en Europe de l’Est surtout, l’essentiel des histoires se déroulent à Paris, et pas que dans les beaux quartiers évidemment.

« Le Manouche me fit signe de foutre le camp. C’était ça ou le sourire kabyle, vu que sa main droite était enfouie dans sa poche de veste et tripotait un objet allongé, et d’après moi, c’était ni une sucette, ni un stylo Mont-Blanc. Il ne me regardait même plus d’ailleurs, ce qui n’est jamais bon signe, au beau milieu d’une conversation avec ce genre de loustic.
Rod avait une gueule d’enterrement quand je suis sorti et c’était de circonstance. Moi-même, j’avais honte de le laisser là. »

Chose plus difficile à faire avec un roman, ces nouvelles sont l’occasion pour l’auteur d’innover, stylistiquement surtout. Les phrases sont souvent très courtes, sèches, réduites à l’essentiel. Les histoires ne s’embarrassent pas d’intrigues alambiquées, de rebondissements à gogo et de twists finaux. Elles vont droit au but, décrivant le côté sombre des villes et de ses habitants. Certains lecteurs seront peut-être désarçonnés par la noirceur qui se dégage des textes, et parfois, par la crudité des propos. Toujours est-il que Marignac est incontestablement à l’aise dans ces exercices de style, convaincants dans l’ensemble.

« – Les soldats fumaient l’herbe et avalaient les pilules qu’ils allaient acheter en permission à Amsterdam, à quatre heures de route. Ils passaient leur temps à fumer, prendre des cachets, renifler de la poudre. C’est en partie à cause du recrutement. Même à la sortie des prisons, on a du mal à remplir les quotas. Les soldats viennent tous du lumpen, ils veulent tirer au flanc et se défoncer. On ne peut pas les punir tous, il ne resterait plus personne, pour le service. »

Le pays où la mort est moins chère est donc un recueil bien noir, innovant et atypique au niveau du style. Il est certain que ce côté expérimental ne conviendra pas à tout le monde, mais comme le dit lui-même Thierry Marignac dans son avant-propos, « au lecteur de décider si la virée valait le coup ».


Le pays où la mort est moins chère de Thierry Marignac, Moisson Rouge (2009), 141 pages.