Australia Underground, paru en France en 2008 (Actes Sud) est le quatrième roman de l’Australien Andrew McGahan.
Il est depuis disponible en poche dans la collection Babel Noir, toujours chez Actes Sud.
Résumé
Leo James est le frère jumeau du Premier ministre australien. Grâce à cette relation privilégiée, il a pu se construire un petit empire dans l’immobilier. Leo vit dans un complexe hôtelier sur le littoral du Queensland lorsqu’un cyclone s’abat sur la région. Après tout, peu importe : les bâtiments avaient besoin d’être restaurés et l’assurance va tout prendre en charge. Cette catastrophe naturelle, c’est donc plutôt une aubaine pour les affaires. C’est aussi ce que s’est dit un groupe de jihadistes, profitant du désordre général pour enlever le promoteur. En ces temps de guerre contre le terrorisme, il y a forcément moyen de tirer quelque chose de la prise en otage du frère du chef d’État australien…
Mon avis
« A mon avis les Australiens n’ont eu à affronter qu’un seul défi au cours des vingt dernières années, qui consistait à préserver ce que les générations antérieures nous avaient légué : un pays libre, tout simplement. Ce n’est pas beaucoup demander, direz-vous. Mais en avons-nous été capables.
Je n’ai même pas besoin de répondre. »
Suite aux évènements du 11 septembre 2001, l’Australie s’est alliée aux États-Unis pour éradiquer le terrorisme. Pour ce faire, le gouvernement australien ne fait pas dans la demi-mesure et fait l’amalgame entre terrorisme et Islam. Après un attentat sur le sol australien, l’état d’urgence est décrété, la sécurité renforcée et l’Islam officiellement interdit. De plus, les musulmans sont regroupés dans des « enceintes culturelles », comprenez des quartiers autour desquels des murs ont été dressés.
« – Je détestais tout ce qu’il faut détester.
– Comme quoi ?
– L’autosatisfaction de ce pays. Sa certitude d’avoir raison. Sa cupidité. Son obsession pour des conneries. Les stars, le sexe, l’argent, le sport. On est censés être une société tellement juste, tellement égalitaire. Mais quand tu es pauvre, noir, moche ou réfugié, alors tout le pays te chie sur la gueule tous les jours.
Euh…oui, j’ai mi-même transcrit des pensées similaires dans ces pages. Pourtant, ces « conneries » ne sont pas sans intérêt. Il vaut sûrement mieux être obsédé par le sport que par la guerre et la religion. Dans l’Australie d’avant, le sport, le sexe et la bière étaient tout ce qui comptait. C’est pour ça que j’adorais ce pays. »
Andrew McGahan n’a pas besoin d’en faire beaucoup pour plonger le lecteur dans un futur proche – le roman a été écrit en 2006 et l’action se déroule en 2010 – malheureusement très crédible. Il a simplement à accentuer les traits sécuritaires de nos sociétés occidentales pour nous faire prendre conscience que plus de sécurité rime souvent avec moins de liberté. Les contrôles d’identité sont permanents, et si des soupçons pèsent sur une personne, elle est tenue de répondre correctement à un test de citoyenneté, qui comprend notamment des questions sur le baseball ! En décrivant une situation où les musulmans sont parqués dans des ghettos simplement parce qu’ils sont musulmans, une situation où quelques citoyens décident de résister contre la politique du gouvernement, l’auteur n’hésite pas à établir des parallèles entre un futur possible de l’Australie et les pages les plus sombres de l’histoire du vingtième siècle.
« Si je feuillette les débats des quinze dernières années, que vois-je ? Je vois la montée du nouveau nationalisme. Je vois la déclaration de guerre contre la terreur. Je vois la mise hors la loi des réfugiés. Je vois les lois sécuritaires votées quantité de fois, chaque régime devenant plus oppressant que le précédent. Je vois des dizaines d’organisations interdites. Des manifestants emprisonnés. Des libertés qui disparaissent. La coercition légalisée. Je vois de nouvelles normes fixées presque chaque jour pour le fonctionnement d’une démocratie occidentale. Presque à chaque fois, on tolère un peu plus d’horreurs. Et encore un peu plus.
Mais nulle part, absolument nulle part je ne vois les Australiens dire non. Le monstre est silencieux. Et il semble que ce soit de notre plein gré que nous en sommes arrivés là, à ce cauchemar à la George Orwell dans lequel nous vivons tous.
Voilà pourquoi je dis que, comme lecture, c’est à pleurer. »
On suit l’histoire par l’intermédiaire de Leo James, qui raconte ce qu’il a vécu à ceux qu’il nomme ses « chers interrogateurs » (et dont on ne connaîtra pas l’identité avant la toute fin du roman). Ce n’est pas par hasard que le personnage principal de ce roman est loin d’être un héros. En plongeant un promoteur peu scrupuleux et dénué d’intérêt pour la politique dans des situations extrêmes, largement imputables aux choix de ses dirigeants – à la tête desquels figure son propre frère –, Andrew McGahan insiste sur le fait que tout le monde est concerné par la vie politique de son pays et peut un jour avoir à payer la conséquence de ses (non-)prises de position.
Si l’aspect politique-fiction est assurément le point fort de ce roman, l’intrigue n’est pas en reste puisque le suspense est très présent. Les rebondissements sont nombreux et réussis, surprenant bien souvent le lecteur.
« Je n’étais vraiment pas fait pour ce genre d’émotions fortes.
Moi, un enfant placide des années 1950.
Pourtant, dans ma jeunesse, nous avions eu la guerre froide. Quand on y repense, c’était une vraie guerre. Deux puissances monolithiques, de force égale, qui luttaient pour prendre le contrôle du monde entier… ou du moins pour leur destruction mutuelle. C’était un scénario bien différent de ce que nous vivons aujourd’hui, croyez-moi. Les Russes faisaient vraiment peur, c’était un ennemi capable de gagner. Qui aurait pensé que, soixante ans après, l’empire du Mal serait depuis longtemps oublié, mais que nous finirions deux fois plus effrayés à cause de quelques milliers de terroristes apatrides ? Ou bien qu’au nom de leur éradication, nous participerions à une dizaine de petites guerres merdiques à travers le globe ? Staline aurait été ravi de provoquer la moitié de cette frayeur, et pourtant il avait derrière lui une armée de cinq millions d’hommes bien équipés. »
Partant de thématiques d’actualité – terrorisme, insécurité… –, Andrew McGahan propose avec Australia Underground un texte intelligent, original et troublant, mêlant suspense, anticipation politique et roman noir. Un polar très réussi, un auteur à suivre…
Australia Underground (Underground, 2006), d’Andrew McGahan, Actes Sud (2008). Traduit de l’anglais (Australie) par Laurent Bury, 302 pages.