Archives de la catégorie ‘Polar irlandais’

La fille des brumes (Maid of the Mist) est un roman de Colin Bateman paru à la Série Noire en 2004 dans une traduction de Stéphane Carn.

41x5e47j1qlRésumé

Après avoir connu quelques ennuis à Belfast puis à Toronto, Frank Corrigan a échoué à Niagara Falls, où il se plaît finalement assez. Le genre de patelin tranquille où un officier de police n’a pas grand-chose à faire, ce qui n’est pas plus mal.
Un jour, une femme est repêchée, à moitié noyée, au pied des fameuses chutes. Vêtue d’une tenue traditionnelle amérindienne et parlant une langue incompréhensible, elle serait selon certains habitants la réincarnation de la Princesse Lelewala qui s’est un jour sacrifiée en se jetant dans les flots pour sauver le monde. Corrigan a quelques doutes sur la question mais commence à trouver que tout ça sent décidément mauvais lorsque le corps d’une jeune fille est retrouvé sur le bord de la route et que le coupable tout désigné semble être le fameux Pongo, chanteur cocaïnomane et sex addict qui a eu son heure de gloire en tête du hit-parade.

Mon avis

Avant d’écrire des romans, Colin Bateman était connu pour ses chroniques satiriques dans la presse nord-irlandaise. Il conserve dans ses récits une grande affection pour l’humour caustique et n’hésite pas à mettre ses personnages dans des situations à la fois précaires et improbables. Certains se souviendront peut-être de l’hilarant Turbulences catholiques ou encore de La Bicyclette de la violence.

Ici, le pauvre Corrigan va vite se retrouver au cœur d’une triple intrigue qui le dépasse totalement dans un premier temps. Épaulé, il va commencer à y voir plus clair, ce qui ne va pas faciliter les choses pour autant. On peut avoir l’impression, au départ, que l’auteur part un peu dans tous les sens. Oui et non dirons-nous, car si certaines situations peuvent sembler un peu décousues, tout se tient finalement très bien et l’on se rend compte que rien n’est laissé au hasard. C’est d’ailleurs une des qualités principales de ce roman, avec l’humour qui, s’il est moins savoureux que dans d’autres titres de Colin Bateman, n’en demeure pas moins présent. Certaines scènes sont savoureuses, surtout dans le dernier tiers du livre – on pense notamment à la prestation scénique de Pongo.

Les personnages sont assez délectables, à commencer par le chanteur en question, à l’égo démesuré et au nez bien poudré, et l’on ne peut parfois que compatir avec Corrigan, qui n’avait rien demandé à personne et se retrouve au cœur d’un maelström d’emmerdements dont il ne sortira pas indemne. Certaines ficelles sont parfois un peu grosses mais sont largement compensées par d’autres trouvailles et par l’énergie brute qui se dégage de l’ensemble.

Traitant tour à tour de traditions amérindiennes, de violences conjugales ou encore de réseaux de narco-trafiquants, La Fille des brumes est un roman noir bigarré comme on en voit assez peu. Pêchu et mordant, ce texte d’un auteur assez méconnu en France pourrait plaire aux amateurs de Donald Westlake, entre autres.

La fille des brumes (Maid of the Mist, 1999), de Colin Bateman, Gallimard/Série Noire (2004). Traduit de l’anglais (Irlande) par Stéphane Carn, 358 pages

Smile est un roman de Roddy Doyle paru chez Joëlle Losfeld en août dernier, dans une traduction de Christophe Mercier.

61kpx3-nchlRésumé

Pendant des années, Victor Forde a filé le parfait amour avec Rachel Carey, une jeune cuisinière devenue une présentatrice vedette de la télévision irlandaise. Déprimé, déboussolé, il reprend un appartement à Dublin, dans le quartier où il a grandi. Pour ne pas rester se morfondre seul chez lui, il s’astreint à sortir au pub local et tente de se socialiser. Un jour, un client vient le voir et semble le reconnaître. Cet Ed Fitzpatrick, qui ne le lâche plus, dit se souvenir de lui et même avoir été son camarade de classe à l’école des frères chrétiens. Victor, en revanche, n’a aucun souvenir de ce type qui l’incommode profondément sans qu’il n’en comprenne vraiment la cause.

Mon avis

Né en 1958, Roddy Doyle est un écrivain aguerri et reconnu en Irlande. Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma (The Commitments, The Van…) et il a remporté des prix littéraires et non des moindres, comme le Booker Prize en 1993, pour Paddy Clarke ha ha ha. On le connaît moins en France, où seule une partie de son œuvre a été traduite.

Smile commence comme un roman plutôt classique, mettant en scène un homme entre deux âges se remettant à peine d’une rupture amoureuse. Pourtant, assez vite, un climat anxiogène s’installe, bien que l’on ne parvienne pas à saisir – pas plus que lui d’ailleurs – pourquoi cet ancien camarade de classe met Victor si mal à l’aise. À tel point qu’il se prend à imaginer divers stratagèmes pour l’éviter.

L’auteur installe alors un récit sur plusieurs niveaux, à base de flashbacks, lesquels remontent à la période où Victor rencontrait Rachel mais aussi à son enfance et, plus particulièrement, à ce qui à trait à sa scolarité chez les frères chrétiens. On se doute alors que quelque chose s’est passé, sans qu’on comprenne exactement de quoi il en retourne. De manière machiavélique, Roddy Doyle glisse peu à peu des éléments, plus ou moins anodins, qui prendront tout leur sens dans le final, particulièrement mémorable, mais à propos duquel il serait dommage d’être plus disert ici.

Joliment écrit et sonnant souvent juste, Smile est un roman empreint d’une certaine mélancolie. L’histoire, d’abord banale, bascule ensuite dans un suspense psychologique intense conduisant sans mal le lecteur à un final bouleversant à plus d’un titre. Une belle réussite qui donne envie de poursuivre la découverte de l’œuvre de Roddy Doyle.

Smile (Smile, 2017) de Roddy Doyle, Joëlle Losfeld (2018). Traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier, 256 pages.

Une terre si froide est le cinquième roman de l’Irlandais Adrian McKinty. Il est paru en 2013 dans la « Cosmopolite » de Stock, dans une traduction de Florence Vuarnesson.

Résumé

Carrickfergus, Irlande du Nord, 1981.
L’Ulster est en fusion, les forces de l’ordre sur les dents. Les grévistes de la faim sont dans un état critique mais Thatcher ne « cédera rien face aux terroristes ». Dans ce chaos, Sean Duffy et ses collègues essaient de faire leur boulot tant bien que mal.
Un homme est retrouvé mort, tué par balle, avec une main coupée et une partition d’opéra dans le fondement. Lorsqu’on en retrouve rapidement un second dans le même état, l’inspecteur Duffy pense que le moment était mal choisi pour que débute ce qui semble être une affaire de tueur en série d’homosexuels.

Mon avis

« – La main d’un autre à côté du cadavre ? Mais qu’est-ce que c’est que cette affaire ?
C’est pas fini.
J’écoute.
Il avait aussi du sperme dans le cul. Possible qu’il ait été violé post mortem. Violé, un morceau de musique dans le cul, une main sectionnée. On est en terrain bizarre sur ce coup-là, Crabbie. »

Une terre si froide – dont le titre original, The Cold Cold Ground, est issu d’une chanson de Tom Waits, d’ailleurs mise en exergue – est le premier roman d’une trilogie mettant en scène l’inspecteur Sean Duffy. Pour autant, ce n’est pas le premier roman d’Adrian McKinty, qui a signé précédemment quatre romans noirs, tous parus à la Série Noire entre 2007 et 2009.

« Un monde effondré. Belfast, ville perdue. Avec ses usines en ruines, ses pubs incendiés, ses clubs à l’abandon. Ses boutiques barrées de grilles antibombes. Ses postes de contrôle, ses postes de fouille. Ses commissariats de police aux murs blindés.
Voitures cabossées. Voitures désossées montées sur briques.
Chiens errants. Graffitis sectaires. Fresques de paras cagoulés.
Maisons murées, détruites par les bombes incendiaires.
Maisons sans yeux.
Fenêtres brisées, miroirs brisés.
Des enfants qui jouent sur des tas d’ordures et dans les cratères des bombes, qui rêvent d’être n’importe où, mais ailleurs.
L’odeur de la tourbe et du gasoil, et des cinquante mille cordons ombilicaux de fumée noire unissant la cité grise au ciel gris. »

L’auteur parvient à nous plonger directement dans l’Ulster des années 1980, où la tension est palpable à tout moment. Si l’on croise bien Margaret Thatcher, Bobby Sands ou Gerry Adams, et que l’ensemble tient la route historiquement, Adrian McKinty ne tombe jamais dans l’écueil de l’exposé d’histoire. Sans doute parce qu’il n’a pas eu besoin de documentation approfondie pour connaître ce pan du passé récent de l’Irlande. Né à Carrickfergus, il l’a vécu lui-même. Membres de l’IRA et des autres mouvements indépendantistes contre Bobbies de la « Dame de fer », Bobby Sands et ses collègues qui se laissent mourir dans la prison de Long Kesh, explosions à tout-va, etc. Tout y est, y compris les décors désolés d’une Belfast en état de siège. L’auteur soigne ses descriptions et lorsqu’il nous donne à voir la vie d’alors dans les quartiers prolétaires de la capitale, on n’est pas loin des décors d’un film de Ken Loach.

« Milebush Tower. Encore un de ces groupes d’immeubles bétonnés à quatre étages et peints dans des tons de bouse, qui ont poussé dans les lotissements sociaux défavorisés d’Ulster des années 1960 à 1980. Froids, humides et comme délibérément laids. Le jour où l’office du logement d’Irlande du Nord vous donnait les clés, ils vous remettaient sans doute en même temps une brochure d’information sur le suicide. »

Adrian McKinty nous rend vite Sean Duffy sympathique. Catholique et flic chez les protestants, il a deux bonnes raisons d’être assassiné, ce qui l’oblige à vérifier sa voiture avant chaque déplacement. Homme intègre au franc-parler absolu, il n’est pas toujours très bien vu par la hiérarchie mais ses états de service parlent pour lui. Solitaire, Duffy rencontre pour les besoins de l’enquête le Dr Cathcart, une belle légiste qui ne le laisse pas insensible.

« – T’es catholique, toi ?
Eh ouais, bien vu.
L’autre crache par terre.
Un enfoiré de traître, voilà ce que t’es. Payé par la Couronne, putain. Et tu dors comment la nuit ?
Je me penche vers lui, si près que mon nez touche presque le sien, qu’il a pointu.
– Généralement sur le côté gauche, avec un bon oreiller moelleux et mon pyjama préféré, où y a marqué L’homme qui valait trois milliards, je lui débite avec la voix de Clint Eastwood. »

Si le roman vaut sans doute davantage pour son décor, l’intrigue n’en est pas moins solide et tient le lecteur en haleine jusqu’aux ultimes révélations, qui interviennent dans les toutes dernières pages.

Premier roman mettant en scène Sean Duffy, Une terre si froide remplit parfaitement son rôle : nous donner envie de lire les suivants – on peut d’ores et déjà retrouver l’inspecteur dans La nuit, j’entends les sirènes. Héros attachant, décors excellemment décrits, intrigue efficace, ce premier opus place la barre très haut. Le polar irlandais avait Ken Bruen et Sam Millar ; il a maintenant aussi Adrian McKinty.

Une terre si froide (The Cold Cold Ground, 2012), d’Adrian McKinty, Stock/La Cosmopolite (2013). Traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Vuarnesson, 390 pages.

On the Brinks, paru aux éditions du Seuil l’an dernier n’est autre que l’autobiographie pas piquée des vers du romancier nord-irlandais Sam Millar.

Résumé

On the Brinks, c’est l’autobiographie d’un gamin de Belfast devenu millionnaire aux États-Unis, l’histoire d’un homme qui aura finalement passé une grande partie de sa vie en prison. Cet homme, c’est Sam Millar, auteur de romans noirs comme Redemption Factory, Poussière tu seras ou plus récemment Les chiens de Belfast.

Mon avis

Privilégiant une trame chronologique, le Nord-Irlandais commence par nous raconter ses premières années à Belfast, dans des conditions déjà pas faciles. La maisonnée n’est pas riche, et surtout, la tension entre catholiques (sa famille l’est) et protestants est plus que palpable.

Jeune adulte, Sam Millar prend fait et cause pour l’IRA (Armée républicaine irlandaise) et se retrouve assez rapidement incarcéré dans la célèbre (et terrible) prison de Long Kesh. Pour militer contre la suppression par le gouvernement britannique du « statut spécial » réservé aux terroristes nord-irlandais, il devient l’un des ces fameux Blanket Men (refusant d’enfiler la tenue des prisonniers de droit commun, ils n’ont rien d’autre que leur couverture pour se « vêtir »). Il consacre ainsi une importante partie de son récit à cette expérience traumatisante qui, on peut le comprendre, l’a profondément marqué.

Privations, humiliations, tortures, ces militants de l’indépendance nord-irlandaise ont vécu pendant des années un enfer innommable, à mille lieues des habituelles préoccupations des États occidentaux concernant les droits de l’homme.

Dans un second temps, ces Blanket Men passent à un autre moyen de contestation connu sous le nom de Dirty Protest (protestation par la saleté) : ils refusent de se laver, de se raser ou de se couper les cheveux tant que leurs revendications n’auront pas été entendues. Si ses codétenus abandonnent peu à peu le combat au fil des années, Millar se retrouve parmi les derniers irréductibles, ce qui lui vaudra une grande notoriété dans son pays. Il assiste aussi de près, mais sans y prendre part, aux grèves de la faim ayant conduit à plusieurs décès dont celui du célèbre Bobby Sands.

« Y a quelque chose qui cloche chez ce type, se plaignit Jameson au père de Mac, John, pendant qu’ils comptaient les gains de l’équipe de la tranche quatre heures-midi. Et son accent bidon me rend dingue.

– Il ne boit pas, répondit John en descendant son deuxième grand whisky de la journée. Ne fais jamais confiance à un type qui ne boit pas. C’est comme si le pape baisait. C’est louche. »

Finalement libéré, Sam Millar décide de tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique pour y démarrer une nouvelle vie. Assez rapidement, il se retrouve employé dans des casinos illégaux ce qui lui vaut quelques péripéties, qu’il relate ici avec brio. Il nous raconte enfin comment il a imaginé et mis en place le casse d’un dépôt de la Brinks qui l’a rendu célèbre et qui reste aujourd’hui encore l’un des braquages les plus importants de l’histoire des Etats-Unis, Millar et ses complices étant repartis avec quelque 7,4 millions de dollars.

Si tout le monde peut raconter sa vie, il en est quand même qui sont plus intéressantes que d’autres. À cet égard, le parcours hors-du-commun de Sam Millar place la barre très haut et n’a rien a envier à certains polars. Écrit avec une belle plume, le texte de Sam Millar, fort et poignant mais aussi drôle par moments est sans doute amené à figurer en bonne position parmi les classiques du genre.

On the Brinks (On the Brinks, 2009), de Sam Millar, Seuil (2013). Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal, 359 pages.

Initialement publié en 1920, mais seulement en 1996 en France, Le tonneau (The Cask) est le premier roman policier de l’Irlandais Freeman Wills Crofts.
Dans son essai Simple comme le crime, Raymond Chandler le qualifia de « meilleur premier roman policier jamais écrit ».

Résumé

1912, Londres, docks Sainte-Katherine.
Chargé de veiller au bon déroulement du déchargement d’une péniche en provenance de Rouen, le jeune Broughton assiste à de curieux faits. Tout commence par une chute de fûts. L’un des tonneaux endommagés, différent des autres, laisse derrière lui de la sciure, mais aussi des pièces d’or, alors qu’il est supposé contenir une sculpture. Fouillant plus avant le tonneau par sa brèche, Broughton croit sentir une main humaine. Statue ou cadavre ? Il faut en être sûr, aussi, ne pouvant se permettre d’ouvrir seul le tonneau, il s’en va en référer à son patron. Lorsqu’il revient accompagné de ce dernier, stupeur, le mystérieux tonneau a tout bonnement disparu !

Mon avis

On connaît tous Edgar Allan Poe ou Sir Arthur Conan Doyle. Mais qui connaît Freeman Wills Crofts ? Bien avant Agatha Christie, les Britanniques avaient déjà en la personne de l’Irlandais un grand talent dans ce genre so british qu’est le whodunit.
Singulière histoire aussi que celle de l’édition française de ce Tonneau. Référence incontournable pour de nombreux auteurs anglo-saxons, ce roman qui a marqué l’histoire du polar mondial a dû attendre l’initiative de Claude Chabrol pour être finalement publié chez Rivages en 1996 (ce que le cinéaste passionné de polars explique dans une intéressante préface).

En 1920, Freeman Wills Crofts signait donc cette intrigue machiavélique au possible. Le nombre de rebondissements est incalculable et à chaque fois qu’un nouvel indice est découvert, il vient tout remettre en cause. Quand on croit progresser, ce sont aussi les mobiles ou les alibis qui ne collent pas et viennent contredire les hypothèses les plus plausibles. Il faudra pas moins de trois enquêteurs (un policier anglais, son homologue français et un détective privé) et un grand nombre d’allers-retours de chaque côté de la Manche pour découvrir l’identité de l’assassin et fin mot de l’histoire. Au final tout se tient et paraît plutôt logique. Pour autant, la multitude d’astuces imaginées par l’auteur font qu’il est impossible pour le lecteur d’entrevoir seul la solution. C’est donc dans les toutes dernières pages qu’il découvrira les ultimes révélations, scié par l’ingéniosité redoutable de l’auteur.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, alors qu’il était ingénieur pour la compagnie des chemins de fer irlandais, un homme tomba malade. C’est alité qu’il commença à écrire, pour tromper l’ennui, son premier roman que le grand Raymond Chandler alla jusqu’à qualifier de « meilleur premier roman policier jamais écrit ». Après ce coup de maître initial qui lança sa carrière d’auteur à succès sur de bons rails, Freeman Wills Crofts a publié de nombreuses nouvelles et une trentaine de romans policiers, mettant pour la plupart en scène l’inspecteur French. Une bonne part d’entre eux ont pour cadre des ports ou des gares. On ne se refait pas.

Le tonneau (The Cask, 1920), de Freeman Wills Crofts, Rivages/Mystère (1996), traduit de l’anglais par Dominique Mainard, 342 pages.
Lu en Rivages/Noir n°787 (2010), 501 pages, avec une préface de Claude Chabrol.

Tout ce qui meurt (Every Dead Thing) est un roman de John Connolly publié originalement en 1999, et traduit en français en 2001 (Presse de la cité).

Résumé

Charlie Parker est flic. Il a une femme, une fille, et des problèmes avec l’alcool. Un soir, il quitte la maison après une énième dispute et va noyer ses soucis au troquet du coin. Lorsqu’il rentre fin soûl quelques heures plus tard, c’est pour retrouver l’enfer dans sa cuisine : Susan et la petite Jennifer ont été assassinées de manière on ne peut plus atroce. Aucun indice, pas de mobile apparent, retrouver le meurtrier ne va pas être chose aisée.
Des mois plus tard, « Bird » – qui a entre temps quitté la police pour commencer une carrière de détective privé – est amené à enquêter sur un tueur dont le modus operandi lui rappelle ses pires cauchemars. Pour lui, pas de doute, il a retrouvé la piste de celui qui a brisé sa vie. Il va tout faire pour mettre la main sur celui qu’on a surnommé le « Voyageur ».

Mon avis

Publié initialement en 1999, Tout ce qui meurt est le premier roman de l’Irlandais John Connolly. C’est aussi la première apparition de Charlie « Bird » Parker, qui sera amené à devenir le personnage récurrent de l’auteur. Mais ceci est une autre histoire…

« Tel un collet, le passé me permettait de bouger un peu, de me déplacer en cercle, de me retourner, mais il finissait toujours par me tirer à lui. De plus en plus de choses à New York – restaurants préférés, librairies, parcs ombragés, et même cœurs gravés dans le bois d’une vieille table – me rappelaient ce que j’avais perdu, comme si l’oubli, aussi bref fût-il, était un crime contre leur mémoire. Je ne cessais de trébucher dans le temps, glissant du présent au passé, et comme des serpents digérant leur proie, mes souvenirs m’entraînaient lentement vers ce qui avait été et ne serait plus jamais. »

On entre d’emblée dans le vif du sujet puisque le texte s’ouvre sur le terrible drame qui s’abattit un soir sur « Bird » : l’assassinat ignoble et gratuit des deux femmes de sa vie. John Connolly n’épargne pas ses personnages, et ses lecteurs non plus – les descriptions des scènes de crimes sont assez exhaustives et pourront mettre mal à l’aise certains lecteurs. Cette noirceur assez extrême par moments est compensée par un humour salvateur et grinçant bien présent, aussi bien dans les dialogues que dans les descriptions.

« Le chef du personnel s’était octroyé le titre de directeur des ressources humaines et, comme tous les chefs du personnel de la planète, il s’avérait extrêmement antipathique. Assis face à lui, on avait tendance à se dire qu’un homme capable de réduire sans états d’âme des êtres humains à des simples ressources, comme le pétrole, les briques ou les canaris dans les mines de charbon, ne méritait sans doute pas de connaître d’autres relations humaines que celles des prisons. En d’autres termes, Thimothy Cary était un connard fini, des cheveux, qu’il avait teintés et coupés court, aux pieds, chaussés de souliers vernis. »

De manière plus générale, l’auteur sait prendre son temps pour décrire ses personnages ou les décors des États-Unis, des rues de New York aux marais de Louisianne. Le personnage de Charlie Parker apparaît rapidement attachant, ses doutes et ses failles le rendent très humain et l’empathie s’installe. Les personnages secondaires, nombreux, ne sont pas délaissés, et certains resteront en mémoire – Angel et Louis notamment, un couple d’amis de Charlie, gangsters, gays, et toujours prêts à rendre service.

Bien que le roman soit assez imposant – plus de 550 pages en format poche – on ne s’ennuie pas à sa lecture et l’on s’étonne presque d’être arrivé si vite à la fin. John Connolly maîtrise bien la gestion du suspense et parvient habilement par de nombreux rebondissements et autres fausses pistes à maintenir le lecteur captivé jusqu’aux toutes dernières pages, lesquelles ne sont pas avares en révélations. L’action est également très présente : on arrête vite de compter les morts et ça défouraille sévère par moment.

Pour toutes ces raisons, Tout ce qui meurt est un premier opus captivant, qui plaira aux fans de thriller comme aux amateurs de roman noir. John Connolly a l’imagination fertile et possède un talent certain pour raconter ses histoires, aussi, on comprend aisément qu’il soit parvenu à fidéliser son lectorat avec la suite des enquêtes de Charlie Parker, dans … Laissez toute espérance en premier lieu.


Tout ce qui meurt (Every Dead Thing, 1999) de John Connolly, Presse de la cité (2001). Traduit de l’anglais par Philippe Hupp et Thierry Arson.
Lu en édition poche, Pocket (2002), 557 pages.

Prise directe, paru à la Série Noire et traduit par Antoine Chainas est un roman de l’Irlandais Eoin Colfer, surtout connu pour ses ouvrages jeunesse jusqu’à présent.

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Après avoir été un temps Casque bleu, Daniel McEvoy s’est reconverti comme videur dans un casino pouilleux du New Jersey. Il ne se passe rien de bien palpitant dans sa vie et ses plus grands combats du moment, il les livre contre la chute de ses cheveux et les coups de folie de sa voisine du dessus.

Les vraies emmerdes vont commencer lorsque son meilleur ami Zeb Kronski, un médecin peu préoccupé par la déontologie, disparaît subitement. Il a à peine le temps de commencer à le chercher que Connie, une serveuse pour qui il a le béguin, est retrouvée morte, une balle dans la tête. Comme si ça ne suffisait pas, la police le place en tête sur la liste des suspects.

Mon avis

En faisant le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, Eoin Colfer plonge d’emblée le lecteur dans les pensées de Daniel McEvoy. L’Irlandais nous raconte ses déboires à sa manière, sans aucune langue de bois et avec un ton caustique fort plaisant à lire. 

« En dehors de mes traits défaits, je remarque un autre détail dans la salle de bains. Les rouleaux de papier toilette sont empilés en losange. Cette figure géométrique est mégaflippante. Je me détourne de cette sculpture comme si elle pouvait tout à coup prendre vie et me prodiguer des conseils zen.

Pourquoi un rouleau de papier toilette devrait avoir une autre finalité que de fournir du papier ? Et d’où sort cette réflexion, d’ailleurs ?

Je sais qui est responsable de cette édification. Il n’existe qu’une seule personne capable d’accomplir un tel forfait. »

L’humour est très présent dans ce roman noir, qui rappelle un peu ceux de  Colin Bateman, autre habitant de la verte Erin publié à la Série Noire capable de faire travailler les zygomatiques de ses lecteurs. Aux situations cocasses s’ajoutent certaines scènes mémorables et hilarantes, le récit étant entrecoupé de flashbacks qui permettent à McEvoy de nous raconter quelques anecdotes croustillantes de plus, souvent issues de son passé de militaire.

« Pendant ce temps, j’enfile une paire de gants jetables pris dans une boîte à l’intérieur du sac, puis je m’empare du fusil. Bien sûr, il est démonté. À l’armée, nous étions entraînés à ce type d’exercice : remonter un automatique à l’aveugle, sous la pluie, avec un gars qui tire à blanc à côté de vos oreilles, arrosé de pisse par un groupe de soldats. Bon, d’accord, il n’y avait peut-être pas le dernier truc. Quoi qu’il en soit, j’étais archi-nul lors des tests d’assemblage à l’aveugle. En général, j’avais besoin d’à peu près une heure et je finissais avec des œuvres d’art moderne magnifiques sous un éclairage approprié, mais qui ne valaient pas un pet s’il fallait ouvrir le feu. »

L’intrigue, qui ne brille pas par son originalité, ne restera sans doute pas dans les annales mais le suspense est néanmoins présent du début à la fin. Les personnages hauts en couleur et l’humour d’Eoin Colfer font la différence. C’est certain, on ne tient pas là le polar de l’année – l’auteur n’a d’ailleurs sans doute jamais eu cette prétention en l’écrivant – mais on passe un agréable moment de lecture, à se poiler sur l’infortune de Daniel McEvoy, et c’est déjà pas mal !

« Rantanplan se déchaîne à l’arrière du jardin des dealers, à la recherche de quelqu’un à égorger. Je parierais que ce chien-là n’a pas l’habitude de se faire malmener et jeter par-dessus une clôture. On raconte qu’il n’existe pas en enfer de pire colère que celle d’une femme flouée, ce à quoi je répondrais qu’une femme flouée partirait sans demander son reste en face d’un rottweiler à qui l’on vient d’essorer les testicules. »

Connu pour ses ouvrages destinés à la jeunesse – la série Artemis Fowl notamment, qui a séduit nombre d’adolescents de par le monde – Eoin Colfer prouve avec Prise directe qu’il peut aussi écrire pour les adultes. Le ton est à la fois plus sombre et plus drôle mais c’est là aussi une réussite.


Prise directe (Plugged, 2011) d’Eoin Colfer, Gallimard / Série noire (2012). Traduit de l’anglais (Irlande) par Antoine Chainas, 308 pages.

Cauchemar américain / Ken Bruen

Publié: 12 février 2009 dans Polar irlandais

Aujourd’hui paraît à la Série Noire le nouveau Ken Bruen.
Cauchemar américain, c’est son nom, est un « one shot », en ce sens qu’il ne fait pas partie des séries de l’auteur, Jack Taylor ou R&B.

Résumé

A Galway, Stephen, petit truand irlandais, déplore la perte récente de son meilleur ami Tommy, abattu lors d’un braquage par le troisième membre du trio.
Siobhan, sa petite amie, travaille dans une banque d’affaire. Elle va se charger de blanchir l’argent sur place, tandis que Stephen va l’attendre de l’autre côté de l’Atlantique, le couple ayant prévu de se retrouver à Tucson.
Seulement sur place, rien ne se passe comme prévu. Stephen retrouve par hasard Juan, un ancien compagnon de chantier reconverti dans le banditisme local. Mais surtout, il rencontre Sherry, la copine de ce dernier, un peu trop belle pour qu’il puisse résister.
Pour Stephen, le cauchemar américain ne fait que commencer…

Mon avis

Contrairement à certains d’entre vous, je ne connais Ken Bruen que depuis peu, l’ayant – seulement – découvert avec London Boulevard, que j’ai beaucoup apprécié.
Cauchemar américain est donc ma seconde rencontre avec ce talentueux auteur irlandais.

J’ai beaucoup aimé l’ambiance générale qui se dégage de ce roman.
On y retrouve une certaine nostalgie/tristesse apparemment typiquement irlandaise (ce fameux bronach gaélique, dont le traducteur, Thierry Marignac, nous dit qu’il signifie plus cafard ou mal de vivre que tristesse).
Bruen, par la pensée de Stephen, personnage principal de cette histoire, nous offre de très belles réflexions sur l’amitié, sur la fidélité, ainsi que sur l’Irlande et ses habitants. Comme toujours, il a le sens de la formule et nous assène ses petites phrases, souvent aussi justes qu’humoristiques.

La forme de l’intrigue est assez particulière et m’a plutôt déboussolé au départ.
Elle s’apparente à un road-movie, est assez décousue et comporte de nombreux flash-backs.
Bruen joue avec son lecteur : un coup en Irlande, un coup aux Etats-Unis, tantôt dans le passé, tantôt dans le présent. Une fois que l’on a intégré le principe et accepté de se faire balader par l’auteur, l’intrigue se laisse lire avec plaisir. On en vient alors à suivre le périple de Stephen aux Etats-Unis, un parcours pour le moins semé d’embûches, son cauchemar américain.
 
Au final, Cauchemar américain est un bon roman noir, qui ravira les fans de Ken Bruen mais qui pourrait s’avérer assez difficile d’accès pour ceux qui ne conaissent pas encore cet auteur.Peut-être pas le roman le plus adapté pour découvrir son oeuvre.
Toujours emballé après deux romans, il va de soi que je continuerai à l’avenir à lire ce grand nom du roman noir irlandais.


Cauchemar américain (American Skin, 2006) de Ken Bruen, Gallimard/Série noire (2009). Traduit de l’anglais (Irlande) par Thierry Marignac (307 pages).

London Boulevard / Ken Bruen

Publié: 24 novembre 2008 dans Polar irlandais

London Boulevard est l’un des derniers romans de Ken Bruen, prolifique auteur de romans noirs irlandais, à paraître en France.

Il a été choisi pour faire partie de la sélection d’automne du Prix du Polar SNCF dans la catégorie « Polars européens ».

Résumé

Lorsque Mitch est libéré, après trois ans de cabane pour une bagarre dont il n’a gardé aucun souvenir, son pote Norton l’attend de pied ferme : appart, braquages, menus services sa voie est toute tracée. Mais Mitch veut changer, vivre à l’honnête. Alors il se dégotte un boulot d’homme à tout faire chez une star déchue du théâtre, la fantasque Liilian Palmer, qui rêve de revenir sur les planches. Un temps, il braque, brique et couche avec sa patronne. Jusqu’au jour où son passé resurgit avec violence, en s’en prenant à Briony, sa soeur adorée et un peu dérangée.

Mon avis

« Mon cœur battait la chamade et des torrents de sueur me ruisselaient le long du dos. Non pas que je me sois cru revenu en prison, oh non, c’était plutôt parce que je m’en savais sorti. Au gnouf, les gars m’avaient prévenu : « Y a rien de plus flippant que de se retrouver dehors. »
Ca doit être pour ça qu’il y en a tant qui y retournent.
Tout fort, je m’en suis fait le serment :
Plutôt crever que d’y retourner. »

Cet extrait, que l’on peut lire dès les premières pages annonce clairement la couleur de ce nouveau Ken Bruen, auteur bien connu des passionnés de romans noirs mais que je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir.

C’est donc chose faite, et bien faite puisque cette lecture m’a beaucoup plu.

Je pense pouvoir dire sans me tromper que Ken Bruen a un style particulier.
Il écrit avec des mots très simples. Il écrit avec des phrases plutôt courtes. Il écrit dans un registre souvent familier, parfois vulgaire. Et pourtant, un vrai style littéraire s’en dégage, souvent porteur d’émotions.
Lire des passages comme celui cité ci-dessus me plait beaucoup. C’est très simple et pourtant tellement efficace. Ca fait vibrer, ressentir des émotions profondes, tout en ayant l’air de rien. Et ça justement, ce n’est pas rien.
Il utilise aussi – au moins dans London Boulevard – des listes de mots à la ligne plutôt que la virgule dès qu’il part dans les énumérations.
C’est assez déroutant au départ mais on s’y habitue assez vite et, là aussi, ça donne un certain style, et peut-être plus de punch qu’une liste de mots séparés par des virgules. C’est plus clair, plus expéditif.
Exemple : « La Rolls sentait
                                           le propre
                                           le chêne
                                           le vieux cuir
                                           le fric. »

Au niveau de l’intrigue, rien de vraiment exceptionnel, mais ce thème désormais classique qu’est la réinsertion des « truands » est bien traité, tantôt avec gravité tantôt avec humour et Mitch, le personnage principal, est très attachant malgré ses nombreux défauts.
Et lorsque l’on ajoute à cela l’écriture si particulière dont je viens de vous parler, les pages tournent toutes seules, et à grande vitesse.

Intéressant également pour les amateurs de roman noir : Ken Bruen glisse dans son roman de nombreuses références littéraires, et c’est une véritable bibliographie que l’on peut se faire tout au long de London Boulevard.
On y croise Harry Crews, Robin CookGeorge Pelecanos, James Sallis, et bien d’autres, moins connus et parfois non traduit en français à ce jour.

Ken Bruen est un auteur talentueux que je suis ravi d’avoir découvert et que je relirai sûrement.


London Boulevard (London Boulevard, 2001) de Ken Bruen, Fayard noir (2008). traduit de l’anglais (Irlande) par Catherine Cheval et Marie Poux (322 pages).

À la petite semaine est le premier roman de Gene Kerrigan, journaliste irlandais renommé.

Il fait partie de la sélection Printemps 2008 du prix du polar SNCF dans la catégorie polars européens.

Résumé

L’argent afflue en Irlande et Frankie Crowe en veut sa part. Ecœuré par le butin minable de son dernier hold-up, il décide de passer à la vitesse supérieure: le rapt. Mais les pieds nickelés qui l’assistent n’ont ni son envergure, ni sa motivation. Et quand la cible se révèle être un habile juriste qui joue les intermédiaires et non le riche banquier qu’il croyait, Frankie pète les plombs. Au-delà des dérives de médiocres malfrats dublinois et des péripéties parfois cocasses d’un enlèvement foireux, c’est de l’Irlande nouvelle que nous parle Gene Kerrigan, en finesse: la perte d’influence de l’Eglise, le vertige collectif de l’accès à la richesse, les flics mal payés exclus de la prospérité ambiante, la disparition progressive des repères traditionnels.

Mon avis

Avec À la petite semaine, Gene Kerrigan nous livre un très beau « roman noir social ».

Bien plus que l’intrigue, somme toute assez simple, le grand intérêt de ce roman réside dans la description du personnage principal de ce roman : l’Irlande d’aujourd’hui.
La trame de l’histoire est simple, mais de très nombreux personnages, tous approfondis gravitent autour d’elle et rendent ce roman bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Gene Kerrigan est journaliste, et cela se ressent. Il nous dresse le portrait de son pays à travers une histoire d’enlèvements autour de laquelle on va rencontrer divers personnages très fouillés, de tous âges, de de la petite écolière au septuagénaire blasé.

Les amateurs de polars rythmés allant droit au but seront sans doute déçus. Ici, l’intrigue, dont l’issue paraît de plus courue d’avance, est vraiment secondaire.

Personnellement, j’ai lu ce roman abouti avec grand plaisir, et ai été agréablement surpris par la fin, plus originale que ce que je prévoyais.

Je tenais également à féliciter l’éditeur (Le Masque) pour cette couverture, que je trouve particulièrement réussie et dans le ton de l’histoire.