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Le Mercato d’hiver (January Window) est un roman de l’Écossais Philip Kerr paru au Masque en 2016 (traduction de Katalin Balogh et Philippe Bonnet).

51i8dyazgclRésumé

Scott Manson est entraîneur de London City, célèbre club de Premier League. Les pressions et intimidations en tous genres sont monnaie courante dans le foot de haut niveau. Aussi, lorsqu’une mise en scène sordide – un grand rectangle de terre creusé dans la pelouse du stade, évoquant une tombe – est découverte par les jardiniers, personne ne s’en émeut particulièrement. Il y a un match important à préparer, et pas de temps à perdre avec ça, il faut vite reboucher, que le terrain soit praticable. Seulement, quand João Gonzales Zarco, le charismatique manager du club, est retrouvé mort, on ne peut qu’y voir un avertissement. Et la direction du club demande à Scott Manson d’enquêter parallèlement à la police. L’entraîneur, dont le Portugais était un ami en plus d’être un brillant collaborateur, est bien décidé à découvrir le fin mot de l’histoire.

Mon avis

Bien connu des amateurs de polars pour sa série historique consacrée à Bernie Gunther, dont on suit avec plaisir les aventures épiques avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, voilà que Philip Kerr se frotte à un tout autre sujet : le football.
Amateur de ballon rond, l’Écossais l’est assurément, lui qui ne manquerait pour rien au monde un match d’Arsenal… Arsenal auquel le club fictif de London City ressemble curieusement et dont Scott Manson est – tiens, tiens ! – un ancien joueur. Ce qui permet à l’auteur, sous couvert de décrire les arcanes de la gestion d’un club de Premier League, de glisser des anecdotes qu’on sent plus vraies que nature. De même, certains protagonistes ressemblent curieusement à de vraies personnalités du foot, comme ce Zarco, portugais, grande gueule, impitoyable avec ses joueurs ; ou encore ce milliardaire ukrainien, président de club et dont les affaires ne semblent pas toujours des plus nettes.
Assurément, l’auteur maîtrise son sujet et nous plonge avec passion dans le quotidien d’un grand club européen. De la gestion des hommes (et parfois de leurs caprices) à la préparation des matches en passant par le travail inhérent à l’achat et à la vente des joueurs durant ce fameux mercato d’hiver, l’auteur nous montre tout, sans que cela ne soit ni rébarbatif ni difficile d’accès pour les béotiens du soccer – sur le même thème, rien à voir en terme d’exigence avec l’exceptionnel Rouge ou mort de David Peace, par exemple.
Si le contexte est on ne peut plus maîtrisé, l’intrigue, bien qu’intéressante, est un peu légère, et même un brin caricaturale par certains aspects. Le personnage de Scott Manson est quant à lui plutôt réussi, bien que moins fascinant qu’un Bernie Gunther.

Le Mercato d’hiver est un polar de bonne facture, qui vaut plus pour son contexte et ses personnages que son intrigue, un peu faible dans l’absolu. Un bon moment de lecture pour les amateurs de ballon rond… ou non. Premier roman d’une série, on peut déjà retrouver Scott Manson dans La Main de Dieu et La Feinte de l’attaquant.

Le Mercato d’hiver (January Window, 2014), de Philip Kerr, Le Masque (2016). Traduit de l’anglais (Ecosse) par Katalin Balogh et Philippe Bonnet, 448 pages.

Rouge ou mort (Red or Dead) est un roman de David Peace consacré au parcours de l’entraîneur de football écossais Bill Shankly, et notamment à son expérience à Liverpool. Il est paru chez Rivages en août dernier.

Résumé

Rouge ou mort, c’est l’histoire de Bill Shankly, un homme entier dont la vie entière tourne autour d’une seule chose : sa passion dévorante pour le football. S’il a d’abord été un joueur professionnel de bon niveau (vainqueur de la FA Cup en 1938 avec Preston North End, 5 sélections en équipe d’Écosse) puis entraîneur de plusieurs clubs, c’est surtout à la longue période durant laquelle il a été manager du Liverpool Football Club (1959-1974) que s’intéresse le roman.

Mon avis

« Et Bill s’approche de l’évier. Bill se penche. Bill ouvre le placard situé sous l’évier. Bill sort le seau rangé sous l’évier. Le seau et les chiffons. Bill referme les portes du placard. Bill pose le seau dans l’évier. Bill ouvre le robinet d’eau froide. Bill remplit le seau d’eau. Bill sort de la cuisine en emportant le seau et les chiffons… »

David Peace est un styliste du roman, ce qui pourra dérouter plus d’un lecteur le découvrant avec ce titre. Dans Rouge ou mort, il joue de la répétition, ou plutôt de la scansion, d’une manière extrême, allant jusqu’à redonner à lire régulièrement des passages en tout point identiques (les entraînements de début de saison, les systèmes de jeu, etc. ). C’en sera peut-être trop pour certains lecteurs, surtout sur près de 800 pages. Ceux-là ne doivent pas espérer que le style change au cours du roman, il n’en sera rien. Pour les autres, après un moment d’adaptation, où la lecture peut s’avérer un peu pénible sans tenir pour autant du pensum, l’ambitieux procédé littéraire de l’auteur de la tétralogie du Yorkshire (1974, 1977, 1980, 1983) prend. Mieux, il fait des miracles, parvenant à faire se passionner des lecteurs intéressés ni par le football ni par Liverpool (comme l’ami Jean-Marc) à des matches des Reds vieux d’un demi-siècle. Quant aux passionnés du ballon rond, ils y trouveront aussi largement leur compte : ils assisteront aux débuts de joueurs de légende comme Roger Hunt ou Kevin Keegan, s’extasieront devant le jusqu’au-boutisme tactique de Shankly et saisiront sans doute un peu ce qu’est le quotidien d’un manager ne vivant que pour son équipe.

« C’est tout ce dont vous avez toujours rêvé, les gars. Tout ce pour quoi vous avez toujours travaillé. La possibilité d’écrire une page d’histoire, les gars. Et de rendre heureux les supporters du Liverpool Football Club. Alors, savourez ce moment, les gars. Profitez-en bien. Parce que vous allez vivre le paradis sur terre, les gars. Vous allez connaître le paradis sur terre. Alors, allons-y, les gars…
Et dans leur vestiaire, leur vestiaire à Wembley. La sonnerie retentit, la sonnerie de Wembley. Et Bill emmène les joueurs du Liverpool Football Club dans le tunnel, le tunnel de Wembley, et jusqu’à la pelouse, la pelouse de Wembley, et dans un océan de rouge, un univers tout rouge. LI-VER-POOL. L’océan si assourdissant, l’univers si bruyant que Londres tout entier, que l’Angleterre toute entière entendent cet océan de nouveau, voient cet univers de nouveau. LI-VER-POOL. À la radio et sur leurs téléviseurs. Leurs téléviseurs couleur. LI-VER-POOL. Les gens entendent les supporters du Liverpool Football Club et les gens voient les supporters du Liverpool Football Club. LI-VER-POOL. Leurs écharpes et leurs drapeaux, leurs banderoles et leurs chansons. LI-VER-POOL. Leurs écharpes rouges et leurs drapeaux rouges, leurs banderoles rouges et leurs chansons rouges. LI-VER-POOL. Leur océan de rouge, leur univers tout rouge. LI-VER-POOL. Et Bill sait que les gens n’oublieront jamais les supporters du Liverpool Football Club. LI-VER-POOL. Leur océan de rouge, leur univers tout rouge. LI-VER-POOL. Ils n’oublieront jamais. LI-VER-POOL, LI-VER-POOL, LI-VER-POOL. »

À la lecture de Rouge ou mort, on comprend aisément que Bill Shankly, personnage hors-norme, fidèle au possible, épris de beau jeu, abhorrant la défaite et ayant un respect sans bornes pour les supporters tout en restant profondément humain (il tenait personnellement à prendre la plume pour répondre aux courriers de fans et y passait des heures), ait pu donner l’envie à David Peace de faire de sa vie un roman. On prend donc plaisir à suivre l’ascension de Shankly, d’abord laborieuse, faite de hauts et de bas, puis irrésistible. Puis, peu à peu dévoré par sa passion – plus d’une femme l’aurait quitté en cours de route ; pas la sienne – Shankly reste campé sur ses certitudes, ayant du mal à saisir l’évolution du football, pas tant du jeu que de ses à-côtés. Commence alors une descente inéluctable au bout de laquelle le monde impitoyable du « foot business » que nous connaissons tous aujourd’hui finira par avoir la peau de cet entraîneur exemplaire, injustement méconnu, y compris des amateurs de football.

« Tout autour du stade, du stade d’Anfield. Ils chantent tous d’une seule voix, tous les 53 754 spectateurs que contient le stade, le stade d’Anfield aujourd’hui. D’une seule voix, les 1 233 137 spectateurs qui sont venus au stade, au stade d’Anfield cette saison. D’une seule voix, ils chantent tous, d’une seule voix rouge, ils chantent tous, SHANK-LY, SHANK-LY, SHANK-LY
SHANK-LY, SHANK-LY,
SHANK-LY…
A l’autre bout du terrain, du terrain d’Anfield. Devant le Kop, le Spion Kop. Bill Shankly lève les bras, Bill Shankly lève les mains. Pour toucher la foule, pour tenir la foule des spectateurs. Et Bill Shankly lève les yeux vers leurs visages, les milliers de visages, Bill Shankly les regarde dans les yeux. Pour chérir la foule et la retenir. Pour retenir ces visages heureux, ces yeux qui sourient. Pour ne jamais les laisser reapartir. Et puis, devant le Kop, le Spion Kop. Bill Shankly baisse les bras, Bill Shankly joint les mains. Ensemble, ensemble. Pour prierr et pour dire merci –
Merci pour ce paradis, un paradis rouge,
sur terre, une terre rouge,
ce paradis
sur terre –  »

Surprenant à plus d’un titre, presque dérangeant dans son écriture, Rouge ou mort est un roman qui s’avère finalement aussi réussi qu’ambitieux, ce qui est peu dire. Certains lecteurs resteront sans doute hermétiques à la démarche littéraire de David Peace. Pour les autres, l’expérience de lecture sera vraisemblablement inoubliable – on en a parfois des frissons. Un tour de force !

Rouge ou mort (Red or Dead, 2013), de David Peace (Rivages), 2014. Traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias, 796 pages.

Quitte ou double, publié au Masque en avril dernier, est le premier roman du journaliste sportif Cyrille Legendre.

Il est lauréat du Prix du premier roman du Festival de Beaune.

Résumé

Après avoir été un journaliste de guerre reconnu, Matt Berger s’est assagi. Il effectue désormais de petites missions pour divers organes de presse. Ce coup-ci, il est chargé de prendre des photos de Jimmy Rowland, la nouvelle star du football français, en charmante compagnie. Il vole donc quelques clichés du jeune prodige et de l’escort-girl et les envoie au magazine people qui l’emploie.
Le lendemain, les images ont disparu et Matt reconnaît la jeune fille en photo dans un article traitant d’un corps retrouvé dans le bois de Meudon. Qui a bien pu tuer la prostituée ? Et surtout, qui a pu faire le rapprochement avec lui au point de faire disparaître les photos ? Il n’en fallait pas plus pour faire retrouver à Matt Berger ses réflexes de grand reporter.

Mon avis

Pour son premier roman, Cyrille Legendre s’est inspiré de ce qu’il connaît le mieux : le foot et les voyages. Journaliste sportif de métier, il est aussi un grand baroudeur. Pas étonnant qu’on retrouve donc ses deux passions dans Quitte ou double, où l’enquête que mène Matt Berger va l’amener à se rendre en Irlande et plus loin encore, au Turkménistan, pour retrouver la trace de Jimmy Rowland et tenter de saisir le fin mot de l’histoire.

On suit avec plaisir Matt, qui a bien de la peine à se remettre de la mort de Marie, la femme de sa vie, décédée dans un accident de la route. Après une longue période dépressive où il n’avait de goût pour rien, il tente de se reconstruire, aidé en cela par Jean-Eudes Duplessis (JED pour les intimes), son meilleur ami, qui le connaît mieux que personne depuis l’enfance. Cette histoire improbable qui lui tombe dessus est d’ailleurs peut-être l’occasion pour Matt de sortir définitivement du marasme.

Les rebondissements ne manquent pas au fil des quelque 350 pages, et si certaines surprises n’en seront peut-être pas vraiment pour les lecteurs les plus perspicaces, elles n’en restent pas moins bien trouvées. Action et suspense sont là aussi au rendez-vous, puisque Matt comprend assez rapidement qu’on veut sa peau, ce qui l’oblige à mener l’enquête tout en se faisant discret.

Parvenant à mêler football et géopolitique tout en maintenant un suspense certain, Quitte ou double est un polar documenté et efficace, qui devrait plaire à plus d’un lecteur. Et quand on sait qu’il s’agit là du premier opus de Cyrille Legendre, on comprend aisément pourquoi le festival de Beaune lui a remis son célèbre « Prix du premier roman ».

Pas obligé de « supporter »le foot pour lire ce bouquin hein ! Quand on aime le beau jeu par contre, c’est toujours plus sympa de passer sa soirée à lire un tel livre qu’à subir un Uruguay-France. Et hop, un tacle par derrière ! 😛

Quitte ou double, de Cyrille Legendre, éditions du Masque (2013), 354 pages.

Tir au but est un roman policier de Jean-Noël Blanc paru en Points/Seuil en 2000. Il met en scène l’officier de police Tavernier.

41y8snav79lRésumé

Pourquoi le goal d’un club de foot avoue-t-il si facilement qu’il a été acheté pour perdre un match sans intérêt ? Pourquoi le club porte-t-il plainte officiellement alors que ces affaires-là se règlent en vase clos ? Deux questions auxquelles doit répondre l’officier de police Tavernier, collectionneur de dictionnaires, célibataire grognon et sportif amateur. A peine a-t-il flairé une piste que la plainte est retirée et l’affaire classée. De plus en plus louche, d’autant que le goal meurt assassiné quelques semaines plus tard. Et les recherches reprennent. Le joueur en savait trop… Une enquête sur les micmacs du foot menée sans concession par un Tavernier, lui aussi, buté.

Mon avis

Jean-Noël Blanc est passionné de sport, football et vélo notamment, et cela se voit. Le personnage de Tavernier est crédible et très attachant. L’atmosphère du grand club de foot est bien rendue, avec les différents directeurs…
L’intrigue commence bien, mais malheureusement, la fin n’est pas à la hauteur du reste du livre.

Tir au but, de Jean-Noël Blanc, Points/Seuil (2000), 221 pages.