(Petit aparté, rien à voir avec le bouquin ci-dessous. On m’a dit que mon blog était très difficilement lisible par les « vieux lecteurs même bésiclés » et supplié d’agir en conséquence. J’admets que ce n’était vraiment pas écrit bien gros. Que pensez-vous de cet article typographiquement parlant ? C’est mieux comme ça ? Ca serait quand même bien le comble qu’on ne lise pas mes chroniques polars à cause d’un problème de police !)
Justice dans un pays de rêve (A Beautiful Place to Die), publié par les Éditions des Deux Terres, est le premier roman de Malla Nunn. Aujourd’hui cinéaste en Australie, elle est née et à grandi au Swaziland, non loin du pays où se déroule ce roman, l’Afrique du Sud.
Résumé
Afrique du Sud, 1952.
L’inspecteur Emmanuel Cooper est appelé à Jacob’s Rest, une petite ville de l’Est du pays à la suite d’un « éventuel homicide », seule information dont il dispose avant d’arriver sur place. Il s’agit bien d’un meurtre, pas de doute là-dessus. L’affaire est plus sensible que prévue puisque la victime n’est autre que le capitaine Pretorius, le chef de la police locale. Les cinq fils de ce dernier, des Afrikaners pure souche, ne comprennent pas qu’un seul « inspecteur minable » ait été amené de Durban pour trouver l’assassin de leur père. Rapidement, des agents de la Security Branch – la police politique de l’État – arrivent sur les lieux et écartent l’inspecteur Cooper de l’enquête. Pour eux, pas de doute, le crime est politique et l’assassin un communiste. Emmanuel ne croit pas un instant à cette thèse qui ne repose sur rien et continue discrètement ses recherche.
Mon avis
« Emmanuel hocha la tête pour le remercier et s’engagea sur le chemin de terre. La brise faisait bruire les sous-bois et deux bouvreuils s’envolèrent. Il respira l’odeur de la terre humide et de l’herbe écrasée. Il se demanda ce qui l’attendait.
Au bas du sentier il atteignit la rive et regarda de l’autre côté. Le bas veldt scintillait sous un ciel limpide. Dans le lointain, les sommets bleus en dents de scie d’une chaîne de montagne brisaient l’horizon. L’Afrique pure. Comme sur les photos des magazines anglais qui vantaient les bienfaits de la migration.
Emmanuel commença à longer lentement la berge. Au bout de dix pas, il vit le corps.
Tout contre la rive, une homme flottait à plat ventre, les bras ouverts comme un parachutiste en chute libre. Emmanuel vit aussitôt l’uniforme de policier. Un capitaine. Les épaules larges, l’ossature puissante, les cheveux blonds coupés ras. Des petits poissons argentés dansaient autour de ce qui lui parut être une blessure par balle dans la tête et d’une entaille au milieu du dos imposant de l’homme. Un taillis de roseaux retenait le cadavre contre le courant. »
Difficile en lisant Justice dans un paysage de rêve de ne pas penser aux romans d’Artur Upfield ou de Tony Hillerman. Comme ses illustres prédécesseurs, Malla Nunn prend son temps et privilégie l’ambiance et les personnages à l’action. Ici, point de bush australien ou de canyons indiens, mais les magnifiques paysages sud-africains – le veldt, les montagnes – sont aussi très bien décrits.
Dans les années 1950, l’apartheid bat son plein. Blancs, Noirs, métis, Indiens… : il est interdit aux uns et aux autres de se côtoyer, suite aux nouvelles lois interdisant le contact entre les races. Les rapports hommes-femmes sont à peine meilleurs. Dans ce contexte, difficile pour l’inspecteur Cooper de mener à bien son enquête. Il va se rendre compte peu à peu que le capitaine Pretorius n’était peut-être pas aussi respectable qu’il n’y paraissait et que de nombreux habitants de Jacob’s Rest ont des secrets à cacher.
« – Il était quelle heure ? demanda Emmanuel à Shabalala.
– Six heures passées, répondit le policier noir.
– Il leur suffit de regarder le soleil, expliqua obligeamment Hansie. Ils n’ont pas besoin d’horloges comme nous.
En Afrique du Sud, les Noirs avaient besoin de si peu. Un peu moins chaque jour, c’était la règle générale. Le métier d’inspecteur était l’un des rares à ne pas être soumis à la loi interdisant le contact entre les races. Les inspecteurs de police révélaient les faits, présentaient le dossier et fournissait des pièces à conviction au tribunal pour étayer les charges. Commis par un Blanc, un Noir, un métis ou un Indien, le meurtre était un crime capital quelle que fût la race de son auteur. »
Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel s’en est sorti vivant, mais non sans traumatismes. Par moments, il entend encore la voix de son sergent-major écossais, qui revient le hanter. Les personnages, tous réussis, sont sans aucun doute le grand point fort de ce roman. Cooper est assisté de Shabalala, un policier moitié zoulou, moitié shangaan, qui connaît bien les pratiques et les coutumes locales et n’est pas sans rappeler Bony, l’inspecteur aborigène créé par Artur Upfield. Emmanuel le préfère rapidement à Hansie, qui devait normalement le seconder. Mais à dix-huit ans, ce policier débutant est davantage concerné par ses préoccupations adolescentes que par son travail. Zweigman, le vieux Juif qui tient une épicerie-mercerie, ses ouvrières, les fils Pretorius… Chacun des protagonistes a son rôle à jouer et apporte une plus-value au récit.
« -Je ne le vois pas, répondit le garçon. Peut-être qu’il n’est pas là.
– S’il est en vie, il est ici. Continuez de chercher.
– C’est ce que je fais. Hansie prit un air maussade tandis que la foule se pressait hors de l’enclos paroissial.
Une fille brune bien roulée se fraya un chemin vers la rue.
– C’est Elliott King avec les cheveux châtains et les gros seins ? demanda Emmanuel.
– Non. Le jeune policier eut un hoquet de surprise. M. King est blond.
Emmanuel crut que Hansie plaisantait, mais aucune étincelle ne brillait dans les yeux d’un bleu intense qu’animait seulement un désir adolescent de se rapprocher de la boîte de friandises. Un puissant mélange de tristesse et de nostalgie avait absorbé la dernière parcelle d’énergie d’un cerveau qui ne disposait d’aucun groupe électrogène de secours. »
Si l’enquête progresse lentement, les rebondissements sont assez nombreux tant Cooper déterre au fur et à mesure les secrets les plus inavouables de Jacob’s Rest, lesquels ouvrent alors de nouvelles perspectives d’investigation. Les révélations se succèdent sur près de quatre cent pages qui amènent le lecteur jusqu’à un final réussi faisant la part belle à l’action.
En empruntant aux Upfield et autres Hillerman les ingrédients ayant fait le succès du polar ethnologique, Malla Nunn signe un premier roman des plus réussis. La native du Swaziland a décidé de poursuivre avec le personnage d’Emmanuel Cooper et les lecteurs convaincus par Justice dans un paysage de rêve pourront donc retrouver l’inspecteur sud-africain dans une nouvelle enquête dès 2012.
Merci à Babelio et aux Éditions des Deux terres pour l’envoi de ce roman à côté duquel je serai vraisemblablement passé sinon.
Justice dans un pays de rêve (A Beautiful Place to Die, 2008) de Malla Nunn, Éditions des Deux terres (2011). Traduit de l’anglais (Swaziland) par Anne Rabinovitch, 391 pages.