Archives de la catégorie ‘Polar sud-américain’

L’Opossum rose (La última salida) est un roman de Federico Axat paru chez Calmann-Lévy en 2016 dans une traduction d’Isabelle Gugnon.
Il est désormais disponible au Livre de poche.

514ujxadsjlRésumé

Ted McKay est atteint d’une tumeur incurable. Malgré une femme et deux filles aimantes, il préfère se donner la mort avant que ses facultés ne soient altérées par l’évolution de la maladie.
Installé à son bureau, il pointe son pistolet vers sa tête. Quelqu’un toque alors à la porte puis, face à l’absence de réaction, insiste lourdement. Ted décide d’ouvrir. L’inconnu, un homme du nom de Justin Lynch, le bluffe par ce qu’il sait de lui, à commencer par le fait qu’il allait se donner la mort.
Il lui propose un marché. En échange d’un service, il sera tué. Son « assassinat » évitera à sa famille d’avoir à souffrir des questionnements sans fin liés à son suicide.

Mon avis

Le moins qu’on puisse dire est que L’Opossum rose part sur les chapeaux de roues. Le lecteur est accroché dès le départ par cette histoire vraiment pas banale. Forcément, Ted accepte. Forcément, le deal est louche. Pour bénéficier d’une mort propre, il lui faudra tuer un ignoble meurtrier qui a su échapper à la justice grâce à une malicieuse astuce.

Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher quelques rebondissements de ce thriller assez époustouflant qui en compte énormément, peut-être même trop. Difficile, même, de parler des autres protagonistes sans dévoiler des éléments importants de l’intrigue. Disons simplement que la curiosité est permanente et qu’on entrevoit la vérité peu à peu au gré d’indices semés par Federico Axat. Seulement, à la moitié du roman, on pense avoir tout compris. Forcément, c’était aller un peu vite en besogne et l’auteur argentin nous réserve encore bien des surprises.

Influencé par la littérature policière et le cinéma, Federico Axat ne peut s’empêcher de faire des clins d’œil. On croise ainsi Lynch donc, mais aussi un Pendergast ou encore un Robichaud. Quant au choix du prénom du personnage principal, on pourra y voir une allusion au cultissime Shutter Island.
Évoluant constamment aux frontières du rêve, de la folie et de la réalité, Ted McKay ne sait plus où il en est. Et cet opossum rose qu’il voit partout le rend fou.

Sans égaler le chef-d’œuvre de Dennis Lehane, L’Opossum rose est un thriller malin extrêmement bien troussé qui devrait satisfaire la curiosité du plus grand nombre. Tout au plus peut-on trouver certaines ficelles un peu grosses sur la fin mais on pardonnera aisément Federico Axat tant il est plaisant de se laisser déboussoler par son ingéniosité et cette redoutable intrigue labyrinthique.

L’Opossum rose (La última salida, 2016), de Federico Axat, Calmann-Lévy (2016). Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 432 pages.

Coupable vous êtes (Usted es la culpable), qui paraît aujourd’hui même chez Asphalte, est un roman du cubain Lorenzo Lunar, le troisième à mettre en scène l’inspecteur Léo Martín.


Résumé

Pedrusco, cireur de bottes et alcoolique bien connu sous le sobriquet de « roi du cirage », découvre sur un trottoir et dans une mare de sang le corps d’un homme à la tête en bouillie. Bien qu’il soit méconnaissable, l’inspecteur Léo Martín découvre assez vite que le cadavre est celui de Francisco Cordié Montero, plus connu à Varadero sous le nom de Panchita. L’ex-prof de sport bisexuel est devenu danseur professionnel avant de se faire des à-côtés en tant que propriétaire et proxénète. Au moment où Léo découvre que l’arme du crime est un marteau à tête plate, comme ceux qu’on utilise en cordonnerie, son ennemi de toujours, Chago le Bœuf, vient au commissariat déposer une plainte pour le vol d’un de ses… marteaux.
Bien que l’envie de coller le meurtre sur le dos du faux ressemeleur et vrai délinquant ne lui manque pas, Léo est convaincu que Chago n’est pas l’auteur du meurtre. Mais qui peut lui en vouloir au point de vouloir lui faire porter le chapeau ? Et quel pourrait bien être le mobile de ce meurtre atroce ? Le règlement de compte d’un rival en affaires ? Une sombre histoire de mœurs ?


Mon avis

Coupable vous êtes est la troisième enquête de Léo Martín après Boléro noir à Santa Clara (L’atinoir, 2009) et La vie est un tango (Asphalte, 2013). On y retrouve avec plaisir Santa Clara et ses habitants, et en particulier Léo, inspecteur bourru mais mais non moins attachant.

Le court roman – il comporte moins de cent-vingt pages – répond bien sûr aux questions précédemment exposées mais prend aussi le temps de s’intéresser à ses personnages, à Santa Clara, et par là, à la société cubaine d’aujourd’hui. On y découvre la galère quotidienne des habitants pour parvenir à se nourrir plus ou moins correctement, le parcours du combattant que doit faire un malade pour obtenir un rendez-vous hospitalier, etc.

Sans toute fois délaisser totalement Tania, la prostituée dont il est tombé amoureux, Léo ne peut s’empêcher de s’envoyer en l’air avec Raquelita. La séduisante et insatiable jeune femme est la fille de Manolito el Buty, un ami d’enfance de Léo, qui lui a demandé de veiller sur elle le temps de ses études en sociologie à Santa Clara. Il prend donc sa mission très à cœur et la surveille, de très près, avec plaisir.

Enquête plutôt classique dans la forme, mais néanmoins efficace, Coupable vous êtes est aussi l’occasion de voyager à Cuba par procuration, de découvrir sa gastronomie (grâce à la mère de Léo, vous connaîtrez la différence entre la caldosa et l’ajiaco) et de se mettre un peu de musique dans les oreilles. Signalons d’ailleurs qu’on trouvera avec plaisir dans les dernières pages une playlist concoctée spécialement par Lorenzo Lunar pour accompagner la lecture de son livre, dans lequel la musique est effectivement assez présente. D’ailleurs le titre original, Usted es la culpable, est celui d’une chanson de Los Panchos – qui est citée dans le roman.

Sans être exceptionnel du point de vue de l’intrigue, Coupable vous êtes s’avère être un efficace petit polar, qui prend le temps de faire voyager son lecteur. Il se lit avec un plaisir certain et l’on retournerait bien volontiers à Santa Clara dans un futur proche. À quand la prochaine enquête de Léo Martín ?

Coupable vous êtes (Usted es la culpable, 2006), de Lorenzo Lunar, Asphalte (2015). Traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy, 114 pages.

 

Belém est un roman noir du Brésilien Edyr Augusto paru là-bas en 1998 sous le titre Os éguas et publié ici par Asphalte il y a quelques semaines.

Résumé

Belém, capitale du Para, État du nord du Brésil.

Johnny, un coiffeur gay bien connu des jet-setteurs et de la presse people, est retrouvé mort chez lui. Il s’agirait a priori d’un arrêt cardiaque, sans doute du à une overdose de cocaïne – il faut dire qu’il était bien connu pour en prendre et qu’il ne s’en cachait pas. Mais quand l’inspecteur découvre chez Johnny des vidéos pédophiles le montrant à l’oeuvre avec des enfants, l’affaire prend une autre tournure. Ne l’aurait-on pas plutôt assassiné pour le punir de ses actes infâmes tout en faisant croire à un accident ? Difficile pour Gilberto Castro d’avancer dans son enquête tant personne ne semble disposé à aider la police.

Mon avis

Rares sont les auteurs brésiliens de polar à avoir été publiés en France. Celui que nous offre à lire la jeune maison d’édition Asphalte ne fait pas dans la dentelle. Edyr Augusto, traduit dans l’hexagone par le romancier lusophone Diniz Galhos (auteur de Gokan notamment), nous fait plonger dans le monde des nuits brésiliennes, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas forcément beau à voir. Prostitution, drogue, corruption, etc. L’argent permet aux nantis d’acheter ce qu’ils veulent, bien souvent au détriment des gens issus des classes sociales plus modestes.

L’inspecteur Castro n’est pas à proprement parler un héros. Il lutte contre son attirance pour les boissons alcoolisées et a tendance à chercher le réconfort dans les bras de belles inconnues, raisons pour lesquelles sa femme l’a quitté. Il fait cependant figure de personnage intègre dans ce monde de pourris. Il progresse tant bien que mal dans son enquête, et ce qu’il découvre peu à peu est bien pire que ce qu’il imaginait.

Si l’on ne peut pas véritablement parler de « plaisir de lecture » tant celle-ci est globalement éprouvante (du fait de passages crus et d’une scène particulièrement dure, ce roman est à déconseiller aux lecteurs les plus sensibles), gageons que ce roman marquera durablement le lecteur. Grâce à Edyr Augusto, on se souviendra longtemps que le Brésil ne se limite pas à la samba, au carnaval et au sable fin des plages de Copacabana.

A noter que Moscow, prochain roman de l’auteur à paraître en France – en février 2014, toujours chez Asphalte – est d’ores et déjà disponible dans sa version numérique sur les plates-formes consacrées.

Belém (Os éguas, 1998), d’Edyr Augusto, Asphalte (2013). Traduit du brésilien par Diniz Galhos, 251 pages.

La vie est un tango (La vida es un tango) est un roman du Cubain Lorenzo Lunar initialement paru en 2005.
Sa version française est sortie en juin dernier chez l’excellent éditeur Asphalte (traduction est de Morgane Le Roy).

Résumé

Léo Martin, est commissaire du quartier d’El Condado, à Santa Clara, Cuba. Peu de grandes affaires, juste les histoires du quotidien à régler. Et puis un jeune homme se fait assassiner, peu ou prou au moment où Léo entend parler d’un trafic de lunettes de soleil. Il trouve cela étrange. On ne tue pas des gens pour si peu, si ? Le commissaire veut en avoir le cœur net. Mais pas facile d’enquêter dans le quartier où l’on a grandi, où tout le monde vous connaît, et ne veut plus forcément vous parler depuis que vous êtes passé du côté de la police.

Mon avis

« La vie est un tango, je me suis dit en la regardant, plantée là devant moi.
« La vie est un tango », disait le vieux Cundo chaque fois qu’il se saoulait la gueule.
La vie est un tango, et il nous chantait « Las Cuarenta », « Cuesta Abajo », « Uno » et « Volver »… Il nous emmenait au bar La Concha pour mettre des pièces dans le juke-box et sélectionnait des tangos, toujours plus de tangos.
La vie est un
tango. »

Avec La vie est un tango – joli titre d’ailleurs – Lorenzo Lunar nous plonge au cœur de Santa Clara, qui est d’ailleurs, davantage que Léo, le personnage principal du roman. Immersion totale dans ce quartier populaire cubain où l’on voit évoluer toutes sortes de personnes, des gens tout ce qu’il y a de plus normaux comme certains seconds rôles plus hauts en couleur. Léo, qui fait son retour au quartier après avoir travaillé des années à la capitale, retrouve avec une certaine nostalgie les lieux de sa jeunesse. Il revoit certains avec plaisir, d’autres moins. Malgré la pauvreté, le chômage, les coupures d’électricité, tout le monde essaie de poursuivre son bonhomme de chemin. Mais pour s’en sortir, il n’y a parfois pas trop d’autres choix que de prendre des voies pas tout à fait légales : prostitution occasionnelle, petits trafics en tous genres… Léo, bien conscient de la situation, ferme parfois les yeux. Mais quand il y a mort d’homme, pas question de laisser le crime impuni.

« Aujourd’hui, c’est dimanche.
Il y a on va dire un certain temps, quand j’étais encore môme, les dimanches avaient un autre parfum. Peut-être parce qu’alors je me levais plus tard, quand le soleil était déjà bien haut. Ou simplement parce que c’était diman
che. […]
Mais y a plus de dimanche.
Y’a plus qu’un jour insupportable qui suit un samedi de galères en tout genre et qui précède toujours un détestable lundi. Un jour de scandales et de bagarres dans le quartier. De musique dansante, volume à fond, qui t’explose les tympans, tout ça parce que tu ne peux pas bouger de ton poste à côté du fut de bière et qu’ils t’ont mis les enceintes juste au-dessus de la tête. Torture chinoise.
Jour de cuites, de crises de nerf, de coups de couteau.
Jour de promenade et de détente pour ceux qui peuvent s’offrir ce luxe.
Pour moi, le plus pourri des jours de boulot. […]
C’est dimanche et j’ai comme l’impression que cette journée, je vais jamais en voir le bout.
C’est dimanche. Il est trois heures de l’après-midi, l’heure à laquelle ils ont dézingué Lola, l’heure où les enfants sont trop lourds à porter, l’heure où t’arrives à rien. Il est trois heures de l’après-midi : la pire heure, le dimanch
e. […]
Il fait chaud et je demande à Dieu que, s’il vous plaît, il ne se passe rien, que tout reste calme, que personne ne vienne raconter à Franck le Porc que sa femme le trompe.
Que Lobo ne s’envoie pas un pétard de marijuana et ne se défoule pas sur le premier clampin venu.
Que Gordillo paye les vingt pesos qu’il doit à Felipe le Gro
s Cul…
Qu’il ne se passe rien, bordel.
C’est dimanche, je crève de soif, de chaud, j’ai une sale gueule et j’ai envie de tout envoyer chier, et de préférence le jour où je suis entré dans la police. »

Bien que ce roman n’ait pas les caractéristiques d’un page-turner, on ne s’ennuie pas, pour peu qu’on accepte de se laisser embarquer. Au rythme de Santa Clara, entouré de ses paysages, ses bruits, ses odeurs, on suit Léo et son enquête, laquelle va l’amener à découvrir des vérités que d’aucuns avaient tout intérêt à garder secrètes.

A mille lieues du thriller effréné, Lorenzo Lunar nous offre avec La vie est un tango un agréable séjour à Cuba, et un fort beau roman. Une plume à suivre.

La vie est un tango (La vida es un tango, 2005), de Lorenzo Lunar, Asphalte (2013). Traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy, 176 pages.

Chamamé est un roman noir de l’Argentin Leonardo Oyola, le second traduit en français après Golgotha, toujours chez Asphalte.

Résumé

Perro Lascano et son ami Noé, un fou de Dieu qui s’autoproclame pasteur, se connaissent depuis longtemps. Ils se sont rencontrés en prison et font depuis des affaires ensemble, pas très légales bien sûr les affaires : braquages, enlèvements… Dans le milieu de la pègre locale, ils sont respectés et tout va bien pour eux, merci. Enfin, ça, c’était avant que Frère Noé trahisse son compadre. Depuis, Lascano n’a plus qu’une idée en tête, retrouver son ex-complice, régler ses comptes, et pourquoi pas lui régler son compte.

Mon avis

Le moins qu’on puisse dire est que l’action ne manque pas dans Chamamé, titre pour lequel Leonardo Oyola a reçu en 2008 le prix Dashiell Hammett de la Semana Negra, récompensant le meilleur roman noir écrit en espagnol. L’auteur argentin nous offre deux cents pages de chasse à l’homme virile et furieuse, avec quelques scènes de castagne mémorables au passage – on imagine facilement une adaptation sur grand écran façon Robert Rodriguez.

L’écriture, au service de l’action avant tout, ne s’embarrasse pas de fioritures : les phrases sont souvent courtes et vont à l’essentiel. Le tout est entrecoupé de nombreux flashbacks concernant Perro et Noé et permettant de mieux cerner le comportement de ces deux delincuentes aux tempéraments finalement bien différents.

Un bon son poussé à fond dans la voiture, une pièce dans le juke-box du bar, une ritournelle dans le crâne : la musique est omniprésente, y compris dans les dialogues, et autant dire que c’est plutôt rock&roll. On retrouve en fin d’ouvrage les références de tous les morceaux évoqués et l’auteur propose également une playlist personnelle, pour qui souhaite lire en musique.

Si on l’avait déjà entrevu avec Golgotha (écrit après cet opus, bien que paru en France avant), Leonardo Oyola confirme avec Chamamé qu’il possède un réel talent de conteur. Il parvient à embarquer son lecteur en quelques phrases pour ne plus le lâcher en route jusqu’au terminus. On est bien loin ici des enquêtes de Miss Marple, et les bandidos tournent plutôt à la tequila qu’à la cup of tea, aussi ce type de roman ne plaira sans doute pas à tous les publics. Maintenant, si vous aimez les fictions où la castagne et la testostérone règnent en maître, y a pas de tromperie sur la marchandise, c’est de la bonne came.


Chamamé (Chamamé, 2007) de Leonardo Oyola, Asphalte (2012). Traduit de l’espagnol (Argentine)  par Olivier Hamilton, 216 pages.

Plus léger que l’air (Más liviano que el aire, en VO espagnole) est un roman de Federico Jeanmaire publié en 2011 aux éditions Joëlle Losfeld. Bien qu’il ne soit pas à son coup d’essai – une vingtaine de ses romans sont parus en Argentine – c’est le premier titre de l’auteur a être traduit en français.

https://i0.wp.com/polars.pourpres.net/img/uploads/410qROkkZ6L._SL500_.jpgRésumé

Une vieille dame allant sur ses quatre-vingt-quatorze ans se fait agresser au pied de son immeuble par un adolescent. Ce dernier la contraint à le mener vers son appartement, où il pense pouvoir lui soutirer facilement ses bas de laine. C’est sans compter sur la roublardise de la nonagénaire, qui parvient à enfermer le jeune voleur dans la salle de bains. Elle lui « propose » (« impose » serait sans doute plus juste) ensuite d’écouter l’histoire de sa vie, en échange de quoi elle consentira peut-être à le libérer.

Mon avis

Dès les premières phrases, Plus léger que l’air frappe par son originalité. Le récit n’est qu’un long monologue de la vieille femme – un peu plus de deux-cents pages – qui raconte sa vie et celle de sa mère au jeune homme, lequel n’a d’autre choix que de l’écouter. Elle apostrophe de temps à autre le délinquant, rendu comme muet par sa geôlière – et par la narration.

« Pourquoi vous aurais-je remis mes économies ? Simplement parce que vous risquiez de me tuer avec ce couteau, ce poignard ou je ne sais quelle arme blanche que vous m’enfonciez dans le dos ?

Non. Certainement pas. Ce n’est pas ma faute. Si vous vous donniez la peine de réfléchir, vous vous apercevrez que vous avez commis pas mal d’erreurs, dont une assez grave : vous croyez que la vie est aussi précieuse à mon âge, quatre-vingt treize ans, qu’au vôtre, qui doit être de quinze ou seize ans ?
Vous avez quatorze ans ?
C’est encore pire.

Pour moi, la vie ne vaut plus rien. Il m’est presque égal de mourir aujourd’hui d’un coup de couteau dans le dos que plus tard, à un moment qui ne saurait tarder, je ne pense pas qu’il me reste beaucoup à vivre, d’une pneumonie ou d’une mauvaise chute dans la baignoire. C’est du pareil au même. Voilà pourquoi je vous ai dupé. Si j’avais raté mon coup, je serais morte à l’heure qu’il est et je ne ferais déjà plus partie de ce monde. Et si ça marchait, ce qui a été le cas dès que vous m’avez tourné le dos pour fouiller dans l’armoire à pharmacie, j’avais l’intention de vous enfermer à double tour dans cette salle de bains, ce que j’ai fait et ce qui me permet à présent d’avoir quelqu’un à qui raconter l’histoire de ma mère ou n’importe quoi d’autre, ce qui me passe par la tête. Vous vouliez me voler mon argent et, au bout du compte, c’est moi qui vous vole votre temps.

Oui, oui, libre à vous de protester, mais comme on dit chez nous, voler un larron, c’est cent ans de pardon. »

Bien qu’elle tienne plus du dialogue de sourds ou du monologue qu’autre chose – la porte close de la salle de bain ne facilite sans doute pas l’échange – on peut dire qu’une sorte de « relation » s’installe entre les deux personnages au fil des jours (la vieille dame glisse des biscuits sous la porte pour que l’adolescent ne dépérisse pas). D’abord clairement victime, l’aïeule prend peu à peu la mesure de son « adversaire ». Le rapport de force s’inverse et, situation aidant, elle en vient à le dominer.

D’humeur changeante, la vieille dame, tout sucre tout miel au premier abord, compare son prisonnier au petit-fils qu’elle n’a jamais eu, avant de faire montre par moments d’une grande autorité, voire d’une certaine cruauté.

Plus léger que l’air – pas vraiment un polar d’ailleurs, bien qu’il ait fait partie d’une sélection du Prix SNCF du polar – est un exercice de style original, un pari osé mais somme toute plutôt réussi. En imaginant ce huis-clos, Federico Jeanmaire a fait la part belle à la psychologie des personnages, sans pour autant oublier d’instiller une petite dose de suspense dans son récit.


Plus léger que l’air (Más liviano que el aire, 2009) de Federico Jeanmaire, Joëlle Losfeld (2011). Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 221 pages.

Golgotha est un court roman noir de l’Argentin Leonardo Oyola. S’il s’agit du premier de ses romans à être traduit en français, il n’a pas commencé avec celui-ci (qui est son quatrième si je ne m’abuse).

 

 

GolgothaRésumé

 

Villa Scasso, un quartier pauvre à l’ouest de Buenos Aires.
Olivia, quinze ans, décède des suites d’une infection après qu’une faiseuse d’anges lui ai fait perdre l’enfant qu’elle ne désirait pas avoir. Magui, désespérée par la disparition de sa fille unique, accroche une corde à linge à un arbre du jardin et décide de la rejoindre.
Román Calavera, un jeune policier originaire du quartier, qui a bien connu Magui, ne peut pas laisser passer ça. Pour lui, ce double drame est l’œuvre d’un seul coupable, celui qui a osé mettre enceinte l’adolescente. Son collègue Lagarto a beau essayer de calmer ses ardeurs vengeresses, Calavera est bien décidé à faire payer cher à cet homme la mort des deux femmes.

 

 

Mon avis

« Il n’y a aucun dossier et aucun nom. Car il n’y a aucune trace des évènements. Officiellement, il n’y a pas d’affaire. Il ne s’est rien passé. Ce que je vais vous raconter n’est jamais sorti dans la presse. Personne n’est au courant de rien.

En théorie.

L’expérience nous enseigne que lorsque les gens se taisent, c’est parce que quelque chose vient d’arriver.

Quelque chose de grosso. Quelque chose de malsain. »

Carlos Salem, lui aussi argentin et auteur de romans noirs – on lui doit notamment Aller simple et Nager sans se mouiller – introduit dans son excellente préface le contexte de Golgotha. L’Argentine compte au bas mot dix millions de pauvres et le tango n’est qu’un cliché, tout juste bon pour vendre des cartes postales aux touristes. « La musique qui rythme et exprime la rage quotidienne de Buenos Aires, c’est le rock’n’roll. » Leonardo Oyola, par ailleurs journaliste pour la version argentine du magazine Rolling Stones, livre d’ailleurs en fin de roman une playlist pour le moins rock’n’roll.

Scasso est l’une des nombreuses villas miseria qui entourent la capitale (ces villas, équivalentes argentines des favellas brésiliennes sont nées après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des milliers de ruraux ont rejoint la ville pour trouver du travail et se sont retrouvés confrontés à des problèmes de logement). Pour en sortir, il faut toucher le ballon comme Maradona… ou devenir policier. Leonardo Oyola, lui aussi natif de Buenos Aires, a eu pour sa part « la chance de naître avec deux pieds gauches », ce qui l’a poussé à suivre des études puis à écrire (on lui doit notamment Chamamé, qui a reçu à l’occasion de la Semana Negra 2008 le prix Dashiel Hammett du meilleur roman noir écrit en espagnol).

 

« Le sang appelle le sang. C’est un fait avéré aux quatre coins du monde. C’est comme ça. Point. C’est une escalade. Il faut montrer jusqu’où on est capable d’aller. Au début, c’est toujours un règlement de compte qui finit par un concours de celui qui a la plus grosse. »

À Scasso comme dans les autres villas, on survit plus généralement en faisant dans la délinquance. On raconte d’ailleurs que si les pasillos (les ruelles) y sont si étroites, c’est pour que les voitures de patrouille ne puissent pas y circuler. C’est au San Cayetano – un bar du quartier surnommé par les habitants le « Tiens-moi le gamin », du fait que le patron devait souvent se débarrasser de son enfant pour aller séparer les belligérants alcoolisés – que Lagarto, le policier-narrateur de Golgotha, a élu domicile. S’il a beau être conscient de se trouver sur la mauvaise pente, il ne peut se résoudre à abandonner à son triste sort son collègue Calavera, lequel semble bien décidé à supprimer cet homme qui l’obnubile. Les deux flics ont d’ailleurs tout intérêt à bien s’entendre mais aussi avec tous leurs collègues tant les habitants du quartier sont hostiles aux patas negras, ces policiers au salaire de misère à qui il reste à peine de quoi s’acheter des chaussures à la fin du mois.

« Les gens prudents et vindicatifs pensent que la vengeance est un plat qui se mange froid ; un conseil auquel Calavera n’a pas vraiment prêté attention. Román ne s’était pas seulement brûlé les mains, il s’était étouffé en se goinfrant avec un truc qui sortait tout juste du four. »

Avec Golgotha, court roman noir – le récit compte à peine plus de cent trente pages –, Leonardo Oyola nous propose tout à la fois une sombre histoire de vengeance et une plongée dans les bas-fonds de Buenos Aires. Un texte fort et âpre mais non dénué d’une certaine beauté.

 


Golgotha (Gólgota, 2008) de Leonardo Oyola, Asphalte (2011). Traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton, 138 pages.

Mezquite road, du Mexicain Gabriel Trujillo Muñoz est la quatrième enquête de l’avocat Morgado,  après Tijuana City Blues (voir ici-même), Loverboy et Mexicali City Blues.
C’est toujours chez l’éditeur québécois Les Allusifs (collection « ¾ Polar »), autrement dit plutôt cher  malheureusement (12,50 € les 160 pages) mais très bon. De plus l’objet-livre est magnifique et donne tout de suite envie de s’y plonger : couverture très esthétique (ça rend vraiment mieux en vrai), format de quatrième original, papier de qualité…
Comme le précédent du même auteur, je lis ce roman dans le cadre de l’opération Masse Critique organisée par le site Babelio.

mezquiteroadRésumé

Des années après l’avoir quittée, Miguel Angel Morgado retrouve à l’occasion d’une affaire la ville de Mexicali, celle-là même qui l’a vu grandir.
Il est contacté par Atanasio, l’un des ses meilleurs amis, qui voudrait voir l’avocat enquêter sur la mort d’un autre ami, accro au jeu et retrouvé mort dans un hôtel minable, de la cocaïne avec lui. Certaine que la poudre blanche a été mise là pour l’incriminer, la veuve de la victime, qui aimerait bien le venger, demande à Morgado de découvrir qui l’a tué, et pourquoi.

Mon avis

« Morgado ne prêta guère attention à l’avertissement. Dans son esprit miroitaient alors de vieilles images douloureuses du labyrinthe de fausses pistes et d’impasses qu’était devenue sa dernière enquête à Mexico, dans laquelle la bureaucratie policière n’avait cessé de faire obstruction à ses recherches. Le cas qui le préoccupait à présent était très différent, bien sûr, mais non sans points communs avec cette autre affaire. Ici, la victime n’était pas une personnalité, comme là-bas, mais un individu ordinaire, avec de rares qualités et de gros défauts, qui n’avait rien d’héroïque, n’était pas connu. Mais comme à Mexico, Morgado retrouvait des acteurs qui échappaient à la loi, une justice qui n’en était pas une, et la violence comme seul recours. « Arrête de raisonner en avocat, se dit-il, tu n’es pas à une table ronde sur les droits de l’homme mais dans la réalité. Où il y n’y a aucun droit qui vaille. Seulement des crimes irrésolus. » »

Morgado, rencontré tout d’abord dans Tijuana City Blues, est de retour dans ce qui est ici sa quatrième enquête. L’avocat, détective à ses heures perdues, est toujours un ardent défenseur des droits de l’Homme et travaille maintenant avec Amnesty International, ce qui n’est pas pour plaire à tout le monde.

« Il dut se rendre à l’évidence : à Mexicali, la vie était plus qu’ailleurs précaire, hâtive et saisonnière, et pas à cause de la chaleur extrême. « Une décharge d’électricité, songea-t-il. Un temps compact à l’extrême. Cette ville a plus évolué en un siècle que d’autres en mille ans. Ses habitants ressemblent à des lévriers de course. Ils foncent derrière un lièvre qu’ils ne pourront jamais rattraper, un lièvre qui représente les rêves de tout un chacun : l’argent facile, le pouvoir d’achat, les offres d’emploi, chimères qui deviennent parfois réelles, mais ont alors, pour la plupart, la vie trop brève. Ici, les cycles s’accomplissent en un instant. »
En s’arrêtant à un carrefour, il eut l’impression de faire corps avec la foule des touristes gringos, des bonimenteurs sans lendemain, des marchands ambulants et des péripatéticiennes, des policiers impuissants ou corrompus, des Mixtèques implorants, des musiciens des rues souriants, des mendiants aveugles, des Chinois impassibles et des prédicateurs de la vieille bonne nouvelle ; de faire corps avec ce cirque de fauves domptés et de dompteurs plus féroces les uns que les autres en train de fermenter, mêlés, dans le même bouillon de culture. »

Comme dans ses précédents romans, Gabriel Trujillo Muñoz excelle dans les descriptions du Mexique, et plus encore dans celles de la frontière et de Mexicali, sa ville natale, où il est aujourd’hui professeur d’université… comme le personnage d’Atanasio.

« – Et tu donnes des cours, aujourd’hui ?
– J’ai quelques recherches à faire et je donne des cours, oui. Si j’expliquais à mes élèves comment on prépare un cocktail Molotov, ils seraient les premiers à me faire envoyer à l’asile ou en prison. Les temps héroïques révolutionnaires sont révolus. Aujourd’hui, plus personne ne rêve, Morgado. On ne pense qu’à la réussite, à s’en mettre plein les poches. Les jeunes d’aujourd’hui sont pragmatiques. Ils veulent du fric pour consommer, avoir un statut social, profiter…
– La rébellion est encore vivante, Atanasio, ne sois pas pessimiste. Elle emprunte seulement d’autres chemins. »

Ce dernier et l’avocat, amis de jeunesse, ayant combattu ensemble pour leur idéal politique, l’anarchisme, ne peuvent que constater les dégâts, observant ce qu’est devenu le Mexique d’aujourd’hui. Corruption des autorités, criminalité galopante, rapports conflictuels avec le voisin… : désabusés, et voyant leurs rêves de révolution s’éloigner, les deux hommes se contentent alors de refaire le monde.
L’intrigue, quant à elle, est de bon niveau, avec ce qu’il faut d’action et de rebondissements pour tenir le lecteur en haleine.

Dans la continuité des précédentes enquêtes de Morgado, Trujillo Muñoz poursuit avec Mezquite Road l’élaboration cohérente d’un cycle de grande qualité sur le Mexique d’aujourd’hui. Plus long, mais aussi plus abouti, ce roman noir allie intelligence du propos, écriture de talent et intrigue de qualité. Il n’y a plus qu’à espérer avoir des nouvelles de Morgado…

Anecdote personnelle : je lis assez souvent en musique, avec ce qui me tombe sous la main, généralement pris en bibliothèque, et au petit bonheur la chance. Ce coup-ci, je me mets comme fond sonore l’album « Freedom » de Neil Young (1989). Arrivé à l’avant-dernière chanson, les personnages du roman, parmi lesquels Morgado, se mettent à entonner le refrain de « Rockin’ in the Free World », du même Neil Young, chanson qui se trouve être… la piste suivante de l’album !! A deux minutes près, des personnages de romans chantaient « en direct » ce que j’écoutais. Et tout ça dans le hasard le plus total. Au niveau des probabilités que ce genre de chose arrive, va falloir m’expliquer là ! J’ai encore du mal à m’en remettre…

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Mezquite Road (Mezquite Road, 2006) de Gabriel Trujillo Muñoz (Les allusifs/ ¾ polar, 2009). Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli (161 pages).

Tijuana city blues est un court roman de l’auteur mexicain Gabriel Trujillo Muñoz, publié en français par Les allusifs, une maison d’édition québecoise.

Résumé

Miguel Angel Morgado est un avocat assez réputé à Mexico, surtout pour sa défense des droits de l’homme. Son bureau est en plein chantier et l’un des charpentiers insiste pour le voir en privé. Blondie – c’est son nom – demande alors une faveur à l’avocat : partir sur la piste de son père, disparu subitement à Tijuana en 1951 à la suite, semble-t-il, d’une affaire suspecte à laquelle la drogue ne serait pas étrangère. Morgado va devoir remonter le temps pour résoudre son enquête.

Mon avis

–    Ecoutez maître, dit Leobardo sans se départir de son air austère, à Tijuana, les agressions, les vendettas, les règlements de compte, les crimes sordides, passionnels ou corporatifs sont monnaie courante. Ça ne date pas d’hier. Depuis la fondation de notre bien-aimé trou-à-rats, il en est toujours allé ainsi. Mais, vous êtes bien placé pour le savoir, il y a crime et crime. Ceux qui apparaissent au grand jour tels qu’ils se sont produits, et ceux qui restent dans l’ombre mais sont connus de tous et dont tout le monde parle. Vous me suivez ?

Moins de cent pages pour un roman ?! Pari risqué pourrait-on se dire. Tijuana city blues n’est pourtant ni une nouvelle tirant en longueur ni un roman au rabais : le défi est relevé, et avec la manière.
Le format contraint quelque peu Gabriel Trujillo Muñoz à aller à l’essentiel, ce qui est appréciable, mais ne l’empêche pas cependant de trouver le temps de faire vivre son roman.

–    Combien de temps a-t-il passé en taule ?
–    Je ne sais pas. C’est pour ça que je t’ai filé le bouquin. Mais j’ai l’impression qu’il n’y est pas resté longtemps. Quelques semaines, ou quelques mois. Je me souviens que c’était sous la présidence de Miguel Aleman, quand le pot-de-vin était un dieu omniprésent.
–    Etait ? demanda Morgado.
Cette fois, il n’obtint pas de réponse.

Les dialogues sont travaillés et il en va de même pour les personnages, même pour les seconds couteaux – on pense à ce professeur d’université, puits de science sur l’histoire de la Basse Californie à la logorrhée facile – les portraits sont réussis. Les quelques passages descriptifs concernant Tijuana nous plongent sans mal dans un Mexique sombre mais jamais sans espoir, où la vie suit son cours quoi qu’il advienne. Il y a presque du Taibo II par moments, lorsque Trujillo Muñoz s’essaie à l’humour, non sans talent.
Si l’intrigue n’est pas des plus développées, elle est facilement parvenue à m’intéresser, de par quelques rebondissements notamment.

Attention, petit roman mais grand talent avec ce Tijuana city blues, premier opus d’une série qui se poursuit avec Loverboy et Mexicali city blues. Attendu que les romans sont aussi bons que courts, il faut signaler la sortie ce mois-ci de Mezquite Road, pour ceux qui souhaiteraient du rab de polar mexicain goûtu.

Il faut en parler :  Malheureusement pour eux et leur diffusion à un large public, ces livres sont trop chers. Les allusifs fait un travail de qualité, avec du beau papier, de belles couvertures, bref, des petits livres qu’il fait bon tenir en main. Cependant (c’est mon humble avis) cela ne justifie pas de tels prix. Chacun de ces romans (ils font tous moins de cent pages, sauf 160 pour le dernier) coûte pas moins de 12,50€, soit 50€ pour se faire la collec ! Et pour la fin de l’année, voilà qu’on nous promet un coffret contenant les quatre romans pour… 51,50€ ! Dites, le coffret doit être vraiment chouette à ce prix là !
M’enfin, personnellement, je ne vais trop me plaindre puisque j’ai reçu Tijuana city blues dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio.


Tijuana city blues (Tijuana city blues, 1999) de Gabriel Trujillo Muñoz (Les allusifs/ ¾ polar, 2009) Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli (87 pages).

Le jour où j’ai tué mon père est le premier roman du journaliste brésilien Mario Sabino.

Résumé

Le personnage principal de ce roman, dont on ne connaît jamais l’identité, décide un jour de tuer son père « comme on respire ». Ceci fait, il appelle la police et attend calmement qu’on vienne l’arrêter.
Il entreprend alors de raconter son histoire à sa psychiatre. Comme elle, le lecteur essaie alors de comprendre ce qui a pu pousser cet homme au parricide.

Mon avis

Ce premier roman m’a permis d’inaugurer la littérature noire d’un nouveau pays : le Brésil.

Il faut sans doute tout d’abord insister sur la forme vraiment particulière de ce roman. Il s’agit pour ainsi dire d’un monologue, puisque le lecteur ne connaît du meurtrier que ce qu’il veut bien confier à sa psychiatre. Les quelques autres personnages évoqués le sont uniquement par le narrateur et non identifiés autrement que par rapport à lui : sa femme, son père, sa mère. Seule exception à ce cadre : le roman inachevé qu’il a écrit avant de passer à l’acte et qu’il fait lire à sa thérapeute – et donc à nous. Celui-ci – qui scinde le livre en deux – met en scène d’autres personnages tout en faisant écho à la situation du narrateur.

« J’ai tué mon père comme on tue un insecte. Non, l’image n’est pas exacte, car, la plupart du temps, il y a irritation, sinon peur dans une action aussi banale. Excusez-moi, je divague. Il serait plus juste de dire que j’ai tué mon père comme on respire. D’une respiration régulière qui n’exige pas un grand effort pour attirer l’air jusqu’aux poumons. »

J’ai rarement vu un premier chapitre aussi incisif. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on entre tout de suite dans le vif du sujet, dans le feu de l’action. Aussi, si l’aventure vous tente plus où moins, lisez d’abord le début du roman pour faire votre choix. Vous pouvez le faire sur cette page du site de l’éditeur, Métailié pour ne pas le nommer.

J’admets par contre que dire que la suite se poursuit sur ce rythme serait mentir.
Le jour où j’ai tué mon père se résume surtout à une introspection de ce parricide, qui aborde religion, psychologie, philosophie : on est loin donc de l’action à tout va.
Le tout est cependant extrêmement bien vu de la part de l’auteur. En effet le narrateur – et Sabino derrière lui – se joue du lecteur, tantôt dit la vérité, tantôt ment. Et bien qu’on soit loin du thriller, un certain suspense est présent puisque les rebondissements existent et que petit à petit le mobile de ce parricide se fait et se défait jusqu’à la révélation finale.

Le Brésilien Mario Sabino signe avec Le jour où j’ai tué mon père un premier roman extrêmement original et abouti.



Le jour où j’ai tué mon père
, (O dia em que matei meu pai, 2004) de Mario Sabino, Métailié / Noir (2009). Traduit du portugais (Brésil) par Béatrice de Chavagnac (160 pages).