Articles Tagués ‘huis clos’

Requiem pour Miranda, second roman de Sylvain Kermici, est paru en septembre dans la collection Equinox (Les Arènes).

51n2beoflnklRésumé

Une jeune mère de famille a été enlevée. Entravée, elle supplie ses ravisseurs et tente de comprendre le pourquoi du comment. Les deux hommes ne semblent avoir aucune autre motivation que celle de faire d’elle ce que bon leur semble. Bien que bon ne soit pas ici le mot le plus approprié.

Mon avis

Sylvain Kermici avait fait son entrée en littérature avec Hors la nuit, court roman paru à la Série Noire en 2014. Ayant suivi Aurélien Masson dans son nouveau projet Équinox, l’auteur est toujours aussi concis – 170 pages au format poche ici. Là où beaucoup font trop long ou peinent à stopper leur plume dans son élan, Sylvain Kermici sait faire ramassé et là, en l’occurrence, il n’y avait aucune nécessité à être plus disert.

Dans un première partie, on s’interroge et tremble d’effroi avec cette jeune femme qui se refuse encore à voir sa fin venir mais qui ne voit pas comment elle pourrait se sortir de cette situation désespérée. Dans un second temps, l’objectif se fixe sur les deux hommes, deux êtres dangereusement ternes qui se sont trouvés pour le pire. Ils essaient vainement d’assouvir leurs pulsion mais semblent inéluctablement enferrés dans une fuite en avant de l’horreur. C’est donc tous les protagonistes qui sont donc enfermés d’une manière ou d’une autre : la première littéralement, les seconds dans leurs comportements dépravés dont ils retirent finalement à peine le plaisir escompté.

C’est épuré, quasi clinique, surtout lorsque l’auteur s’intéresse aux deux « monstres » et il est bien difficile de recommander chaleureusement cette lecture, dérangeante s’il en est. Pourtant, Sylvain Kermici ne verse jamais dans la surenchère et les violences sont plus suggérées que gratuitement données à voir comme dans nombre de thrillers gores. Ici l’horreur est plus psychologique et peut-être, de ce fait, plus atroce encore.

Avec ce curieux huis clos fort bien écrit, Sylvain Kermici revisite à sa manière le récit de séquestration. Terrible. Glaçant.

Requiem pour Miranda, de Sylvain Kermici, Les Arènes/Équinox (2018), 173 pages.

Le Poids de la neige est un roman de Christian Guay-Poliquin paru en mars aux éditions de l’Observatoire.

5114yklgd2lRésumé

Dans un village enseveli sous la neige, privé d’électricité et quasiment coupé du reste du monde, un homme est retrouvé mourant, victime d’un accident de la route. L’envoyer à l’hôpital n’est pas possible, pas plus qu’appeler les secours. Reste Matthias, un vieil monsieur qui accepte de l’héberger et de prendre soin de lui en échange de vivres, de bois et surtout, d’une place dans le prochain convoi qui quittera le village, dès que la route le permettra. Les deux hommes, l’un alité, l’autre à son chevet, sont tous deux prisonniers d’un hiver particulièrement rude et doivent apprendre à cohabiter.

Mon avis

Décidément, les rigueurs hivernales semblent propices à de biens beaux romans. Franck Bouysse nous a offert le multi-récompensé Grossir le ciel, mettant en scène le mutique Gus. Il y a eu le chef-d’œuvre Dans la forêt (dont on reparlera ici quand on s’en sera remis), où deux sœurs tentaient de survivre aux intempéries hiémales et, là aussi, à l’absence d’électricité et à la fonte du garde-manger inversement proportionnelle à l’accumulation de la neige. Effet boule de neige ou pas, toujours est-il que Christian Guay-Poliquin nous offre là un très beau huis-clos hivernal où les frimas, seuls, n’expliquent pas l’ambiance glaciale qui règne rapidement dans le village, y compris chez Matthias.
Après Le Fil des kilomètres qui mettait déjà en scène une panne d’électricité mystérieuse, le jeune Québécois signe seulement son second roman mais se débrouille comme un vieux briscard. La relation entre ces deux hommes, étrangers l’un pour l’autre, mais rendue nécessaire par la force des choses est passionnante. Tantôt on ne peut plus tendue, tantôt chaleureuse, elle est décrite avec subtilité. Les décors aussi blancs qu’hostiles sont brossés, là aussi, avec habileté et une certaine poésie, offrant au lecteur un dépaysement assuré. L’idée de numéroter les chapitres de manière on ne peut moins classique, en utilisant la hauteur de neige mesurée par les protagonistes, est d’ailleurs une belle trouvaille.
Difficile d’en dire plus sans dévoiler de trop l’intrigue, qui connaîtra, comme on est en droit de s’y attendre, son lot de rebondissements et de catastrophes, mais gageons qu’elle saura sans mal passionner le lecteur.

Très joliment écrit et enthousiasmant, ce roman québécois mérite assurément une belle publicité dans l’Hexagone, où l’on espère qu’il trouvera sa place sur les étals des librairies. Un huis-clos intense, le nez dans la poudreuse.

Le Poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin, Éditions de l’Observatoire (2018), 249 pages.

Dans les eaux du grand nord (The North Water en VO) est un roman d’Ian McGuire paru chez 10/18 en mai 2017 dans une traduction de Laurent Bury (très belle couverture soi dit-en passant).

511gqq5mkslRésumé

1859, côtes du Yorkshire.
Patrick Sumner, auparavant chirurgien dans l’armée britannique, décide d’embarquer sur le Volunteer, baleinier s’apprêtant à partir pour une campagne de chasse dans l’océan Arctique.
À bord, les conditions de vie sont spartiates, pour ne pas dire rudes. Lorsqu’un mousse vient consulter Sumner et qu’il présente de curieux signes de violences, le médecin se dit que le Mal est présent à bord du navire et la suspicion va bon train.

Mon avis

Ce qui saute aux yeux à la lecture de ce roman, c’est d’abord la qualité de l’écriture d’Ian McGuire. Elle parvient à être poétique et non dénuée de beauté tout en narrant des faits plutôt rudes voire parfois tout bonnement atroces. Certains passages, notamment lors des flashbacks ramenant Sumner en Inde ne sont d’ailleurs pas à mettre entre les mains des plus sensibles. Les sens du lecteur sont mis à contribution, et particulièrement l’odorat.
De la chasse arctique aux scènes de guerre, une grande place est accordée aux fragrances en tous genres, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne sent pas spécialement la rose. Rarement un roman aura autant pué : le phoque fraîchement dépecé, la cordite, l’hémoglobine…

En jonglant habilement avec la temporalité du récit, l’auteur parvient en effet à nous narrer la campagne de pêche tout comme la vie antérieure de Sumner. Notamment son engagement comme chirurgien de guerre durant la révolte des Cipayes, qui ne lui a pas valu que de bons souvenirs.

À bord, la tension grimpe assez vite et fait se soupçonner les uns les autres dans un huis-clos éventuellement « victorien » vu l’époque concernée mais bien loin du Manoir du Sussex façon Cluedo.
Si le personnage de Sumner est très intéressant, d’autres ne le sont pas moins, comme Otto, marin qui accorde beaucoup de crédit à ses visions ou encore Henry Drax, harponneur redoutable qui inspire aux autres hommes à bord une peur irrationnelle. Sumner le soupçonne vite d’être le Diable en personne, mais est-ce aussi simple que cela ?

Le suspense est palpable durant les quelque 300 pages du récit qui nous valent quelques scènes mémorables, lesquelles mériteraient à elles seules que le roman soit un jour adapté à l’écran, et notamment une chasse à l’ours d’anthologie.

Roman noir ? Whodunit ? Roman d’aventure ? Thriller ?
Dans les eaux du grand nord est tout ça à la fois, et bien plus encore. Un bien bel ouvrage, qui évoque Moby Dick ou, plus proche de nous, Trois mille chevaux vapeur. Espérons que ce grand moment de lecture passé en compagnie de la plume de Ian McGuire en appellera d’autres.

Dans les eaux du grand nord (The North Water, 2016) d’Ian McGuire, 10/18 (2017). Traduit de l’anglais par Laurent Bury, 303 pages.

Discount est un roman noir humoristique écrit à quatre mains par Denis Bretin et Laurent Bonzon. Il a été publié aux éditions du Masque en 2010.

Résumé

Devant son téléviseur, Robby est tombé amoureux de Leïla et ne comprend toujours pas comment elle a pu perdre la finale de Star&Strass. Il est bien décidé à aller lui déclarer sa flamme à l’occasion de son passage à l’hypermarché local.
Le Castor attend son frère Tattoo devant la sortie de la prison. Ce dernier retrouve aussi sa Dany après dix-huit mois de placard, laquelle s’est entre-temps faite apprécier de son employeur, le directeur de l’hypermarché.
Les frères décident de tenter rapidement un braquage avant d’aller se faire oublier à l’étranger. Mais alors qu’ils passaient récupérer Dany à l’hyper après sa journée de travail, tout dégénère, et ils n’ont d’autre choix que de se réfugier dans le magasin, où ils prennent en otage les quelques personnes encore présentes à cette heure tardive.

Mon avis

« Lost in the supermarket » chantaient les Clash en 1979 sur leur fameux album « London Calling ». Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans les packs d’eaux minérales mais la société de consommation est toujours d’actualité, plus que jamais, et Denis Bretin et Laurent Bonzon sont bien décidés à la prendre pour cible façon chamboule-tout dans ce roman très rock’n’roll.

« Qu’il baise la responsable de l’accueil logistique ou ses concurrents directs de la grande distribution, Berthelon est un adepte de la performance. Dany ne s’en plaint pas. Et la liaison qu’elle entretient depuis trois semaines lui a procuré plus d’avantages que deux ans de ponctualité et de sérieux à la caisse de l’Hyper. Pour quelques parties de jambes en l’air, elle assiste maintenant aux réunions cadres. Un poste évolutif, lui a dit Berthelon en passant une première main sous sa jupe. Dany n’a pas trouvé ça désagréable au point de renoncer à faire avancer sa carrière. Elle est presque excitée au moment de retrouver le directeur à la photocopie. […]

En voyant le score de la partie défiler, la jeune femme comprend que Berthelon a calé son rythme sur celui du copieur, qui expulse les feuilles, chacune à sa place, dans un beau mouvement mécanique et organisé. Elle ne se trompe pas. Soumis à la pression par les récentes mesures destinées à lutter contre les marges arrière, le directeur de l’Hyper a besoin de nouveaux défis à relever. Celui que l’homme a lancé à la machine l’excite terriblement.

À la pression des mains sur ses hanches et à son souffle qui s’accélère, la jeune femme sait que le boss, manager du Groupe 2001 mention « Performance globale », aura du mal à remplir ses objectifs et ne tardera plus à vider son chargeur. »

Le premier chapitre, excellent, donne le ton d’entrée. Dany s’offre à son patron sur un photocopieur en espérant une promotion, un comble quand on bosse dans un hyper ! Les ébats sont rythmés par les feuilles sortant de la machine et les considérations à double-sens de l’employée quant aux performances de son manager. Dans Discount, les auteurs osent, sans retenue, mais toujours avec humour. Dans le genre, les deux compères – ils écrivent ensemble depuis des années – semblent en connaître un rayon, et c’est donc à chaque page qu’on se gondole. Situations loufoques, personnages ubuesques, calembours à gogo et jeux avec les références bien connues des consommateurs (pour ne pas nommer les marques) : il y a de quoi faire.

« Tattoo devrait raccrocher. Les spécialistes du groupe d’intervention sont forcément en train de localiser sa position par triangulation satellitaire. Le mieux, estime le Castor, ce serait de scotcher le téléphone dans le dos d’un otage et de le forcer à se déplacer sans cesse. Et surtout de ne jamais quitter le rayon surgelés, pour ne pas permettre les détections infrarouges. […]

Tattoo repose l’appareil sur une boîte de crevettes géantes de Madagascar élevées en Thaïlande et décortiquées en Pologne, puis se dirige vers Dany. »

Sans jamais tomber dans le lourdingue, nos deux fines plumes lancent pique sur pique contre le système marchand et nos petites vies minables avec un cynisme jubilatoire. Pour autant, l’intrigue n’est pas laissée pour compte et le récit va à cent à l’heure. Les rebondissements, nombreux et imprévisibles sans jamais être trop forts de chocolat, achèveront d’emballer le lecteur (non, pas dans le papier alu).

« Se faire sauter par Berthelon, balancer Tattoo, draguer le Castor, se laisser tripoter par la Montalembert ? Tout est possible dans une vie Discount. Simple question de packaging. Dany n’a encore qu’une idée très floue de ce qu’elle désire. Mais elle fera comme tout le monde. Elle comparera les étiquettes. Les promos et les points cagnotte l’aideront à faire ses choix. »

Plutôt habitués aux polars fantastiques ou d’espionnage, Denis Bretin et Laurent Bonzon signent avec Discount un polar humoristique haut de gamme. Un très bon divertissement, beaucoup plus intelligent qu’il n’y paraît. Un excellent moment de lecture garanti (mais pas remboursé). Vivement une prochaine livraison.

Discount, de Denis Bretin et Laurent Bonzon, Le Masque (2010), 266 pages.

Froid mortel (Sankta Psyko) est le quatrième roman du Suédois Johan Theorin.

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Résumé


Valla, Suède.

Jan Hauger est embauché à La Clairière, une « maternelle » (il ne faut plus dire crèche) couplée à un centre de détention psychiatrique et destinée à accueillir les têtes blondes des patients internés. Les employés du jardin d’enfants n’ont pas le droit d’accéder à l’hôpital, et inversement, les bambins passant par une espèce de sas pour aller d’un bâtiment à l’autre visiter leur parent enfermé.
D’étranges choses se passent de l’autre côté et Jan Hauger est bien décidé à en savoir plus. Mais attention, la curiosité est un vilain défaut…

Mon avis


On commençait à bien connaître Johan Theorin pour sa série de romans consacrés à l’île d’Öland et mettant en scène, comme en fil rouge, le vieux Gerlof Davidsson. L’heure trouble, L’écho des morts et Le sang des pierres, trois petits bijoux de roman d’atmosphère embarquant illico le lecteur dans les brumes de la campagne scandinave, avaient fait forte impression.

Bien que Froid mortel se déroule aussi en Suède, changement radical d’ambiance. Le dossier de presse parle d’un « thriller sombre et machiavélique » et évoque Shutter Island et Vol au-dessus d’un nid de coucou. Forcément, avec de telles références, une attente se crée. Si l’on ne peut que saluer la volonté de l’auteur de sortir, pour une fois, de son cadre habituel, la déception est au rendez-vous.

Même avec beaucoup de bonne volonté, bien difficile de s’attacher au personnage de Jan, aussi charismatique qu’une huître morte. L’un des principes du thriller étant de faire « frissonner » le lecteur de concert avec le protagoniste, c’est déjà mal parti. Bien qu’on en apprend peu à peu sur le (trouble) passé de Jan et sur ses motivations (pas forcément toujours très avouables), le livre met de plus beaucoup de temps à s’installer. L’auteur a lu/vu des thrillers à l’américaine, cela se sent. Il essaie de reproduire le modèle – un serial killer par-ci, une lampe-torche qui s’éteint au mauvais moment faute de piles par-là – mais la sauce ne prend pas vraiment. Le suspense n’est que relatif et il faut attendre le dernier tiers du livre pour commencer à s’intéresser au sort des personnages.

Malgré quelques rebondissements bienvenus, le dénouement, en demi-teinte, achève de laisser le lecteur sur sa faim. On retiendra quand même certaines réflexions intéressantes, sur la solitude par exemple, et quelques beaux passages – Theorin a une vraie plume, c’est indéniable.

Beaucoup d’attente au départ, et une réelle déception à l’arrivée pour ce nouveau Johan Theorin. Après cette tentative de thriller psychologique guère convaincante, espérons que le Suédois revienne à ce qu’il sait faire de mieux : les romans d’atmosphère se déroulant sur l’île d’Öland (ou pas d’ailleurs). Rendez-nous Gerlof !



Froid mortel
(Sankta Psyko, 2011), de Johan Theorin, Albin Michel (2013). Traduit du suédois par Rémi Cassaigne, 448 pages.

Plus léger que l’air (Más liviano que el aire, en VO espagnole) est un roman de Federico Jeanmaire publié en 2011 aux éditions Joëlle Losfeld. Bien qu’il ne soit pas à son coup d’essai – une vingtaine de ses romans sont parus en Argentine – c’est le premier titre de l’auteur a être traduit en français.

https://i0.wp.com/polars.pourpres.net/img/uploads/410qROkkZ6L._SL500_.jpgRésumé

Une vieille dame allant sur ses quatre-vingt-quatorze ans se fait agresser au pied de son immeuble par un adolescent. Ce dernier la contraint à le mener vers son appartement, où il pense pouvoir lui soutirer facilement ses bas de laine. C’est sans compter sur la roublardise de la nonagénaire, qui parvient à enfermer le jeune voleur dans la salle de bains. Elle lui « propose » (« impose » serait sans doute plus juste) ensuite d’écouter l’histoire de sa vie, en échange de quoi elle consentira peut-être à le libérer.

Mon avis

Dès les premières phrases, Plus léger que l’air frappe par son originalité. Le récit n’est qu’un long monologue de la vieille femme – un peu plus de deux-cents pages – qui raconte sa vie et celle de sa mère au jeune homme, lequel n’a d’autre choix que de l’écouter. Elle apostrophe de temps à autre le délinquant, rendu comme muet par sa geôlière – et par la narration.

« Pourquoi vous aurais-je remis mes économies ? Simplement parce que vous risquiez de me tuer avec ce couteau, ce poignard ou je ne sais quelle arme blanche que vous m’enfonciez dans le dos ?

Non. Certainement pas. Ce n’est pas ma faute. Si vous vous donniez la peine de réfléchir, vous vous apercevrez que vous avez commis pas mal d’erreurs, dont une assez grave : vous croyez que la vie est aussi précieuse à mon âge, quatre-vingt treize ans, qu’au vôtre, qui doit être de quinze ou seize ans ?
Vous avez quatorze ans ?
C’est encore pire.

Pour moi, la vie ne vaut plus rien. Il m’est presque égal de mourir aujourd’hui d’un coup de couteau dans le dos que plus tard, à un moment qui ne saurait tarder, je ne pense pas qu’il me reste beaucoup à vivre, d’une pneumonie ou d’une mauvaise chute dans la baignoire. C’est du pareil au même. Voilà pourquoi je vous ai dupé. Si j’avais raté mon coup, je serais morte à l’heure qu’il est et je ne ferais déjà plus partie de ce monde. Et si ça marchait, ce qui a été le cas dès que vous m’avez tourné le dos pour fouiller dans l’armoire à pharmacie, j’avais l’intention de vous enfermer à double tour dans cette salle de bains, ce que j’ai fait et ce qui me permet à présent d’avoir quelqu’un à qui raconter l’histoire de ma mère ou n’importe quoi d’autre, ce qui me passe par la tête. Vous vouliez me voler mon argent et, au bout du compte, c’est moi qui vous vole votre temps.

Oui, oui, libre à vous de protester, mais comme on dit chez nous, voler un larron, c’est cent ans de pardon. »

Bien qu’elle tienne plus du dialogue de sourds ou du monologue qu’autre chose – la porte close de la salle de bain ne facilite sans doute pas l’échange – on peut dire qu’une sorte de « relation » s’installe entre les deux personnages au fil des jours (la vieille dame glisse des biscuits sous la porte pour que l’adolescent ne dépérisse pas). D’abord clairement victime, l’aïeule prend peu à peu la mesure de son « adversaire ». Le rapport de force s’inverse et, situation aidant, elle en vient à le dominer.

D’humeur changeante, la vieille dame, tout sucre tout miel au premier abord, compare son prisonnier au petit-fils qu’elle n’a jamais eu, avant de faire montre par moments d’une grande autorité, voire d’une certaine cruauté.

Plus léger que l’air – pas vraiment un polar d’ailleurs, bien qu’il ait fait partie d’une sélection du Prix SNCF du polar – est un exercice de style original, un pari osé mais somme toute plutôt réussi. En imaginant ce huis-clos, Federico Jeanmaire a fait la part belle à la psychologie des personnages, sans pour autant oublier d’instiller une petite dose de suspense dans son récit.


Plus léger que l’air (Más liviano que el aire, 2009) de Federico Jeanmaire, Joëlle Losfeld (2011). Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 221 pages.