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Dans la mer il y a des crocodiles : l’histoire vraie d’Enaiatollah Akbari est un document de Fabio Geda et Enaiatollah Akbari paru chez Liana Levi en 2011.
Il a été traduit de l’italien par Samuel Sfez.

Wet Eye GlassesRésumé

Enaiat a dix ans, peut-être onze, il ne sait pas trop. Enaiat vit en Afghanistan. Mais surtout, Enaiat a eu le malheur de naître hazara, ethnie haïe dans son pays, par les talibans mais pas seulement. Après la mort de son père, puis l’assassinat ignoble de son instituteur devant tous ses élèves, Enaiat a peur. Tous les jours. Sa mère aussi. Toute la famille vit dans la peur et elle décide de lui faire prendre le chemin de l’exil. Elle l’accompagne au Pakistan, où elle l’abandonne avec pour consigne de ne pas revenir. Avant de s’établir à Turin, Enaiat aura frôlé plusieurs fois la mort et parcouru un interminable périple cinq ans durant.

Mon avis

Fabio Geda est éducateur et a déjà écrit deux romans lorsqu’il rencontre Enaiatollah Akbari, presque par hasard, au Centre interculturel de Turin. Le jeune homme y racontait alors son parcours semé d’embûches. L’auteur est sous le choc. « Pas seulement pour le récit de ce voyage inouï, mais pour la façon dont il le racontait. Par le regard que, malgré tout, il parvenait à poser sur sa propre vie. Jamais compassionnel, mais décidé, authentique, et parfois même ironique. Il racontait en regardant vers l’avenir. »1

Enaiat accepte de collaborer avec Fabio Geda, surtout pour « faire comprendre aux autres la vie des immigrants ».2 Des jours durant, les deux hommes vont collaborer. Enaiat raconte ses souvenirs comme ça vient, de manière passionnée mais parfois confuse ou incomplète. Fabio prend des notes. Puis ensemble, ils essaient d’organiser tout ça afin de rendre le livre cohérent pour le lecteur.

Ce récit est de ceux qui laissent sans voix. De ceux qui vous font passer par tous les sentiments.
Beaucoup de colère tout d’abord, à l’encontre de la bêtise humaine, infinie. Celle des talibans. Celle des hommes qui profitent de ces enfants errants pour en faire leurs esclaves. Celle des passeurs qui se moquent bien du sort des uns et des autres une fois l’argent touché et qui peuvent pousser le vice jusqu’à faire traverser la mer à des enfants sur un bateau gonflable. Et aussi, à côté du livre, à ceux qui refusent l’autre, celui qui vient d’ailleurs, quand bien même il n’avait guère d’autre choix que de fuir son chez lui.
De la tristesse, à voir cet enfant devoir quitter sa terre natale et ses proches pour échapper à la mort. À voir cette mère devoir abandonner son fils aîné, la mort dans l’âme, car elle sait que ce choix, ô combien difficile, lui sauvera peut-être la vie. De la tristesse toujours à voir tous ceux qui n’auront pas eu la chance d’Enaiat et qui auront laissé leur vie sur le chemin, morts de froid, de maladie, de faim ou au fond de la mer.
Un peu de baume au cœur, à voir qu’il y aura toujours des gens bons, prêts à aider leur prochain, peu importe sa couleur, sa religion, son pays d’origine…
Et même quelques larmes en refermant ce texte, aussi cruel que magnifique.

« Peu de gens se demandent quel est le passé d’un clandestin, pourquoi il est monté dans un bateau. Beaucoup oublient qu’il est difficile d’abandonner son pays, et que l’on ne vient pas en Europe pour vous embêter. Mais il y a des personnes pour qui tout cela a été bien pire. C’est aussi leur voix que j’ai voulu porter sur le papier. »2
Pour tout ce que tu as enduré, pour ton courage sans faille et pour avoir voulu faire entendre ta voix, un infini merci Enaiat !
Et un grand merci à Fabio Geda de l’avoir soutenu dans cette aventure.
Je ne sais trop quoi vous dire de plus. Ouvrez ce livre ! Ouvrez vos cœurs ! Ouvrez les frontières !

Dans la mer il y a des crocodiles : l’histoire vraie d’Enaiatollah Akbari (Nel mare ci sono i coccodrilli. Storia vera di Enaiatollah Akbari, 2010), de Fabio Geda & Enaiatollah Akbari, Liana Levi (2011). Traduit de l’italien par Samuel Sfez, 176 pages.

1 Extrait d’un entretien avec Fabio Geda disponible sur le site de Liana Levi.
2 Extraits d’un entretien avec Enaiatollah Akbari disponible sur le site de Liana Levi.

Prof chez les taulards est comme son titre l’indique un livre de témoignage dans lequel Aude Siméon raconte son expérience de l’enseignement en milieu carcéral. Il a été publié en 2012 aux éditions Glyphe.

L’auteur, professeur agrégée de français, a enseigné en prison durant une dizaine d’années, aux détenus tout d’abord puis aux surveillants également par la suite.

51vvpab7jclPas vraiment de continuité mais plutôt une multitude d’anecdotes, classées par rubriques : les détenus, les surveillants, Carlos (pas celui qui est tout nu et tout bronzé, l’autre, moins rigolo), les terroristes basques…

Il en ressort qu’Aude Siméon est entrée très naïvement dans ce milieu mais sans trop d’a priori négatifs, en faisant preuve d’ouverture d’esprit (je pense qu’on n’entre pas en prison pour aider par hasard). Elle semble en être ressortie grandie et son livre n’a de cesse de rappeler qu’un prisonnier, quoiqu’il ait pu commettre, n’en demeure pas moins un être humain avant d’être un numéro d’écrou.

La plupart des anecdotes sont intéressantes, même quand elle touchent intimement l’auteur (elle raconte par exemple comment elle s’est sentie mal quand un de ses élèves lui a annoncé qu’il attendait sa libération pour pouvoir faire sa vie avec elle). On se rend compte aussi que la population carcérale est très variée et qu’on peut se retrouver en prison sans pour autant être « bête ». D’autres, moins instruits développent entre les murs un goût pour l’apprentissage et la lecture.

Un ouvrage instructif pour qui s’intéresse aux questions de l’enseignement et/ou de la prison.

Pour terminer, je ne peux m’empêcher de vous livrer cette citation de Carlos qui n’a pas laissé indifférent le bretonnant que je suis (attention, je ne cautionne pas ce qu’il a fait mais il ressort du bouquin que le mec était pas con et même plutôt sympa).

« Vous savez, Madame, me dit Carlos, les Français adorent protéger les races en voie de disparition, et c’est à qui versera sa larme sur le malheureux ours blanc, celui que tout le monde a pu voir : il s’accroche misérablement à une épave d’iceberg. Mais les ethnies en voie de disparition, on s’en moque ! Que le Breton, le Corse, le Basque disparaissent, avec leur langue, leur génie propre, les gens s’en foutent. »

Prof chez les taulards, d’Aude Siméon, Glyphe (2012), 204 pages.