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Le sang ne suffit pas est un roman d’Alex Taylor qui paraît aujourd’hui chez Gallmeister.

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Crazy Jack Mountains, Virginie, 1748.
Après avoir vu sa femme et son fils emportés par la diphtérie, Reathel a fui leur chalet et erre dans la montagne dans des conditions dantesques, avec pour seul compagnon un sinistre dogue offert par son frère. Frigorifié et affamé, il n’a d’autre solution que de tenter d’obtenir un peu de chaleur pour passer la nuit lorsqu’il aperçoit une cabane visiblement habitée. Seulement, l’homme ne veut pas le laisser entrer. Après un bref combat, Reathel entre dans le logis et tombe sur une femme sur le point d’accoucher. Elle-même a fui car les hommes de son village ont promis son enfant à venir aux terribles Indiens Shawnees en signe d’apaisement.

Mon avis

Les lecteurs français avaient pu faire la découverte d’Alex Taylor en 2016, avec la parution dans feu la collection Néo Noir de Le Verger de marbre (Grand Prix du Roman noir étranger du Festival de Beaune en 2017). Il se déroulait plus près de nous et dans le Kentucky. Autre période, autre ambiance, pour ce western noir inédit en anglais pour l’heure, Gallmeister signant ici, grâce au remarquable travail d’Anatole Pons-Reumaux, la première publication mondiale de ce titre.

On peut qualifier le roman de choral puisque l’on suit tantôt Reathel, tantôt d’autres personnages, principalement des habitants de Bannock, à la merci de la rudesse de l’hiver et de la menace des Shawnees.
La langue, assez soutenue, est très belle et il n’est pas rare de découvrir un mot inconnu au détour d’une page. Les paysages des Crazy Jack Mountains sont aussi joliment donnés à voir.

C’est à peu près les seules traces de beauté dans ce roman où la noirceur est très présente, que ce soit dans les comportements des personnages – égoïstes et irrécupérables pour la plupart –, dans les conditions climatiques mortifères ou même dans les rencontres inopinées avec la faune locale, tout aussi affamée que les humains, lesquels présentent donc un fort potentiel de protéines.
Le sang ne suffit pas est en quelque sorte un roman où chacun essaie de survivre avant tout. Il est vrai que les conditions que traversent les protagonistes ne favorisent guère la confiance en l’autre et l’envie d’aider son prochain.

Le suspense est présent du début à la fin et l’on se demande à plusieurs reprises comment tout cela va bien pouvoir se terminer, quand bien même la réponse semble assez inéluctable. Comme cela a commencé : par de la neige rougie. Si l’action est présente, les personnages sont parfois confrontés à des dilemmes intéressants et certaines questions qu’ils se posent en cours de route amènent à quelques réflexions fertiles.

Différent de son précédent roman, Le sang ne suffit pas est un superbe western crépusculaire qui devrait ravir les amateurs du genre. Une belle réussite qui, comme Les Frères Sisters, pourrait faire l’objet d’une adaptation cinématographique mémorable.

Le sang ne suffit (Blood Speeds the Traveler, inédit), d’Alex Taylor, Gallmeister (2020). Traduit de l’anglais (Etatsunis) par Anatole Pons-Reumaux, 288 pages.

La Crête des damnés est un roman de Joe Meno paru aux éditions Agullo en 2019 dans une traduction d’Estelle Flory.

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Brian, 17 ans, est secrètement amoureux de sa meilleure amie, Gretchen, une punk bagarreuse ayant des problèmes à accepter son surpoids. Malgré le regard des autres, il aimerait l’inviter au bal de Homecoming mais il n’arrive ni à lui avouer ses sentiments ni même à simplement l’inviter pour cette soirée lycéenne. Pour choper, une meuf, rien de tel que de lui offrir une super compile, à ce qu’il paraît. Alors Brian est obnubilé par la confection de la cassette ultime, celle qui lui permettra d’arriver à ses fins.

Mon avis

Si les deux premiers romans de Joe Meno parus chez Agullo (Le Blues de la harpie & Prodiges et miracles) pouvaient s’apparenter à du « noir », il n’en est rien de celui-ci. Il est le roman d’une époque, les USA des 90’s, et d’un milieu social, populaire, pour ne pas dire pauvre. Il est aussi, sinon un roman « musical » tout au moins un roman qui fait la part (très) belle à la musique. Les références sont innombrables, si bien qu’une playlist consacrée au roman disponible sur Spotify fait quasiment cinq heures. Pour ceux qui ne connaissent pas, ou très peu, les genres évoqués (punk et metal principalement) et qui sont curieux, cet ouvrage est d’ailleurs une porte d’entrée sympathique vers cet univers. Il m’a vite semblé impossible de passer ces 350 pages avec Brian, Gretchen, Kim et les autres sans écouter ce qu’ils écoutent : des noms qui me parlent vaguement mais très loin de ce que j’écoute : Misfits, Guns N’ Roses, Black Sabbath, Mötley Crüe, Dead Kennedy, Ramones…

L’invitation de Gretchen au bal de Homecoming, rassurez-vous, ce n’est pas ce qui importe vraiment dans cette histoire. C’est un espèce de fil rouge qui devient rapidement humoristique, un peu comme le M. De Mesmaeker dans Gaston avec la signature de ses fameux contrats. Et comme dans cet exemple, inviter Gretchen au bal, et bien c’est pas simple, RROGNTUDJÛ !
En ouvrant La Crête des damnés, je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais car le sujet était loin de mes lectures habituelles et j’ai craint qu’il puisse ne pas me plaire.

J’ai passé un bon moment avec Brian – auquel on s’identifie assez facilement lorsqu’on est un gars hétéro timide – et ses copains, dans cet univers musical que j’ai pris plaisir à découvrir. Un roman qui sort de ce que je lis d’ordinaire mais un vrai plaisir de lecture.

La Crête des damnés (Hairstyles of the Damned, 2004), de Joe Meno, Agullo/Fiction (2019). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Estelle Flory, 348 pages.

November Road est un roman de Lou Berney paru chez Harper Collins/Noir début 2019.

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La Nouvelle-Orléans, 1963.
Frank Guidry est un homme qui compte dans l’organisation de Carlos Mancello. Seulement, par un concours malheureux de circonstances, il vient à en savoir trop sur un contrat on ne peut plus sensible dans lequel son patron est impliqué : l’exécution à Dallas d’un certain John Fitzgerald Kennedy.
Oubliés, les bons et loyaux services. Vain, l’espoir d’un compromis. Guidry comprend vite qu’il n’a plus qu’une chose à faire s’il veut survivre : fuir !

Mon avis

Que les lecteurs qui goûtent peu aux récits à la sauce Al Capone et autres aventures de la Cosa Nostra ne fassent pas demi-tour d’emblée. November Road n’est pas une énième histoire de mafia, bien qu’elle comporte certains ingrédients propres à ce genre d’intrigues. En revanche, c’est un vrai récit de cavale, tantôt trépidant tantôt plus introspectif, et parfois un peu convenu il est vrai. Ainsi, on n’échappe pas aux scènes anxiogènes lors de nuits incertaines dans des motels ou au rapprochement comme inévitable entre Guidry et la belle Charlotte, tombée en panne sèche sur le bord de la route alors qu’elle fuyait l’ennui et son mari alcoolique avec ses deux jeunes filles.

Malgré ces quelques poncifs avec lesquels Lou Berney semble s’amuser le récit est captivant. Peut-être parce que les personnages, Guidry et Charlotte en tête, sont plus profonds et attachants qu’il n’y paraît au premier abord. Peut-être parce que la fuite de Charlotte, toute différente soit elle, est tout aussi nécessaire. Et sans doute un peu parce que les méchants sont très méchants et qu’on se doute bien que tout cela va très mal finir mais qu’on ne peut s’empêcher d’espérer un improbable happy end.

Toujours est-il qu’on ne voit pas défiler les 380 pages de ce November Road, efficace en diable et qu’on verrait bien adapté sur grand écran, mais auquel il manque un petit quelque chose pour en faire une lecture mémorable.

November Road (November Road, 2018), de Lou Berney, Harper Collins/Noir, 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maxime Shelledy, 380 pages.

Power est un roman de Michaël Mention paru chez Stéphane Marsan en 2018.

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1965.
Les États-Unis sont en ébullition. Les GI sont de plus en plus nombreux à laisser leur vie au Vietnam et la population est de plus en plus réticente à voir ce conflit se poursuivre. Les manifestations se succèdent et prennent toujours plus d’ampleur.
Les Afro-Américains, las de se voir discriminés sans cesse, décident eux aussi d’enclencher la seconde. Sauf qu’après l’assassinat de Malcolm X, en février, deux camps se distinguent. Ceux qui prônent la défense de leurs droits par tous les moyens, et les partisans de la non-violence prônée par Martin Luther King.
C’est dans ce contexte que Bobby Seale et Huey P. Newton créent le Black Panther Party for Self-Defense autour duquel gravitent les personnages de ce roman.

Mon avis

On avait déjà pu s’en apercevoir en lisant sa trilogie anglaise, et plus encore dans Fils de Sam et Jeudi noir : Michaël Mention aime l’histoire. Plus encore, il aime ancrer fortement ses récits dans un contexte, dans une époque. Disons-le tout de go : il aurait tort de s’en priver tant il le fait avec maestria. Des documentaires sur les Black Panthers, il y en a des cartons, surtout en langue anglaise. Des romans, déjà moins. Mais ce type d’ouvrage, qui mêle intelligemment événements historiques avérés et fiction, tout en restant crédible par rapport à la réalité, il y en a peu.

C’est donc avec un mélange de curiosité et de plaisir qu’on dévore cet opus qui passionne tout en instruisant. Les personnages principaux sont intéressants et ajoutent à l’ouvrage une certaine tension bienvenue. En effet, il n’y a pas d’intrigue policière classique mais on tourne néanmoins fébrilement les pages pour savoir ce que vont devenir la jeune et candide Charlene ou le malheureux Tyrone. La première, à peine sortie de l’adolescence, s’engage dans la cause des Black Panthers avec toute son énergie juvénile. Le second, pour éviter la pire des condamnations, se voit contraint d’infiltrer l’organisation pour le compte du FBI. Équilibriste de tous les instants, sa vie est un enfer tant il ne doit jamais baisser la garde sous peine de se voir démasqué, et sans doute abattu.

Interventions médiatiques, patrouilles de surveillance de la police, aide humanitaire comme ce programme « Free Breakfast for Children » consistant à nourrir les enfants des quartiers les plus défavorisés de San Francisco, poings gantés de Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de Mexico… Au fil des pages, on suit la genèse du BPP, ses débats internes, son expansion, ses changements de cap et enfin, ses difficultés croissantes, grandement favorisées par les manœuvres de déstabilisation du FBI décidées en haut lieu.

Passionnant du début à la fin tout en étant extrêmement riche d’un point de vue historique, culturel et même musical – comme souvent chez l’auteur – Power, récent lauréat du Prix Polars Pourpres 2018, est sans doute à ce jour le livre le plus abouti de Michaël Mention. Si vous aimez ce roman entremêlant habilement faits historiques et fiction, vous ne devriez pas être déçu par son nouvel opus, Manhattan Chaos (10/18) qui fait s’entrecroiser les meurtres de Son of Sam et la décrépitude de Miles Davis à l’été 1977.

Power, de Michaël Mention, Stéphane Marsan (2018), 464 pages.

Le Cherokee est un roman de Richard Morgiève qui vient de paraître aux éditions Joëlle Losfeld.

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1954, Panguitch, comté de Garfield, Utah.
Nick Corey, effectue sa tournée de nuit habituelle. Mais tandis qu’il découvre une voiture abandonnée au détour d’un chemin, le shérif voit atterrir un avion de chasse à cet endroit incongru. Se rendant rapidement au pied de l’appareil, le plus curieux reste à venir. Aucune trace d’un quelconque pilote. À croire que le Sabre s’est posé tout seul. Concernant le véhicule délaissé, pas de trace du chauffeur là non plus, tout juste une fragrance féminine. Un parfum français peut-être ?
Cela fait beaucoup de mystères d’un coup pour ne pas titiller sérieusement la curiosité d’un type comme Corey.

Mon avis

Écrivain, scénariste, dramaturge et même acteur, Richard Morgiève est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, principalement des romans. Il a publié son premier texte en 1980, reçu de nombreuses récompenses et entretenu une correspondance avec d’autres écrivains comme Jean-Patrick Manchette, qui appréciait visiblement son œuvre.

Avec Le Cherokee, il revisite à sa manière le récit de serial killer. L’écriture est singulière, belle dans l’ensemble, avec des mots choisis avec soin. Mais l’auteur se permet parfois soudainement un grand écart et peut virer tout à coup dans un style bien plus cru – pour ne pas dire vulgaire. Déstabilisant parfois, mais globalement à propos lorsqu’on se met un peu à la place de Nick Corey, qui en voit des vertes et des pas mûres. Sans trop déflorer l’intrigue, assez classique au demeurant, disons simplement que le shérif se retrouve sur la piste d’un tueur qui pourrait bien avoir un rapport avec la mort aussi prématurée qu’ignoble de ses parents. Celui qu’on surnomme rapidement le Dindon – si personne ne l’a vu, on l’a entendu glousser, ou plutôt glouglouter – semble être de retour et vouloir jouer avec Corey. Malgré l’assistance du FBI, en la personne du sémillant Jack White, concernant le mystérieux atterrissage du sabre, affaire qui pourrait avoir une importance cruciale pour la nation en cette période de Guerre Froide et de maccarthysme, Corey patine. Pire, il semblerait qu’il ait toujours un train de retard. Et le Dindon semble prendre un malin plaisir à laisser des indices sur ses victimes.

La traque est intéressante à plus d’un titre mais devient parfois redondante tant les rebondissements se suivent et se ressemblent. Quant au final, il s’avère plutôt décevant. Les révélations ne convainquent qu’à moitié et certaines questions – parmi les plus passionnantes – sont même laissées sans réponse par l’auteur.

Fort bien écrit – certains passages, empreints de nostalgie, sont particulièrement réussis – Le Cherokee, qui s’annonçait passionnant, ne tient pas toutes ses promesses. La faute à quelques longueurs et à un final évasif qui laissera plus d’un lecteur sur sa faim. Dommage.

Le Cherokee, de Richard Morgiève, Joëlle Losfeld (2019), 467 pages.

Là où les lumières se perdent (Where All Light Tends to Go) est un roman de David Joy paru chez Sonatine en 2016 dans une traduction de Fabrice Pointeau.
Il est désormais disponible en poche chez 10/18.

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Dans une petite bourgade des Appalaches vit Charly, tout juste dix-huit ans. Il aspire à la vie normale des jeunes de son âge. Oui mais voilà, il s’appelle McNeely. Un nom de famille qui fait peur dans les environs depuis des générations. Son père est un caïd de la drogue. Sa mère sort rarement de l’état second que lui procure la meth qu’elle consomme à longueur de temps. Et Maggie, son amie et amour d’enfance sort avec un blaireau. Il aimerait pouvoir la reconquérir et moins sécher les cours mais son père lui demande de plus en plus souvent de l’aider à mener ses affaires sordides. Et à vrai dire, il ne lui laisse pas vraiment le choix.

Mon avis

Récemment auteur d’un second opus, Le Poids du monde, toujours chez Sonatine, David Joy voyait paraître Là où les lumières se perdent en France en 2016. D’un premier roman, ce texte puissant et émouvant, rappelant la plume de Ron Rash (dans Le Monde à l’endroit en particulier), entre autres, n’a pas les habituels défauts. Sans le savoir, il serait d’ailleurs bien difficile pour quiconque de deviner qu’il s’agit ici d’un galop d’essai. Et quel galop ! À partir d’une situation de départ somme toute assez classique – un amour impossible, une famille qu’on ne choisit pas… – David Joy signe un drame magnifique, tantôt atroce tantôt terriblement poignant.

« Certains sont destinés à de grandes choses, à des endroits lointains, et ainsi de suite. Mais d’autres sont englués dans un lieu et vivront le peu de vie qu’on leur accordera jusqu’à n’être qu’un cadavre de plus enterré sous le sol inégal. »

Difficile de ne pas s’attacher à Charly, torturé entre ses aspirations et ce destin tout tracé qui lui semble tellement inéluctable. À tel point que l’impossibilité de quitter la ville et de tracer sa propre route paraît presque physique. Difficile de ne pas tomber amoureux de Maggie, mélange de douceur et de motivation qui est quant à elle bien décidée à mettre toutes les chances de son côté pour fuir ce trou et aller étudier à l’université. Difficile de ne pas ressentir ce mélange de pitié et d’amour filial qu’éprouve le jeune homme envers sa mère décatie, sa jeunesse prématurément partie en fumée dans les volutes d’une drogue qui la consume doucement mais sûrement. Rapidement, des événements conjoints bien que sans véritable lien poussent l’indécis Charly à devoir faire des choix. Les ennuis ne font alors que commencer.

« En l’espace de quelques brèves minutes, mourir était devenu simple. C’était de vivre que j’avais peur. »

Premier roman et première réussite pour David Joy. Là où les lumières se perdent (très beau titre qu’on comprend encore mieux ensuite) vise juste et convainc totalement. Les pages sont souvent sombres mais l’auteur laisse passer quelques rayons de soleil salvateur. Sonatine a récemment annoncé un prochain titre de l’auteur pour octobre 2019, Ce Lien entre nous, qu’on attend déjà avec impatience.

Là où les lumières se perdent (Where All Light Tends to Go, 2015), de David Joy, Sonatine (2016). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabrice Pointeau, 304 pages.

Blanc sur noir (Thin Walls) est un roman de Kris Nelscott réédité par les éditions de l’Aube en septembre.
Il avait déjà été publié en 2006 et la traduction est de Luc Baranger.

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Chicago, 1968.
Suite à sa précédente enquête, Smokey Dalton a dû fuir Memphis. Il vit désormais dans la Ville des vents et sous une fausse identité. Mais puisqu’il faut bien faire bouillir la marmite, il tente l’improbable pari de continuer à travailler comme détective privé sans être en règle ni se faire repérer par les autorités.
Madame Foster, dont le mari vient d’être assassiné, vient voir Smokey et lui demande d’enquêter sur la mort de ce dernier puisque la police ne semble pas en faire une priorité. Tout dentiste qu’il était, il faut dire que Louis Foster était noir. Dans ces années 1960 mouvementées, un Noir de plus retrouvé mort dans un parc public, ce n’est pas ce qui préoccupe le plus les autorités…

Mon avis

Kris Nelscott a principalement écrit de la fantasy, avec son vrai nom, Kristine Kathryn Rusch, ou sous d’autres pseudonymes. Sous celui-ci, elle écrit la série consacrée à Smokey Dalton qui compte aujourd’hui sept titres, les cinq premiers ayant été publiés en France par les éditions de l’Aube.

Dans l’idéal, il vaut d’ailleurs mieux les lire dans l’ordre, sans doute. Blanc sur noir commence ainsi juste après la fin de A couper au couteau et des références sont également faites au premier opus, La Route de tous les dangers. Après leurs (més)aventures à Memphis et la mort de Martin Luther King, Smokey et le jeune Jimmy tentent de refaire leur vie à Chicago donc.

Mais ici comme ailleurs aux États-Unis dans les années 1960, lorsqu’on a le malheur d’être né avec une peau un peu trop pigmentée, la vie n’est pas de tout repos. À travers le regard de Smokey et des autres personnages, Kris Nelscott nous donne à voir l’horrible réalité de la ségrégation encore à l’œuvre. On ne peut louer ou acheter dans certains quartiers ; on ne peut faire ses courses dans tous les magasins ; on ne peut prendre tous les transports en commun. Et donc, on peut être un dentiste de bonne réputation et mourir assassiné dans un parc sans que ça n’émeuve plus que ça les forces de l’ordre. Même si quelques Afro-Américains commencent, à la marge et sans grand pouvoir, à travailler dans la police.

Le contexte est très bien rendu et intéressera de nombreux lecteurs. L’intrigue – ou plutôt les intrigues, car l’histoire comporte plusieurs ramifications – concoctée par Kris Nelscott n’est pas en reste. Sur fond de racisme, cette histoire passionnante du début à la fin connaît plusieurs rebondissements dramatiques. Le roman, très épais au format poche avec ses quelque six cent cinquante pages, se lit finalement très rapidement tant l’histoire est prenante et les personnages attachants.

Les éditions de l’Aube font bien de republier en poche cette série, initialement parue à partir de 2005. Se déroulant au sein de la communauté noire aux États-Unis à l’époque du mouvement des droits civiques, ces titres sont visiblement de qualité et méritent d’être lus.

Blanc sur noir (Thin Walls, 2002), de Kris Nelscott, L’Aube/Noire (2018). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Luc Baranger, 650 pages.

Mauvaises graines (Ugly Girls), premier roman de Lindsay Hunter vient de paraître à la Série Noire. Il nous vient des Etats-Unis et est traduit par Samuel Todd.

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Baby Girl et Perry sont deux adolescentes qui s’ennuient. Elles ne vivent pas des vies plus atroces que d’autres, mais elles s’entraînent l’une l’autre dans les conneries. Sécher les cours, voler des babioles dans les supérettes, et bientôt, quitter leur foyer la nuit pour sortir s’éclater. Boire, rencontrer des garçons et même, « emprunter » des voitures pour le simple plaisir de rouler dans la ville la nuit.
Les deux jeunes femmes ne pensent pas à mal. Elles ne pensent pas vraiment en fait. Elles essaient juste de tromper l’ennui.
Sur les réseaux sociaux, elles font la connaissance de Jamey, qui lui aussi trouve le temps long. Les discussions s’enchaînent, et la rencontre semble se préciser.

Mon avis

Premier roman de Lindsay Hunter donc, Mauvaises graines s’intéresse principalement à l’adolescence des classes moyennes américaines et ce qu’elle comporte d’ennuyant. Inanité qui amène elle-même à braver les interdits, à prendre des risques – souvent inutiles – pour le simple plaisir de la montée d’adrénaline que cela procure.

Complices, Baby Girl et Perry le sont. Pour autant on ne peut pas dire qu’elles soient véritablement amies. Baby Girl envie Perry, belle sans essayer de l’être, tandis qu’elle, quelconque, doit adopter des looks extrêmes pour essayer de se démarquer. Aimantant les regards masculins, Perry horripile parfois Baby Girl, presque invisible aux yeux des hommes.

Si le frère de Baby Girl est devenu handicapé depuis un grave accident, aucun véritable drame dans la vie familiale de Perry. Une mère aimante, quoiqu’ayant un penchant pour la bière pour tromper l’ennui des longues journées solitaires dans sa caravane ; un beau-père gardien de prison et bienveillant sur qui elle peut compter.
Malgré tout, les jeunes femmes ont mis le doigt dans un engrenage, celui de la recherche des sensations. Tant que ça passe, on continue… Mais jusqu’où peut-on sortir du cadre et braver les interdits sans se faire rattraper par la patrouille ? Forcément, ce genre de jeu, de plus en plus dangereux, est inéluctablement amené à prendre fin.

Mettant en scène des personnages quelconques dans leur vie quelconque, Mauvaises graines est un intéressant roman sur la vacuité et l’absence de perspectives. Lent dans son rythme mais plutôt prenant malgré tout, il connaît quelques rebondissements, glissant peu à peu vers le drame.

Mauvaises graines (Ugly Girls, 2014), de Lindsay Hunter, Gallimard/Série Noire. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Samuel Todd, 288 pages.

Mercy, Mary, Patty est un roman de Lola Lafon paru en 2017.

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Le 4 février 1974, Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse et âgée de 19 ans est enlevée alors qu’elle se trouvait dans son appartement du campus de l’université de Berkeley.
Le rapt est parfaitement planifié et revendiqué par l’Armée de libération symbionaise, groupuscule d’extrême gauche qui avait déjà fait parler de lui l’année précédente à Oakland en tuant un directeur d’école, accusé par eux de fascisme.
Des enregistrements de Patty parviennent à la famille et à la presse, notamment pour demander le versement d’une contrepartie contre sa remise en liberté. Au fur et à mesure de l’envoi de ces bandes, Patty semble se rapprocher des idées/idéaux de ses ravisseurs. Certains y verront un « lavage de cerveau » à l’œuvre, d’autres une prise de conscience politique.

Mon avis

Voilà pour les faits. Sauf que Lola Lafon n’aborde pas ce faits divers aussi frontalement, mais par l’intermédiaire d’autres personnages et d’autant d’anecdotes.
L’on suit Gena Neveva, une professeur au fort caractère, chargée par l’avocat de Patricia Hearst de rédiger un rapport pour faciliter le travail de la défense au procès Hearst, qui doit bientôt s’ouvrir à San Francisco. L’on s’intéresse aussi à Violaine, une étudiante française qui assiste Mme Neveva dans ses travaux, elle qui a été invitée à passer un an dans une petite commune des Landes.
On l’avait déjà observé avec plaisir dans La petite communiste qui ne souriait jamais (qui s’intéressait au parcours exceptionnel de la gymnaste soviétique Nadia Comăneci), Lola Lafon est véritablement douée pour donner à voir des évènements réels et des personnages existants par l’intermédiaire d’un récit qui emprunte beaucoup au romanesque sans jamais s’éloigner de la réalité pour autant. En déstructurant la chronologie et en abordant les évènements par des sentiers détournés, elle offre une lecture différente du faits divers, à mille lieues d’un article de presse ou d’un résumé d’encyclopédie.
Comme l’indique le titre, le roman s’intéressera aussi – plus brièvement – à d’autres jeunes femmes qui ont radicalement tourné le dos à leur milieu d’origine, à d’autres moments de l’Histoire et dans de tout autres contextes : Mercy Short et Mary Jamison.

Intelligent sans jamais être rasant, Mercy, Mary, Patty est un récit qui passionnera plus d’un lecteur. Pour autant, Lola Lafon ne juge pas et le récit apporte en vérité plus de questions que de réponses, mais on ne s’en plaint pas.

Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon, Actes Sud (2017), 233 pages.

Animaux solitaires (Lonesome Animals, 2012) est le premier roman de Bruce Holbert.
Il est paru en 2013 aux éditions Gallmeister et a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias.

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Comté de l’Okanogan, État de Washington, 1932.
Russell Strawl a beau être un ancien shérif respecté, il est la violence incarnée. Ou peut-être est-ce précisément pour cela qu’il est respecté ? Toujours est-il qu’il a sa façon bien à lui d’interpréter la loi et de la faire régner.
Lorsque plusieurs Indiens sont retrouvés massacrés quasi « artistiquement », et sans qu’on trouve le moindre indice, c’est tout naturellement que la police locale demande à Strawl de remettre le pied à l’étrier. Et pour neutraliser le tueur, on lui laisse carte blanche.

Mon avis

Bien que quasi contemporain, Animaux solitaires peut aisément être qualifié de western. D’ailleurs, l’intrigue pourrait se dérouler en 1860 que ça ne changerait pas grand-chose au récit. On y retrouve les figures habituelles : Indiens, policiers blancs, saoulards et autres délinquants à la petite semaine… Surtout, il y a chez Bruce Holbert ce souffle épique propre au genre.

Pour autant, l’auteur peut aussi prendre, en passant, le temps de décrire un oiseau, la beauté d’une roche particulière ou la recette du plat d’un personnage sans que ça ne vire au manuel d’ornithologie, de géologie ou au livre de cuisine – et l’on est pas étonné alors que le texte ait été publié par Gallmeister, fervent passeur de nature writing.

 » Strawl jouissait d’une certaine notoriété en tant que cavalier – et comme représentant de l’ordre, d’un renom bien plus considérable même si celui-ci devait beaucoup à ses turpitudes. […] Il accepta d’honorer l’événement de sa présence à condition que celle-ci ne fût pas annoncée publiquement. La raison de cette exigence n’avait pas grand chose à voir avec la modestie. Sa réputation était telle qu’il serait remarqué par toute personne qui le croiserait, qu’il monte sur une estrade ou qu’il circule dans une automobile décapotable. Elle était telle, également, qu’un visiteur sur deux avait une raison de le tuer ou de le blesser. « 

Les personnages sont hauts en couleurs et globalement assez détestables. Strawl surtout, pour sa facilité à user de la force à la moindre contrariété. Quant à Elijah, fils adoptif de ce dernier – on apprend rapidement que le shérif l’a recueilli alors qu’il était un nourrisson abandonné – il ne parle quasiment qu’en citant la Bible et se prend pour un prédicateur.

« Il annonçait à sa mère la venue de chaque saison et en l’espace de quelques semaines le pays se couvrait des première gelées d’automne, puis deux mois plus tard de trois centimètres de neige et encore quatre mois après cela, des premiers boutons d’or. Il fut réprimandé par le curé qui lui dit que même un ignorant pouvait prévoir les saisons à trois semaines près. Cependant, Elijah savait même à ce moment-là que les vérités d’un présage se trouvent moins dans les détails que dans l’audace nécessaire pour les proclamer. Le principal, expliqua Elijah au curé, n’était pas que le messie arrive un mercredi ou un jeudi, mais qu’il arrive, et ceux qui avaient annoncé sa venue recevaient alors la confirmation de leur sagesse et ceux qui en avait douté, celle de leur ignorance et de leur manque de foi. Le curé le gifla pour son insolence et les garçons placés derrière lui ricanèrent, car à peine dix minutes plus tôt Elijah leur avait prédit la réaction du prêtre. »

Animaux solitaires, s’il est un roman fort réussi, vaut davantage pour cette fougue dans la narration et ses belles descriptions que pour l’intrigue à proprement parler, succession de meurtres et de courses-poursuites dans les grands espaces.
Signalons par ailleurs que Bruce Holbert n’épargne pas au lecteur la vue des sévices, particulièrement abjects, infligés par le tueur à ses victimes. Certains passages sont donc à déconseiller aux âmes les plus sensibles.

Animaux solitaires (Lonesome Animals, 2012), de Bruce Holbert, Gallmeister / Noire (2013). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias, 360 pages.
Disponible depuis en poche : Gallmeister / Totem (2017), 320 pages.