Articles Tagués ‘humour’

Le polar de l’été est un roman de Luc Chomarat initialement paru à La Manufacture de livres en 2017 et réédité ce mois-ci avec une nouvelle couverture.

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Le narrateur est un écrivain anonyme, en vacances à l’île de Ré avec sa nouvelle compagne, ses enfants et une famille d’amis. N’appréciant qu’assez peu l’oisiveté, il compte bien profiter de ce temps libre pour écrire le polar de l’été, celui que toutes les belles femmes s’arracheront bientôt pour le lire, topless, sur la plage, à l’instar des romans de Douglas Kennedy. Seulement, notre homme n’est pas inspiré. Aussi décide-t-il de « réécrire » Pas de vacances pour les durs, un obscur roman noir hardboiled de Paul Terreneuve, lu il y a des décennies dans la bibliothèque paternelle. Aucun exemplaire en vente en ligne ni dans les catalogues de bibliothèque. Pas le choix… Lorsqu’il se décide enfin à abandonner ses proches et l’Atlantique pour se rendre à la maison familiale, le livre en question, horreur, semble avoir disparu !

Mon avis

Écrire un polar, un roman d’espionnage ou un thriller, c’est trop convenu. Luc Chomarat préfère prendre un malin plaisir à s’emparer des codes du genre pour proposer toute autre chose. Après L’espion qui venait du livre où un éditeur entrait dans un roman d’espionnage pour le sauver de la catastrophe industrielle, et avant l’excellent Le dernier thriller norvégien, dans lequel un éditeur français se retrouvait à la fois dans un manuscrit et dans une ville où sévit un tueur en série, paraissait en 2017 Le polar de l’été.

Réédité ce mois-ci par la Manufacture de livres avec un nouvel habillage, Luc Chomarat s’y amusait déjà follement à bousculer ses lecteurs. Virtuose du décalage, professionnel de la mise en abyme, l’auteur a toujours plus d’un tour dans son sac, et de l’humour à revendre. Bien difficile pour le lecteur de savoir où tout ça va le mener, mais quel plaisir de se laisser embarquer par les roublardises de l’écrivain, qui s’amuse sans doute au moins autant que nous à imaginer ces intrigues tordues à souhait.
Vous l’aurez compris, Le polar de l’été n’en est pas vraiment un, et le bouquin tant recherché est l’archétype du MacGuffin. C’est autour de lui que va se dérouler l’intrigue, prétexte à la remontée de souvenirs, à l’évocation du deuil du père ou à des tensions familiales diverses et variées desquelles notre narrateur peine à se dépêtrer.

Un titre drolatique et un auteur malicieux en diable que l’on conseille vivement à ceux qui n’ont pas peur de se faire bousculer… pour leur plus grand plaisir.

Le polar de l’été, de Luc Chomarat, La Manufacture de livres (2017), 208 pages.

Mauvaise graine est un roman de Nicolas Jaillet qui paraît ce jour à la Manufacture de livres.

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Julie est une jeune professeur des écoles sans histoire. D’ailleurs, le célibat lui pèse et elle ne serait pas contre une histoire, n’importe laquelle. Suite à une soirée arrosée, elle se réveille avec une gueule de bois épouvantable. Les vomissements durent. Peut-être une gastro ? Oui, mais une gastro qui dure une semaine, c’est quand même curieux. Prise d’un doute, elle va acheter un test de grossesse qui lui révèle que de doutes là-dessus, il n’y en a pas. Enceinte bien que sans aucun souvenir de quelque acte charnel que ce soit, Julie est sous le choc. Et commence à ressentir d’étranges sensations dans son corps que la grossesse seule, ne semble pas expliquer.

Mon avis

Auteur du roman noir Sansalina, du thriller d’anticipation Nous les maîtres du monde et de quelques romans pour la jeunesse, Nicolas Jaillet débarque à la Manufacture de livres avec ce titre haut en couleur. Se jouant des codes littéraires, il s’amuse comme un gamin à brouiller les pistes. L’histoire démarre de manière très classique, presque trop, mais on sait que ça ne va pas durer. Après la prise de conscience de sa grossesse, Julie se met à développer d’étranges pouvoirs. Dès lors, elle comprend qu’elle est recherchée par des personnes qui ne lui veulent pas du bien. Le roman devient alors une course-poursuite impétueuse qui flirte entre thriller et espionnage mâtiné de fantastique. Après un départ un peu lent, le temps de poser les choses et de faire germer le mystère, le rythme s’emballe et devient irrespirable jusqu’à la toute fin, offrant d’innombrables scènes d’action au passage, dont quelques-unes pas piquées des hannetons. Les tenants du réalisme à tout crin y trouveront des choses à redire, les autres se régaleront avec au menu quelques scènes de baston improbables mettant aux prises une femme enceinte jusqu’aux dents et des méchants prêts à tout pour garder certaines choses secrètes.

Efficace en diable et drolatique, Mauvaise graine est un sympathique roman qui se lit d’une traite et avec une certaine jubilation. On regrettera simplement de ne pas s’être attaché davantage à Julie, personnage un brin terne malgré tout ce qui lui arrive.

Mauvaise graine, de Nicolas Jaillet, La Manufacture de livres (2020), 288 pages.

La fille des brumes (Maid of the Mist) est un roman de Colin Bateman paru à la Série Noire en 2004 dans une traduction de Stéphane Carn.

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Après avoir connu quelques ennuis à Belfast puis à Toronto, Frank Corrigan a échoué à Niagara Falls, où il se plaît finalement assez. Le genre de patelin tranquille où un officier de police n’a pas grand-chose à faire, ce qui n’est pas plus mal.
Un jour, une femme est repêchée, à moitié noyée, au pied des fameuses chutes. Vêtue d’une tenue traditionnelle amérindienne et parlant une langue incompréhensible, elle serait selon certains habitants la réincarnation de la Princesse Lelewala qui s’est un jour sacrifiée en se jetant dans les flots pour sauver le monde. Corrigan a quelques doutes sur la question mais commence à trouver que tout ça sent décidément mauvais lorsque le corps d’une jeune fille est retrouvé sur le bord de la route et que le coupable tout désigné semble être le fameux Pongo, chanteur cocaïnomane et sex addict qui a eu son heure de gloire en tête du hit-parade.

Mon avis

Avant d’écrire des romans, Colin Bateman était connu pour ses chroniques satiriques dans la presse nord-irlandaise. Il conserve dans ses récits une grande affection pour l’humour caustique et n’hésite pas à mettre ses personnages dans des situations à la fois précaires et improbables. Certains se souviendront peut-être de l’hilarant Turbulences catholiques ou encore de La Bicyclette de la violence.

Ici, le pauvre Corrigan va vite se retrouver au cœur d’une triple intrigue qui le dépasse totalement dans un premier temps. Épaulé, il va commencer à y voir plus clair, ce qui ne va pas faciliter les choses pour autant. On peut avoir l’impression, au départ, que l’auteur part un peu dans tous les sens. Oui et non dirons-nous, car si certaines situations peuvent sembler un peu décousues, tout se tient finalement très bien et l’on se rend compte que rien n’est laissé au hasard. C’est d’ailleurs une des qualités principales de ce roman, avec l’humour qui, s’il est moins savoureux que dans d’autres titres de Colin Bateman, n’en demeure pas moins présent. Certaines scènes sont savoureuses, surtout dans le dernier tiers du livre – on pense notamment à la prestation scénique de Pongo.

Les personnages sont assez délectables, à commencer par le chanteur en question, à l’égo démesuré et au nez bien poudré, et l’on ne peut parfois que compatir avec Corrigan, qui n’avait rien demandé à personne et se retrouve au cœur d’un maelström d’emmerdements dont il ne sortira pas indemne. Certaines ficelles sont parfois un peu grosses mais sont largement compensées par d’autres trouvailles et par l’énergie brute qui se dégage de l’ensemble.

Traitant tour à tour de traditions amérindiennes, de violences conjugales ou encore de réseaux de narco-trafiquants, La Fille des brumes est un roman noir bigarré comme on en voit assez peu. Pêchu et mordant, ce texte d’un auteur assez méconnu en France pourrait plaire aux amateurs de Donald Westlake, entre autres.

La fille des brumes (Maid of the Mist, 1999), de Colin Bateman, Gallimard/Série Noire (2004). Traduit de l’anglais (Irlande) par Stéphane Carn, 358 pages

Fin de siècle est un roman de Sébastien Gendron paru le mois dernier à la Série Noire (Gallimard).

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Un meurtre sordide dans une villa luxueuse de la Côte d’Azur. Un millionnaire voleur et massacreur d’œuvres d’art. Des océans vidés de bateaux et de poissons à cause du retour à la vie de gigantesques mégalodons. Un couple fuyant l’ennui de son morne quotidien d’ultrariches. Un saut depuis la mésosphère à faire passer Baumgartner pour un sportif du dimanche.

Mon avis

Autant d’éléments venant s’imbriquer – ou plutôt se télescoper – pour constituer Fin de siècle, un roman aussi difficile à résumer qu’à faire rentrer dans un case. Vrai-faux polar déjanté, il pourra ravir des amateurs de noir comme en laisser d’autres, dubitatifs, sur le bord du chemin.
Après quelques romans chez Baleine (Quelque chose pour le week-end, Taxi, Take Off and Landing) et Albin Michel (on se souvient de Road tripes), voici l’entrée de Sébastien Gendron à la Série Noire, sous la houlette de Stéphanie Delestré.
L’humour et l’absurde sont toujours très présents, les références et autres clins d’œil innombrables. On sent que l’auteur a pris beaucoup de plaisir à l’écrire et qu’il en prend tout autant à entrer en connivence avec le lecteur. Pour certains, cela fonctionnera à merveille. Pour d’autres, ce sera plus compliqué. La faute à un scénario parfois par trop décousu et à des personnages auxquels on ne peut guère s’attacher. De toute façon, il ne vaut mieux pas car peu d’entre eux s’en sortiront indemnes, l’hémoglobine coulant à flots dans ce texte hommage aux films de série B.
Malgré un côté « divertissement » visiblement assumé, Sébastien Gendron n’hésite pas à pointer du doigt certaines dérives de notre société en premier lieu desquelles la concentration de fortunes considérables par quelques ultrariches ayant l’appât du gain comme credo – avec toutes les incidences que cela peut avoir pour le reste de la société, voire pour la planète. Et si les plus grands requins n’étaient pas ceux que l’on croit ?

Certains trouveront sans doute à redire à l’ajout de ce type de texte – plus une farce noire qu’un véritable roman policier – au catalogue de l’illustre Série Noire. Les autres, amateurs de Jean-Bernard Pouy, Tim Dorsey et autres Carl Hiaasen ou non, retiendront sans doute d’avantage les quelques heures de plaisir littéraire que leur aura procuré ce sympathique ouvrage.

Fin de siècle, de Sébastien Gendron, Gallimard/Série Noire (2020), 229 pages.

Coup de vent est un roman de Mark Haskell Smith fraîchement paru chez Gallmeister dans une traduction de Julien Guérif.
Je l’ai reçu grâce à la générosité du Picabo River Book Club et des éditions Gallmeister. Merci à eux.

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Neal Nathanson, employé de banque émérite, se retrouve sur un bateau en perdition avec une quantité astronomique d’argent. Des millions, dans une dizaine de sacs, des liasses de multiples devises. Il voit sa dernière heure arriver avant d’être finalement sauvé par une navigatrice. Seulement, lorsqu’il se réveille il est menotté et la jeune femme semble avoir moins bon cœur que prévu devant ces montagnes de billets. Mais toute cette histoire abracadabrantesque avait commencé bien avant ça…

Mon avis

En quatrième de couverture, une citation de Télérama consacre Mark Haskell Smith « roi du polar déjanté ». C’est effectivement ce qui saute aux yeux du lecteur découvrant l’œuvre de l’Américain, connu des lecteurs de Rivages, notamment des années 2000, mais moins présent dans l’Hexagone ces derniers temps. De nombreux passages sont savoureux et certains complètement hilarants si bien qu’on pose parfois le livre pour rire et qu’on suspend parfois sa lecture pour noter certaines phrases ou passages particulièrement bien sentis.

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Un premier paragraphe qui annonce la couleur !

Les personnages sont intéressants, à commencer par les traders autour desquels s’articule le récit, Bryan Le Blanc et Seo-yun Kim. Le premier décide de monter de complexes opérations pour détourner quelques millions et s’éclipser en catimini. La seconde – qui commence à se rendre compte qu’elle n’aime pas son futur mari – sera rapidement amenée à le pister pour le compte de l’agence pour laquelle ils travaillent tous deux.

L’intrigue livre finalement assez peu de rebondissements mais peu importe tant l’humour et l’intelligence de Mark Haskell Smith font des ravages. L’auteur, caustique à souhait tire à tout-va et certains milieux, à commencer par les financiers branchés, en prennent pour leur grade.

« Il mit son ordinateur en veille, enfila sa veste et resserra sa cravate. Le code vestimentaire était l’une des choses qu’il détestait le plus dans ce job. Pourquoi porter un costume hors de prix pour regarder un écran toute la journée ? Il aurait pu bosser en slip. En toute honnêteté, il aurait préféré bosser en slip. Le costume n’était qu’une autre composante de l’imposture qu’ils vous vendaient. Il faut s’habiller comme un homme de pouvoir, un vrai winner. Quel tissu de conneries. »

Pas de véritable sortie de route pour cet opus survitaminé. Tout au plus certains pourraient reprocher à l’auteur de multiplier les scènes de sexe, mais certaines sont données à voir avec tant de truculence que ce serait dommage de s’en priver.

Sans être un chef-d’œuvre, n’exagérons rien, Coup de vent est un roman noir à l’humour grinçant de très bonne facture qui fera passer un très agréable moment, parsemé d’éclats de rire à plus d’un lecteur. Certains retrouveront là Mark Haskell Smith avec plaisir. D’autres, en attendant le prochain opus, auront sans doute envie de se plonger dans les cinq romans de l’auteur déjà traduits.

Coup de vent (Blown, 2018) de Mark Haskell Smith, Gallmeister (2019). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Guérif, 247 pages.

Un été sans dormir (Een Zomer zonder slaap) est un roman de Bram Dehouck paru chez Mirobole en 2018 et traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron.

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Windhoek, paisible village belge.
Il suffit parfois d’un rien pour que la quiétude ordinaire vire au chaos. Une catastrophe naturelle. Un explosion malencontreuse. Un attentat. Un enlèvement. Ici, rien de tout ça. C’est l’installation de quelques malheureuses éoliennes qui va, sans que personne ne le sache encore, précipiter le village dans l’horreur. Le boucher, rendu fou par ce bruit incessant qui semble ne déranger personne d’autre que lui, perd le sommeil et travaille de plus en plus mal. A tel point que sa femme le retrouve endormi dans son atelier de préparation, la tête littéralement dans le pâté. Un non-événement a priori, mais qui va être le point de départ d’une série de catastrophes en cascade dont peu à Windhoek sortiront indemnes.

Mon avis

Amateurs de littérature sérieuse, fuyez ! Pour son deuxième roman (le premier traduit en français), Bram Dehouck sort l’artillerie lourde. Proposé par Mirobole – dans une traduction du néerlandais d’Emmanuèle Sandron récompensée par le Prix SCAM-SACD – ce polar « belge et méchant » s’inscrit dans la lignée d’autres titres drolatiques proposés par la maison, à commencer par ceux de S. G. Browne.

S’il s’agit bien là d’un pur divertissement noir, qu’on verrait bien adapté au cinéma façon Tarantino ou Rodriguez, l’exigence littéraire est de mise, en particulier dans la construction de l’intrigue. Les personnages sont assez nombreux mais pas suffisamment pour qu’on s’y perde. Ils sont représentatifs de la vie d’un petit village. On a affaire, en plus du boucher insomniaque et de sa famille, à une jeune femme en recherche d’emploi nouvellement installée, à un facteur en proie à des soucis gastriques, à un vétérinaire cocu, à un pharmacien raciste, à un immigré, etc. C’est grand-guignolesque mais totalement assumé et assez malin, si bien que même les idées les plus caricaturales – comme le fils du boucher qui stoppe la viande au grand dam de ses parents pour séduire la jeune fille de ses rêves, végétarienne convaincue – passent comme une lettre à la poste. Enfin, quand le facteur est en état de faire sa tournée…

Surtout, l’auteur a particulièrement travaillé les changements de points de vue. L’effort pour offrir des transitions intelligentes est louable et nous permet souvent de revivre les mêmes événements selon divers angles. Et puis, sans que cela ne soit l’intérêt principal du livre, on sent que Bram Dehouck prend un malin plaisir à égratigner certains comportements et certaines idées de ses compatriotes, ce qui ne gâte rien.

Vous l’aurez compris, Un été sans dormir est un roman qui ne se prend pas au sérieux et ne conviendra assurément pas à tout le monde. Les lecteurs qui ne sont pas contre une tranche de rigolade foutraque devraient néanmoins trouver leur compte avec cette farce noire dont tout le monde est plus ou moins le dindon.

Un été sans dormir (Een Zomer zonder slaap, 2011), de Bram Dehouck, Mirobole/Horizons Noirs (2018). Traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuèle Sandron, 250 pages.

Frank Sinatra dans un mixeur (Frank Sinatra in a Blender) est un roman de Matthew McBride paru chez Gallmeister, dans la collection Néonoir, en 2015. La traduction est signée Laurent Bury.

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Saint-Louis, Missouri.
« Il faut avoir de sacrées couilles pour braquer une banque avec une camionnette de boulanger. On passe inaperçu mais on n’est pas près de pouvoir semer qui que ce soit. »
Avec beaucoup de chance, tout aurait bien pu se passer pour Telly et Bruiser. Mais entre leur bêtise crasse et leur penchant pour le repoudrage de nez, c’était beaucoup demander que de compter sur la seule bonne étoile. Évidemment, rien ne se passe comme prévu et le casse vire au carnage.

Mon avis

Braquage à moitié raté ou à moitié réussi donc, selon qu’on voit le verre de bourbon à moitié rempli ou à moitié vide. Malgré la casse, le pognon est ravi, et le survivant n’est pas loin de l’être aussi. La police essaye bien d’étouffer l’affaire mais dans une ville comme ça, vous pensez bien… Il faut dire qu’autant de fric qui se promène, ça ne peut qu’attirer des convoitises. Les forces de l’ordre enquêtent et veulent mettre la main sur le braqueur rescapé et son larcin. Nick Valentine, ex-policier reconverti, désormais alcoolique à temps plein et détective privé peu regardant sur les codes procéduraux est dans la course également. Mais il est loin d’être le seul à vouloir faire main basse sur le butin. Peu importe les moyens.

« Alors que j’accueillais à bras ouverts les premiers signes d’ivresse, je commençai à remarquer que mes pensées devenaient plus lucides à chaque cocktail que je préparais. Comme frappé d’un éclair venu du ciel, je compris la vérité qui était au cœur de ma vie : boire plus faisait de moi un meilleur détective. »

Vous l’aurez compris, le scénario de Frank Sinatra dans un mixeur ne brille pas par son originalité. Mais l’énergie qu’insuffle Matthew McBride au récit est appréciable. Il commence sur les chapeaux de roues et le soufflet ne retombe jamais pour le plus grand plaisir du lecteur. Les « méchants » sont tous plus fourbes, drogués et/ou imbibés les uns que les autres. L’humour est présent sans que le récit verse réellement dans la comédie. Les personnages sont caricaturaux, sans doute. Mais tout laisse à penser que c’est volontaire et totalement assumé de la part de Matthew McBride. Quant aux réparties, souvent grossières mais qu’importe, elles fusent comme des balles et font mouche. Bien qu’il soit loin du héros classique, vivre cette aventure aux côtés de Nick Valentine, qui a arrêté la clope et le café, mais certainement pas l’alcool (faut pas déconner !) est assez jouissif.

« Pour moi qui aimais depuis toujours les stripteaseuses ET le chili, il y avait quelque chose d’extraordinaire dans l’idée de combiner les deux sous un même toit. C’était comme si Cowboy Roy avait créé un Paradis utopique destiné à piéger les hommes pendant des heures, leur soutirant leurs dollars dûment gagnés tout en leur proposant dans le même temps deux des choses les plus formidables que la vie puisse offrir. »

Sans prétention, cette course-poursuite qui s’étend sur quelque deux cent cinquante pages est jubilatoire. On ne voit pas le temps passer à la lecture de ce très bon divertissement.
Ah oui… on allait oublier quelque chose… Frank Sinatra, c’est le nom du petit chien de Nick Valentine. Et pour savoir comment il a atterri dans un mixeur… Vous n’avez plus qu’à lire le roman !

Frank Sinatra dans un mixeur (Frank Sinatra in a Blender, 2012), de Matthew McBride Gallmeister (2015). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Bury, 256 pages.

Le Discours est un roman de Fabrice Caro paru il y a quelques semaines dans une nouvelle collection de Gallimard : Sygne

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Adrien a la quarantaine et une vie plutôt quelconque. Il vient de se faire larguer mais il y a bien pire : le copain de sa sœur lui demande de préparer un discours pour leur mariage à venir. Que raconter ? Sera-t-il seulement capable de prendre la parole en public ? Cette demande, anodine pour d’autres, donne des sueurs froides à Adrien rien que d’y penser…

Mon avis

Vous connaissez Fabcaro, l’auteur de BD souvent très drôles  ? Non ? Et bien il vous faut absolument lire Zaï zaï zaï zaï, chef-d’œuvre d’humour absurde paru en 2015 aux éditions Six pieds sous terre et ayant reçu quelque prix dont le Prix SNCF du polar dans la catégorie BD. C’est pas vraiment polar en vérité mais le personnage principal, qui n’avait pas sa carte de fidélité à la caisse du supermarché, s’enfuit en brandissant un poireau et devient de fait l’ennemi public numéro un. Le début d’une cavale désopilante. Je me rends compte que c’est ma BD préférée de 2015 et que je n’ai même pas pris le temps d’en parler ici (il va me falloir réparer cet oubli, chouette, ça fera une excuse pour la relire).
Mais pourquoi nous parle-t-il de ce Fabcaro me direz-vous ? Parce que, vous l’aurez deviné même si vous n’êtes pas détective… Fabcaro et Fabrice Caro sont en fait une seule et unique personne (#scoop), le pseudo étant réservé à la partie dessinée de son œuvre. S’il ne s’agit pas là de son premier roman – Figurec avait été publié chez Gallimard en 2006 – c’est en tout cas le premier que je lis (j’ai lu une bonne partie de ses BD).

En ouvrant Le Discours, je dois confesser que j’avais peur d’être déçu. Peur que ça n’ait rien à voir avec tout ce que j’aime beaucoup chez Fabcaro, à commencer par son humour fait de situations de la vie de tous les jours revues d’un point de vue décalé, avec un espèce de redoutable « nonsense », genre qui est en général plutôt l’apanage des Brittaniques mais qu’il manie à la perfection. Grâce à ce procédé, Fabrice Caro, sans avoir l’air d’y toucher, nous fait prendre du recul et conscience de l’absurdité de nombre de nos agissements, en particulier dans notre vie sociale.

Non seulement je n’ai absolument pas été déçu mais j’ai fait durer le plaisir – le roman fait tout juste deux cents pages – en lisant quelques courts chapitres tous les soirs. Rien de tel pour décompresser. Si certains thèmes ont déjà été abordés par ailleurs, en particulier dans les bandes dessinées où il se met lui-même en scène, on ne se lasse pas de (re)vivre ce pensum qu’est le repas de famille revu par l’auteur. Des sujets aussi rebattus que la vie de couple prennent ici une dimension aussi comique qu’émouvante que j’affectionne beaucoup. Peut-être parce que je me retrouve assez dans ces personnages – assurément proches de l’auteur également – de losers sympas en grande partie inadaptés à la sauvagerie du monde d’aujourd’hui et à la difficultés des codes – parfois absurdes si l’on y réfléchit – régissant notre quotidien et en particulier nos interactions sociales.

Le Discours, s’il est difficile à résumer tant l’auteur (à travers les réflexions intimes d’Adrien) part dans tous les sens, est un régal de lecture qu’il n’est pas difficile de conseiller.
Commencez par ce roman ou par ses bandes dessinées, peu importe, mais si j’ai un tant soi peu éveillé votre curiosité, sautez le pas, lisez cet auteur !

Le Discours, de Fabrice Caro, Gallimard/Sygne (2018), 197 pages.

Demain c’est loin est un roman de Jacky Schwartzmann paru dans la collection Cadre noir du Seuil il y a un an.

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François Feldman, oui, comme le chanteur, est un jeune homme originaire du quartier des Buers à Lyon qui essaie de faire son trou dans le centre de la cité rhodanienne où il vit désormais. Comme il le dit lui-même : j’avais un nom de juif et une tête d’Arabe mais en fait j’étais normal, ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés, notamment pour trouver du boulot ou obtenir un prêt pour créer son entreprise. Mais ça, sa conseillère bancaire ne veut pas en entendre parler.
La banquière, c’est Juliane Bacardi, coincée comme pas deux, aucun sens de l’humour, dixit Feldman.
Dans la cité des Buers, François assiste par hasard à un accident impliquant le cousin d’un caïd local qu’il ne connaît que trop bien. Le jeune est fauché sous ses yeux. Et quelle n’est pas la surprise de François lorsqu’il découvre que la chauffarde à la grosse cylindrée n’est autre que Madame Bacardi !
Presque malgré lui, François se retrouve embarqué à bord d’un véhicule conduit par sa banquière, qui vient de laisser un gamin pour mort. Dès lors, dire que leur tête est mise à prix est un doux euphémisme.

Mon avis

Après Mauvais coûts, paru chez l’éditeur lyonnais La Fosse aux ours en 2016, Jacky Schwartzmann signe ici son second roman. Et le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteur quasi-débutant n’a rien à envier à des vieux briscards du genre. Le point de départ est assez croustillant et si l’histoire part sur les chapeaux de roue – facile – , le reste est à l’avenant. L’intrigue n’est pas des plus mémorables bien sûr, puisqu’on est ici dans l’équivalent littéraire du road movie, pour ne pas dire de la course-poursuite.

L’exercice de style de la cavale peut être casse-gueule, même avec ceinture et airbags, mais l’auteur s’en sort ici admirablement, à l’instar de Sébastien Gendron dans son drolatique Road tripes qui partage quelques points communs avec Demain c’est loin, à commencer par l’humour, grinçant de préférence. Pas beaucoup de temps mort dans ce court roman (moins de deux cents pages) où le duo bien mal assorti doit se serrer les coudes et apprendre à se faire confiance malgré leur a priori et les réticences qui vont avec. L’auteur donne à voir l’histoire par l’intermédiaire de Feldman – dont les réflexions sont souvent pas piquées des hannetons. Les fugitifs ne sont pas au bout de leur peine, pour le plaisir – un brin pervers – du lecteur.

Demain c’est loin est un court texte rythmé, caustique et plus intelligent que n’importe quelle banale histoire de cavale – Jacky Schwartzmann joue habilement avec certains clichés qui ont la vie dure – qui donne envie de poursuivre avec la découverte de l’univers de l’auteur.
Ça tombe bien, l’auteur invite ses lecteurs à le suivre en Pension complète, et ça s’annonce pas triste, là encore.

Demain c’est loin, de Jacky Schwartzmann, Seuil / Cadre noir (2017), 192 pages.

Une Affaire d’hommes (Rough Trade) est un roman de Todd Robinson paru chez Gallmeister en mars 2017 dans une traduction de Laurent Bury.

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Boo et Junior se connaissent depuis l’orphelinat où ils ont fait les quatre cents coups et où ils se sont aussi parfois serrés les coudes dans l’adversité. Aujourd’hui, ils travaillent ensemble comme videurs d’un club bostonien assez rock & roll, et pas uniquement du point de vue musical. Lorsqu’une de leurs collègues leur demande de faire comprendre à un petit ami violent qu’il serait bien inspiré de prendre ses distances avec elle, ils le font sans se faire prier.
Le hic, c’est que ledit petit ami est retrouvé mort le lendemain de sa petite virée dans le coffre de leur voiture et que Boo et Junior sont par conséquent les coupables tout trouvés.

Mon avis

 » Il y a plein de trucs nuls dans mon univers. Pendant les trois quarts de ma vie, les trois pires avaient été les New York Yankees, la sauce tartare et les fermetures Éclair où je me coinçais la bite.  »

On avait déjà pu faire la connaissance des deux larrons dans le premier roman de Todd Robinson également paru chez Gallmeister : Cassandra. Les voilà de retour pour le plus grand bonheur du lecteur. C’est sûr, ce genre de romans n’est pas là pour prétendre au Pulitzer, mais on rigole bien à suivre les aventures rocambolesques de ces deux énergumènes que la vie n’a pas gâtés, et ce depuis leur enfance, pas tendre du tout. Les méchants sont très méchants, les gentils ne sont pas si gentils que ça, et le côté série B de l’ensemble est parfaitement assumé par l’auteur.

« – Alors, j’en ai ma claque. Pourquoi ne pas utiliser dans cette histoire le rasoir d’Ockham ?
Junior se leva :
– Tu veux régler ça par un combat au couteau ? On y va, l’enfoiré !
Summerfield me regarda :
– Qu’est-ce qu’il… Pardon ?
Summerfield ouvrit grand les bras, dans l’espoir que quelqu’un aiderait Junior à comprendre.
– On parle pas d’un vrai rasoir, Junior.  »

Beaucoup d’action chez Todd Robinson. Ça dépote du début à la fin, y compris dans les flashbacks qui ramènent les acolytes à leur période boutonneuse à l’orphelinat. Les dialogues sont aux petits oignons et quelques réparties particulièrement savoureuses fusent à l’occasion. Pour autant, et sans que cela soit fait de manière lourde, l’auteur fait passer quelques messages quant à certaines valeurs peu partagées par la plupart des personnages bas du front et querelleurs qui peuplent cet opus.

 » C’était l’Ouroboros de la connerie, le serpent qui se mord la queue.  »

Une Affaire d’hommes est un très bon divertissement littéraire qui a oublié d’être bête et où l’on rit beaucoup aux dépens des personnages, souvent hauts en couleurs. Vivement le retour de ces bras cassés, dignes héritiers du Dortmunder de Donald Westlake.

Une Affaire d’hommes (Rough Trade, 2016), de Todd Robinson, Gallmeister/Noire (2017). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Bury. 363 pages.