Articles Tagués ‘Agullo/Noir’

La Maison du commandant, paru au printemps 2021 chez Agullo, est le sixième roman de Valerio Varesi traduit en français (ici par Florence Rigollet).

Résumé

On retrouve dans ce sixième opus des enquêtes du commissaire Soneri les rives du Pô, et plus particulièrement la Bassa, la basse plaine du Pô, avec ses immensités inondables et ses brumes caractéristiques. Soneri est dépêché pour enquêter sur la mort d’un anonyme retrouvé sur le bord du fleuve, abattu d’une balle en pleine tête. Si la piste du règlement de compte est rapidement privilégiée, qui était ce jeune homme, vraisemblablement originaire d’Europe de l’est, et surtout, qui l’a tué, et pourquoi ?

Mon avis

Le manque d’éléments pour faire avancer l’enquête, sa connaissance de la région et ses élucubrations amènent bientôt le commissaire au domicile du « Commandant », qui s’avère être mort chez lui depuis un certain temps et ce sans qu’il soit certain qu’il s’agisse d’un acte criminel. De toute manière, qui aurait eu intérêt à tuer ce vieillard, un ancien partisan qui s’était visiblement retiré des affaires et vivait pour ainsi dire en ermite ? Sa mort pourrait-elle néanmoins avoir un quelconque rapport avec celle du jeune anonyme ou bien s’agit-il simplement d’une curieuse coïncidence ? L’opiniâtreté de Soneri, ici souvent épaulé par sa chère Angela, fera ressurgir des brumes insondables de la Bassa des secrets depuis trop longtemps enfouis.

Comme de coutume dans cette excellente série, l’enquête va piano piano, l’atypique commissaire est attachant et c’est toujours un plaisir que de s’attabler avec lui pour déguster les spécialités locales. Cette nouvelle aventure de Soneri est peut-être un tantinet moins entraînante que les précédentes mais pas au point de décevoir les amateurs de Valerio Varesi.

La Maison du commandant (La casa del comandante, 2008), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2021). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 306 pages.

Les Mains vides est un roman de Valerio Varesi, paru chez Agullo en 2019 dans une traduction de Florence Rigollet.

Résumé

Parme, au cœur de l’été.
Le corps de Francesco Galluzzo est découvert dans son appartement. Le commerçant a été roué de coups mais rien ne semble avoir été volé. Quid du sachet de cocaïne retrouvé dans sa voiture ? Deal ? Règlement de compte ? Tout ça ne semble pas très clair aux yeux du commissaire Soneri, qui pense cependant que la victime, au train de vie curieusement dispendieux eu égard à ses revenus, menait des activités parallèles à sa boutique de prêt-à-porter. La piste financière va rapidement le conforter dans cette idée et le mener vers Gerlanda, un restaurateur prompt à prêter de l’argent à des personnes en difficulté… de manière tout à fait intéressée.

Mon avis

On ne présente plus Valerio Varesi dont ce roman est le quatrième publié par la maison bordelaise Agullo. Le romancier italien, souvent comparé à Georges Simenon n’a pas son pareil pour dépeindre des atmosphères. Les Mains vides n’échappe pas à la règle et la canicule de ce torride mois d’août liquéfiant chaque Parmesan est le personnage central de ce roman d’enquête au rythme assez particulier. Soneri n’est pas un énervé et l’auteur italien ne fait pas dans le thriller, c’est un fait, mais cet opus pousse la chose encore un peu plus loin. À l’image de ses habitants, engourdis par la chaleur suffocante, Parme semble s’amollir et le commissaire peine à faire progresser son enquête dans cette torpeur seulement mise à mal par quelques feux de poubelle – une grève fait rage contre la fermeture d’une usine.

Comme à l’accoutumée, la gastronomie est à l’honneur, tout comme certaines réflexions passionnantes. Ici, l’intrigue amène Soneri et l’usurier Gerlanda à se poser des questions, et le lecteur avec eux, sur ce que la financiarisation de l’économie implique, notamment la transformation en profondeur et à marche forcée du centre des métropoles. À cet égard, le personnage de Gondo, le vieil accordéoniste qui se fait voler son instrument en début d’ouvrage, est assez intéressant. Il est comme le témoin d’une époque qui s’éteint en même temps que les idéaux de certains Parmesans.

Malgré sa lenteur et son côté assez plombant – on déprime un peu avec les personnages – cette quatrième enquête du commissaire n’en demeure pas moins un très bon roman noir. La sixième enquête de Soneri, La Maison du commandant, vient de paraître.


Les Mains vides (A mani vuote, 2018), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2019). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 258 pages.

Or, encens et poussière est un roman de Valerio Varesi paru chez Agullo il y a quelques jours dans une traduction de Florence Rigollet.

41s1EDO7dJLRésumé

Le commissaire Soneri est appelé en catastrophe pour aider des collègues à s’y retrouver dans un carambolage géant sur l’autoroute, non loin de Parme. Il est le seul à connaître sur le bout des doigts cette zone de la plaine du Pô où le brouillard est à couper au couteau. Dans cette purée de pois, les secours peinent à faire le nécessaire, des camions sont renversés, des vaches et des taureaux divaguent, des gitans seraient en train de piller les environs, des coups de feu se font entendre. En parcourant les environs, Soneri trouve par hasard dans un fossé le cadavre carbonisé d’une jeune femme. Quelqu’un a profité de la confusion et du brouillard pour se débarrasser d’un corps. Reste à trouver qui.

Mon avis

Les éditions Agullo nous avaient permis de faire la connaissance du commissaire Soneri en 2016 avec Le Fleuve des brumes. À raison d’un titre par an, nous en sommes déjà au cinquième épisode de cette excellente série qui en compte déjà quinze de l’autre côté des Alpes. Dans cet opus dont les conditions météo dantesques du début rappellent quelque peu sa première aventure traduite (Le Fleuve des brumes est en vérité la quatrième enquête de Soneri), notre Maigret italien est rapidement confronté à une double enquête. D’un côté, il y a cette jeune femme brûlée retrouvée à proximité d’un camp de gitans. De l’autre, un vieillard est retrouvé mort à la gare routière de Parme, dans un car en provenance de Bucarest. En plus de ça, Angela, sa compagne, semble de plus en plus distante et Soneri la soupçonne de voir quelqu’un d’autre.

« Après avoir raccroché, Soneri ramena Juvara à la Questure et décida d’en finir avec le boulot. La faim le conduisit au bar à vins. Bruno lui servit un assortiment de charcuterie : culaccia, épaule cuite, coppa et jambon cru, accompagné de torta fritta, de copeaux de grana extra vieux et d’une bouteille de bonarda. La bonne chère, son psychotrope de prédilection, lui redonnerait des forces. Alors que Soneri était au comble du bien-être, le cerveau légèrement embrumé par le vin, son téléphone sonna. »

Tout ce qui fait le succès de la série de grande qualité de Valerio Varesi est une fois de plus au rendez-vous. La double intrigue est efficace, avec son lot de fausses pistes, de rebondissements bien sentis et un final réussi. Soneri est toujours aussi attachant malgré son côté bougon et ses accès de mélancolie. On fait la connaissance d’un excellent personnage secondaire : Sbarazza est un marquis ruiné qui conserve une apparence impeccable et qui, dans le restaurant favori de Soneri, s’assoit à la table des belles femmes qui ont laissé à manger pour finir les reliefs de leur repas. Perspicace et philosophe, il va aider Soneri à y voir plus clair à tous les niveaux. Et pour joindre l’utile à l’agréable, il est d’une excellente compagnie pour partager ce que la gastronomie parmesane offre de meilleur, le commissaire étant adepte de bons plats et de bons vins. Cerise sur le gâteau, l’humour est plus présent dans ce roman, notamment dans les taquineries que Juvara, son jeune adjoint, adresse au commissaire en raison de son inintérêt pour les nouvelles technologies.

Comme en Italie, Soneri s’est désormais bien installé dans le paysage du polar francophone, grâce aux éditions Agullo et aux belles traductions de Florence Rigollet. Tous les ans, c’est un véritable plaisir que de retrouver la nouvelle enquête du commissaire, et celle-ci, au moins aussi bonne que les précédentes, ne déroge pas à la règle.

Or, encens et poussière (Oro, incenso e polvere, 2007), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2020). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 297 pages.

Les Ombres de Montelupo est un roman de Valerio Varesi paru chez Agullo en 2018 dans une traduction de Sarah Amrani.
Il est récemment paru en poche chez Points.

41y6-yjrrdlRésumé

Le commissaire Soneri décide de prendre quelques jours de vacances bien méritées. Il quitte le tumulte de Parme pour rejoindre sa bourgade natale des Appenins, au pied du Montelupo. Au programme : repos, bonne chère et promenades dans les sous-bois à la recherche de champignons.
À peine arrivé, il a comme un pressentiment. De curieuses affichettes annoncent que Paride Rodolfi, fils du magnat de la charcuterie, n’a pas disparu. Lors d’une première cueillette, Soneri ne récolte que des trompettes de la mort, champignons annonciateurs de mauvais présages selon certains. Des coups de fusils inexpliqués éclatent sur les flancs du Montelupo. Le chien du père Rodolfi rentre seul, accréditant la thèse de la disparition de Palmiro. Et puis ce n’est pas un champignon que Soneri trouve sur un tapis de feuilles mortes. Ses vacances sont définitivement foutues.

Mon avis

Après une crue dantesque du Pô dans Le Fleuve des brumes et une enquête dans les rues du vieux Parme dans La Pension de la via Saffi, voici donc la troisième apparition du commissaire Soneri. Ici, il retrouve le temps de courtes vacances le village de son enfance. Lors de ses balades en forêt, tout un tas de souvenirs et de sentiments remontent à la surface en même temps que les odeurs d’humus, de champignons… et bientôt de cordite. La nostalgie, plus encore que dans les deux premiers opus, est incontestablement le maître-mot de ce roman. À cet égard, et malgré un caractère latin incontestable, aussi bien dans la gastronomie que dans les comportements des individus,

Les Ombres de Montelupo fait furieusement penser aux romans d’Arnaldur Indriðason. Comme Erlendur, Soneri est un doux rêveur, la nostalgie le prend régulièrement, souvent par surprise, mais sans pour autant l’accabler. Ses balades introspectives l’amènent à se poser des questions sur lui-même mais aussi sur son père, ancien résistant et communiste, qu’il a finalement assez mal connu. Il se rend compte aussi que même en étant né ici, il n’est plus tout à fait à sa place en ce lieu, les choses étant à la fois immuables et profondément changeantes. Certains lecteurs trouveront peut-être le rythme trop lent à leur goût. Pour autant, Valerio Varesi n’oublie pas de faire progresser l’intrigue. S’il n’est pas adepte de la débauche de twists, l’auteur propose là un certain nombre de rebondissements et une scène de cache-cache épique sur le Montelupo entre les carabinieri et le Maquisard, un homme des bois insaisissable mais suspect que les forces de l’ordre aimeraient interroger. De mystérieux contrebandiers roumains rôderaient aussi sur les flancs du Montelupo, bien que personne n’en soit tout à fait certain. Soneri, bien qu’en vacances comme il aime à le rappeler, ne peut s’empêcher d’enquêter et d’interroger les habitants qu’il connaît bien, à tel point que même les enquêteurs officiels viennent bientôt lui demander conseil.

Aussi mélancolique que magnifique, cette troisième enquête de Soneri est un véritable régal littéraire. L’écriture de Valerio Varesi, à la fois très fine et retorse quand il faut devient incontestablement une référence en matière de roman noir à l’ambiance feutrée. Ça tombe bien, une quatrième enquête du commissaire vient de paraître, toujours chez Agullo : Les mains vides.

Les Ombres de Montelupo (Le ombre di Montelupo, 2005), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2018). Traduit de l’italien par Sarah Amrani, 320 pages.

La Guerre est une ruse est un roman de Frédéric Paulin paru chez Agullo en ce mois de septembre. C’est aussi le premier roman français de la collection Agullo/Noir.

41-zc7p2brqlRésumé

Algérie, 1992.
Les élections sont remportées par le Front islamique du salut. Des généraux – les « Janviéristes » – prennent aussitôt le pouvoir et annulent les résultats du scrutin. L’état d’urgence est déclaré et la chasse aux islamistes est ouverte. Dans ce contexte, Tedj Benlazar, un agent de la DGSE (le renseignement extérieur français) suit de près la situation, et notamment les agissements en coulisse de la DRS (le renseignement militaire algérien), qui pratiquerait la torture dans un supposé camp de concentration pour islamistes. De plus, des accointances pourraient exister entre le DRS et les terroristes islamistes du GIA, mais Benlazar peine à convaincre sa hiérarchie de s’intéresser à la chose.

Mon avis

Loin d’en être à ses débuts mais essentiellement publié par l’éditeur rennais Goater jusqu’à présent, Frédéric Paulin fait son entrée chez Agullo, qui publie là son premier auteur français. Le texte est annoncé comme le premier d’une trilogie consacrée à l’Algérie et à son histoire, ainsi qu’à la montée en puissance du terrorisme islamiste que l’on ne connait désormais que trop bien.

À l’instar d’une Dominique Manotti ou d’un DOA dans son diptyque Pukhtu, Frédéric Paulin, prend son sujet à bras-le-corps, de manière on ne peut plus sérieuse. L’auteur s’est assurément beaucoup documenté et, sans être spécialiste, on imagine bien qu’il n’y a pas de place pour les approximations, historiques ou autres dans son récit. L’auteur n’est jamais rébarbatif et ne noie pas le lecteur de détails inutiles. Pour autant, l’histoire passionnera plus ou moins, selon l’intérêt qu’on peut porter aux divers sujets traités – Algérie, islamisme radical, espionnage – loin des préoccupations et du vécu de certains. De plus, bien que l’auteur soit clair, il n’est pas toujours évident de s’y retrouver dans ces histoires d’espionnage, de contre-espionnages, d’agents doubles et d’intérêts géopolitiques et stratégiques divers et variés.

Les personnages sont dépeints avec justesse et sans manichéisme. La figure de Tedj Benlazar est intéressante, de même que les rapports qu’il entretient avec son mentor, le Commandant Bellevue, un officier d’expérience qui en a vu d’autres.

Passionnant pour qui s’intéresse à l’Histoire du monde et à celle de l’Algérie en particulier, La Guerre est une ruse donne d’ores et déjà envie de poursuivre avec le prochain opus. Pour autant, sa spécificité et la densité de son intrigue et de ses personnages en font une œuvre qui ne conviendra pas à tous les lecteurs de polars.

La Guerre est une ruse, de Frédéric Paulin, Agullo/Noir (2018), 384 pages.

La Pension de la via Saffi (L’Affittacamere) est un roman de Valerio Varesi publié par Agullo l’an dernier, dans une traduction de Florence Rigollet.

41nemdavwulRésumé

Quelques jours avant Noël, Ghitta Tagliavini, vieille dame propriétaire d’une pension dans le centre historique de Parme, est retrouvée morte dans son appartement. L’acte est semble-t-il criminel et l’enquête est confiée à Soneri.
Seulement, le commissaire connaissait Ghitta, car c’est dans sa pension, alors fréquentée par des jeunes gens et notamment des infirmières, qu’il a rencontré sa femme Ada, des années auparavant. Ada qui est décédée de manière dramatique peu après leur mariage. Forcément, voilà qui fait ressurgir à la surface bien des souvenirs, agréables et tristes à la fois.
Commençant à creuser, Soneri se rend compte que l’affable Ghitta qu’il a connue cachait bien son jeu et qu’elle savait aussi se montrer impitoyable.

Mon avis

Après sa première enquête qui l’avait vu affronter un Pô en crue, l’on retrouve avec plaisir le commissaire Soneri dans ce second opus, similaire à bien des égards bien qu’il soit totalement urbain et que la nature y soit moins présente – l’histoire se déroule essentiellement à Parme. Là encore, on déconseillera sa lecture aux aficionados de page-turners hollywoodiens. Ici, le commissaire avance dans son enquête, mais piano piano, tout en se replongeant dans son passé douloureux. Cet aspect mélancolique et quelque part endeuillé à vie rapproche Soneri d’Erlendur (à ceci près que le personnage d’Arnaldur Indriðason n’a pas perdu sa femme mais son frère). Tout en étant en couple – avec une Angela qui cherche sa place dans la vie du commissaire – il vit encore avec le fantôme de sa femme, ou du souvenir magnifié qu’il s’en est fait.

 » Ceux qui disent ça ne connaissaient pas Cornetti. C’était certes un homme plein de contradictions, mais il vivait très bien avec. C’était un type qui s’en sortait d’instinct. Il était communiste, mais il faisait des affaires. Il était dans un parti moraliste, mais c’était un homme à femmes. Il finançait des groupes extrémistes parce qu’il y retrouvait la passion de ses vingt ans, mais ça ne l’empêchait pas d’aller au Regio dans les loges des industriels. Il fallait le prendre comme il était. « 

Comme dans le précédent roman, l’intrigue va amener Soneri à s’interroger sur des évènements passés qui continuent encore à faire des remous aujourd’hui. Les filatures – il y en a – ne se font pas en bolide et à toute allure mais en arpentant à pied les rues du vieux Parme. C’est d’ailleurs un plaisir que de se balader dans le centro storico de la capitale d’Émilie-Romagne avec les personnages de Valerio Varesi, né à Turin mais de parents parmesans, et qui semble bien connaître la ville… et sa gastronomie. Soneri, qui n’y était pas retourné depuis ses années étudiantes, peine à reconnaître certains quartiers, métamorphosés et plus multiethniques qu’alors.
Les rebondissements sont peut-être un peu moins présents que dans Le Fleuve des brumes mais le plaisir de lecture est identique et l’on a déjà hâte de retrouver Soneri dans Les Ombres de Montelupo, paru il y a quelques mois.

Sachant prendre le temps qu’il faut sans jamais ennuyer son lecteur ni perdre de vue l’intrigue principale, Valerio Varesi s’affirme comme une valeur sûre du roman noir à la Simenon. Et son personnage récurrent, le commissaire Soneri, a un côté fragile, loin des héros bodybuildés et surentraînés des thrillers américains, qui achève de le rendre attachant.

La Pension de la via Saffi (L’Affittacamere, 2004), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2017). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 320 pages.

La Ferme aux poupées (Farma Lalek) est un roman de Wojciech Chmielarz paru chez Agullo au printemps dernier.
Il est traduit du polonais par Erik Veaux.

417fjcm8o4lRésumé

Jakub Mortka a été missionné dans la petite ville de Krotowice. S’il a officiellement été envoyé là-bas temporairement dans le cadre d’un programme de partage de compétences entre services de police, il faut dire que les supérieurs du Kub voulaient surtout le voir s’éloigner de la capitale. Et lui faire payer la gestion toute personnelle de sa dernière affaire. Oui mais voilà, le Kub ne cherche pas les affaires sensationnelles, ce sont elles qui le trouvent. Bientôt, une fillette de onze ans disparaît. Un pédophile est très vite appréhendé mais quelque chose cloche. Ses aveux sonnent faux et le flair de l’inspecteur le pousse à poursuivre l’enquête là où d’autres auraient immédiatement clos le dossier.

Mon avis

On le sait depuis Pyromane (dont ce roman est en quelque sorte la suite ; aussi, il est vivement conseillé de lire cette série dans l’ordre), Wojciech Chmielarz est un spécialiste des retournements de situation bien sentis, qu’il distille l’air de rien là où certains auteurs de thrillers en font des caisses. Concernant les rebondissements, le lecteur va en avoir pour ses frais, et ce du début à la fin. Si certains pourront paraître un peu téléphonés, d’autres viennent de nulle part et prennent complètement au dépourvu, comme ce point final qui n’en était pas tout à fait un. Mais chut, n’en disons pas plus.

L’auteur a fait le choix, dans cette seconde enquête de son personnage, de le faire évoluer dans une petite ville de province, contraint et forcé. Étonnamment, c’était aussi le choix de son compatriote Zygmunt Miloszewski dans Un fond de vérité, (là aussi) la seconde aventure de Teodore Szacki. Le procureur de l’un et l’inspecteur de l’autre partagent d’ailleurs des points communs : des difficultés avec leur hiérarchie ou à gérer leur vie familiale compliquée, et un sens tout particulier du devoir quand leurs enquêtes prennent des tournures inattendues. Les deux auteurs venus de l’est ont aussi ceci en commun d’être journalistes de métier et d’exceller dans la manière de donner à voir les travers de la société polonaise contemporaine sans avoir l’air d’y toucher – ce qui est très possiblement lié. Si l’accent était mis sur la question juive et les dérives antisémites dans Un fond de vérité, bien difficile d’en dire plus sur la thématique principale abordée dans cette Ferme aux poupées sans déflorer l’intrigue. Tout au plus que concernant ce sujet abominable, la réalité n’est malheureusement guère éloignée de la fiction.

Visiblement à l’aise dans l’écriture et toujours redoutable lorsqu’il s’agit de prendre son lecteur à contre-pied, Wojciech Chmielarz confirme tout le bien qu’on avait pensé de lui en lisant son précédent opus. Deux autres enquêtes du Kub sont d’ores et déjà disponibles en polonais. Si elles sont du même niveau que les deux premières, il y a fort à parier – on le souhaite en tout cas – qu’elles soient prochainement traduites en français.

La Ferme aux poupées (Farma Lalek, 2013), de Wojciech Chmielarz, Agullo/Noir (2018). Traduit du polonais par Erik Veaux, 399 pages.

Pyromane (Podpalacz) est un roman de Wojciech Chmielarz paru chez Agullo l’an dernier.
Il est traduit du polonais par Erik Veaux.

41i3irkjaklRésumé

Varsovie, 3 heures du matin, -20°C.
Un homme vêtu de sombre escalade une maison en prenant bien soin de rester dans l’ombre. Par la cheminée, il lâche une bouteille d’une préparation spéciale. Le temps pour lui de prendre la poudre d’escampette, la maison est déjà en proie aux flammes. Le propriétaire des lieux est retrouvé mort, carbonisé, mais sa femme a réussi à s’enfuir et échappe de peu à la mort mais pas à de terribles brûlures.
Jakub Mortka arrive sur les lieux. Sale affaire. Non seulement l’incendie est criminel – les pompiers sont catégoriques là-dessus, mais la femme rescapée n’est autre que Klaudia Klau, ancienne Miss et chanteuse de pop. En plus de sa hiérarchie, le « Kub » va devoir se coltiner les journalistes people.

Mon avis

Belle découverte que ce premier roman polonais proposé par les éditions Agullo, qui dénichent décidément d’excellents auteurs, en Europe de l’Est notamment – dans un autre style, on pense au Lituanien Jaroslav Melnik et à son exceptionnel Espace lointain par exemple. Il y a des personnages qu’on aime ; d’autres qu’on aime détester. Le Kub, c’est encore autre chose. Brut de décoffrage, on aime le voir détester tout le monde, à commencer par ses collègues, qu’il ne se gêne pas pour critiquer ouvertement quand l’envie lui en prend, ou cette « chamane » (comprenez une profileuse), que sa hiérarchie lui met dans les pattes. Ses frasques verbales sont plutôt tolérées car malgré son caractère bien trempé, Mortka est un excellent flic. Grand travailleur, tenace, ce n’est pas par hasard qu’il a gravi les échelons dans la section criminelle et antiterroriste. Au détriment de sa vie familiale, il est vrai – sa femme demande le divorce et il ne voit plus que sporadiquement ses deux fils encore petits.
On se demande un instant comment Wojciech Chmielarz va tenir le lecteur en haleine sur plus de quatre cent pages avec une histoire de pyromane en série. Après quelques chapitres et un rebondissement particulièrement bien senti, on comprend vite que l’auteur a plus d’un tour dans son sac. Les fausses pistes sont au rendez-vous, de même que le suspense, et c’est un plaisir que de voir l’auteur égratigner la Pologne actuelle à travers ses personnages et en particulier le Kub, qu’on a déjà hâte de retrouver.

Efficace et grinçant, Wojciech Chmielarz nous a concocté un coktail explosif qui donnera envie à nombre de lecteurs de prolonger l’aventure polonaise. Ça tombe bien, le Kub est déjà de retour dans La Ferme aux poupées, fraîchement paru chez Agullo.

Pyromane (Podpalacz, 2012), de Wojciech Chmielarz, Agullo/Noir (2017). Traduit du polonais par Erik Veaux, 416 pages.

Le Fleuve des brumes (Il Fiume delle nebbie), paru en Italie en 2003, est le premier roman de Valerio Varesi à paraître en France.

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Le commissaire Soneri est appelé par l’hôpital de Parme où un homme vient de se défenestrer. Le défunt était bien connu et apprécié des soignants comme des patients, lui qui donnait de son temps pour tenir compagnie aux personnes esseulées durant leur hospitalisation.
Dans le même temps, une péniche part à la dérive sur le Pô déchaîné. Il ne cesse de pleuvoir sur l’Émilie-Romagne, et le fleuve, dont la puissance est décuplée par les nombreux affluents, menace de sortir de son lit d’un instant à l’autre. Le bateau finit par s’échouer et son propriétaire, un batelier aguerri, est aux abonnés absents. Soneri, qui en a vu d’autres, est à peine surpris d’apprendre que le propriétaire de la péniche, répondant au nom de Tonna, n’est autre que le frère du suicidé.

Mon avis

Si le Commissaire Soneri connait un succès certain en Italie, où la série qui lui est consacrée compte déjà une douzaine d’enquêtes depuis 1998, ce n’est que l’an dernier qu’il traverse les Alpes grâce aux éditions Agullo et à la traduction de Sarah Amrani.

Nous pouvons d’emblée l’affirmer sans prendre de grands risques : les amateurs de thrillers effrénés ne trouveront pas là leur tasse de thé, ou plutôt de Ristretto. Valerio Varesi prend le temps d’installer le décor et les personnages, et l’intrigue, sans être secondaire, est mise au même niveau que les éléments précités. Le style d’écriture et le caractère flegmatique et consciencieux du commissaire évoquent davantage rappelle quelque peu l’Erlendur cher à Arnaldur Indriðason.

« Commissaire, vous le voyez, le Pô ? Ses eaux sont toujours lisses et calmes, mais en profondeur il est inquiet. Personne n’imagine la vie qu’il y a là-dessous, les luttes entre les poissons dans les flots sombres comme un duel dans le noir. Et tout change continuellement, selon les caprices du courant. Personne parmi nous n’imagine le fond avant de s’y être frotté et la drague fait un travail toujours provisoire. Comme tout ici-bas, vous ne trouvez pas ? »

Le Pô, prêt à inonder la vallée d’un instant à l’autre est un personnage à part entière du roman, tout comme le brouillard, lesquels joueront tous deux un rôle important dans l’histoire.
Malgré le froid et l’humidité ambiants, l’écriture de Valerio Varesi est chaleureuse, presque douillette par moment, lui qui prend la main du lecteur pour l’installer à table, à l’abri des intempéries avec les anciens, autour d’une partie de belote, d’un bon vin italien ou d’un plat local, rustique mais revigorant.

Le personnage de Soneri est plutôt attachant, et ses rapports avec sa compagne sont assez atypiques, elle qui débarque toujours à l’improviste pour le retrouver dans des endroits plus incongrus les uns que les autres.

Tout au plus pourra-t-on reprocher à l’auteur quelques vilains tics d’écriture, parfois pénibles. On comprend assez vite, par exemple, que l’inspecteur porte un pardessus Montgomery et que sa sonnerie de téléphone est une version atroce de l’Aïda de Verdi. Seulement, c’est tellement répété que ça en devient presque comique, ce qui n’était vraisemblablement pas le but recherché.

Le Fleuve des brumes est un beau roman qui vaut autant, sinon plus, pour son ambiance que pour son intrigue, qui n’en demeure pas moins de qualité bien que de facture classique. On retrouvera Soneri, cousin transalpin de Maigret, dans La Pension de la Via Saffi, sans doute avec le même plaisir.

Le Fleuve des brumes (Il Fiume delle nebbie, 2003), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2016), 315 pages. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.