Archives de la catégorie ‘Polar africain’

L’Année du lion (Fever) est un roman de Deon Meyer paru au Seuil il y a un an.
La traduction est atypique « de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert ».

l-annee-du-lionRésumé

Afrique du Sud, de nos jours.
Plus de 90% de la population mondiale a disparu, décimée par un coronavirus redoutable contre lequel aucun vaccin n’a pu être trouvé.
Nico Storm et son père ont survécu. Ils roulent pour atteindre un endroit que Willem a choisi après mûre réflexion pour essayer d’y établir une communauté. Ce sera rapidement chose faite et le lieu, baptisé « Amanzi », construit à proximité immédiate d’un barrage hydroélectrique, attire de plus en plus de rescapés. L’afflux de personnes amène à devoir s’organiser au mieux. Elle amène aussi des complications de tous ordres.

Mon avis

On connaissait Deon Meyer pour ses romans policiers plus classiques : ceux mettant en scène Benny Griessel ou encore Les Soldats de l’aube, largement salué à sa sortie en 2003 (Grand Prix de Littérature Policière et Prix Mystère de la Critique entre autres). Le choix du post-apocalyptique pourra surprendre ses lecteurs habituels mais l’auteur sud-africain place là aussi la barre très haut. Il a déclaré :  « J’ai écrit L’Année du Lion avec ferveur. C’est une histoire qui m’a obsédé pendant cinq ans. »

On le croit sans mal tant les quelque 640 pages, passionnantes du début à la fin, se boivent comme du petit lait. Nico est terriblement attachant mais d’autres personnages – il y en a pléthore – ne le sont pas moins. Le récit est très intelligemment construit.
L’histoire est contée par un Nico adulte – il évoque rapidement sa femme ou le meurtre de son père. Un Nico bien loin du gamin de treize ans qui tentait de survivre aux chaleurs intenses du Karoo avec son père. Forcément, avec cette structure, on sait bien que Nico survivra aux épreuves, mais ça permet aussi à l’auteur d’instiller des doses de mystère qui donnent furieusement envie de tourner les pages. L’histoire contée chronologiquement par Nico Storm est entrecoupée de témoignages des uns et des autres collectés dans un but mémoriel (pour écrire plus tard l’histoire d’Amanzi), d’abord par Willem, puis par ses successeurs. Tensions internes, luttes pour le pouvoir, attaques venues de l’extérieur, etc. Bien des éléments inhérents au genre ne surprendront pas les lecteurs férus de ce type de textes. Peu importe tant le récit est efficace et les personnages intéressants – Domingo, le Pasteur, etc.
Et Deon Meyer, roublard, nous réserve quand même quelques surprises, et non des moindres.

L’Année du lion est un excellent roman post-apocalyptique contenant néanmoins une intrigue criminelle – on ne se refait pas. Véritable page-turner, sa lecture est d’une fluidité totale et le dénouement, à la hauteur, nous permet de mieux saisir les motivations profondes qui ont poussé Deon Meyer à ressentir la nécessité d’écrire un tel texte. À lire sans aucun doute !

L’Année du lion (Fever, 2017), de Deon Meyer, Seuil (2017). Traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert, 640 pages.

Retour aux affaires après une colo (top) et les Vieilles Charrues (pas le meilleur cru mais on s’est bien amusés).

La dette est un roman du Sud-africain Mike Nicol paru chez Ombres Noires en 2013. Il est annoncé comme le premier d’une trilogie.

Résumé

Mace Bishop et Pylon Buso sont amis et partenaires depuis des années. Désormais « recyclés » dans la sécurité, ils étaient auparavant plutôt spécialisés dans le trafic international d’armes et de munitions en tous genres.
Une ancienne connaissance, Ducky Hartnell, leur demande d’assurer la protection de son fils Matthew, gérant d’une boîte de nuit réputée du Cap, qu’une association contre la drogue menace sérieusement. Normalement, les deux compères auraient refusé. Seulement, ils ont une dette envers Ducky, lequel parvient à les convaincre.

Mon avis

Plus qu’une intrigue policière classique, avec meurtre et élucidation, La dette est une sorte de course poursuite incessante entre de nombreux personnages, tous plus ou moins liés entre eux, et parfois amenés à s’épauler par la force des choses alors qu’ils se souhaitent mutuellement le pire. Le roman ne commence pas immédiatement sur les chapeaux de roue, le temps pour Mike Nicol de planter le décor et d’introduire les protagonistes. Mais à partir du moment où les choses dérapent, il n’y aura plus de répit pour le lecteur – pas plus que pour les personnages – jusqu’à la dernière et six-centième page (pour la version poche, chez J’ai Lu).

Les personnages de Mace et Pylon, pourtant moralement atroces, sont rendus peu à peu humains par l’auteur, qui nous fait aussi voir leur vie de famille et leurs atermoiements sentimentaux – Mace, par exemple, est particulièrement touchant dans son lien avec sa fille handicapée. Ces grosses brutes sans peur ont donc aussi dans leur musculeuse poitrine un petit cœur qui bat. La jolie et mystérieuse Sheemina February, avocate représentant la PAGAD (association anti-drogue), prête à tout pour arriver à ses fins, est également intéressante. Au fil des pages, on se demande, tout comme Mace, pourquoi elle lui en veut à ce point. On ne connaîtra la réponse que dans les toutes dernières pages.

Le décor, Le Cap, est bien décrit par l’auteur, qui nous fait voir cette grande ville sud-africaine sous toutes ses coutures, des quartiers huppés pour blancs richissimes aux ghettos où tentent de survivre des enfants noirs faméliques et souvent malades du SIDA. Si l’action se déroule principalement en Afrique du Sud, certains personnages voyagent aussi, à New York ou encore à Luanda dont le carnaval (véridique ?) est décrit de manière particulièrement inquiétante.

Avec La dette, Mike Nicol signe un pur roman d’action aux rebondissements incessants qui tient sans peine le lecteur en haleine. S’agissant du premier opus d’une trilogie annoncée, on retrouvera Mace et Pylon dans d’autres aventures, notamment dans Killer Country, déjà paru aux éditions Ombres Noires.

La dette (Payback, 2009), de Mike Nicol, Ombres Noires (2013). Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet, 554 pages.
Lu en poche chez J’ai lu (2014), 599 pages.

Les écailles d’or, paru au Seuil en 2014, est le premier roman policier du Soudanais Parker Bilal, qui a précédemment écrit d’autres romans sous son vrai nom, Jamal Mahjoub.

Résumé

Le Caire, 1981.
Liz Markham, une jeune Anglaise, se trouve à flâner au cœur d’un souk. Elle a le malheur de lâcher un instant la main de sa fille Alice, 6 ans. Elle ne la reverra plus.

Le Caire, 1998.
Saad Hanafi, le célèbre milliardaire, demande à Makana d’enquêter sur la disparition d’Adil Romario, le jeune joueur vedette de la DreemTeem. Bien qu’il ne connaisse pas grand chose au football et que son éthique apprécie moyennement de travailler pour le Bill Gates égyptien, Makana ne peut qu’accepter. Il peine à trouver des affaires et doit pas mal d’argent.

Mon avis

Les écailles d’or commence sur les chapeaux de roue. Dès la première page, on assiste, aussi impuissant que Liz, à la course effrénée et paniquée de la jeune maman hurlant le nom d’Alice dans les ruelles du Caire. Sa recherche vaine ajoutée à ses soucis de drogue la laisseront dans un état d’apathie et de désespérance dont elle mettra de nombreuses années à se remettre.
On fait ensuite la connaissance de Makana, ancien policier soudanais devenu détective privé à son compte au Caire. Esprit – trop ? – libre, il a perdu femme et enfant en fuyant la dictature islamiste de Khartoum. Depuis, il vit seul sur un bateau dont il peine à payer loyer, si bien que sa logeuse Oum Ali, gentille au demeurant, lui coupe régulièrement le courant pour le contraindre à passer à la caisse. Avec son côté contestataire et original et ses réparties cyniques, Makana partage des points communs avec Bernie Gunther et apparaît bien vite aussi sympathique que le détective atypique de Philip Kerr.

« D’ici, il bénéficiait d’une vue panoramique de la ville dans toute sa splendeur. Les pyramides se dressaient quelque part au sud, enfouies sous un nuage de smog encore plus compact que des siècles de poussière tombale, nuage d’où le pâle soleil s’efforçait maintenant d’émerger. Si Makana s’avançait jusqu’à la rambarde en bois, il verrait un fatras de tours d’habitation évoquant une rangée de dents cassées et occultant un large pan de ciel. Tous les jours, des gens regardaient par leurs fenêtres en se demandant qui pouvait bien avoir envie de vivre sur ce tas de bois flotté, et lui les observait en se posant ses propres questions. »

Du côté de l’enquête, Makana découvre l’envers du décor d’une grande équipe de football – dissensions entre joueurs, dérives en tous genres provoquées par l’argent roi – et pense assez vite que la disparition de Romario n’est peut-être pas étrangère à l’empire d’Hanafi et au passé trouble du magnat – on ne devient pas milliardaire sans se faire quelques ennemis. Parallèlement à cette affaire, Makana rencontre par hasard Liz Markham, ce qui va le pousser à vouloir en savoir plus sur son passé et à enquêter sur la disparition d’Alice, jamais élucidée.

Au fil des pages, Parker Bilal prend plaisir à nous faire découvrir l’Égypte actuelle où, comme ailleurs, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n’a de cesse de s’étendre. Globe-trotteur de nationalité anglo-soudanaise, il parle aussi en connaisseur de la montée de l’islamisme radical dans son pays d’origine, avec cette police islamique chargée de faire respecter à la lettre une certaine vision de la charia.

Personnage charismatique, intrigue(s) solide(s), descriptions intéressantes de l’Égypte d’aujourd’hui – pays jusque alors peu visité par le polar –, Les écailles d’or a des arguments à revendre. Grâce à son talent, et à la personnalité attachante de Makana, Parker Bilal semble bien parti pour installer sa série dans le temps. À quand la prochaine enquête ?

Les écailles d’or (The Golden Scales, 2012) de Parker Bilal, Seuil/Policiers (2014). Traduit de l’anglais (Egypte), par Gérard de Chergé, 419 pages.

(Petit aparté, rien à voir avec le bouquin ci-dessous. On m’a dit que mon blog était très difficilement lisible par les « vieux lecteurs même bésiclés » et supplié d’agir en conséquence. J’admets que ce n’était vraiment pas écrit bien gros. Que pensez-vous de cet article typographiquement parlant ? C’est mieux comme ça ? Ca serait quand même bien le comble qu’on ne lise pas mes chroniques polars à cause d’un problème de police !)

 

 

Justice dans un pays de rêve (A Beautiful Place to Die), publié par les Éditions des Deux Terres, est le premier roman de Malla Nunn. Aujourd’hui cinéaste en Australie, elle est née et à grandi au Swaziland, non loin du pays où se déroule ce roman, l’Afrique du Sud.

 

 

justice dans un paysage de rêveRésumé

 

Afrique du Sud, 1952.

L’inspecteur Emmanuel Cooper est appelé à Jacob’s Rest, une petite ville de l’Est du pays à la suite d’un « éventuel homicide », seule information dont il dispose avant d’arriver sur place. Il s’agit bien d’un meurtre, pas de doute là-dessus. L’affaire est plus sensible que prévue puisque la victime n’est autre que le capitaine Pretorius, le chef de la police locale. Les cinq fils de ce dernier, des Afrikaners pure souche, ne comprennent pas qu’un seul « inspecteur minable » ait été amené de Durban pour trouver l’assassin de leur père. Rapidement, des agents de la Security Branch – la police politique de l’État – arrivent sur les lieux et écartent l’inspecteur Cooper de l’enquête. Pour eux, pas de doute, le crime est politique et l’assassin un communiste. Emmanuel ne croit pas un instant à cette thèse qui ne repose sur rien et continue discrètement ses recherche.

 

 

Mon avis

 

« Emmanuel hocha la tête pour le remercier et s’engagea sur le chemin de terre. La brise faisait bruire les sous-bois et deux bouvreuils s’envolèrent. Il respira l’odeur de la terre humide et de l’herbe écrasée. Il se demanda ce qui l’attendait.

Au bas du sentier il atteignit la rive et regarda de l’autre côté. Le bas veldt scintillait sous un ciel limpide. Dans le lointain, les sommets bleus en dents de scie d’une chaîne de montagne brisaient l’horizon. L’Afrique pure. Comme sur les photos des magazines anglais qui vantaient les bienfaits de la migration.

Emmanuel commença à longer lentement la berge. Au bout de dix pas, il vit le corps.

Tout contre la rive, une homme flottait à plat ventre, les bras ouverts comme un parachutiste en chute libre. Emmanuel vit aussitôt l’uniforme de policier. Un capitaine. Les épaules larges, l’ossature puissante, les cheveux blonds coupés ras. Des petits poissons argentés dansaient autour de ce qui lui parut être une blessure par balle dans la tête et d’une entaille au milieu du dos imposant de l’homme. Un taillis de roseaux retenait le cadavre contre le courant. »

 

Difficile en lisant Justice dans un paysage de rêve de ne pas penser aux romans d’Artur Upfield ou de Tony Hillerman. Comme ses illustres prédécesseurs, Malla Nunn prend son temps et privilégie l’ambiance et les personnages à l’action. Ici, point de bush australien ou de canyons indiens, mais les magnifiques paysages sud-africains – le veldt, les montagnes – sont aussi très bien décrits.

Dans les années 1950, l’apartheid bat son plein. Blancs, Noirs, métis, Indiens… : il est interdit aux uns et aux autres de se côtoyer, suite aux nouvelles lois interdisant le contact entre les races. Les rapports hommes-femmes sont à peine meilleurs. Dans ce contexte, difficile pour l’inspecteur Cooper de mener à bien son enquête. Il va se rendre compte peu à peu que le capitaine Pretorius n’était peut-être pas aussi respectable qu’il n’y paraissait et que de nombreux habitants de Jacob’s Rest ont des secrets à cacher.

 

« – Il était quelle heure ? demanda Emmanuel à Shabalala.

– Six heures passées, répondit le policier noir.

– Il leur suffit de regarder le soleil, expliqua obligeamment Hansie. Ils n’ont pas besoin d’horloges comme nous.

En Afrique du Sud, les Noirs avaient besoin de si peu. Un peu moins chaque jour, c’était la règle générale. Le métier d’inspecteur était l’un des rares à ne pas être soumis à la loi interdisant le contact entre les races. Les inspecteurs de police révélaient les faits, présentaient le dossier et fournissait des pièces à conviction au tribunal pour étayer les charges. Commis par un Blanc, un Noir, un métis ou un Indien, le meurtre était un crime capital quelle que fût la race de son auteur. »

 

Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel s’en est sorti vivant, mais non sans traumatismes. Par moments, il entend encore la voix de son sergent-major écossais, qui revient le hanter. Les personnages, tous réussis, sont sans aucun doute le grand point fort de ce roman. Cooper est assisté de Shabalala, un policier moitié zoulou, moitié shangaan, qui connaît bien les pratiques et les coutumes locales et n’est pas sans rappeler Bony, l’inspecteur aborigène créé par Artur Upfield. Emmanuel le préfère rapidement à Hansie, qui devait normalement le seconder. Mais à dix-huit ans, ce policier débutant est davantage concerné par ses préoccupations adolescentes que par son travail. Zweigman, le vieux Juif qui tient une épicerie-mercerie, ses ouvrières, les fils Pretorius… Chacun des protagonistes a son rôle à jouer et apporte une plus-value au récit.

 

« -Je ne le vois pas, répondit le garçon. Peut-être qu’il n’est pas là.

– S’il est en vie, il est ici. Continuez de chercher.

– C’est ce que je fais. Hansie prit un air maussade tandis que la foule se pressait hors de l’enclos paroissial.

Une fille brune bien roulée se fraya un chemin vers la rue.

– C’est Elliott King avec les cheveux châtains et les gros seins ? demanda Emmanuel.

– Non. Le jeune policier eut un hoquet de surprise. M. King est blond.

Emmanuel crut que Hansie plaisantait, mais aucune étincelle ne brillait dans les yeux d’un bleu intense qu’animait seulement un désir adolescent de se rapprocher de la boîte de friandises. Un puissant mélange de tristesse et de nostalgie avait absorbé la dernière parcelle d’énergie d’un cerveau qui ne disposait d’aucun groupe électrogène de secours. »

 

Si l’enquête progresse lentement, les rebondissements sont assez nombreux tant Cooper déterre au fur et à mesure les secrets les plus inavouables de Jacob’s Rest, lesquels ouvrent alors de nouvelles perspectives d’investigation. Les révélations se succèdent sur près de quatre cent pages qui amènent le lecteur jusqu’à un final réussi faisant la part belle à l’action.

 

En empruntant aux Upfield et autres Hillerman les ingrédients ayant fait le succès du polar ethnologique, Malla Nunn signe un premier roman des plus réussis. La native du Swaziland a décidé de poursuivre avec le personnage d’Emmanuel Cooper et les lecteurs convaincus par Justice dans un paysage de rêve pourront donc retrouver l’inspecteur sud-africain dans une nouvelle enquête dès 2012.

 

Merci à Babelio et aux Éditions des Deux terres pour l’envoi de ce roman à côté duquel je serai vraisemblablement passé sinon.

 


Justice dans un pays de rêve (A Beautiful Place to Die, 2008) de Malla Nunn, Éditions des Deux terres (2011). Traduit de l’anglais (Swaziland) par Anne Rabinovitch, 391 pages.


Un reptile par habitant est le second roman de l’auteur togolais Théo Ananissoh, paru en 2007 dans la collection « Continents noirs » de Gallimard, tout comme le premier (Lisahohé, 2005).

 

 

Résumé

 

Narcisse est professeur dans une ville africaine que l’on imagine être Lomé, la capitale du Togo. Un soir, Édith, l’une de ses nombreuses conquêtes – il semble les collectionner – l’appelle au secours, le priant de se rendre immédiatement chez elle. Sur place, il la retrouve en état de choc devant un corps qu’il connait bien. Le mort, c’est le Colonel Katouka, l’un des hommes les plus influents du pays. Édith jure qu’elle est innocente, ou seulement coupable d’avoir été la maîtresse de Katouka. Elle supplie Narcisse de l’aider à trouver une solution. Sans en mesurer les conséquences, il accepte…

 

 

Un reptile par habitantMon avis

La quatrième de couverture de ce roman annonce un « admirable suspense serti d’érotisme ». Effectivement, l’érotisme est bien présent tout au long du roman, voire un peu trop. Narcisse est un chaud lapin et passe d’une femme à l’autre quand le lecteur passe d’un chapitre à l’autre. Édith, Joséphine, Chantal… Qu’elles soient mères au foyer ou étudiantes, peu importe, le professeur n’est pas difficile. Si ces scènes érotiques ne sont pas vulgaires et même plutôt bien écrites, leur accumulation devient vite lassante. Dans l’extrait ci-dessus, Zupitzer, un collègue de travail de Narcisse essaie de lui faire comprendre qu’il faudrait peut-être se calmer un peu, et lui fait la morale au passage, comme un père s’adresserait à son enfant. Savoureux !

 

« Edith, puis Chantal, cette petite délurée, ensuite une autre, et ainsi de suite… Tu ne fais que passer en revue différents organes génitaux, c’est tout. Quel orgueil ? »

Il continua de fixer Narcisse dans les yeux. Celui-ci étonné, restait silencieux.

« Le sexe de la femme, poursuivit Zupitzer en désignant son propre entrecuisse, est un organe délicat. Tu comprends ça ? Un organe interne et délicat. En Occident, il y a des médecins spécialisés pour en prendre soin. C’est une médiocrité que de n’y voir qu’un réceptacle de ta semence. »

Bien qu’il y ait peu de rebondissements au cours de l’intrigue, la tension demeure palpable. Narcisse, particulièrement tracassé par cette histoire, aimerait bien se confier à quelqu’un mais craint les conséquences que cela pourrait avoir. Il n’est guère rassuré, d’autant que tout le monde autour de lui, ses conquêtes comme ses collègues de travail, parle de cette affaire qui fait grand bruit dans le pays.

 

« Comme d’habitude, la foule était celle des fidèles du Parti. Ils chantaient et criaient des slogans sous le soleil. Les badauds se tenaient le long de la rue qui passe devant la place et regardaient les manifestants comme on assiste à un spectacle gratuit. Les officiels – le sous-préfet et le secrétaire régional du Parti en tête, tous les deux vêtus d’un boubou blanc, symbole de paix – arrivèrent vers seize heures, alors que le soleil avait baissé un peu d’intensité. Passons sur les brouhahas et autres hourras qui les accueillirent.

Un membre du Parti prit la parole. Il annonça que la patrie était en danger, que la souffrance guettait les filles et les fils du pays, que quelque chose menaçait, qui était pire que le choléra et le sida réunis. On l’applaudit pour ces prédictions. Il laissa la paroles aux « aînés ». Le secrétaire régional parla en premier. Il bougea les pans de son boubou, protesta, accusa, assura le président du soutien de tous les habitants de notre ville. »

Théo Ananissoh, Togolais résidant désormais en Allemagne – où il est lui-même enseignant –, introduit aussi une dimension politique dans sa fiction criminelle. Il nous présente au fil des pages un État politiquement instable, ayant la main sur les médias, qui instrumentalise les faits à des fins politiciennes et cache la vérité à la population. L’actualité récente – Côte-d’Ivoire, Tunisie – nous prouve, s’il en était encore besoin, que les choses n’ont guère évolué dans certains pays africains depuis l’écriture de ce roman, datant de 2007.

Un reptile par habitant se lit bien mais laissera peut-être certains lecteurs sur leur faim. Plusieurs aspects de ce court roman – une centaine de pages – auraient sans doute gagné à être davantage étoffés, comme la description de la vie locale. Il y a si peu de détails que l’intrigue pourrait avoir lieu n’importe où en Afrique, ce qui pourra éventuellement décevoir le lecteur européen en quête d’exotisme. Mais sans doute est-ce voulu par Théo Ananissoh, qui a préféré se focaliser sur l’intrigue et les personnages ?

 


Un reptile par habitant, de Théo Ananissoh, Gallimard (2007), 105 pages.

La vie est un sale boulot est un roman noir du Gabonais Janis Otsiémi paru récemment aux Edtitions Jigal.

vieestunsaleboulotRésumé

Chicano respire de nouveau l’air de Libreville après quatre ans passés derrière les barreaux pour braquage. Durant ces longues années, personne n’est passé lui rendre visite et le jeune homme, déboussolé, erre dans les rues de la capitale gabonaise. Il se décide finalement à aller voir sa petite amie de l’époque. Seulement, elle s’est mariée et ne veut plus entendre parler de lui.
Pour le remercier d’avoir tenu sa langue, ses complices de braquage lui proposent une nouvelle collaboration. Chicano hésite, bien sûr, mais finit par accepter. Pas sûr qu’il s’agissait de la meilleure solution…

Mon avis

« Il écarta les volets, écouta la rumeur bruyante de la ville, regarda la piétaille qui se disputait la bouche des taxis sur des trottoirs poussiéreux sous un soleil de plomb… Libreville… Six cent cinquante mille âmes… Libreville… Gros faubourg gonflant de jour en jour de son flot d’immigrés obnubilés par l’argent facile, chassés de leurs bourgades natales par la misère… Libreville… disputant à Johannesburg, Yaoundé, Lagos, la palme de la ville la plus violente, avec ses braquages à main armée, ses viols, ses vols, ses crimes rituels, ses crimes passionnels… »

Ce qui interpelle en premier lieu à la lecture de La vie est un sale boulot, c’est le travail sur l’écriture. Janis Otsiémi va droit au but, dans un argot simple mais néanmoins enrichi d’expressions locales, ce qui lui confère un charme certain. Et que dire des proverbes africains, aussi savoureux qu’imagés du style « Suivez les abeilles et vous mangerez du miel » ou encore mieux « Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus ».

« Pas question pour lui de faire un boulot de pion pour un salaire de paria. Gabi avait aboyé pour ramener le petit sur le droit chemin. Pas moyen. Chicano était prêt à en découdre avec son grand frère. Même pour la frime. Gabi s’était résigné, se rappelant la tirade de leur vieux père, mort dix ans plus tôt.
Les conséquences corrigent mieux que les conseils.
Gabi lui-même en savait quelque chose. »

On comprend assez rapidement qu’Otsiémi n’est pas de ces auteurs qui protègent leurs personnages à outrance, bien au contraire. Il n’hésite pas à les malmener, envoyant ce pauvre Chicano se frotter aux gros durs de la pègre gabonaise pour entamer sa « réinsertion ».

« Les flics de Libreville étaient connus pour leur brutalité de chiens mal nourris. Et dans la population librevilloise, on n’appréciait guère leurs méthodes quand il s’agissait d’arrêter des petits délinquants pendant que les
ouattara (homme fortuné) vidaient les caisses de l’Etat sans être inquiétés. »

Otsiémi n’épargne pas non plus son pays, nous décrivant ses travers et appuyant intelligemment là où ça fait mal. On découvre alors un Gabon totalement corrompu, des plus hauts fonctionnaires aux agents de police, en passant par l’armée. Les ruelles de Libreville, dans lesquelles se déroulent tous types de trafics, semblent de plus ne pas avoir grand-chose à envier aux bas-fonds des métropoles occidentales.

On retrouve finalement dans La vie est un sale boulot la quintessence du roman noir, le dépaysement en prime. Ajoutez à cela une intrigue maîtrisée et l’écriture travaillée de Janis Otsiémi et vous passerez un bon moment de lecture avec ce polar gabonais très réussi.

A signaler que j’ai choisi ce roman pour représenter l’Afrique dans le cadre du défi Littérature policière sur les cinq continents que j’avais présenté ici-même et que vous pouvez allez (re)découvrir sur le blog qui lui est consacré.


La vie est un sale boulot de Janis Otsiémi, Editions Jigal (2009), 131 pages.

Le fou du Roi / Jamel Ghanouchi

Publié: 21 janvier 2009 dans Polar africain
Le Fou du Roi est un recueil de nouvelles policières de l’écrivain et mathématicien tunisien Jamel Ghanouchi.

Résumé

Ces douze nouvelles policières s’articulent autour d’une narration  » quasi mathématique  » caractéristique du personnage central du livre qui s’investit en tant que joueur d’échecs dans une trame unique révélant que ce recueil de nouvelles est construit, en fait, comme un véritable roman autobiographique. L’atmosphère créée autour du narrateur est par ailleurs vraiment étrange, les personnages et les intrigues sont presque tous décalés… Faut-il s’en étonner ? On sait qu’ici l’énigme policière, l’écriture et l’analyse psychologique sont des prétextes au jeu.

Mon avis

Il est toujours difficile de chroniquer un recueil de nouvelles, d’autant plus quant celles-ci ne sont pas toutes de qualité égale.

Celles-ci sont dans l’ensemble agréables à lire mais n’ont de manière générale pas grand chose d’exceptionnel, ceci mis à part qu’elles se situent dans le monde des échecs, bien rendu par l’auteur, que je soupçonne d’être un passionné de ce jeu.

Seules quatre d’entre elles (un tiers, c’est déjà pas mal) sortent du lot selon moi, de par le dénouement de leur intrigue essentiellement.
Il s’agit du Fou du Roi, qui ouvre le recueil et lui donne son titre, d’Un tueur dans la ville, peut-être moins originale mais non moins efficace, de Le faux et le vrai, que j’ai beaucoup aimé et enfin de Les fous des échecs, qui clot le recueil et n’est pas mal non plus.
Autre souci lié à la forme de la nouvelle, je ne peux pas risquer de vous en dire plus sur pourquoi j’ai aimé (ou non) telle ou telle nouvelle sans courir le risque de vous en dire trop, ce qui n’est pas souhaitable.

Au final, Le Fou du Roi est un sympathique recueil de nouvelles, cependant très inégales en qualité.


Le fou du Roi, Jamel Ghanouchi, L’Harmattan (2002), 152 pages.

L’empreinte du renard est le troisième roman de la série mettant en scène le commissaire Habib (et son fidèle adjoint Sosso) créée par l’auteur malien Moussa Konaté.

Résumé

Au cœur du pays dogon, une série de morts bizarres alerte les autorités maliennes. L’affaire est délicate: les Dogons, très attachés à leurs traditions, vivent en marge de la société et sont redoutés pour la puissance de leur magie. Le vieux commissaire Habib, à la sagesse et au flair légendaires, est envoyé sur place. Mais le village entier se tait obstinément, et un étrange sorcier à tête de renard veille au respect absolu de l’omerta…

Mon avis

Je n’ai pas souvenir d’avoir lu un jour un « polar africain ». L’empreinte du renard fut donc le premier, et m’a laissé un sentiment mitigé.

J’ai beaucoup aimé l’aspect dépaysant et documentaire du livre.
Dans sa version poche, le livre est sous-titré : une enquête en pays Dogon. C’est en partie pour cette raison que je l’ai choisi d’ailleurs. L’éditeur ne ment pas, puisqu’il s’agit vraiment d’une enquête de police, se déroulant dans la brousse, loin de Bamako, la capitale, et en plein pays Dogon.
On découvre donc grâce à ce roman le peuple Dogon, encore fortement marqué par des traditions séculaires, et ce dans de nombreux domaines, y compris de la vie quotidienne. On se rend compte également un peu mieux de certaines réalités locales comme la difficulté des transports. L’aspect psychologique est assez présent et les relations entre les habitants, à base de secrets et de suspicions, sont plutôt bien rendues.

J’ai moins aimé les personnages et l’enquête policière.
Je n’ai pas accroché du tout aux personnages principaux que j’ai trouvé fades, quelconques, sans aucun charisme.
Les dialogues sont moyens et parfois lassants et répétitifs : on nous dit plusieurs fois (par l’intermédiaire de différents personnages) que les Dogons ne sont pas comme les autres Maliens et que le commissaire Habib ne pourra pas résoudre son enquête avec les manières habituelles. Une fois, oui, deux fois, passe encore, mais après c’est vraiment lourd.
L’enquête en elle-même est également très moyenne, avec peu de suspects, très peu de rebondissements, et absolument rien d’insoupçonnable. Ou bien c’est couru d’avance, ou bien c’est mal amené et ne m’a fait ni chaud ni froid.

Un cadre géographique dépaysant (les Dogons, le Mali), et un aspect documentaire bien traité par Moussa Konaté, sauve ce roman – médiocre par ailleurs – d’un naufrage total.