Articles Tagués ‘Jean-Bernard Pouy’

Ma ZAD est le nouveau roman de Jean-Bernard Pouy, paru en janvier à la Série Noire.

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Camille, la quarantaine fatiguée, est responsable du rayon frais de l’Écobioplus de Cassel. Il soutient à sa manière les Zadistes de Zavenghem en leur distribuant des palettes ou des produits destinés à la benne. Interpellé lors de l’évacuation du site de la future plate-forme multimodale, il est placé en garde à vue. À sa sortie, aucune charge n’est retenue contre lui mais son hangar a brûlé. Dans la foulée, il se fait licencier et sa copine le largue. Dur d’être plus au fond du trou. À moins que…

Mon avis

Quand la sortie d’un roman ayant pour contexte une ZAD coïncide à ce point (à quelques jours près) avec l’annonce gouvernementale de l’arrêt du projet d’aéroport du Grand Ouest, c’est l’auteur qui est visionnaire, l’éditeur qui a le nez creux ou une simple coïncidence ?
Chacun se fera son avis, toujours est-il que le sujet est on ne peut plus d’actualité. N’allez pas chercher sur Internet, la ZAD de Zavenghem n’existe pas. C’est un peu celle de Notre-Dame-des-Landes, un peu celle du Testet (à Sivens), comme ça pourrait être n’importe quelle autre.

La ZAD a son importance dans le récit, mais le cœur de l’histoire, c’est Camille (prénom des zadistes anonymes dans la presse). Perdu dans l’inanité de son quotidien, il incarne beaucoup de personnes ne se sentant pas/plus à leur place dans la société actuelle, un peu, beaucoup ou complètement. Et comme le roman noir n’est jamais loin de la tragédie grecque, comme le père du Poulpe l’explique lui-même dans son excellent essai Une brève histoire du roman noir, on ne s’étonnera pas que Camille ne soit déjà plus tout à fait maître de son destin…

Ceux qui ne connaissent pas encore la plume de Jean-Bernard Pouy seront peut-être décontenancés par sa verve inimitable mêlant poésie, argot, néologismes et autres calembours « capilotractés ».

Pour ceux qui le suivent depuis longtemps, à la Série Noire (La Belle de Fontenay, Les Roubignoles du destin…) ou ailleurs (Train perdu wagon mort, La petite écuyère a cafté…), il reste toujours égal à lui-même, ce qui n’est pas rien sachant que celui qui peut le plus peut le moins.

Ma ZAD, c’est un petit plaisir de lecture de quelques deux cents pages.Une tragédie noire truculente mêlant poésie et actualité, drame et humour, humanité et cynisme, dans un dosage que Jean-Bernard Pouy maîtrise à la perfection.

Ma ZAD, de Jean-Bernard Pouy, Gallimard / Série Noire (2017), 193 pages.

Tohu-bohu est un recueil de nouvelles noires du duo Jean-Bernard Pouy & Marc Villard paru en Rivages/Noir en 2008.

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Une vache, un cheval, une bonne soeur stripteaseuse, un tueur à gages, un renard révolutionnaire, un éditeur sans scrupules, un frigo (!), un père qui menace de se « casser à Létrangeais », et bien d’autres…
Autant de personnages qui peuplent ces improbables nouvelles – souvent drôles – signées Jean-Bernard Pouy et Marc Villard.

Mon avis

Plutôt que de le paraphraser inutilement, laissons l’éditeur nous expliquer le concept de ce sympathique recueil.

Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ont écrit, chacun de leur côté, six nouvelles ; à charge pour l’autre de « sampler » chaque texte, c’est-à-dire, selon l’humeur, de le poursuivre, d’en donner un autre aperçu, de s’intercaler dans une ellipse, voire d’en contredire une vision ou une stylistique. »

Si vous ne connaissez pas encore les deux auteurs, ce recueil peut-être l’occasion de découvrir leur travail, tantôt sérieux tantôt farfelu, quand ce n’est pas les deux à la fois. Après Ping-Pong (où ils se renvoyaient la balle) et avant Zigzag (où ils slalomaient en parallèle sur les thèmes favoris de l’autre), les voici au meilleur de leur forme.

« Au début, je survivais chez Total Confort. C’était un peu le souk, côté stockage, et j’ai dû patienter deux semaines à trois mètres des canapés.
Ils se prennent tous pour des convertibles. Abrutis. Après, le patron des stocks – Raoul Meunier – nous a bien séparés : les frigos devant, les canapés derrière.
Ils chauffent trop leur stocks chez Total, c’est pas bon pour les moteurs. Puis un mardi matin, putain je m’en souviens parfaitement, Raoul m’a monté avec le vieux Frigeavia dans le hall d’exposition. J’étais le seul Millénium métallique. Couleur gris métallique, je veux dire. Double panier à crudités, deux bacs pour le beurre, une rampe horizontale pour les bouteilles et un freezer gris avec des rayures blanc cassé. Le look impérial. »

Les textes, souvent très courts, sont majoritairement des nouvelles à chute et pour la plupart humoristiques, pour ne pas dire loufoques. Vous admettrez que faire d’un frigo le personnage principal d’une nouvelle policière n’est pas monnaie courante. Malgré les vingt-quatre nouvelles annoncées par l’éditeur, le recueil en compte en vérité vingt-cinq car un texte de Gilles Mangard (autour du jazz), auquel rendent hommage Marc Villard puis Jean-Bernard Pouy, est inclus dans le livre.

Rivages disait que Zigzag, sorti de leur « atelier de littérature policière expérimentale est un concentré d’humour décapant, de fantaisie, de punch et de science du récit court ». On peut en dire autant pour Tohu-bohu, et si l’on peut se méfier des boniments des éditeurs avec raison, vous pouvez croire Rivages sur ce coup-là.

Bienvenue dans l’univers décalé de Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, qui sont parmi les meilleurs duettistes de la nouvelle noire, affutée et poilante. À déguster au compte-gouttes ou d’une traite, sans modération mais avec le sourire.

Tohu-bohu, de Marc Villard & Jean-Bernard Pouy, Rivages/Noir n°673 (2008), 217 pages.

1280 âmes est un roman de Jean-Bernard Pouy paru chez Baleine en 2000 et mettant en scène le libraire Pierre de Gondol.

Résumé

Pierre de Gondol est libraire à Paris. S’il aime le bon vin, la bonne chère et les femmes – il est clairement de ceux qu’on appelle les bons vivants – il affectionne aussi la littérature. Il est quasiment incollable à ce sujet, et particulièrement en ce qui concerne le polar. Quand on lui demande le titre original de tel roman noir ou encore à quel titre correspond tel numéro de la Série Noire, il a souvent la réponse. Mais lorsqu’un client lui demande ou sont passés les cinq habitants de Pottsville oubliés par le traducteur de Pop 1280 (1275 âmes en français), il ne sait pas. Rester sur un échec n’est pas son genre et sa curiosité est assez titillée pour qu’il décide de mener l’enquête, dût-il se rendre au pays de Jim Thompson.

Mon avis

Nombre de lecteurs de polars connaissent, au moins de nom Jean-Bernard Pouy, ainsi que son célèbre personnage du Poulpe (né dans son roman La petite écuyère a cafté, en 1995), et repris depuis par des centaines d’auteurs. Toujours chez l’éditeur Baleine, on connaît moins Pierre de Gondol. Ce sympathique libraire, qui se vante de posséder la plus petite librairie de la capitale (12m2, bureau compris), a également connu plusieurs auteurs au début des années 2000 (la série compte une dizaine de titres).

L’humour propre à Jean-Bernard Pouy fait des ravages, notamment dans les dialogues, où les personnages ne sont pas à un jeu de mots capillotracté près. L’écriture « francisée » des mots anglais peut parfois être assez rigolote aussi. La seconde partie de ce court roman (167 pages), où notre « froggy » sillonne les routes américaines sur les traces de Nick Corey (le shérif de 1275 âmes, pas l’ami du petit-déjeuner) à la recherche de la bourgade qui a inspiré Pottsville à Jim Thompson est assez sympathique, de même que les pérégrinations théâtrales d’Iris, la compagne de Pierre.

On sent néanmoins que l’enquête, qui voit le libraire se faire aider par l’association 813, les employés de la BILIPO ou encore le travail de Claude Mesplède, est plus un prétexte à rendre hommage à l’auteur du Démon dans ma peau qu’autre chose. Car si l’idée initiale, liée à ce titre étrangement traduit en français, est amusante, les explications ne sont pas des plus convaincantes.

1280 âmes est au final un texte au point de départ original, sympathique et plutôt drôle à défaut d’être mémorable. Un bon moment de lecture mais sans doute pas le meilleur roman du prolifique Jean-Bernard Pouy.

1280 âmes, de Jean-Bernard Pouy, Baleines (2000), 167 pages.

Les roubignoles du destin est un recueil de 12 nouvelles signé Jean-Bernard Pouy et édité pour la première fois en 2001 chez Gallimard. Les textes le composant avaient auparavant déjà pu être lus, mais dans diverses publications.

Résumé

Un joueur de hockey qui n’arrive plus à jouer sa finale à cause du… hoquet ! Un militant du FN qui aurait mieux fait de ne pas vénérer Jeanne d’Arc. Le frère de Luis Ocaña qui décide de se marier en plein Tour de France. Un auteur fatigué par les ateliers d’écriture qui se fait aborder par un insistant graphomane. Un père qui ne comprend plus son fils et décide de le prendre en filature. Voici le point de départ de quelques-unes des douze nouvelles composant ce recueil.

Mon avis

Comme souvent avec ce type de recueils, certaines histoires plairont d’avantage que d’autres. Les goûts et les couleurs mis à part, certaines d’entre elles sont peut-être objectivement moins bonnes (Manus militari ou Le cargoète par exemple). Leur taille varie aussi beaucoup, de trois pages à une trentaine selon les cas.

Elles sont différentes dans le style mais on y retrouve toujours la patte de Jean-Bernard Pouy, son talent pour nous accrocher le sourire aux lèvres et pour s’approprier la langue, qu’il n’a de cesse de modeler à sa guise, comme un potier avec la terre glaise, aussi à l’aise pour écrire « avé l’acent du Sud » qu’en mauvais « angliche ». Comme souvent avec l’inventeur du Poulpe, l’humour est très présent, dans les dialogues comme dans les jeux de mots, l’un d’entre eux servant même de point de départ à une nouvelle (Hoquet sur glace). Rien qu’appeler un texte Les roubignoles du destin (c’est le premier, celui qui donne son titre au recueil), il fallait le faire, et le titre est d’autant plus drôle une fois qu’on a terminé l’histoire en question, dont la chute est, comment dire… mortelle.

« Et comme moi, je n’en peux plus, fatigué de ne plus parler, de ne plus comprendre, de ne plus avoir aucun contact avec mon propre fils, vacherie, je joue au détective minable, au flic pourri de base, s’il savait, peut-être que ça le ferait exploser, mais ça serait déjà quelque chose, merde, Arafat et Rabin sont bien arrivés à se parler, pourquoi pas Jérôme et moi, merde. »


Certaines nouvelles sont très réussies, pour leur dénouement donc (I got my mogette working), mais aussi pour leurs histoires (L’équarrisseur, La mauvaise graine). L’ABC du métier, exercice de style « oulipien », vaut quant à elle le détour juste pour son écriture : il s’agit d’un long acrostiche alphabétique (chaque ligne commençant par l’une des 26 lettres de l’alphabet dans l’ordre, et ainsi de suite), réussi qui plus est.

« Niant le sordide, cachant le glauque,
opacifiant le réel, Yvonne
puisait dans toutes ces petites histoires
qui meublaient son quotidien non pas une
résignation, mais, au contraire, un
salutaire énervement.
Traitant de la misère sociale et morale
une fois sur deux, elle tentait de dégager une
vérité impalpable, qu’elle décorait à la
Walter Scott, ensuite, faisant d’une affaire
x le papier de la semaine.
Y’a pas de raison, disait-elle, à
zozo, zozo et demi… »

Bien que quelques-unes soient moins intéressantes que les autres, les nouvelles constituant ce recueil (publié en 2001) se lisent globalement avec beaucoup de plaisir. On y retrouve le style, l’humour et la malice qui caractérisent si bien l’œuvre de Jean-Bernard Pouy, l’une des plus belles plumes du polar français actuel.


Les roubignoles du destin, de Jean-Bernard Pouy, éditions Gallimard (2001 et 2004), 176 pages.