Articles Tagués ‘Antoine Chainas’

L’Étoile du nord (Star of the North) est un roman de D. B. John qui paraît ce jour dans la collection Equinox (Les Arènes) et dans une traduction d’Antoine Chainas.

pol_cover_32062Résumé

Jenna Williams, Américaine d’origine coréenne commence sa carrière d’enseignante à l’université mais peine à se remettre d’un traumatisme terrible. Sa sœur jumelle, Soo-Min, a disparu en 1998 lors d’un voyage, alors qu’elle se trouvait sur une plage japonaise avec son nouveau petit ami, lui aussi évaporé. Sa mère a fait son deuil mais Jenna ne peut s’empêcher de croire qu’elle est peut-être encore vivante, quelque part.
Dans les environs de Hyesan, près de la frontière entre la Corée du Nord et la Chine, Mme Moon, qui cherchait des champignons, voit un petit ballon atterrir ici, au milieu de nulle part. Vivant dans une grande pauvreté, elle décide de subtiliser discrètement son contenu, pour faire bouillir la marmite avant que les autorités ne viennent voir de quoi il s’agit.
À Pyongyang, Cho se voit donner de mauvaises nouvelles par son frère. Leur ascension fulgurante au sein de l’élite du pays pourrait être stoppée net. Une enquête suit son cours sur l’origine biologique des frères, adoptés très jeunes. Cho craint pour sa famille car pour les descendants de traîtres au régime, la déchéance peut aller jusqu’à la mort.

Mon avis

Né au Pays de Galles, D. B. John a travaillé comme avocat puis dans l’édition pour la jeunesse avant d’écrire son premier roman à Berlin, en 2009. En 2012, il fait un voyage qui le marquera durablement. Invité à visiter Pyongyang, il doit, comme le reste de la délégation, se plier au culte de Kim. Il sait que ce que les autorités locales leur laissent entrevoir de la capitale nord-coréenne n’est que le sommet de l’iceberg et ne peut s’empêcher d’imaginer tout ce qu’on leur cache. Dès lors, il lit énormément sur ce pays, se rend plusieurs fois en Corée du Sud où il interroge des habitants du sud et du nord : ce livre devient une évidence. Dans ses notes en fin d’ouvrage, il explique la genèse du projet, la manière dont il s’est documenté et surtout, permet au lecteur de départager le vrai de ce qui est totalement fictif.

Malheureusement, D. B. John n’a pas eu besoin d’inventer grand-chose pour rendre ce roman particulièrement glaçant. Passionnant du début à la fin, ce roman choral où l’on suit parallèlement trois destinées est un modèle du genre, empruntant autant aux codes du thriller qu’à ceux du roman d’espionnage. On imagine qu’Antoine Chainas a dû prendre du plaisir à traduire ce titre auquel on pourra seulement reprocher quelques facilités scénaristiques. En effet, l’usage de plusieurs grosses ficelles rend certains rebondissements assez prévisibles. Mais on pardonne volontiers l’auteur tant les quelque six cents pages se dévorent avec une fluidité totale.

Solidement documenté à tous les niveaux et passionnant de la première à la dernière page, L’Étoile du nord est une fiction fort réussie qui nous en apprend autant sur la Corée du Nord et ses sinistres dessous qu’un documentaire. Les lecteurs se souviendront des personnages de ce roman, notamment de la destinée de Jenna, et certains seront peut-être tentés de creuser un peu la question nord-coréenne en piochant dans la mine bibliographique proposée par D. B. John.

L’Étoile du nord (Star of the North, 2018), de D. B. John, Les Arènes/Équinox (2019). Traduit de l’anglais (Pays de Galles) par Antoine Chainas, 611 pages.

Les Féroces, paru il y a quelques jours en Equinox, est le premier roman de Jedidiah Ayres traduit en français, par Antoine Chainas en l’occurrence.

pol_cover_30086Résumé

« Politoville », c’est un hameau en plein désert, au sud de la frontière séparant le Mexique des États-Unis. Il n’est pas officiellement répertorié et, propriété de groupes mafieux, les lois classiques n’y sont pas appliquées. Tout ce qu’il y a de criminels et autres fugitifs s’y retrouvent, ainsi que de nombreuses femmes, devenues prostituées, parfois très jeunes et plutôt de force que de gré.
L’une d’elle s’échappe et planifie une vengeance à la hauteur des souffrances subies.

Mon avis

Premier roman de Jedidiah Ayres, Les Féroces porte bien son nom et n’est assurément pas à mettre entre toutes les mains. Ces quelque cent-vingt pages sont un concentré de violence et certaines scènes, très visuelles, sont particulièrement dérangeantes. On parle là de violences physiques – déferlantes de coups et autres sévices – mais également, plus insidieuses, de violences psychologiques, principalement à l’égard des « Maria », ces jeunes Mexicaines arrachées à leur famille, souvent pour régler une dette, et passant du statut de monnaie d’échange à celle d’esclaves sexuelles. Les hommes peuplant ce récit n’ont d’hommes que le nom car ils sont en vérité bien plus proches d’animaux sauvages de par leur comportement consistant pour l’essentiel à assouvir leurs pulsions primaires.

L’écriture de Jedidiah Ayres est minimaliste – exit les longues descriptions – mais montre tout. Certains lecteurs trouveront sans doute que l’auteur aurait pu être plus elliptique et nous épargner bien des détails. D’autres y trouveront peut-être, non pas leur bonheur mais ce qu’ils recherchent dans ce type de récit. Pour autant, la plume de l’auteur est parfois empreinte d’une espèce de lyrisme et de connotations quasi mythologiques. Le romancier évite aussi de sombrer dans le manichéisme en faisant intervenir des personnages plus ambigus qu’il n’y paraît.

Aussi puissant que dérangeant, ce récit, intéressant mais très difficile à lire par moments, aurait peut-être gagné à suggérer davantage qu’à montrer, à l’instar du Requiem pour Miranda paru il y a peu dans la même collection. Faisant penser à une espèce de Machete littéraire, l’humour en moins, ces Féroces se méritent et l’on n’a pas spécialement l’envie de se replonger de sitôt dans un autre roman de Jedidiah Ayres si l’auteur persiste dans ce genre. Mais d’autres l’auront peut-être ?

Les Féroces (Fierce Bitches, 2013), de Jedidiah Ayres, Les Arènes/Equinox (2018). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Chainas, 122 pages.

Empire des chimères est un roman d’Antoine Chainas paru le mois dernier à la Série Noire.

511ej2bslnilRésumé

1983, Lensil, nord de la France.
La petite Édith, dix ans, disparaît mystérieusement, et c’est toute la bourgade qui est en émoi et qui se met à sa recherche. Julien, un adolescent mordu de jeux de rôle, découvre par hasard dans la chambre de son grand frère Jean, dans une petite boîte, ce qui ressemble curieusement à un doigt. S’agit-il d’un membre humain ? Cela peut-il avoir un rapport avec la disparition d’Édith ? Julien, qui apprécie son frère autant qu’il le craint, et ce malgré son comportement étrange et parfois carrément inquiétant, choisit de ne rien dire à personne.
Parallèlement, une multinationale américaine spécialisée dans les dessins animés et connue également pour son jeu de rôle à succès « Empire des Chimères », envisage d’installer un parc à thème en France. Henry Davodeau, chef de cabinet auprès du Ministre du commerce, tente de persuader les Américains de s’implanter dans les environs de Lensil, sa région d’origine, où travaille encore son frère, agent immobilier.

Mon avis

Cinq ans qu’on n’avait pas lu Antoine Chainas, ou seulement indirectement. Car depuis Pur (Grand Prix de Littérature Policière 2014), l’auteur niçois n’est pas resté inactif loin de là, même en terme d’écriture, mais il a officié comme traducteur, essentiellement d’auteurs américains pour Gallimard ou Lattès : Matthew Stokoe, Joe Hill, Noah Hawley

C’est avec un beau bébé – plus de 650 pages – qu’il revient. Moins trash et provocateur qu’à ses débuts, on n’en retrouve pas moins dans cet Empire des chimères certains des thèmes récurrents de l’auteur, à commencer par la déliquescence humaine (déjà abordée dans Anaisthêsia et surtout Une histoire d’amour radioactive), décrépitude tant physique que morale, ici en partie symbolisée par une invasion de moisissures qui ne recule devant aucun fongicide.

Sans perdre le lecteur, Antoine Chainas fait alterner les points de vue de ses personnages : habitants de Lensil, Américains de chez Lawney Inc. et même créatures du jeu « Empire des Chimères », auquel s’adonnent Julien et ses copains rôlistes Thomas et Rémi. Curieux mélange.

Le roman, assez glauque, ne passionnera peut-être pas tous les lecteurs mais il est très bien construit et a ceci de suffisamment intrigant qu’il amènera sans peine nombre d’entre eux vers un dénouement en grande partie inattendu. L’écriture de l’auteur a aussi évolué. Pas d’effets de style ni de fioritures ici, mais une belle plume où l’on sent que le choix du moindre mot n’est pas le fruit du hasard.

Cet Empire des chimères est une bien curieuse expérience de lecture. L’univers donné à voir est très particulier, décrépit, assez dérangeant, et même parfois littéralement putrescent. Difficile dès lors de parler de « plaisir de lecture ». On n’est même pas tout à fait certain d’avoir tout compris en refermant cet opus qui, s’il ne conviendra assurément pas à tous, est pour autant réussi et pour le moins atypique.

Empire des chimères, d’Antoine Chainas, Gallimard/Série Noire (2018), 657 pages.

Pur, paru hier à la Série Noire, est le septième roman d’Antoine Chainas, le cinquième dans la célèbre collection de Gallimard.

Résumé

Quelque part dans le Midi de la France, dans un futur proche.
Patrick Martin perd sa femme dans un accident de la route dont il n’a pas vraiment souvenir. Il croit se rappeler d’une voiture – avec deux « Arabes » à son bord – le doublant juste avant la sortie de route, et d’un coup de feu. Mais la police est formelle, aucune trace de balle n’a été retrouvée, ni sur la voiture, ni sur la chaussée. Le capitaine Durantal se demande d’ailleurs si Patrick, qui a l’air de bien s’arranger avec ses problèmes de mémoire, n’est finalement pas pour quelque chose dans la mort de sa femme.

Mon avis

Antoine Chainas est un des rares auteurs que je suis depuis le premier roman. J’ai lu et chroniqué ici-même tous ses romans parus à la Série Noire : Aime-moi Casanova (2007), Versus (2008), Anaisthêsia (2009), Une histoire d’amour radioactive (2010).
Je n’ai pas encore lu ses deux autres romans, s’inscrivant dans des séries. Il a écrit un « Poulpe », 2030 : l’odyssée de la poisse, et un Mona Cabriole, Six pieds sous les vivants.
Dans quelques années, je pourrai même dire que je l’ai connu du temps où les couvertures de la Série Noire étaient en noir et blanc.^^
Si Chainas n’avait pas sorti de roman personnel depuis 2010 c’est sans doute parce qu’il était fort occupé par ailleurs. En effet, il a plus d’une corde à son arc. Ces derniers mois, il a traduit trois romans de l’américain, tous parus à la Série Noire : La belle vie, de Matthew Stokoe ; Prise directe, d’Eoin Colfer, et L’autre chair, de Michael Olson, paru hier également.

« Son visage était d’une surprenante beauté. La régularité exemplaire de ses traits – mâchoire solide, front légèrement bombé, cou très droit – laissait supposer le caractère volontaire d’une ancienne sportive. On pouvait deviner que des efforts physiques réguliers et ciblés avaient modelé d’une manière subtile la structure musculo-squelettique du corps, puis, par ricochet, de la face sans qu’elle leur cède une once de féminité. Sa bouche à peine ourlée au niveau de la lèvre supérieure, la finesse de son nez, ses petites oreilles, et ses yeux clos en une symétrie parfaite, parachevaient ce visage qui n’en était pas un, mais ressemblait plutôt à un paysage. Sous sa peau diaphane serpentait un entrelacs de minuscules veines. Il aurait suffi d’une palpitation à peine perceptible, d’un frémissement, pour qu’il prenne l’apparence d’un ruissellement sur une roche calcaire.

Sa chevelure, aussi blonde que ses sourcils, ondoyait doucement. On aurait pu la croire portée par le courant invisible d’une rivière calme, pourtant il n’y avait pas d’eau où elle se trouvait. »

Pur s’ouvre sur une belle description, à la fois aseptisée et poétique, caractéristique de l’écriture d’Antoine Chainas. Il nous présente Sophia, la femme de Patrick, vivant ses derniers instants. Le lecteur découvre ensuite au fil des chapitres de nouveaux personnages.

Il y a Julien, un ado vivant dans la communauté sécurisée des Hauts Lacs dont le père est le « Révérend ». Il y a le capitaine Durantal, un policier obèse et désabusé, qui ne croit plus en rien, surtout pas à l’utilité de son métier, et dont la seule consolation est d’engloutir toujours plus à chaque repas. Il y a son adjointe, le lieutenant Alice Camilieri, jeune et terriblement ambitieuse. Partie dans la vie avec ce qu’elle considère comme un handicap – elle est métisse – elle est prête à tout pour progresser socialement, dusse-t-elle tremper dans les magouilles du maire. L’édile, lui, compte bien faire feu de tout bois pour se faire réélire et tant pis si ce n’est pas tout à fait moral ou légal, tant que ça ne se sait pas. La brigade a donc la pression et du pain sur la planche puisqu’en plus de l’affaire Martin elle doit aussi résoudre celle du « sniper de l’autoroute », lequel élimine depuis les hauteurs des conducteurs d’origine maghrébine, sans que cela émeuve vraiment grand monde d’ailleurs. Si l’intrigue, efficace, tient le lecteur en haleine, ce n’est probablement pas ce que l’on retiendra le plus.

« L’unique objectif de ces réunions consistait à définir les orientations globales qui présideraient aux propositions d’aménagement du territoire et de modelage urbain soumises ultérieurement au bon vouloir du conseil municipal. Bien entendu, les élus de l’opposition n’étaient, à ce stade-là, pas conviés. Une des principales fonctions d’Alice – outre la remise d’espèces sonnantes et trébuchantes en main propre – consistait à faire remonter les informations aux édiles : évolution des statistiques de la délinquance quartier par quartier, migration des communautés à l’intérieur de la ville, problèmes de stationnement ou nuisances répétées en certains points névralgiques. Ces renseignements, elle en était convaincue, demeuraient essentiels pour définir la mise en œuvre des actions municipales. Par sa seule volonté – et l’adjoint lui avait précisé à maintes reprises combien son avis était crucial pour le maire –, certains quartiers se retrouveraient favorisés, d’autres délaissés, des artères seraient rénovées, des passages condamnés, en vertu d’un cloisonnement soigneusement planifié des différentes strates de la population qui, il n’y avait pas si longtemps, cohabitaient encore. L’aspect ségrégationniste de cette stratégie ne la dérangeait pas. Il s’effectuait en fonction d’un électorat potentiel pour lequel, chacun en était conscient, la sécurité et donc l’ostracisme ciblé étaient un sujet de préoccupation non négligeable. »

Abandonnant ici l’écriture atypique et aussi puissante que décriée de ses premiers romans, Antoine Chainas nous plonge dans des lendemains qui déchantent et qui ressemblent étrangement à aujourd’hui. La description de ces « gated communities » où les riches s’achètent à prix d’or un monde où il ne risqueront pas de croiser la populace miséreuse et son corollaire de désagréments fait froid dans le dos… Quant aux politiciens magouilleurs et de l’émergence de groupuscules violents d’extrême-droite, on n’a malheureusement aucune peine à y croire.

« Cet endroit donne tout son sens à notre combat, Patrick. Les gens de l’extérieur pensent que nous nous barricadons par peur d’autrui, par étroitesse d’esprit. Mais nous ne sommes pas hermétiques, bien au contraire. Et ceux qui nous taxent de racisme ont tort aussi. Personne n’est plus ouvert sur le monde que nous. Qui voyez-vous ici? Des Suisses, des Norvégiens, des Suédois, des Américains, des Anglais… Des banquiers internationaux, des gestionnaires de capital multinational, des artistes qui voyagent partout sur le globe, des ingénieurs membres d’équipes polyglottes. Expliquez-moi qui d’autre pourrait être mieux au fait de l’état de notre époque? Dites-moi de quelle expérience peuvent se prévaloir ceux de dehors? Quel sort funeste les attend dans ce chaos égalitaire, ce monstrueux fourre-tout qu’ils ont eux-mêmes engendré? Ce domaine que vous voyez est peut-être un des derniers où les valeurs, les règlements ont force de loi. Ce ne sont pas les races ni les religions qui nous préoccupent, mais la misère. Voilà ce que nous voudrions éradiquer. On pourrait considérer qu’en un sens, nous sommes les ultimes philanthropes. »

En ayant fait le choix d’installer son récit dans un futur proche, Antoine Chainas fait avec Pur d’une pierre deux coups, proposant à la fois un roman noir efficace et un récit d’anticipation intéressant questionnant avec brio la question de la ségrégation sociale. Délaissant quelque peu les effets de style de ses début, il met son écriture au service du propos et de l’intrigue. Au final, sans conteste le texte le plus accessible de l’auteur. Un pur roman, peut-être aussi le plus abouti ?

Pur, d’Antoine Chainas, Gallimard / Série Noire (2013), 306 pages.

Chamamé est un roman noir de l’Argentin Leonardo Oyola, le second traduit en français après Golgotha, toujours chez Asphalte.

Résumé

Perro Lascano et son ami Noé, un fou de Dieu qui s’autoproclame pasteur, se connaissent depuis longtemps. Ils se sont rencontrés en prison et font depuis des affaires ensemble, pas très légales bien sûr les affaires : braquages, enlèvements… Dans le milieu de la pègre locale, ils sont respectés et tout va bien pour eux, merci. Enfin, ça, c’était avant que Frère Noé trahisse son compadre. Depuis, Lascano n’a plus qu’une idée en tête, retrouver son ex-complice, régler ses comptes, et pourquoi pas lui régler son compte.

Mon avis

Le moins qu’on puisse dire est que l’action ne manque pas dans Chamamé, titre pour lequel Leonardo Oyola a reçu en 2008 le prix Dashiell Hammett de la Semana Negra, récompensant le meilleur roman noir écrit en espagnol. L’auteur argentin nous offre deux cents pages de chasse à l’homme virile et furieuse, avec quelques scènes de castagne mémorables au passage – on imagine facilement une adaptation sur grand écran façon Robert Rodriguez.

L’écriture, au service de l’action avant tout, ne s’embarrasse pas de fioritures : les phrases sont souvent courtes et vont à l’essentiel. Le tout est entrecoupé de nombreux flashbacks concernant Perro et Noé et permettant de mieux cerner le comportement de ces deux delincuentes aux tempéraments finalement bien différents.

Un bon son poussé à fond dans la voiture, une pièce dans le juke-box du bar, une ritournelle dans le crâne : la musique est omniprésente, y compris dans les dialogues, et autant dire que c’est plutôt rock&roll. On retrouve en fin d’ouvrage les références de tous les morceaux évoqués et l’auteur propose également une playlist personnelle, pour qui souhaite lire en musique.

Si on l’avait déjà entrevu avec Golgotha (écrit après cet opus, bien que paru en France avant), Leonardo Oyola confirme avec Chamamé qu’il possède un réel talent de conteur. Il parvient à embarquer son lecteur en quelques phrases pour ne plus le lâcher en route jusqu’au terminus. On est bien loin ici des enquêtes de Miss Marple, et les bandidos tournent plutôt à la tequila qu’à la cup of tea, aussi ce type de roman ne plaira sans doute pas à tous les publics. Maintenant, si vous aimez les fictions où la castagne et la testostérone règnent en maître, y a pas de tromperie sur la marchandise, c’est de la bonne came.


Chamamé (Chamamé, 2007) de Leonardo Oyola, Asphalte (2012). Traduit de l’espagnol (Argentine)  par Olivier Hamilton, 216 pages.

Prise directe, paru à la Série Noire et traduit par Antoine Chainas est un roman de l’Irlandais Eoin Colfer, surtout connu pour ses ouvrages jeunesse jusqu’à présent.

Prise-directe.jpgRésumé

Après avoir été un temps Casque bleu, Daniel McEvoy s’est reconverti comme videur dans un casino pouilleux du New Jersey. Il ne se passe rien de bien palpitant dans sa vie et ses plus grands combats du moment, il les livre contre la chute de ses cheveux et les coups de folie de sa voisine du dessus.

Les vraies emmerdes vont commencer lorsque son meilleur ami Zeb Kronski, un médecin peu préoccupé par la déontologie, disparaît subitement. Il a à peine le temps de commencer à le chercher que Connie, une serveuse pour qui il a le béguin, est retrouvée morte, une balle dans la tête. Comme si ça ne suffisait pas, la police le place en tête sur la liste des suspects.

Mon avis

En faisant le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, Eoin Colfer plonge d’emblée le lecteur dans les pensées de Daniel McEvoy. L’Irlandais nous raconte ses déboires à sa manière, sans aucune langue de bois et avec un ton caustique fort plaisant à lire. 

« En dehors de mes traits défaits, je remarque un autre détail dans la salle de bains. Les rouleaux de papier toilette sont empilés en losange. Cette figure géométrique est mégaflippante. Je me détourne de cette sculpture comme si elle pouvait tout à coup prendre vie et me prodiguer des conseils zen.

Pourquoi un rouleau de papier toilette devrait avoir une autre finalité que de fournir du papier ? Et d’où sort cette réflexion, d’ailleurs ?

Je sais qui est responsable de cette édification. Il n’existe qu’une seule personne capable d’accomplir un tel forfait. »

L’humour est très présent dans ce roman noir, qui rappelle un peu ceux de  Colin Bateman, autre habitant de la verte Erin publié à la Série Noire capable de faire travailler les zygomatiques de ses lecteurs. Aux situations cocasses s’ajoutent certaines scènes mémorables et hilarantes, le récit étant entrecoupé de flashbacks qui permettent à McEvoy de nous raconter quelques anecdotes croustillantes de plus, souvent issues de son passé de militaire.

« Pendant ce temps, j’enfile une paire de gants jetables pris dans une boîte à l’intérieur du sac, puis je m’empare du fusil. Bien sûr, il est démonté. À l’armée, nous étions entraînés à ce type d’exercice : remonter un automatique à l’aveugle, sous la pluie, avec un gars qui tire à blanc à côté de vos oreilles, arrosé de pisse par un groupe de soldats. Bon, d’accord, il n’y avait peut-être pas le dernier truc. Quoi qu’il en soit, j’étais archi-nul lors des tests d’assemblage à l’aveugle. En général, j’avais besoin d’à peu près une heure et je finissais avec des œuvres d’art moderne magnifiques sous un éclairage approprié, mais qui ne valaient pas un pet s’il fallait ouvrir le feu. »

L’intrigue, qui ne brille pas par son originalité, ne restera sans doute pas dans les annales mais le suspense est néanmoins présent du début à la fin. Les personnages hauts en couleur et l’humour d’Eoin Colfer font la différence. C’est certain, on ne tient pas là le polar de l’année – l’auteur n’a d’ailleurs sans doute jamais eu cette prétention en l’écrivant – mais on passe un agréable moment de lecture, à se poiler sur l’infortune de Daniel McEvoy, et c’est déjà pas mal !

« Rantanplan se déchaîne à l’arrière du jardin des dealers, à la recherche de quelqu’un à égorger. Je parierais que ce chien-là n’a pas l’habitude de se faire malmener et jeter par-dessus une clôture. On raconte qu’il n’existe pas en enfer de pire colère que celle d’une femme flouée, ce à quoi je répondrais qu’une femme flouée partirait sans demander son reste en face d’un rottweiler à qui l’on vient d’essorer les testicules. »

Connu pour ses ouvrages destinés à la jeunesse – la série Artemis Fowl notamment, qui a séduit nombre d’adolescents de par le monde – Eoin Colfer prouve avec Prise directe qu’il peut aussi écrire pour les adultes. Le ton est à la fois plus sombre et plus drôle mais c’est là aussi une réussite.


Prise directe (Plugged, 2011) d’Eoin Colfer, Gallimard / Série noire (2012). Traduit de l’anglais (Irlande) par Antoine Chainas, 308 pages.