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L’Affaire suisse, sorti à l’automne 2019, est le deuxième roman de Jean-François Paillard paru chez Asphalte.

couv_suisse_rvb_lo-480x680-1Résumé

Nico, alias Narval, est chargé par Pépé Bartoli, le parrain dont il est l’un des assistants, d’une mission délicate. Remettre la main, en Suisse, sur un sacré pactole ayant autrefois appartenu à son boss. En réalité, Narval est un agent sous couverture de la Boîte et il est pris d’un véritable doute. S’agit-il d’une vraie mission ou bien Pépé commence-t-il à avoir de sérieux soupçons sur sa franchise ? Auquel cas, il l’envoie peut-être volontairement au casse-pipe ? Narval va devoir continuer à jouer double en étant particulièrement sur ses gardes. On n’est jamais trop prudent.

Mon avis

Nous avions fait la connaissance de Narval dans Le Parisien, premier polar de Jean-François Paillard paru chez Asphalte en 2018. Ici, l’auteur reprend son personnage et les éléments qui avaient fait la réussite du premier opus mais cette nouvelle aventure de l’agent double est tout à fait lisible sans avoir lu Le Parisien.

Nous sommes donc dans du roman d’espionnage classique, à l’ancienne pourrait-on dire, bien qu’il soit tout ce qu’il y a de plus contemporain. Les amateurs de DOA ou du récent J’irai tuer pour vous seront là en terrain connu. L’intrigue n’est pas follement originale mais le bagout de l’auteur, qui utilise un argot et un jargon dont la lecture sera un véritable plaisir pour les amoureux de la langue française (glossaire parfois utile en fin d’ouvrage) compense largement cette carence. Le roman est assez court – 222 pages au format semi-poche – et très riche en scène d’actions en proportion, si bien qu’on ne s’ennuie pas une seconde. L’écrivain semble bien connaître les milieux qu’il décrit – journaliste de métier, il s’est a minima bien documenté – et le roman est donc dans la veine « espionnage réaliste ». Pas de gadgets inventés ou de situations abracadabrantesques, on est là dans ce qui se fait à la DGSE ou ailleurs. L’auteur prend un malin plaisir à faire évoluer dans le monde de la haute finance suisse des personnalités internationales connues, facilement reconnaissables bien que leur identité ait été quelque peu modifiée. Le personnage de Mady, étudiante et escort de luxe qui ne laisse pas Narval indifférent est intéressant, et les gastronomes ne seront pas déçus : on mange et boit bien dans les romans de Jean-François Paillard.

Sans être exceptionnel, notamment en terme d’originalité, L’Affaire suisse est un très efficace roman d’espionnage français à l’écriture fort agréable. Il se termine par une ultime pirouette habile, qui nous laisse à penser qu’on aura prochainement des nouvelles de l’auteur.

L’Affaire suisse, de Jean-François Paillard, Asphalte (2019), 222 pages.

Malgré tout la nuit tombe (As perguntas) est un roman d’Antônio Xerxenesky qui vient tout juste de paraître chez Asphalte dans une traduction du brésilien de Mélanie Fusaro.

41t6ssrzvxlRésumé

Alina est venue à Saõ Paulo pour trouver du travail. Elle passe ses journées dans les bureaux d’un gratte-ciel, les yeux rivés sur un écran, à améliorer la qualité de petites vidéos principalement. Son boulot ne lui plaît pas. Son frère, décédé accidentellement, lui manque beaucoup. Globalement, elle s’ennuie. Un jour, la police la contacte dans le cadre d’une enquête sur une secte soupçonnée de pratiquer des enlèvements. Il se trouve qu’Alina, doctorante en histoire des religions, a de solides connaissances sur les religions brésiliennes, les sectes et autres pratiques occultes collectives. La commissaire n’a pas besoin d’en dire beaucoup plus. L’intérêt d’Alina est piqué.

Mon avis

Asphalte avait déjà publié Antônio Xerxenesky avec son western Avaler du sable et F, qui mettait en scène une tueuse à gages obsédée par le cinéma. Autre genre, autre décor avec Malgré tout la nuit tombe, vrai-faux thriller psychologique faisant la part belle à l’introspection et à l’horreur. Les références aux films d’épouvante sont nombreuses, à commencer par ceux de Dario Argento dont raffole Alina sans qu’elle sache exactement pourquoi.

Menant son enquête parallèle sur Internet, la jeune femme tombe sur un Tumblr qui semble appartenir à un pratiquant de la secte en question. Elle envoie un mail à tout hasard. On lui répond. Dès lors, son intérêt ne fait que s’accroître, jusqu’à virer à l’obsession.

Angoissant sans jamais verser dans le gore, Malgré tout la nuit tombe s’intéresse à l’occulte et au besoin qu’éprouvent les hommes de chercher des réponses à leurs questions. Des passages entiers sont consacrés aux réflexions métaphysiques d’Alina. Certains pourront trouver ces pages passionnantes ; d’autres seront peut-être moins friands de ces digressions philosophiques. Dans tous les cas, elles font partie intégrante du récit et ajoutent à cette ambiance propice au doute et à l’angoisse. Les errances éthyliques d’Alina dans les nuits de Saõ Paulo offrent de beaux moments de littérature, lesquels peuvent être encore plus évocateurs si l’on écoute en parallèle la playlist concoctée par l’auteur, de l’électro propice à l’évasion mais aussi, un peu, à l’inquiétude.

L’enquête « policière » est d’une certaine façon au cœur du roman – elle sert de fil rouge – mais étonnamment, c’est loin d’être la partie la plus intéressante de Malgré tout la nuit tombe joli récit introspectif sur les affres existentielles d’une jeune paulistana.

Malgré tout la nuit tombe (As perguntas, 2017), d’Antônio Xerxenesky, Asphalte (2019). Traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro, 224 pages.

Sur le mont Gourougou (El juramento de Gurugu) est un roman de Juan Tomás Ávila Laurel paru chez Asphalte en 2017, dans une traduction de Maïra Muchnik.

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Le mont Gourougou, c’est une grosse colline entre le Maroc et Melilla, cette enclave espagnole en terre africaine. Le mont Gourougou, ce sont des centaines d’Africains, arrivés ici seuls ou amenés par des passeurs, qui patientent le temps qu’il faudra pour réussir à forcer leur voie vers un bateau puis l’Europe. Le mont Gourougou, ce sont des centaines de personnes coincées un temps indéterminé dans un petit périmètre et des conditions à la dure, ce qui exige une certaine organisation pour que les choses se déroulent au mieux. Il suffit d’ailleurs parfois de pas grand chose pour que tout parte à vau-l’eau.

Mon avis

Juan Tomás Ávila Laurel est originaire de Guinée équatoriale, seul pays africain hispanophone, qu’il a fui en 2011 après une longue grève de la faim pour protester contre le régime en place. Il vit aujourd’hui à Barcelone où il écrit aussi bien de la littérature que des chroniques de presse.
Beaucoup de romans dont les migrants et la migration est le sujet principal sont écrits soit par des journalistes soit par des personnes qui se sont documentées sur la question. Sur le mont Gourougou a quant à lui le mérite d’être écrit non seulement par un Africain, mais par quelqu’un qui a vécu en grande partie ce qu’il raconte de surcroît.

Si certains éléments sont plus ou moins romancés pour les besoins du livre, tout sent grandement le vécu : des parties de football entre nationalités au franchissement de la frontière symbolique – un double grillage haut de plusieurs mètres et barbelé à souhait – en passant sur les détails des conditions de vie délicates voire extrêmes par moments. Sont aussi largement évoquées, la violence des forces de l’ordre marocaine et la difficulté d’être femme dans ce microcosme très majoritairement masculin. A un moment donné, des personnages enquêtent sur un drame survenu sur le mont mais le récit n’est clairement pas un roman « policier ».

« Là où je suis né, on devient adulte en découvrant que les jeux sont déjà faits, que les histoires sont déjà racontées et les interdictions, déjà proférées. La coutume dictait-elle de faire ceci ou cela ? Personne ne pouvait rien y changer. Parce qu’au fond, puisqu’on ne savait pas précisément où ces choses étaient décidées, on ne pouvait pas en parler. C’est ainsi que les choses de l’Afrique, toutes, restaient tues. Et l’histoire d’un continent qui se vide pour en remplir un autre doit être racontée depuis là où elle se fait. Sinon, ce serait comme avoir un objet en deux morceaux, dont l’un se serait perdu ; un tel objet, un tel outil ne servirait plus à rien. »

La construction du texte est très particulière et quelque peu déroutante pour un lecteur européen. L’oralité est importante en Afrique centrale et l’auteur a construit son récit, qui peut parfois sembler décousu, en se basant sur un système beaucoup utilisé par les conteurs locaux : les histoires à tiroirs. Au gré des interventions des narrateurs, on passe d’une histoire à une autre, elles s’enchâssent, on les quitte pour mieux les retrouver plus tard…

Un peu difficile d’accès de par sa construction atypique pour un Occidental, Sur le mont Gourougou est une plongée plus vraie que nature dans les réalités de la migration africaine vers l’Europe. Juan Tomás Ávila Laurel, grâce à ses nombreux petits récits, montre diverses facettes de la souffrance mais aussi de l’espoir, parfois un brin naïf, d’une vie meilleure dans cet Eldorado que serait l’Europe. Le tout incarné par des personnages crédibles – et sans doute inspirés par de vraies personnes – aux destinées variées.

Sur le mont Gourougou (El juramento de Gurugu, 2010), de Juan Tomás Ávila Laurel, Asphalte (2017). Traduit de l’espagnol (Guinée équatoriale) par Maïra Muchnik, 224 pages.

Ni de jour ni de nuit (Perra brava) est le premier roman d’Orfa Alarcón, paru chez nous chez Asphalte.
Il est traduit de l’espagnol (Mexique) par Mélanie Fusaro.

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Monterrey, Mexique.
Fernanda a vingt ans. C’est une étudiante insouciante. Elle rencontre Julio et tombe follement amoureuse. Peu à peu, et sans qu’elle s’en rende compte, il la coupe de ses amis, de sa famille… Elle est contrainte d’arrêter ses études et passe ses journées à l’attendre dans sa belle villa. Mais quelle est vraiment son occupation, lui qui doit être escorté de gorilles tatoués à chacun de ses déplacements ?
Un jour, Fernanda a besoin d’en apprendre davantage pour savoir où elle va. La fin de l’insouciance et le début des ennuis…

Mon avis

Présenté avec malice par l’éditrice comme un roman d’amour, Ni de jour ni de nuit n’est pas pour autant à conseiller aux amateurs et amatrices de Barbara Cartland et autres bluettes de type Harlequin. Il n’y a bien que Fernanda pour ne pas vouloir voir tout de suite la vérité. Pourquoi un jeune type comme Julio roule sur l’or et vit de manière très sécurisée, entouré de toute une bande de gros bras patibulaires mais presque ? Et pourquoi même des édiles locaux semblent être aux petits soins pour son homme ?

 » Ce matin-là, j’ai compris que je ne pouvais pas rester enfermée entre ces quatre murs, sinon j’allais finir par me pendre ; c’est pour ça que je suis sortie. Mais je suis juste allée dans un parc à trois cents mètres de là, et j’ai dû m’asseoir sur un banc. J’ai passé quelques heures là, immobile, sans vouloir rentrer, en ayant peur de moi-même. « 

Dans cet anti-conte de fée, la princesse vit seule et enfermée, non pas dans un donjon mais dans une villa. En revanche, le prince n’est pas là pour la libérer mais pour l’enfermer. Qui plus est, il est loin d’être aussi charmant que prévu…

Les sentiments de Fernanda, sur laquelle repose complètement le roman, sont décrits avec subtilité. Entre grand amour et syndrome de Stockholm, il n’y a parfois qu’un pas. Et si l’amour rend aveugle, il y a toujours un espoir de retrouver la vue. D’ailleurs, et si Fernanda n’était pas la potiche qu’elle paraît être ?

 » C’était comme d’avoir rêvé que la vie pouvait être différente, que dans la vie on pouvait aimer, comme ces rêves que font les enfants. Sauf que moi, je n’avais pas été enfant : à six ans je m’étais réveillée, j’étais grande, je connaissais déjà l’enfer et le sang. Et puis il y avait eu Julio, sa violence ne m’avait jamais intimidée, parce que j’avais toujours voulu mourir, voilà pourquoi, depuis le début, j’avais offert mon cou à ses dents. « 

Sur fond de violence, de guerre des cartels et de corruption généralisée, et avec en bande-son des titres aux sonorités hip-hop et reggaeton, Orfa Alarcón signe un premier texte rythmé et maîtrisé. Un roman d’amour oui, mais sombre et féroce, qui déménage du début à la fin, réussie d’ailleurs.

Ni de jour ni de nuit (Perra brava, 2010), d’Orfa Alarcón, Asphalte (2018). Traduit de l’espagnol (Mexique) par Mélanie Fusaro, 232 pages.

Note : Non pas que je ne cautionne les paroles et les attitudes de ce type de rap macho au possible, mais l’écoute (et même le visionnage des clips) des titres mentionnés dans le livre ajoute quelque chose dans la compréhension, notamment des hommes qui entourent Fernanda. Elle asssiste d’ailleurs à un concert de ce groupe de rap des cartels, qui sont de Monterrey, là où se déroule l’action.

Le Parisien est un roman de Jean-François Paillard paru chez Asphalte aujourd’hui.

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Narval a connu un certain nombre de conflits au sein de l’armée française. Jusqu’à ce que la guerre l’use de trop et qu’on décide qu’il était désormais inapte à la profession de soldat. Qu’à cela ne tienne, ne sachant pas trop quoi faire d’autre, voilà Narval vite reconverti dans la sécurité et, de fil en aiguille, dans des opérations interlopes où son expérience du terrain est grandement appréciée.
Dépêché de la capitale à Marseille pour une opération spéciale, il découvre qu’il s’est fait piéger en beauté. Un caïd de la drogue est retrouvé abattu dans sa chambre d’hôtel. Pour sauver sa tête, Narval est bien décidé à trouver qui a voulu lui faire porter le chapeau.

Mon avis

Connue pour ses auteurs de polar sudaméricains et ibériques, Asphalte publie un polar français pour la première fois. Tout comme Jean-François Paillard, à qui on devait jusqu’alors une œuvre hétéroclite (roman, essai, théâtre, poésie), essentiellement au Rouergue.
Dès l’exergue, l’auteur cite Jean-Patrick Manchette. Les références au père du néopolar sont par la suite – très – appuyées. Un personnage est nommé Terrier (comme le tueur à gages dans La Position du tireur couché) puis peu après, un autre… Manchette ! Ça a le mérite d’être clair.
L’héritage du néopolar est présent, forcément, et le style de l’auteur rappelle aussi, plus proches de nous, des auteurs de la Série Noire dépoussiérée par Aurélien Masson comme DOA ou Antoine Chainas. Le Parisien est très réaliste et les scènes d’action, qui ne manquent pas, sont sèchement décrites, de même que les personnages. D’un autre côté, comme dans Une histoire d’amour radioactive ou autres Pukhtu Primo, les caractéristiques d’une arme ou d’un bolide peuvent parfois être détaillées avec une grande rigueur, ce qui déroutera peut-être les lecteurs qui se contentent que le pistolet tire et que la voiture roule.
Le personnage de Narval, plutôt froid, ne parvient pas à être totalement antipathique, de par ses fêlures notamment (ses différentes guerres, son stress post-traumatique, son suivi psychologique…), à l’instar du Lynx découvert dans Citoyens clandestins. Deux noms d’animaux sauvages pour deux mercenaires des plus efficaces, tiens tiens !
L’intrigue est assez sommaire mais Jean-François Paillard, tout comme Narval, fait très bien son boulot, et plus d’un lecteur sera dérouté par la tournure que prendront finalement les événements.

Efficace dans son genre, Le Parisien laissera sans doute certains lecteurs de polars de marbre mais devrait ravir les amateurs d’histoires de mercenaires et de règlements de compte dans le milieu du grand banditisme ainsi que les aficionados de DOA et consorts.

Le Parisien, de Jean-François Paillard, Asphalte/Noir (2018), 231 pages.

Coupable vous êtes (Usted es la culpable), qui paraît aujourd’hui même chez Asphalte, est un roman du cubain Lorenzo Lunar, le troisième à mettre en scène l’inspecteur Léo Martín.


Résumé

Pedrusco, cireur de bottes et alcoolique bien connu sous le sobriquet de « roi du cirage », découvre sur un trottoir et dans une mare de sang le corps d’un homme à la tête en bouillie. Bien qu’il soit méconnaissable, l’inspecteur Léo Martín découvre assez vite que le cadavre est celui de Francisco Cordié Montero, plus connu à Varadero sous le nom de Panchita. L’ex-prof de sport bisexuel est devenu danseur professionnel avant de se faire des à-côtés en tant que propriétaire et proxénète. Au moment où Léo découvre que l’arme du crime est un marteau à tête plate, comme ceux qu’on utilise en cordonnerie, son ennemi de toujours, Chago le Bœuf, vient au commissariat déposer une plainte pour le vol d’un de ses… marteaux.
Bien que l’envie de coller le meurtre sur le dos du faux ressemeleur et vrai délinquant ne lui manque pas, Léo est convaincu que Chago n’est pas l’auteur du meurtre. Mais qui peut lui en vouloir au point de vouloir lui faire porter le chapeau ? Et quel pourrait bien être le mobile de ce meurtre atroce ? Le règlement de compte d’un rival en affaires ? Une sombre histoire de mœurs ?


Mon avis

Coupable vous êtes est la troisième enquête de Léo Martín après Boléro noir à Santa Clara (L’atinoir, 2009) et La vie est un tango (Asphalte, 2013). On y retrouve avec plaisir Santa Clara et ses habitants, et en particulier Léo, inspecteur bourru mais mais non moins attachant.

Le court roman – il comporte moins de cent-vingt pages – répond bien sûr aux questions précédemment exposées mais prend aussi le temps de s’intéresser à ses personnages, à Santa Clara, et par là, à la société cubaine d’aujourd’hui. On y découvre la galère quotidienne des habitants pour parvenir à se nourrir plus ou moins correctement, le parcours du combattant que doit faire un malade pour obtenir un rendez-vous hospitalier, etc.

Sans toute fois délaisser totalement Tania, la prostituée dont il est tombé amoureux, Léo ne peut s’empêcher de s’envoyer en l’air avec Raquelita. La séduisante et insatiable jeune femme est la fille de Manolito el Buty, un ami d’enfance de Léo, qui lui a demandé de veiller sur elle le temps de ses études en sociologie à Santa Clara. Il prend donc sa mission très à cœur et la surveille, de très près, avec plaisir.

Enquête plutôt classique dans la forme, mais néanmoins efficace, Coupable vous êtes est aussi l’occasion de voyager à Cuba par procuration, de découvrir sa gastronomie (grâce à la mère de Léo, vous connaîtrez la différence entre la caldosa et l’ajiaco) et de se mettre un peu de musique dans les oreilles. Signalons d’ailleurs qu’on trouvera avec plaisir dans les dernières pages une playlist concoctée spécialement par Lorenzo Lunar pour accompagner la lecture de son livre, dans lequel la musique est effectivement assez présente. D’ailleurs le titre original, Usted es la culpable, est celui d’une chanson de Los Panchos – qui est citée dans le roman.

Sans être exceptionnel du point de vue de l’intrigue, Coupable vous êtes s’avère être un efficace petit polar, qui prend le temps de faire voyager son lecteur. Il se lit avec un plaisir certain et l’on retournerait bien volontiers à Santa Clara dans un futur proche. À quand la prochaine enquête de Léo Martín ?

Coupable vous êtes (Usted es la culpable, 2006), de Lorenzo Lunar, Asphalte (2015). Traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy, 114 pages.

 

Belém est un roman noir du Brésilien Edyr Augusto paru là-bas en 1998 sous le titre Os éguas et publié ici par Asphalte il y a quelques semaines.

Résumé

Belém, capitale du Para, État du nord du Brésil.

Johnny, un coiffeur gay bien connu des jet-setteurs et de la presse people, est retrouvé mort chez lui. Il s’agirait a priori d’un arrêt cardiaque, sans doute du à une overdose de cocaïne – il faut dire qu’il était bien connu pour en prendre et qu’il ne s’en cachait pas. Mais quand l’inspecteur découvre chez Johnny des vidéos pédophiles le montrant à l’oeuvre avec des enfants, l’affaire prend une autre tournure. Ne l’aurait-on pas plutôt assassiné pour le punir de ses actes infâmes tout en faisant croire à un accident ? Difficile pour Gilberto Castro d’avancer dans son enquête tant personne ne semble disposé à aider la police.

Mon avis

Rares sont les auteurs brésiliens de polar à avoir été publiés en France. Celui que nous offre à lire la jeune maison d’édition Asphalte ne fait pas dans la dentelle. Edyr Augusto, traduit dans l’hexagone par le romancier lusophone Diniz Galhos (auteur de Gokan notamment), nous fait plonger dans le monde des nuits brésiliennes, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas forcément beau à voir. Prostitution, drogue, corruption, etc. L’argent permet aux nantis d’acheter ce qu’ils veulent, bien souvent au détriment des gens issus des classes sociales plus modestes.

L’inspecteur Castro n’est pas à proprement parler un héros. Il lutte contre son attirance pour les boissons alcoolisées et a tendance à chercher le réconfort dans les bras de belles inconnues, raisons pour lesquelles sa femme l’a quitté. Il fait cependant figure de personnage intègre dans ce monde de pourris. Il progresse tant bien que mal dans son enquête, et ce qu’il découvre peu à peu est bien pire que ce qu’il imaginait.

Si l’on ne peut pas véritablement parler de « plaisir de lecture » tant celle-ci est globalement éprouvante (du fait de passages crus et d’une scène particulièrement dure, ce roman est à déconseiller aux lecteurs les plus sensibles), gageons que ce roman marquera durablement le lecteur. Grâce à Edyr Augusto, on se souviendra longtemps que le Brésil ne se limite pas à la samba, au carnaval et au sable fin des plages de Copacabana.

A noter que Moscow, prochain roman de l’auteur à paraître en France – en février 2014, toujours chez Asphalte – est d’ores et déjà disponible dans sa version numérique sur les plates-formes consacrées.

Belém (Os éguas, 1998), d’Edyr Augusto, Asphalte (2013). Traduit du brésilien par Diniz Galhos, 251 pages.

La vie est un tango (La vida es un tango) est un roman du Cubain Lorenzo Lunar initialement paru en 2005.
Sa version française est sortie en juin dernier chez l’excellent éditeur Asphalte (traduction est de Morgane Le Roy).

Résumé

Léo Martin, est commissaire du quartier d’El Condado, à Santa Clara, Cuba. Peu de grandes affaires, juste les histoires du quotidien à régler. Et puis un jeune homme se fait assassiner, peu ou prou au moment où Léo entend parler d’un trafic de lunettes de soleil. Il trouve cela étrange. On ne tue pas des gens pour si peu, si ? Le commissaire veut en avoir le cœur net. Mais pas facile d’enquêter dans le quartier où l’on a grandi, où tout le monde vous connaît, et ne veut plus forcément vous parler depuis que vous êtes passé du côté de la police.

Mon avis

« La vie est un tango, je me suis dit en la regardant, plantée là devant moi.
« La vie est un tango », disait le vieux Cundo chaque fois qu’il se saoulait la gueule.
La vie est un tango, et il nous chantait « Las Cuarenta », « Cuesta Abajo », « Uno » et « Volver »… Il nous emmenait au bar La Concha pour mettre des pièces dans le juke-box et sélectionnait des tangos, toujours plus de tangos.
La vie est un
tango. »

Avec La vie est un tango – joli titre d’ailleurs – Lorenzo Lunar nous plonge au cœur de Santa Clara, qui est d’ailleurs, davantage que Léo, le personnage principal du roman. Immersion totale dans ce quartier populaire cubain où l’on voit évoluer toutes sortes de personnes, des gens tout ce qu’il y a de plus normaux comme certains seconds rôles plus hauts en couleur. Léo, qui fait son retour au quartier après avoir travaillé des années à la capitale, retrouve avec une certaine nostalgie les lieux de sa jeunesse. Il revoit certains avec plaisir, d’autres moins. Malgré la pauvreté, le chômage, les coupures d’électricité, tout le monde essaie de poursuivre son bonhomme de chemin. Mais pour s’en sortir, il n’y a parfois pas trop d’autres choix que de prendre des voies pas tout à fait légales : prostitution occasionnelle, petits trafics en tous genres… Léo, bien conscient de la situation, ferme parfois les yeux. Mais quand il y a mort d’homme, pas question de laisser le crime impuni.

« Aujourd’hui, c’est dimanche.
Il y a on va dire un certain temps, quand j’étais encore môme, les dimanches avaient un autre parfum. Peut-être parce qu’alors je me levais plus tard, quand le soleil était déjà bien haut. Ou simplement parce que c’était diman
che. […]
Mais y a plus de dimanche.
Y’a plus qu’un jour insupportable qui suit un samedi de galères en tout genre et qui précède toujours un détestable lundi. Un jour de scandales et de bagarres dans le quartier. De musique dansante, volume à fond, qui t’explose les tympans, tout ça parce que tu ne peux pas bouger de ton poste à côté du fut de bière et qu’ils t’ont mis les enceintes juste au-dessus de la tête. Torture chinoise.
Jour de cuites, de crises de nerf, de coups de couteau.
Jour de promenade et de détente pour ceux qui peuvent s’offrir ce luxe.
Pour moi, le plus pourri des jours de boulot. […]
C’est dimanche et j’ai comme l’impression que cette journée, je vais jamais en voir le bout.
C’est dimanche. Il est trois heures de l’après-midi, l’heure à laquelle ils ont dézingué Lola, l’heure où les enfants sont trop lourds à porter, l’heure où t’arrives à rien. Il est trois heures de l’après-midi : la pire heure, le dimanch
e. […]
Il fait chaud et je demande à Dieu que, s’il vous plaît, il ne se passe rien, que tout reste calme, que personne ne vienne raconter à Franck le Porc que sa femme le trompe.
Que Lobo ne s’envoie pas un pétard de marijuana et ne se défoule pas sur le premier clampin venu.
Que Gordillo paye les vingt pesos qu’il doit à Felipe le Gro
s Cul…
Qu’il ne se passe rien, bordel.
C’est dimanche, je crève de soif, de chaud, j’ai une sale gueule et j’ai envie de tout envoyer chier, et de préférence le jour où je suis entré dans la police. »

Bien que ce roman n’ait pas les caractéristiques d’un page-turner, on ne s’ennuie pas, pour peu qu’on accepte de se laisser embarquer. Au rythme de Santa Clara, entouré de ses paysages, ses bruits, ses odeurs, on suit Léo et son enquête, laquelle va l’amener à découvrir des vérités que d’aucuns avaient tout intérêt à garder secrètes.

A mille lieues du thriller effréné, Lorenzo Lunar nous offre avec La vie est un tango un agréable séjour à Cuba, et un fort beau roman. Une plume à suivre.

La vie est un tango (La vida es un tango, 2005), de Lorenzo Lunar, Asphalte (2013). Traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy, 176 pages.

Chamamé est un roman noir de l’Argentin Leonardo Oyola, le second traduit en français après Golgotha, toujours chez Asphalte.

Résumé

Perro Lascano et son ami Noé, un fou de Dieu qui s’autoproclame pasteur, se connaissent depuis longtemps. Ils se sont rencontrés en prison et font depuis des affaires ensemble, pas très légales bien sûr les affaires : braquages, enlèvements… Dans le milieu de la pègre locale, ils sont respectés et tout va bien pour eux, merci. Enfin, ça, c’était avant que Frère Noé trahisse son compadre. Depuis, Lascano n’a plus qu’une idée en tête, retrouver son ex-complice, régler ses comptes, et pourquoi pas lui régler son compte.

Mon avis

Le moins qu’on puisse dire est que l’action ne manque pas dans Chamamé, titre pour lequel Leonardo Oyola a reçu en 2008 le prix Dashiell Hammett de la Semana Negra, récompensant le meilleur roman noir écrit en espagnol. L’auteur argentin nous offre deux cents pages de chasse à l’homme virile et furieuse, avec quelques scènes de castagne mémorables au passage – on imagine facilement une adaptation sur grand écran façon Robert Rodriguez.

L’écriture, au service de l’action avant tout, ne s’embarrasse pas de fioritures : les phrases sont souvent courtes et vont à l’essentiel. Le tout est entrecoupé de nombreux flashbacks concernant Perro et Noé et permettant de mieux cerner le comportement de ces deux delincuentes aux tempéraments finalement bien différents.

Un bon son poussé à fond dans la voiture, une pièce dans le juke-box du bar, une ritournelle dans le crâne : la musique est omniprésente, y compris dans les dialogues, et autant dire que c’est plutôt rock&roll. On retrouve en fin d’ouvrage les références de tous les morceaux évoqués et l’auteur propose également une playlist personnelle, pour qui souhaite lire en musique.

Si on l’avait déjà entrevu avec Golgotha (écrit après cet opus, bien que paru en France avant), Leonardo Oyola confirme avec Chamamé qu’il possède un réel talent de conteur. Il parvient à embarquer son lecteur en quelques phrases pour ne plus le lâcher en route jusqu’au terminus. On est bien loin ici des enquêtes de Miss Marple, et les bandidos tournent plutôt à la tequila qu’à la cup of tea, aussi ce type de roman ne plaira sans doute pas à tous les publics. Maintenant, si vous aimez les fictions où la castagne et la testostérone règnent en maître, y a pas de tromperie sur la marchandise, c’est de la bonne came.


Chamamé (Chamamé, 2007) de Leonardo Oyola, Asphalte (2012). Traduit de l’espagnol (Argentine)  par Olivier Hamilton, 216 pages.