Mezquite road, du Mexicain
Gabriel Trujillo Muñoz est la quatrième enquête de l’avocat Morgado, après
Tijuana City Blues (
voir ici-même),
Loverboy et
Mexicali City Blues.
C’est toujours chez l’éditeur québécois Les Allusifs (collection « ¾ Polar »), autrement dit plutôt cher malheureusement (12,50 € les 160 pages) mais très bon. De plus l’objet-livre est magnifique et donne tout de suite envie de s’y plonger : couverture très esthétique (ça rend vraiment mieux en vrai), format de quatrième original, papier de qualité…
Comme le précédent du même auteur, je lis ce roman dans le cadre de
l’opération Masse Critique organisée par le site
Babelio.
Résumé
Des années après l’avoir quittée, Miguel Angel Morgado retrouve à l’occasion d’une affaire la ville de Mexicali, celle-là même qui l’a vu grandir.
Il est contacté par Atanasio, l’un des ses meilleurs amis, qui voudrait voir l’avocat enquêter sur la mort d’un autre ami, accro au jeu et retrouvé mort dans un hôtel minable, de la cocaïne avec lui. Certaine que la poudre blanche a été mise là pour l’incriminer, la veuve de la victime, qui aimerait bien le venger, demande à Morgado de découvrir qui l’a tué, et pourquoi.
Mon avis
« Morgado ne prêta guère attention à l’avertissement. Dans son esprit miroitaient alors de vieilles images douloureuses du labyrinthe de fausses pistes et d’impasses qu’était devenue sa dernière enquête à Mexico, dans laquelle la bureaucratie policière n’avait cessé de faire obstruction à ses recherches. Le cas qui le préoccupait à présent était très différent, bien sûr, mais non sans points communs avec cette autre affaire. Ici, la victime n’était pas une personnalité, comme là-bas, mais un individu ordinaire, avec de rares qualités et de gros défauts, qui n’avait rien d’héroïque, n’était pas connu. Mais comme à Mexico, Morgado retrouvait des acteurs qui échappaient à la loi, une justice qui n’en était pas une, et la violence comme seul recours. « Arrête de raisonner en avocat, se dit-il, tu n’es pas à une table ronde sur les droits de l’homme mais dans la réalité. Où il y n’y a aucun droit qui vaille. Seulement des crimes irrésolus. » »
Morgado, rencontré tout d’abord dans Tijuana City Blues, est de retour dans ce qui est ici sa quatrième enquête. L’avocat, détective à ses heures perdues, est toujours un ardent défenseur des droits de l’Homme et travaille maintenant avec Amnesty International, ce qui n’est pas pour plaire à tout le monde.
« Il dut se rendre à l’évidence : à Mexicali, la vie était plus qu’ailleurs précaire, hâtive et saisonnière, et pas à cause de la chaleur extrême. « Une décharge d’électricité, songea-t-il. Un temps compact à l’extrême. Cette ville a plus évolué en un siècle que d’autres en mille ans. Ses habitants ressemblent à des lévriers de course. Ils foncent derrière un lièvre qu’ils ne pourront jamais rattraper, un lièvre qui représente les rêves de tout un chacun : l’argent facile, le pouvoir d’achat, les offres d’emploi, chimères qui deviennent parfois réelles, mais ont alors, pour la plupart, la vie trop brève. Ici, les cycles s’accomplissent en un instant. »
En s’arrêtant à un carrefour, il eut l’impression de faire corps avec la foule des touristes gringos, des bonimenteurs sans lendemain, des marchands ambulants et des péripatéticiennes, des policiers impuissants ou corrompus, des Mixtèques implorants, des musiciens des rues souriants, des mendiants aveugles, des Chinois impassibles et des prédicateurs de la vieille bonne nouvelle ; de faire corps avec ce cirque de fauves domptés et de dompteurs plus féroces les uns que les autres en train de fermenter, mêlés, dans le même bouillon de culture. »
Comme dans ses précédents romans, Gabriel Trujillo Muñoz excelle dans les descriptions du Mexique, et plus encore dans celles de la frontière et de Mexicali, sa ville natale, où il est aujourd’hui professeur d’université… comme le personnage d’Atanasio.
« – Et tu donnes des cours, aujourd’hui ?
– J’ai quelques recherches à faire et je donne des cours, oui. Si j’expliquais à mes élèves comment on prépare un cocktail Molotov, ils seraient les premiers à me faire envoyer à l’asile ou en prison. Les temps héroïques révolutionnaires sont révolus. Aujourd’hui, plus personne ne rêve, Morgado. On ne pense qu’à la réussite, à s’en mettre plein les poches. Les jeunes d’aujourd’hui sont pragmatiques. Ils veulent du fric pour consommer, avoir un statut social, profiter…
– La rébellion est encore vivante, Atanasio, ne sois pas pessimiste. Elle emprunte seulement d’autres chemins. »
Ce dernier et l’avocat, amis de jeunesse, ayant combattu ensemble pour leur idéal politique, l’anarchisme, ne peuvent que constater les dégâts, observant ce qu’est devenu le Mexique d’aujourd’hui. Corruption des autorités, criminalité galopante, rapports conflictuels avec le voisin… : désabusés, et voyant leurs rêves de révolution s’éloigner, les deux hommes se contentent alors de refaire le monde.
L’intrigue, quant à elle, est de bon niveau, avec ce qu’il faut d’action et de rebondissements pour tenir le lecteur en haleine.
Dans la continuité des précédentes enquêtes de Morgado, Trujillo Muñoz poursuit avec Mezquite Road l’élaboration cohérente d’un cycle de grande qualité sur le Mexique d’aujourd’hui. Plus long, mais aussi plus abouti, ce roman noir allie intelligence du propos, écriture de talent et intrigue de qualité. Il n’y a plus qu’à espérer avoir des nouvelles de Morgado…
Anecdote personnelle : je lis assez souvent en musique, avec ce qui me tombe sous la main, généralement pris en bibliothèque, et au petit bonheur la chance. Ce coup-ci, je me mets comme fond sonore l’album « Freedom » de Neil Young (1989). Arrivé à l’avant-dernière chanson, les personnages du roman, parmi lesquels Morgado, se mettent à entonner le refrain de « Rockin’ in the Free World », du même Neil Young, chanson qui se trouve être… la piste suivante de l’album !! A deux minutes près, des personnages de romans chantaient « en direct » ce que j’écoutais. Et tout ça dans le hasard le plus total. Au niveau des probabilités que ce genre de chose arrive, va falloir m’expliquer là ! J’ai encore du mal à m’en remettre…

Mezquite Road (Mezquite Road, 2006) de Gabriel Trujillo Muñoz (Les allusifs/ ¾ polar, 2009). Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli (161 pages).