Articles Tagués ‘Le Masque’

Serena est un roman de Ron Rash paru en France en 2011 aux éditions du Masque dans une traduction de Béatrice Vierne.

Résumé

Smoky Mountains, années 1930.
George Pemberton, exploitant forestier aisé, épouse Serena. Alors qu’il craint au départ que la belle ne soit pas faite pour la vie à la campagne, il se rend vite compte qu’elle est non seulement parfaitement à son affaire à cheval ou parmi les bûcherons mais qu’elle sait en plus manier les armes et se montrer sans pitié lorsqu’il s’agit de protéger l’exploitation. Avant de la rencontrer, Pemberton avait eu une brève aventure, et un enfant illégitime, avec une jeune femme du village. Lorsque cette nouvelle parvient aux oreilles de Serena, un processus latent mais irréversible se met en place.

Mon avis

Deuxième roman de Ron Rash à avoir traversé l’Atlantique (après Un pied au paradis), Serena est chronologiquement le quatrième qu’il a écrit, et sans aucun doute le plus abouti.
On se méfie toujours des arguments de quatrième de couverture et des comparaisons flatteuses des éditeurs, souvent à raison. Ici, les allusions au drame élisabéthain et à Macbeth en particulier semblent assez justes, sans qu’il soit question de comparer l’auteur – par ailleurs féru de poésie et poète à ses heures – à Shakespeare. C’est plutôt qu’en termes d’ingrédients, le texte tient davantage du drame classique que du roman noir contemporain.

Comme dans ses autres livres, la plume de Ron Rash fait des merveilles lorsqu’il s’agit de décrire la nature et les paysages sauvages de Caroline du Nord, sans que cela porte préjudice à l’intensité dramatique du texte. Les personnages et leurs tourments, à commencer par le couple autour duquel gravitent tous les autres, George et Serena Pemberton, sont excellemment décrits. Les conditions de travail des bûcherons d’alors sont aussi rudes que les hivers des Smoky Mountains, aussi les morts ne manquent pas dans Serena, qu’elles soient tout à fait accidentelles ou beaucoup moins fortuites. Voraces et sans scrupules, les Pemberton sont craints et prêts à tout pour déforester jusqu’au dernier arbre de la région, dussent-ils graisser quelques pattes ou neutraliser quelques importuns au passage. C’est ainsi qu’au nœud dramatique du récit, il faut ajouter, en toile de fond mais bien présentes, les conséquences du capitalisme et les premières préoccupations écologiques. Certaines scènes sont mémorables et magnifiquement écrites. Même sans avoir vu le film éponyme (sorti en 2014) ou l’adaptation en bande dessinée de Pandolfo & Risbjerg (2018), des images fortes nous restent en tête. On pense aux premières scènes où Serena dresse son aigle par exemple ou à d’autres moments dont il serait plus délicat de parler ici sans trop en dire.

Sans doute le roman ne brille-t-il pas pour l’originalité de ses rebondissements, que l’on pressent en partie, mais là n’était sans doute pas le but de l’auteur. Le texte semble ne pas compter un mot de trop. Lorsque l’on sait que l’auteur l’a écrit et réécrit pas moins de douze fois avant d’en être satisfait, on comprend que le talent, seul, ne suffit pas à produire une telle prouesse.

Serena est au final un roman noir époustouflant mettant en scène une héroïne aussi féroce qu’inoubliable dont on comprend bien, à l’aune de la lecture, pourquoi elle lui donne son nom.

Serena (Serena, 2008), de Ron Rash, Le Masque (2011). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Béatrice Vierne, 380 pages.

Le Mercato d’hiver (January Window) est un roman de l’Écossais Philip Kerr paru au Masque en 2016 (traduction de Katalin Balogh et Philippe Bonnet).

51i8dyazgclRésumé

Scott Manson est entraîneur de London City, célèbre club de Premier League. Les pressions et intimidations en tous genres sont monnaie courante dans le foot de haut niveau. Aussi, lorsqu’une mise en scène sordide – un grand rectangle de terre creusé dans la pelouse du stade, évoquant une tombe – est découverte par les jardiniers, personne ne s’en émeut particulièrement. Il y a un match important à préparer, et pas de temps à perdre avec ça, il faut vite reboucher, que le terrain soit praticable. Seulement, quand João Gonzales Zarco, le charismatique manager du club, est retrouvé mort, on ne peut qu’y voir un avertissement. Et la direction du club demande à Scott Manson d’enquêter parallèlement à la police. L’entraîneur, dont le Portugais était un ami en plus d’être un brillant collaborateur, est bien décidé à découvrir le fin mot de l’histoire.

Mon avis

Bien connu des amateurs de polars pour sa série historique consacrée à Bernie Gunther, dont on suit avec plaisir les aventures épiques avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, voilà que Philip Kerr se frotte à un tout autre sujet : le football.
Amateur de ballon rond, l’Écossais l’est assurément, lui qui ne manquerait pour rien au monde un match d’Arsenal… Arsenal auquel le club fictif de London City ressemble curieusement et dont Scott Manson est – tiens, tiens ! – un ancien joueur. Ce qui permet à l’auteur, sous couvert de décrire les arcanes de la gestion d’un club de Premier League, de glisser des anecdotes qu’on sent plus vraies que nature. De même, certains protagonistes ressemblent curieusement à de vraies personnalités du foot, comme ce Zarco, portugais, grande gueule, impitoyable avec ses joueurs ; ou encore ce milliardaire ukrainien, président de club et dont les affaires ne semblent pas toujours des plus nettes.
Assurément, l’auteur maîtrise son sujet et nous plonge avec passion dans le quotidien d’un grand club européen. De la gestion des hommes (et parfois de leurs caprices) à la préparation des matches en passant par le travail inhérent à l’achat et à la vente des joueurs durant ce fameux mercato d’hiver, l’auteur nous montre tout, sans que cela ne soit ni rébarbatif ni difficile d’accès pour les béotiens du soccer – sur le même thème, rien à voir en terme d’exigence avec l’exceptionnel Rouge ou mort de David Peace, par exemple.
Si le contexte est on ne peut plus maîtrisé, l’intrigue, bien qu’intéressante, est un peu légère, et même un brin caricaturale par certains aspects. Le personnage de Scott Manson est quant à lui plutôt réussi, bien que moins fascinant qu’un Bernie Gunther.

Le Mercato d’hiver est un polar de bonne facture, qui vaut plus pour son contexte et ses personnages que son intrigue, un peu faible dans l’absolu. Un bon moment de lecture pour les amateurs de ballon rond… ou non. Premier roman d’une série, on peut déjà retrouver Scott Manson dans La Main de Dieu et La Feinte de l’attaquant.

Le Mercato d’hiver (January Window, 2014), de Philip Kerr, Le Masque (2016). Traduit de l’anglais (Ecosse) par Katalin Balogh et Philippe Bonnet, 448 pages.

Discount est un roman noir humoristique écrit à quatre mains par Denis Bretin et Laurent Bonzon. Il a été publié aux éditions du Masque en 2010.

Résumé

Devant son téléviseur, Robby est tombé amoureux de Leïla et ne comprend toujours pas comment elle a pu perdre la finale de Star&Strass. Il est bien décidé à aller lui déclarer sa flamme à l’occasion de son passage à l’hypermarché local.
Le Castor attend son frère Tattoo devant la sortie de la prison. Ce dernier retrouve aussi sa Dany après dix-huit mois de placard, laquelle s’est entre-temps faite apprécier de son employeur, le directeur de l’hypermarché.
Les frères décident de tenter rapidement un braquage avant d’aller se faire oublier à l’étranger. Mais alors qu’ils passaient récupérer Dany à l’hyper après sa journée de travail, tout dégénère, et ils n’ont d’autre choix que de se réfugier dans le magasin, où ils prennent en otage les quelques personnes encore présentes à cette heure tardive.

Mon avis

« Lost in the supermarket » chantaient les Clash en 1979 sur leur fameux album « London Calling ». Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans les packs d’eaux minérales mais la société de consommation est toujours d’actualité, plus que jamais, et Denis Bretin et Laurent Bonzon sont bien décidés à la prendre pour cible façon chamboule-tout dans ce roman très rock’n’roll.

« Qu’il baise la responsable de l’accueil logistique ou ses concurrents directs de la grande distribution, Berthelon est un adepte de la performance. Dany ne s’en plaint pas. Et la liaison qu’elle entretient depuis trois semaines lui a procuré plus d’avantages que deux ans de ponctualité et de sérieux à la caisse de l’Hyper. Pour quelques parties de jambes en l’air, elle assiste maintenant aux réunions cadres. Un poste évolutif, lui a dit Berthelon en passant une première main sous sa jupe. Dany n’a pas trouvé ça désagréable au point de renoncer à faire avancer sa carrière. Elle est presque excitée au moment de retrouver le directeur à la photocopie. […]

En voyant le score de la partie défiler, la jeune femme comprend que Berthelon a calé son rythme sur celui du copieur, qui expulse les feuilles, chacune à sa place, dans un beau mouvement mécanique et organisé. Elle ne se trompe pas. Soumis à la pression par les récentes mesures destinées à lutter contre les marges arrière, le directeur de l’Hyper a besoin de nouveaux défis à relever. Celui que l’homme a lancé à la machine l’excite terriblement.

À la pression des mains sur ses hanches et à son souffle qui s’accélère, la jeune femme sait que le boss, manager du Groupe 2001 mention « Performance globale », aura du mal à remplir ses objectifs et ne tardera plus à vider son chargeur. »

Le premier chapitre, excellent, donne le ton d’entrée. Dany s’offre à son patron sur un photocopieur en espérant une promotion, un comble quand on bosse dans un hyper ! Les ébats sont rythmés par les feuilles sortant de la machine et les considérations à double-sens de l’employée quant aux performances de son manager. Dans Discount, les auteurs osent, sans retenue, mais toujours avec humour. Dans le genre, les deux compères – ils écrivent ensemble depuis des années – semblent en connaître un rayon, et c’est donc à chaque page qu’on se gondole. Situations loufoques, personnages ubuesques, calembours à gogo et jeux avec les références bien connues des consommateurs (pour ne pas nommer les marques) : il y a de quoi faire.

« Tattoo devrait raccrocher. Les spécialistes du groupe d’intervention sont forcément en train de localiser sa position par triangulation satellitaire. Le mieux, estime le Castor, ce serait de scotcher le téléphone dans le dos d’un otage et de le forcer à se déplacer sans cesse. Et surtout de ne jamais quitter le rayon surgelés, pour ne pas permettre les détections infrarouges. […]

Tattoo repose l’appareil sur une boîte de crevettes géantes de Madagascar élevées en Thaïlande et décortiquées en Pologne, puis se dirige vers Dany. »

Sans jamais tomber dans le lourdingue, nos deux fines plumes lancent pique sur pique contre le système marchand et nos petites vies minables avec un cynisme jubilatoire. Pour autant, l’intrigue n’est pas laissée pour compte et le récit va à cent à l’heure. Les rebondissements, nombreux et imprévisibles sans jamais être trop forts de chocolat, achèveront d’emballer le lecteur (non, pas dans le papier alu).

« Se faire sauter par Berthelon, balancer Tattoo, draguer le Castor, se laisser tripoter par la Montalembert ? Tout est possible dans une vie Discount. Simple question de packaging. Dany n’a encore qu’une idée très floue de ce qu’elle désire. Mais elle fera comme tout le monde. Elle comparera les étiquettes. Les promos et les points cagnotte l’aideront à faire ses choix. »

Plutôt habitués aux polars fantastiques ou d’espionnage, Denis Bretin et Laurent Bonzon signent avec Discount un polar humoristique haut de gamme. Un très bon divertissement, beaucoup plus intelligent qu’il n’y paraît. Un excellent moment de lecture garanti (mais pas remboursé). Vivement une prochaine livraison.

Discount, de Denis Bretin et Laurent Bonzon, Le Masque (2010), 266 pages.

Cherche jeunes filles à croquer est un roman de Françoise Guérin paru il y a quelques semaines aux Éditions du Masque.

Résumé

Plusieurs jeunes filles ont disparu ces derniers mois dans la région de Chamonix. Les gendarmes pensent d’abord à des fugues – certaines d’entre elles sont coutumières du fait – avant de se rendre compte que les adolescentes ont toutes en commun d’avoir été soignées à un moment ou un autre dans la même clinique pour des troubles alimentaires sévères. Le commandant Éric Lanester est spécialement dépêché de la capitale pour établir s’il peut s’agir d’enlèvements en série. Seulement, aucun signe des anorexiques disparues, les indices sont maigres.

Mon avis

« Je marche le long de l’Arve aussi tumultueux et opaque que le flot de mes pensées. À quoi est-ce qu’on se tient, dans la vie ? À son boulot ? À son savoir ? À l’image qu’on renvoie à l’autre ? Ou bien à son histoire ? Et quand l’histoire est branlante, on fait comment ? Je songe à Carla et à sa carapace de muscles soigneusement entretenue, à Bertrand qui ne jure que par Excel, à Marc calé contre son mur, agrippé à son calepin la mine défaite. Le mur est le meilleur ami du lieutenant Bazin !
Et à moi, cramponné à mon analyste comme un nourrisson à sa mère… »

Quelques années après l’avoir quitté – À la vue, à la mort était paru en 2007 – voici donc le retour aux affaires du commandant Lanester, encore éprouvé par sa dernière enquête. Sujet à des angoisses chroniques, il a besoin d’être régulièrement en contact avec sa psychanalyste pour pouvoir tenir le choc. Lorsqu’on lui fait savoir qu’il doit quitter Paris pour une durée indéterminée, c’est le drame. Surtout qu’il apprend une fois arrivé dans la vallée du Mont-Blanc qu’il doit collaborer avec la gendarmerie, et que le contact ne passe pas avec le commandant Pierrefeu. Quand bien même, Lanester et ses hommes parviennent à découvrir quelques éléments qui avaient échappé à la vigilance des gendarmes. L’enquête prend forme mais risque d’être fastidieuse tant les suspects potentiels ne manquent pas.

« Je me plonge dans mes notes du matin. Tous mes carnets comportent deux entrées. Face A, je note les informations recueillies sur le terrain et tout ce qui concerne l’affaire en cours. La face B me sert à consigner toutes les pensées bizarres qui me passent par la tête. Au fil des ans, j’ai appris l’importance qui surgit à l’improviste, en marge de l’enquête : idées absurdes, associations étranges, mots et images sans lien apparent. Il n’est pas rare que cette collection hétéroclite contribue à l’élaboration du profil psychologique qu’on attend de moi.
Je recense les suspects possibles avant d’appeler l’Identité Judiciaire. Marion Cazeneuve, qui dirige le service depuis peu, a débuté comme stagiaire à mes côtés. Elle rit en m’entendant dicter ma trop longue liste.
– Tout ça, commandant ? C’est pour une affaire ou vous nous faites un petit coup de paranoïa ?
– À ton avis ?
– Hum… mon maître à penser, dans ce métier, répétait toujours : « Quand on a plus de trois suspects dans une enquête, c’est qu’on s’y prend comme un manche ! »
Ouais… Pourquoi c’est toujours les conneries que je dis qu’on retient pour la postérité ? »

En plus du commandant Lanester, on retrouve avec plaisir sa fine équipe, qu’il a pu amener avec lui dans les Alpes : l’efficace Carla ; Bazin, le procédurier ; et Fog, qui a du mal à suivre le rythme sauf quand il s’agit d’informatique. On renoue également avec l’écriture de Françoise Guérin, tantôt précise s’agissant de l’enquête, tantôt poétique lorsqu’il s’agit de sonder les états d’âme de ses personnages, Lanester en tête. L’humour est assez présent, dans les dialogues notamment, ce qui est appréciable, car l’histoire est très sombre par ailleurs. L’auteur, psychologue clinicienne dans le civil, met en effet à profit son expérience professionnelle pour nous décrire les terribles tourments de ces jeunes filles atteintes d’anorexie mentale.

Les ultimes rebondissements peineront peut-être à convaincre les lecteurs les plus exigeants. Nonobstant, Françoise Guérin propose avec Cherche jeunes filles à croquer un polar procédural de bonne facture, efficace et très documenté.


Cherche jeunes filles à croquer, de Françoise Guérin (2012), Éditions du Masque, 392 pages.

Savages / Don Winslow

Publié: 5 décembre 2012 dans Polar américain
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Savages est le treizième roman de l’Américain Don Winslow, paru en France l’an dernier, aux éditions du Masque.
Il vient d’être adapté sur grand écran par Oliver Stone.

Résumé

Ben est docteur en marketing et en botanique. Il a bon cœur et donne de son temps dans l’humanitaire.
Chon a fait l’Irak et l’Afghanistan, manie encore les armes comme personne et sait se montrer très persuasif quand il veut.
O – ne l’appelez pas Ophelia, elle ne veut pas porter le prénom d’une fille qui a décidé d’aller se noyer – est une jeune et magnifique petite blonde qui ne laisse personne indifférent.
Ce trio s’entend à merveille. Cannabis, beach volley, sexe, bière : tel est leur quotidien. Pour maintenir ce train de vie, les trois lascars produisent et vendent la meilleure herbe de la Californie du Sud.
Ce n’est pas du goût du Cartel de Baja et de son terrible chef, qui aimerait bien s’implanter sur leur terrain. Ben, Chon et O ont beau savoir qu’elle n’est pas du genre à rigoler, ils refusent son offre. Leurs ennuis ne font que commencer…

Mon avis

Don Winslow annonce d’entrée de jeu la couleur. Le premier chapitre est percutant comme rarement et se compose d’une unique phrase :« Fuck you. ». Avec Savages, l’auteur américain qui n’en est plus à son coup d’essai – on lui doit une douzaine de romans – a voulu tenter quelque chose de radicalement différent. Si le fond peut rappeler La griffe du chien, son chef-d’œuvre, la forme n’a rien à voir avec ses précédents opus.

« Il se sent
mort d’ennui
en dépression
à la dérive dans sa vie. Sans but devant lui peut-être parce que…
… vous creusez un puits au Soudan, ça n’empêche pas les Janjawid de débarquer et d’abattre les gens
… vous achetez des moustiquaires et les garçons que vous sauvez grandissent pour
… violer les femmes
… vous installez de petites entreprises familiales au Myanmar et l’armée
… les vole et utilise les femmes comme esclaves et
Ben commence à craindre de très bientôt partager l’opinion de Chon sur l’espèce humaine
À savoir que les gens ne sont au fond que
des merdes. »

Les chapitres sont courts comme jamais – on en dénombre pas moins de 290 courant sur 325 pages ! Don Winslow a décidé de ne rien s’interdire concernant l’écriture. Si certains passages sont « normaux », il expérimente beaucoup. De nombreuses phrases sont maltraitées, déformées, passées à la dynamite. Certains passages évoquent la poésie ou le slam. D’autres font penser aux scripts d’un film. Rebelote concernant le vocabulaire utilisé. Argot, néologismes, acronymes, jeux de mots plus ou moins vaseux : l’auteur ne se refuse rien, pas même les mélanges risqués. Les balles fusent, le sang coule, et pourtant, l’humour n’est jamais loin et l’occasion est donnée au lecteur de faire travailler ses zygomatiques. Traduire un roman de cet acabit doit être une gageure, aussi saluons le travail de Freddy Michalski, qui s’en sort haut la main.

« Chon divise les habitants de la planète en deux catégories :
Lui, Ben et O
Tous les autres.
Il ferait n’importe quoi pour Ben et O.
Pour Ben et O il ferait n’importe quoi à Tous Les Autres.
C’est aussi simple que ça. »

L’écriture, tout comme l’action, omniprésente, font de ce roman une machinerie redoutable. Pour peu que l’on accepte le postulat d’écriture de l’auteur (liberté totale !), qui pourra rebuter certains lecteurs, le livre devient impossible à lâcher.
Don Winslow joue aussi avec ses personnages, caricaturaux à bien des égards. Un mercenaire insensible, un doux rêveur pacifiste voulant sauver le monde, une bimbo nymphomane. Les protagonistes ne se ressemblent en rien mais s’assemblent pourtant, pour le meilleur et pour le pire.

« Ben veut la paix.
Chon sait
Qu’on ne fait pas la paix avec les sauvages. »

Très différent de ses titres précédents, Savages détonne dans l’œuvre de Don Winslow. Initialement publié en 2010, le roman a connu un beau succès outre-Atlantique, au point d’affoler les producteurs. C’est finalement Oliver Stone qui a pu réaliser l’adaptation (éponyme et sortie en salle il y a quelques semaines dans l’hexagone) de ce roman noir déjanté, qui plaira autant à certains qu’il déplaira à d’autres.
Un autre opus est paru par la suite, Cool (Kings of Cool, pour la VO), dans lequel l’auteur reprend les personnages de Ben, Chon et O pour raconter leur vie d’avant (chronique à venir très vite).


Savages (Savages, 2010) de Don Winslow, éditions du Masque (2011). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski, 325 pages.

Les talons hauts rapprochent les filles du ciel, paru au Masque en avril dernier, est le premier roman d’un jeune auteur Français, Olivier Gay.

https://i0.wp.com/polars.pourpres.net/img/uploads/41IYuogZKjL._SL500_.jpgRésumé

Fitz – John-Fitzgerald de son vrai prénom – est un fêtard absolu. Quand les gens bossent, il dort, se levant seulement quand tombe la nuit pour aller vendre un peu de poudre blanche et profiter au maximum des soirées parisiennes et des Parisiennes en soirée. Lorsqu’il ne sort pas, il passe le plus clair de son temps en ligne, déguisé en elfe, à chasser orques et autres gobelins.
Malheureusement pour Fitz et sa routine, Jess, l’une de ses innombrables ex, est lieutenant de police… et elle a vraiment besoin de son aide.

Mon avis

Les forces de l’ordre ont jusqu’à présent réussi à le cacher aux médias, mais il semblerait qu’un tueur en série sévisse dans la capitale. En peu de temps, il s’en est pris de manière ignoble à quatre filles, retrouvées mortes dans leur appartement et en sale état. Aucune piste pour Jessica et son équipe. Les seuls points communs entre les jeunes femmes : elles étaient très jolies et fréquentaient régulièrement les soirées branchées.

« Je hochai la tête. J’étais un gagne-petit, je le savais, ils le savaient. La poudre me permettait de me frayer un chemin dans les soirées à la mode et d’assurer le loyer de mon petit studio. Je ne cherchais pas grand-chose de plus. Les voitures ne m’intéressaient pas, les vêtements de marque coûtaient bien moins chers en contrefaçon et je pouvais compter sur mon charme naturel pour éviter de payer trop souvent un verre aux filles.

J’avais vu assez de gars se brûler les ailes, des costauds, des habiles, des malins, des protégés. Ils avaient des épaules plus larges que moi, mais ils finissaient par chuter. Des sept péchés capitaux, la gourmandise et l’envie sont les plus répandues. Je préfère la luxure et la paresse. »

C’est pourquoi la belle lieutenant fait appel à Fitz, seul susceptible selon elle de l’aider dans son enquête en laissant traîner ses yeux et ses oreilles dans les boîtes à la mode. D’abord réfractaire, il accepte la mission – chantage aidant – et finit même par prendre son enquête à cœur, assisté de Moussah et Deborah, deux clients/amis hauts en couleur.

« Une chemise D&G : 150 euros. Un jean Diesel : 100 euros. Des mocassins Tony Hilfiger : 200 euros. Se rouler dans la boue avec un inconnu ? Ça n’avait pas de prix. »

La quatrième de couverture nous informe qu’Olivier Gay connaît bien le Paris by night. S’il est difficile de quantifier la part autobiographique contenue dans Les talons hauts rapprochent les filles du ciel – très joli titre soit dit en passant – il semble bien que ce soit véridique. Il sait en tout cas nous le faire vivre comme personne, et avec une bonne dose d’humour – l’auteur ne se prive pas de bons mots lorsqu’il en a l’occasion.

« Les passants passaient, les mateurs mataient, les badauds badaient. »

On s’amuse souvent des déboires de Fitz, et de la manière dont il les raconte – le récit est écrit à la première personne. Pourtant dealer de cocaïne, loser patenté et Casanova souvent tenté, Fitz est un de ces anti-héros qu’on ne peut s’empêcher de trouver sympathique. Olivier Gay prend un malin plaisir à faire durer le suspense, disséminant les indices avec parcimonie jusqu’aux toutes dernières pages, riches en action et révélations.

« Au début, j’avais tourné les pages comme à regret, piégé par le chantage ignoble de mon ex-compagne. Au fur et à mesure des descriptions, au fur et à mesure des tortures, les choses avaient changé. Je ne me considérais pas comme un saint, loin de là – bordel, j’avais de la coke dans mon armoire ! – mais la froide boucherie derrière ces crimes touchait une corde sensible. Tu as gagné Jessica. Si jamais je peux trouver une info pertinente qui te permettrait de coincer ce salaud, compte sur moi.

Quatre belle filles mortes, ça en faisait autant que ne partageraient jamais ma couche. »

À la lecture des Talons hauts rapprochent les filles du ciel , difficile de croire qu’il s’agit d’un premier roman. Le ton est juste, les personnage réussis, le suspense savamment dosé. Les membres du jury du Festival de Beaune ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en attribuant cette année à Olivier Gay le Prix du premier roman. Un premier opus des plus plaisants, un jeune auteur à surveiller…



Les talons hauts rapprochent les filles du ciel
, d’Olivier Gay, Le Masque (2012), 380 pages.

Contes barbares de l’Écossais Craig Russell est le deuxième volet de la trilogie mettant en scène le commissaire Fabel après Rituels sanglants.
L’intrigue est construite autour des contes de Grimm, utilisés par un serial killer pour mettre en scène ses crimes.
Ce livre a terminé à la première place de la sélection « automne » du Prix Polar SNCF dans la catégorie « Polars Européens » et est donc toujours en course pour le titre final.

51a1byqoaslRésuméUne adolescente gît sur la plage. Serré entre ses doigts raidis, un papier jaune où figure une inscription à l’encre rouge :  » J’étais sous terre, mais maintenant il est temps de revenir à la maison.  » Un couple adultère est retrouvé égorgé dans le Naturpark. Cette fois, deux messages :  » Hansel », et  » Gretel ». Puis c’est le corps nu d’une cover-girl célèbre, chevelure déployée sur l’herbe. Dans sa main, un papier jaune, et un mot :  » Dornröschen  » – Eglantine, alias la Belle au bois dormant. Le tueur enchaîne les mises en scène macabres, et chaque mystérieux message augmente le désarroi du commissaire Fabel. Jusqu’au jour où, entendant à la radio un écrivain déclarer :  » Le conte populaire allemand est un conte de pureté et de corruption, d’innocence et de fourberie « , il décide de relire ses classiques…

Mon avis

Contes barbares est un polar très intéressant.
Le tueur, féru des contes des frères Grimm fait de chaque scène de crime une nouvelle interprétation d’un de ces nombreux contes traditionnels.
Les enquêteurs ont toujours un temps de retard et ont du mal à saisir la logique (s’il y en a une) du serial killer qu’ils essaient de confondre.
L’enquête, d’abord lente et assez traditionnelle malgré l’originalité du modus operandi, va peu à peu s’accélérer, puis connaître des rebondissements jusqu’à un final réussi.
La place de finaliste de Contes barbares pour le prix SNCF du Polar n’est pas usurpée, bien que je lui ai préféré Amitiés mortelles ou encore Turbulences catholiques.

Contes barbares (Brother Grimm, 2007) de Craig Russell, Le Masque (2008). Traduit de l’anglais (Ecosse) par Aurélie Tronchet, 406 pages.

L’Heure zéro est un roman d’Agatha Christie qui ne fait pas partie des plus connus, bien qu’étant l’un des livres dont elle se disait la plus fière.
Peut-être est-ce dû à l’absence de personnage récurent (type Hercule Poirot ou Miss Marple). Il est paru en 1944 sous le titre Towards Zero.
L’Heure zéro a été adapté au cinéma par Pascal Thomas en 2007.
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Résumé

Quelle drôle d’idée ! Rassembler pour des vacances à La Pointe aux Mouettes l’ex-Mrs Strange – Mrs Audrey depuis son divorce – et Kay, la nouvelle tenante du titre, sous le prétexte d’en faire des amies… C’est de l’inconscience, pour ne pas dire plus. Car enfin, l’époux de ces dames n’a quand même pas la naïveté de croire qu’elle vont tomber dans les bras l’une de l’autre. D’ailleurs, si ces tigresses ne se sont pas encore écharpées, c’est qu’elles se retiennent. Pour l’instant. Les vertus calmantes de l’air marin, sans doute… Mais les choses n’en resteront pas là. Deux Mrs Strange sous le même toit, c’est une de trop…

Mon avis

Encore un très bon roman de la reine du roman à énigme.
Ce livre est un huis clos à l’ambiance oppressante, où chaque protagoniste est un coupable en puissance. En effet, tous les personnages semblent  se haïr plus ou moins ouvertement et possèdent de surcroit un bon mobile concernant le crime.

La grande originalité de ce roman réside dans la longue attente du meurtre. Le crime – qui ouvre généralement un roman à énigme – n’intervient dans L’Heure zéro que dans la deuxième moitié du roman. Ceci est du à la théorie selon laquelle le crime – ou « l’heure zéro » – ne serait que l’achèvement d’une longue suite d’événements l’ayant entrainé.

L’Heure zéro (Towards Zero, 1944), d’Agatha Christie, Le Masque (1994). Traduit de l’anglais par Jean-Marc Mendel, 250 pages.

A la vue, à la mort est le tout premier roman de Françoise Guérin, qui est assez connue dans le monde du polar pour avoir collaboré à l’émission « Les petits polars » pour Radio France, ainsi que pour ses très nombreuses nouvelles, dont certaines ont été également publiées cette année dans recueil Mot compte double.

A la vue, à la mort a déjà obtenu le prix du premier roman du festival de Cognac, ce qui n’est pas rien, et Françoise Guérin va peut-être bien faire coup double puisque son livre est encore dans la course pour le Prix  SNCF du Polar dans la catégorie « Polars français ».

417w3yha6dlRésumé

Dans la banlieue sud de Paris, deux et bientôt trois crimes atroces sont commis selon un scénario énigmatique. Chaque fois, on retrouve la victime énucléée et vidée de son sang au cour d’une étrange mise en scène. Très vite, le commandant Lanester, profileur d’exception chargé de l’affaire, se heurte à la logique du criminel que tout le monde a surnommé Caïn : que signifie cet oeil noir peint au-dessus des corps mutilés ? Lanester est tellement épouvanté par ce qu’il découvre qu’il en perd littéralement la vue. Aidé de son second. Bazin, et d’un chauffeur de taxi providentiel et désœuvré, il continue pourtant l’enquête, à l’aveugle et à la barbe de ses supérieurs. Mais c’est dans un voyage éprouvant au cœur de sa propre nuit, que l’homme trouvera des réponses inespérées aux grandes questions de son existence.

Mon avis

Pour un premier roman, Françoise Guérin place la barre très haut. Un enquête menée par un policier aveugle il fallait y penser. Non seulement elle y a pensé, mais elle s’est servi de cette idée originale mais somme toute assez simple pour nous offrir un superbe polar. Le personnage de Lanester est très intéressant car tout au long de son enquête, il en apprend autant sur lui que sur le meurtrier, qu’il a surnommé Caïn. De plus, le roman est très rythmé, ce qui entraîne vraiment le lecteur sans effort aucun jusqu’aux dernières pages.

A la vue, à la mort, de Françoise Guérin, Le Masque (2007), 346 pages.