Archives de la catégorie ‘Science-Fiction / Anticipation’

La fin des hommes, premier roman de la Britannique Christina Sweeney-Baird, est paru en mars chez Gallmeister dans une traduction de Juliane Nivelt.

Résumé

Écosse, 2025.
Aux urgences de l’hôpital de Glasgow, un jeune homme s’étant présenté avec de la fièvre succombe en quelques heures. Puis un deuxième et un troisième. Rapidement, le Dr MacLean craint le pire et en avertit sa hiérarchie : selon elle, une épidémie extrêmement létale se répand et serait déjà hors de contrôle. Ses prévisions jugées alarmistes s’avèrent vite exactes à ceci près que ce qui devient bientôt une pandémie d’une ampleur inégalée ne touche que les êtres humains de sexe masculin. Bébés comme vieillards, c’est bientôt 90 % des hommes qui périssent de ce que la presse a tôt fait d’appeler le « Fléau ». Aucune femme n’en souffre directement, bien qu’il semblerait qu’elles puissent néanmoins véhiculer le virus. Rapidement, c’est l’humanité entière qui est en danger de mort et qui cherche une solution.

Mon avis

Écrit en 2019, avant la pandémie de Covid, comme il a été jugé utile de le préciser par l’auteur dans une préface ultérieure, ce récit post-apocalyptique est à la fois glaçant et curieusement familier. Christina Sweeney-Baird imagine un monde très proche du nôtre duquel quasiment tous les hommes disparaissent en quelques années. Ambitieux, ce roman choral post-apocalyptique qui se déroule sur un temps assez long est passionnant et truffé de bonnes idées. Celle de nous donner à voir évoluer une grande galerie de personnages, issus de tous horizons et évoluant aux quatre coins du globe, est intéressante. Revers de la médaille, il n’est pas aisé de s’attacher à l’un d’entre eux – ou plutôt à l’une d’entre elles tant les personnages féminins dominent – ni même parfois de s’y retrouver. Évoquant de par son sujet des pépites comme Anna (Niccolo Ammaniti) ou encore Les Dames blanches (Pierre Bordage), ce premier roman est à saluer même si l’auteure pêche peut-être un peu par facilité par moments lorsqu’elle imagine des rapports hommes/femmes totalement inversés.

Avec ce récit post-apocalyptique passionnant, la jeune Britannique Christina Sweeney-Baird fait une entrée remarquée dans l’univers des littératures de l’imaginaire. Son éditeur nous apprend qu’elle travaille à l’écriture d’un second roman, que certains lecteurs conquis attendent déjà.

La fin des hommes (The End of Men, 2021), de Christina Sweeney-Baird, Gallmeister (2022). Traduit de l’anglais par Juliane Nivelt, 480 pages.

Suréquipée est un roman de Grégoire Courtois paru chez Le Quartanier en 2015 puis en Folio/SF en 2017.

71wsrclf7ilRésumé

La Blackjag est une voiture révolutionnaire, entièrement construite à partir de matériaux organiques. Intelligente, elle s’adapte à son environnement et ne cesse d’apprendre tout au long de sa vie. Le professeur Fransen, l’un de ses créateurs, voit revenir un modèle, que la police lui a envoyé afin qu’il l’interroge. Ce modèle, l’un des tous premiers, serait la dernière « personne » à avoir vu son propriétaire, Antoine Donnat, avant qu’il disparaisse mystérieusement.
Peut-être que la mémoire synthétique de la voiture, à l’instar de la boîte noire d’un avion, pourra permettre aux forces de l’ordre de comprendre la disparition de son propriétaire.

Mon avis

Grégoire Courtois, dont c’est ici le second opus, offre à lire un roman fort original qui restera assurément en mémoire. L’interrogatoire d’une voiture intelligente qui détiendrait des informations quand à une disparition, fallait y penser. Mais l’auteur ne se contente pas de dérouler le fil d’une bonne idée, comme c’est parfois le cas. Le texte est un condensé de trouvailles et ce que Grégoire Courtois imagine au sujet de l’avenir de la recherche dans le domaine automobile fait parfois froid dans le dos tant ça paraît plausible à certains égards. Les descriptions de la Blackjag et de ses capacités, souvent inspirées du règne animal ou végétal, sont parfois très étonnantes. Les agissements des grands pontes du groupe automobile et leurs motivations sont à bien des égards glaçantes de réalisme elles aussi.

Difficile d’en dire plus sur ce court roman – moins de deux cents pages – sans trop déflorer l’intrigue, passionnante et retorse à souhait. Si vous voulez en savoir plus, le plus simple est encore de vous procurer ce texte atypique et très recommandable.

Suréquipée, de Grégoire Courtois, Le Quartanier (2015), 147 pages.
Disponible en poche en Folio/SF (2017), 176 pages.

Les Dames blanches est un roman de Pierre Bordage paru chez L’Atalante en mai 2015.

51lxcglrbzlRésumé

France, de nos jours.
Élodie habite dans les Deux-Sèvres, où elle élève seule son fils Léo, âgé de 3 ans. Un jour, une curieuse bulle blanche, assez imposante, apparaît dans un champ non loin de la maison. Élodie est curieuse mais ne s’en inquiète pas plus que ça, jusqu’à ce que Léo, comme subitement attiré par la chose, coure vers elle pour disparaître à l’intérieur. Bientôt, d’autres bulles, identiques, apparaissent aux quatre coins du globe, et d’autres enfants se font avaler par ces « Dames blanches », aussi mystérieuses que solides.

Mon avis

On ne présente plus Pierre Bordage, prolifique auteur qui figure parmi les plus grands noms des littératures de l’imaginaire en France. Touche-à-tout, il écrit aussi bien de la fantasy que du thriller – on se souvient du très bon Porteurs d’âmes, paru au Diable Vauvert en 2007 – ou, comme ici, des romans d’anticipation.

Dans cet opus, de mystérieuses bulles happent, sans qu’on ne sache ni pourquoi ni comment, des enfants ayant tous pour point commun d’avoir moins de quatre ans au moment de leur disparition. À partir de cette idée de départ, originale mais relativement simple, l’auteur nous propose un grand roman choral, riche en action et faisant parfois froid dans le dos.

Les chapitres font se succéder différents personnages et l’on découvre tour à tour, Élodie et Léo donc, puis Camille, une jeune journaliste chargée d’enquêter sur ces étranges bulles ; Lucio, un ex-légionnaire devenu artificier et chargé par le gouvernement de trouver une solution pour éradiquer ces choses manu militari ; Basile, un ufologue noir convaincu que les Dames blanches ne sont pas venues sur Terre en ennemies et qui essaie de communiquer avec elles, etc.

Tout au long de ce récit intelligent en diable qui se déroule sur plusieurs générations – bien rares sont les romans à se dérouler sur un temps aussi long, c’est dommage – l’auteur prend un malin plaisir à imaginer les réactions des uns et des autres, et notamment de nos chers gouvernants, face à ces phénomènes inexplicables. Ses trouvailles, comme la terrible loi d’Isaac bientôt promulguée par l’ONU au niveau international, sont parfois aussi atroces que malheureusement prévisibles en un sens. Mais ne dévoilons pas plus les éléments de ce superbe roman, qui mérite d’être lu par le plus grand nombre et gagnerait à se voir offrir une seconde jeunesse au format poche.

Avec Les Dames blanches, Pierre Bordage signe une fiction d’anticipation brillante qui ne peut que donner envie de poursuivre la découverte de l’œuvre riche de cet auteur talentueux aux univers parfois très différents.

Les Dames blanches, de Pierre Bordage, L’Atalante (2015), 380 pages.

004974303Espace lointain (Tolima erdvė, 2013) est un roman de Jaroslav Melnik paru chez Agullo cet été dans une traduction du lituanien de Margarita Le Borgne-Barakauskaité.


Résumé

Mégapolis, XVIIe unité temporelle, secteur 8.
Gabr est content de sa vie. Il a une petite amie attentionnée, un travail, etc. Comme nombre de citoyens, il aime se rendre aux oasis de détente, écouter des films et participer aux réunions de quartier.
Seulement, un beau jour, il est pris subitement de ce qui lui semble être des hallucinations. Et son monde s’écroule…

Mon avis

Gabr est rapidement poussé à passer des examens complémentaires. On lui diagnostique une maladie rare, la psychose de l’espace lointain. Autrement dit, il s’avère que Gabr a « retrouvé » la vue dans une société où les gens sont aveugles depuis des générations. On lui explique qu’avec la pose de scellés oculaires et quelques injections de bicefrasole, sa vie pourra reprendre son cours normal. Gabr se rend vite compte que le retour à sa vie d’avant ne va pas aller de soi. Mais va-t-on seulement lui en laisser le choix ?

À Mégapolis, les gens vivent et se meuvent dans l’espace proche, guidés jour et nuit par des capteurs acoustiques réglés sur les fréquences émises par les phares acoustiques, eux-même gérés par l’État. Ils se déplacent à pied, en wagon magnétique ou, plus exceptionnellement, en hélicoplane.

Ayant malgré lui « ouvert les yeux » sur cette société, Gabr prend de fait un recul que les autres n’ont pas. Sa ville est moche, sa maison est moche, les gens sont moches. Sa vie, visiblement bâtie sur le mensonge, prend une tournure qui le dépasse. Devenu à ses yeux potentiellement dangereux, le Ministère du Contrôle souhaite qu’il accepte de se faire soigner tandis qu’un homme mystérieux essaie par tous les moyens de le gagner à sa cause. Il serait le « Voyant » que lui et ses semblables attendent depuis si longtemps.
On a vu des livres avec des idées de départ brillantes mais maladroitement exploitées.

Parfois, on se dit que d’autres auteurs, avec la même idée, auraient sans doute fait mieux. Ici, il n’en est rien. Le point initial du roman est exceptionnellement intéressant, et le traitement qu’en fait Jaroslav Melnik est à la hauteur. Et quelle hauteur !
Espace lointain est un de ces trop rares romans qui vivent avec le lecteur bien après la dernière page tournée. Passionnant du début à la fin, intelligent en diable, le texte pose bien plus de questions qu’il n’apporte de réponses et fait réfléchir autant, si ce n’est plus, qu’un quelconque traité de philosophie.

On se met aisément à la place de Gabr, personnage de prime abord un peu candide, que sa prise de conscience va amener à changer aussi rapidement que radicalement. Puis l’on se surprend vite à stresser, presque autant que lui, dans les moments de panique qui ne manquent pas.

La narration mise en place par Jaroslav Melnik est une machinerie d’une redoutable efficacité, les chapitres étant judicieusement entrecoupés de coupures de presse, d’extraits de livres « interdits » (rangés, hors de portée, dans les rayonnages des Archives centrales du Ministère du Contrôle), ou encore de définitions de concepts curieux pour les habitants de Mégapolis : beauté, apparence, nudité, mer…

Espace lointain est un roman exceptionnel, un texte comme on en lit trop peu. Un concentré d’intelligence, d’action et de beauté… Certains passages, magnifiques, resteront sans aucun doute longtemps en mémoire comme ce moment d’épiphanie où Gabr découvre la mer et les oiseaux.
De la grande littérature. Vous pouvez y aller les yeux fermés. Enfin, pas trop !

Espace lointain (Tolima erdvė, 2013), Jaroslav Melnik, Agullo / Fiction (2017). Traduit du lituanien par Margarita Le Borgne-Barakauskaité, 320 pages.

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids Dream of Electric Sheep ?) est un roman de science-fiction de Philip Kindred Dick publié en 1968 aux États-Unis. Il a fallu attendre 1976 pour que la traduction française, signée Serge Quadruppani, paraisse aux Éditions Champ Libre.

L’histoire de ce roman est connue du grand public de par l’adaptation qui en a été faite pour le cinéma par Ridley Scott sous le titre Blade Runner, avec Harrisson Ford dans le rôle de Rick Deckard.

 Résumé

Dans un futur plus ou moins proche, en 1992 (rappelons que le livre a été écrit dans les années 1960) Rick Deckard gagne sa vie en éliminant les androïdes, ces êtres venus d’ailleurs essayant de se faire leur place sur la planète Terre – où leur présence est interdite – en se faisant passer pour des humains. Son rêve le plus grand serait de pouvoir s’offrir, ainsi qu’à sa femme, un animal vivant, lesquels sont devenus rares et hors de prix, et non plus une imitation électrique.

Lorsque l’un de ses collègue, réputé pour être le meilleur chasseur d’androïdes, se retrouve hospitalisé et que son supérieur lui propose alors sa mission en cours, à savoir éradiquer six Nexus 6, les androïdes les plus sophistiqués, et donc dangereux, Rick accepte de suite le contrat. S’il réussit la mission, il pourra peut-être enfin s’acheter un vrai animal.

Mon avis

Cela faisait bien longtemps que je voulais découvrir l’œuvre de Philip K. Dick, considéré par beaucoup comme l’un des plus grands noms de la SF, et plus particulièrement ce texte. Ça me permettra aussi de pouvoir regarder le film – oui, j’ai (entre autres) une maladie : lorsque je sais qu’un film est issu d’un livre, je ne peux pas le regarder sans avoir lu l’original auparavant.

« Il resta longtemps à contempler la chouette assoupie sur son perchoir. Des milliers d’idées se bousculaient dans son esprit, sur la guerre, sur le jour où les chouettes avaient commencé à tomber du ciel. Il se souvenait de l’annonce quotidienne de l’extinction de nouvelles espèces dans les journaux quand il était enfant. Un matin c’était les renards, le lendemain les blaireaux. Jusqu’à ce que les gens aient fini par se lasser. Alors on avait cessé de lire ces faire-part zoologiques.
Il songea encore au besoin qu’il éprouvait de posséder un animal vivant, à la véritable haine qu’il commençait à ressentir pour son mouton électrique qu’il entourait d’autant de soins que s’il avait été vivant. « Comme les objets sont tyranniques, pensa-t-il. Ce truc ne sait même pas que j’existe. Comme les androïdes, il est incapable de se rendre compte de l’existence des autres. » Il n’y avait jamais songé auparavant – à cette similitude entre les animaux électriques et les andro. « L’animal électrique, se dit-il pourrait être considéré comme une espèce inférieure de robot. Ou encore, l’androïde pouvait passer pour une forme particulièrement perfectionnée et complexe d’animal électrique. » Ces deux points de vue le répugnèrent. »

Le monde imaginé par Philip K. Dick est intéressant. Les animaux ont quasiment disparu, de nombreuses espèces étant d’ores et déjà éteintes, à cause d’une terrible poussière radioactive (on ne sait pas vraiment ce qui est arrivé, une guerre apparemment). Les humains quittent quant à eux pour la plupart la Terre pour d’autres planètes. Le gouvernement pousse d’ailleurs les gens à partir et ceux qui restent – comme Deckard et sa femme – le font parce qu’ils le veulent vraiment.

L’aspect chasse/intrigue est réussi et riche en suspense, ce qui fait qu’on ne s’ennuie pas. L’action est présente et quelques rebondissements sont fort intéressants. À ce niveau-là, ce roman partage bien des points communs avec le polar/thriller, et l’on comprend aisément qu’il ait connu le succès sur grand écran.

Le personnage de Rick Deckard, qui semble a priori quelqu’un de sûr de lui, mais dont on découvre peu à peu qu’il ne vit en fait que dans l’incertitude, et même dans le doute existentiel par rapport à de nombreuses choses – son mouton électrique, sa femme, le mercerisme… – est bien plus intéressant au final que ne le laissait présager les premières pages.

Par certains de ses sujets, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? est aussi un livre qui amène à réfléchir un tant soi peu. Je pense notamment à la question du mercerisme où à l’émission de télé de l’Ami Buster. Si l’on prend un peu le temps, les parallèles avec notre monde actuel se dessinent, avec les questionnements qui vont avec. Rien qu’à ce niveau-là, ce roman est un de ceux dont on sait en le refermant qu’il mérite une seconde lecture.

Pas mécontent du tout d’être enfin entré dans l’univers de Philip K. Dick. Ça m’a plu et je pense que je ne m’arrêterai donc pas là. En attendant, je vais regarder Blade Runner d’ici peu…


Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids Dream of Electric Sheep ?, 1968), de Philip K. Dick, Champ Libre (1976). Traduit de l’américain par Serge Quadruppani.
Lu en poche, chez Lattès dans la collection Titres SF, édition de 1979, 245 pages.

Narcose est un roman de Jacques Barbéry, initialement paru en 1989 chez Denoël (collection « Présence du futur »).
En 2008, il est réédité dans une version augmentée par les éditions La Volte, avec un CD  de la bande originale du livre (intitulé Une soirée au Lemno’s Club), également signé Jacques Barbéri.
Narcose est le premier roman d’un triptyque : suivent La mémoire du crime (paru en février) et Le tueur venu du Centaure (à paraître en 2010).

Résumé

Narcose, ville-rêve… Anton Orosco, artiste de la magouille, doit fuir. Son salut passe par l’extrados, la zone urbaine des marginaux peuplée par une faune étrange, décalée, où les lolitrans croisent des humains à tête d’animal. Mais se cacher est inutile. Autant changer de corps. En s’embarquant dans une course à la chirurgie plastique, Anton ne pensait pas finir dans la peau d’un lapin. Ni rencontrer Célia, l’adolescente mystérieuse capable de franchir l’envers du décor. Bourré d’amphécafé et de scotch-benzédrine, Anton traverse à toute allure un univers grouillant et instable. En quête d’une issue. D’un plancher tangible. Car à Narcose, lorsqu’on tombe, c’est peut-être le sol qui monte.

Mon avis

Comme certains d’entre vous ont peut-être pu le deviner d’après le grand nombre de chroniques se trouvant dans la rubrique SF, je ne suis pas très attiré par ce genre.
Si j’ai lu Wells, Bradbury, Orwell ou encore Huxley (quand même, faut pas pousser non plus !), ma culture SF – peut-être devrais-je dire mon inculture ? – s’arrête à peu près là (pour ce que j’ai lu en tout cas).
De temps en temps, sur conseil, il m’arrive d’en lire, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je suis rarement déçu.

C’est donc suite à l’excellent article de Laurent Leleu (merci à lui pour le conseil) paru dans le dernier numéro du non moins excellent L’indic (merci à eux) que j’ai découvert Jacques Barbéri.

« Il malaxe nerveusement un écran-mouchoir, qu’il étale brutalement devant lui… Encore vint minutes. Vint interminables minutes avant de savoir s’il va faire l’objet d’une mise en examen… Il repense au visage cadavérique du juge d’instruction, les veines probablement récurées au Chupabomber ou à la mélasse lysergique. Un accro de première bourre, friand de dessous de table qu’il n’a lui-même pas su honorer. Son avocat a fait des pieds et des mains – bien qu’il en soit dépourvu, en tant que membre de la congrégation des stigmatisés – pour obtenir un non-lieu anticipé, sans succès. Pour rester dans les formules douteuses, il n’a pas eu le bras assez long. Et maintenant son devenir ne tient plus qu’à un fil. Il soupire en avalant cul sec une éprouvette d’Amphécafé, la dixième de la matinée[…] »

Narcose, c’est un concentré d’inventions en tout genres, au niveau des êtres vivants, des moyens de transport, des objets, de la ville, bref, d’un univers tout entier.
C’est souvent ce qui me fait perdre pied en SF : quand il y a trop d’inventions à ingurgiter, je n’assimile pas, c’est indigeste (suivent alors ballonnements voire nausées). Et pourtant, ici, malgré les délires permanents de l’auteur (y a qu’à voir le concert de rodéomethatrombix du musicien Cornélicius en fin de roman) j’ai vraiment accroché.

« Il fait la manche en face du Jungle Beer. Recueille de quoi s’acheter un sandwich de Gmorl ou un cornet d’encornets, dort sur des cartons et pleure. Durant les longues heures d’attente et de vide, assis en tailleur sur le béton froid, bercé par le cliquetis des pièces percutant le sol, il se demande parfois comment il a pu en arriver là. Mais lorsqu’il gigote à la lisière du sommeil, le carton crissant contre son dos, la fraîcheur de la nuit picorant sa peau nue, il navigue dans son passé et constat qu’il n’y a vraiment rien à en tirer. Qu’il ne pouvait pas atterrir ailleurs qu’ici. Dans un corps d’emprunt, amoché et repoussant, sans avenir et surtout sans espoir. Il ne sait même pas s’il hait suffisamment Lion pour désirer le tuer, mais se rend bien compte que s’il pouvait répondre par la négative à cette question, il n’aurait plus qu’à se laisser mourir sur le champ.
Il entretient donc sa haine. »

Pourquoi ais-je accroché alors? L’explication me paraît assez simple. Parce que c’est bien écrit tout d’abord. Et aussi parce que Barbéri ne craint pas le mélange des genres et que ce roman (et le second plus encore apparemment) emprunte beaucoup aux codes du roman noir.
Anton Orosco, le héros de ce roman, fuit en permanence les emmerdes. Ce magouilleur invétéré a fini par se faire pincer et doit se faire discret s’il ne veut pas passer les prochaines années sur une planète qui semble avoir tout du bagne.
Ce brave Anton est véritablement accroc à l’amphécafé et tient plutôt bien le scotch-benzédrine. De plus, les femmes (ou ce qui y ressemble dans cet univers déjanté) ne sont pas sans lui faire de l’effet.
Pour se faire oublier, Anton erre dans l’extrados, sorte de ghetto de Narcose où alcool, drogue et prostitution sont facilement disponibles.
Assez rapidement vient s’ajouter une histoire de vengeance, qui ajoutée à la fuite d’Anton fournit un suspense appréciable.
Barbéri fait également des clins d’œil, que j’ai parfois pu déceler (à Alice au pays des merveilles, à Star Trek) et parfois non (à Philip K. Dick aussi apparemment, mais comme je ne l’ai pas lu – oui je sais c’est pas bien !).

La lecture de ce bon roman est rendue plus agréable encore par l’ambiance musicale fournie en complément. C’est assez expérimental (ça ne plaira pas forcément à tous) mais j’ai trouvé ça sympa et bien fait. Barbéri est aussi un bon saxophoniste (il joue dans la formation Palo Alto) et certains morceaux sont très bons (je pense à la 8e piste, nommée Gay tapant, notamment). Vous pouvez en écouter certains sur ce Myspace.

Au final, un bon moment de lecture que je conseille à ceux qui ne sont pas allergiques à la SF, ou à ceux qui comme moi essaient de se soigner.


Narcose de Jacques Barbéri, Éditions La Volte (2008), 200 pages.

Porteurs d’âmes est un roman de Pierre Bordage, grand auteur de science-fiction français.
Ce roman est vraiment difficile à classer, tant il emprunte à de nombreux genres : polar, science-fiction, roman d’amour…

Ce roman fait partie de la sélection automnale du Prix SNCF du Polar 2007 dans la catégorie Polars français.

9782846261333Résumé

Léonie, achetée enfant au Liberia, séquestrée, prostituée, s’enfuit à vingt ans de son enfer pour se retrouver clandestine et sans papiers dans les rues de Paris. Edmé, inspecteur désenchanté à la Crim’, déprimé par tes violences, la misère et le cynisme qu’il côtoie chaque jour, découvre un étrange charnier dans la Marne. Cyrian, fils de famille en mal de raisons de vivre, se prête à un voyage expérimental d’un genre nouveau, pour trouver le frisson de l’extrême : le transfert de l’âme dans un corps d’emprunt. Leur point commun ? Tous trois sont porteurs d’âmes, comme tous les êtres humains. Mais parfois les âmes ne sont pas où elles devraient être…

Mon avis

Excellente lecture que je vous conseille vivement.

Un petit mot tout d’abord sur le découpage du livre. L’alternance des personnages tous les chapitres, parfois lourde, voire énervante dans certains romans, me paraît ici justifiée et réussie, avec à chaque fois LA petite phrase finale (à la Chattam, je dirais) qui donnerait presque envie de sauter les deux autres chapitres pour savoir ce qui suit directement.

L’écriture est agréable et très fluide.
Les personnages principaux sont tous très attachants.
Pas de temps mort : le roman a beau être épais – quelque 500 pages – on ne s’ennuie pas une seule seconde.
J’ai particulièrement apprécié l’aspect sociétal du roman, avec une mention spéciale pour les petits éléments de la vie courante – dans ce futur proche créé par Bordage – qui sont parfois croustillants, et plausibles (nouvelles limitations de vitesse, conflits au Moyen-Orient, …).

Seul bémol : quelques éléments par trop prévisibles (à mon avis).

Porteurs d’âmes, de Pierre Bordage, Au Diable Vauvert (2007), 501 pages.