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Les morts des Bear Creek est un roman de Keith McCafferty paru cet été aux éditions Gallmeister dans une traduction de Janique Jouin-de Laurens.

pol_cover_33682Résumé

Le « Club des menteurs et monteurs de mouches » fait appel à Sean Stranahan car deux mouches à la valeur inestimable ont été escamotées sans que ses adhérents ne comprennent bien comment. C’est précisément pourquoi ils soupçonnent sinon un des leurs, au moins une complicité interne, et préfèrent faire appel à Stranahan plutôt qu’à la police. Lui peut enquêter discrètement en se faisant passer pour un simple pêcheur passionné de mouches, ce qu’il est réellement d’ailleurs.
Parallèlement, la shérif Martha Ettinger enquête sur la disparition inquiétante d’un randonneur, dont on retrouve bientôt les restes. À moins qu’il ne s’agisse pas de lui, difficile à dire tant une grizzly affamée l’a boulotté.

Mon avis

Dans Meurtres sur la Madison, nous faisions la connaissance de Sean Stranahan, qui venait d’emménager dans les Rocheuses suite à une rupture sentimentale éprouvante. Cet ancien privé, vivant désormais dans le Montana comme peintre et guide de pêche en eau douce, avait aidé le shérif Martha Ettinger au cours d’une enquête à laquelle il se retrouvait plus ou moins mêlé malgré lui. On s’était alors dit qu’on le retrouverait avec plaisir tant il semblait d’entrée sympathique et tant l’écriture de Keith McCafferty faisait… mouche. Ici aussi, le dosage est optimal entre enquête, scènes de pêche et descriptions de la nature, tout en ne négligeant pas les personnages, qui ne sont pas interchangeables, loin de là. Le binôme Sean-Martha en particulier, gagne en profondeur tandis que de nouveaux acteurs font leur apparition. À commencer par l’attachante Martinique, étudiante et effeuilleuse à la plastique agréable et au caractère bien trempé qui ne laisse pas Stranahan indifférent. Comme toujours chez Gallmeister, l’auteur fait la part belle à Dame Nature et certaines scènes de pêche sont si convaincantes qu’elles donneraient envie à un vegan d’enfiler illico des waders pour aller taquiner la truite cutthroat.
Assez riche en rebondissements, cette double enquête, en plus d’être efficace, fait quelque peu réfléchir le lecteur sur certains sujets, qu’on ne peut guère plus évoquer sans trop dévoiler l’intrigue. Jamais plombant, le texte est savoureux et même parfois drôle.

Les morts de Bear Creek confirme la bonne impression qu’avait laissée Keith McCafferty avec Meurtres sur la Madison. Tous les ingrédients d’un roman de qualité sont au rendez-vous et si la suite est à l’avenant – déjà sept titres outre-Atlantique – on se régale d’avance des traductions à venir de Janique Jouin de Laurens.

Les morts des Bear Creek (The Gray Ghost Murders, 2013), de Keith McCafferty, Gallmeister (2019). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Janique Jouin-de Laurens, 373 pages.

Meurtres sur la Madison est un roman de Keith McCafferty qui paraît aujourd’hui chez Gallmeister dans une traduction de Janique Jouin-de Laurens.

pol_cover_30511Résumé

Suite à son divorce, Sean Stranahan est venu s’installer dans les Rocheuses, pour pêcher et y exercer son activité de peintre. Ayant été enquêteur privé, il n’a pu s’empêcher de l’indiquer sur la devanture de sa boutique. Ça n’échappe pas à la ténébreuse Velvet Lafayette, chanteuse de cabaret de son état, qui embauche Stranahan pour une mission originale : pêcher la truite un peu partout dans la région afin de réussir à retrouver, grâce à de maigres indices, le coin favori de son père, récemment décédé et dont elle aimerait répandre les cendres précisément où il aimait le plus à taquiner l’arc-en-ciel ou la fario.
Parallèlement, le client d’un guide de pêche ramène au bout de sa canne… un cadavre. Le corps d’un jeune pêcheur noyé, sans doute accidentellement. Quoique, pas si sûr, car il a une Royal Wulff – une mouche de belle facture – hameçonnée à la lèvre. Martha Ettinger, la sherif du comté, est sur l’affaire.

Mon avis

Première traduction française pour Keith McCafferty, signée Janique Jouin-de Laurens, et après quelques pages, on comprend parfaitement pourquoi c’est Gallmeister qui a choisi de lui donner sa chance dans l’Hexagone. L’auteur est un passionné de pêche – il est même rédacteur en chef d’un magazine spécialisé – et un amoureux des grands espaces. Assurément, les amateurs de nature writing et les aficionados de Craig Johnson ne seront pas dépaysés.

C’est ce sens du toucher que Stranahan apportait avec lui à la rivière. C’était une forme subtile de compétence que les auteurs d’ouvrages sur la pêche négligeaient. Ils réduisaient la pêche à la mouche à des considérations avant tout pratiques, amenant leurs lecteurs à croire que celui qui possède la canne en fibre de carbone du plus haut module, la soie avec la finition futuriste la plus lisse, la potence invisible en fluorocarbone et la mouche parfaitement montée, écrasera tellement la truite de sa supériorité technologique qu’elle ouvrira la bouche, vaincue. Stranahan savait que le succès résidait davantage dans le toucher que dans la technologie, et que la technique passait au second plan derrière la concentration et le désir. Pour pêcher, il fallait sentir la rivière et votre cœur filait avec la mouche. A l’instant où vous laissez votre esprit s’égarer, vous êtes perdu.

Là où d’autres privilégient l’action à tout prix, Keith McCafferty prend le temps de planter le décor et les personnages, et bien lui en prend. On se délecte de découvrir sous sa plume les somptueux paysages du Montana, et particulièrement la faune et la flore des abords de la Madison River. L’humour est moins présent que dans la série consacrée au shérif Longmire, et les dialogues ne sont peut-être pas aussi savoureux mais les points communs sont évidents, même au-delà du cadre bucolique similaire (tiens, un adjoint indien !). Les amateurs de pêche en eau douce en auront pour leur argent, et même ceux qui ne s’y intéressent pas de prime abord pourront être emportés par les descriptions de l’auteur, qui parvient sans forcer son talent à transmettre son amour pour cet art solitaire. Du matériel de pêche à la confection des mouches en passant par les maladies des truites, on en apprend des choses, comme dans les romans de William Tapply tout en ne perdant pas de vue l’intrigue principale, qui connaît de nombreux rebondissements, plus ou moins inattendus. Tout au plus pourra-t-on regretter l’absence d’un lexique (ou de quelques notes de bas de page), pour celles et ceux qui n’ont jamais tenu une canne à pêche et ne savent pas ce que sont les waders et autres soies.

Premier opus d’une série consacrée à l’attachant Sean Stranahan – qui compte déjà sept titres outre-Atlantique –, Meurtres sur la Madison remplit parfaitement son rôle. Aussi passionnant sinon plus de par son contexte et l’écriture de Keith McCafferty que pour l’intrigue stricto sensu, le roman fait passer un excellent moment. Ferré dès le départ, on attend déjà la suite.

Meurtres sur la Madison (The Royal Wulff Murders, 2012), de Keith McCafferty, Gallmeister (2018). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Janique Jouin-de Laurens, 379 pages.

41c7pgutvvlDark Horse est le cinquième roman de l’Américain Craig Johnson.
Paru en français chez Gallmeister (dans la collection « Noire ») en 2013, il a la particularité d’être sorti en poche en Points/Seuil (en 2015) et non chez Gallmeister comme c’était habituellement le cas.

Résumé

Wade Barsad est retrouvé mort, abattu de six balles dans le crâne durant son sommeil. Auparavant, il avait enfermé dans la grange les chevaux de sa femme avant d’y mettre le feu. Tout semble accuser Mary Barsad, qui n’est d’ailleurs pas longue à avouer avant de sombrer dans un mutisme inquiétant. Sauf que, sans qu’il ne s’explique vraiment pourquoi, le shérif Longmire ne croit pas un instant à la culpabilité de la veuve. Pour mener l’enquête incognito dans le comté voisin de sa juridiction, Walt va se faire passer pour un représentant d’assurances.

Mon avis

Après Little Bird, Le camp des morts, L’indien blanc, Enfants de poussière et autant de pépites littéraires, Dark Horse est le cinquième roman de Craig Johnson et par la même occasion la cinquième enquête de Walt Longmire. C’est un véritable plaisir que de retrouver Walt et son équipe – la fougueuse Vic, l’adjoint Branch, mais aussi l’affable Ruby ou encore Henry Standing Bear, l’ami cheyenne du shérif. Comme dans les précédents opus, on retrouve le talent de Craig Johnson pour nous décrire sa rude et belle région du Wyoming. Ici, plus particulièrement la bourgade d’Absalom, petite voisine d’Absaroka, ses quelques rues et ses habitants pas commodes.

Mais contrairement à d’autres auteurs américains (chacun pensera à qui il veut), Craig Johnson prend le soin d’écrire à chaque fois un roman différent. Dans cet épisode, l’auteur s’est amusé à utiliser une construction chronologique originale – obligeant le lecteur à rester attentif – faisant s’alterner des passages relatant l’isolement de Mary Barsad et d’autres, plus récents d’une semaine, narrant l’infiltration de Walt dans le comté d’Abasalom.

« Dans ma vie, j’ai reçu des coups de pieds de chevaux, j’ai été mordu. J’ai été piétiné, écrasé contre des grilles et désarçonné, mais ces merveilleux animaux m’ont aussi câliné, frotté, porté, réchauffé et henni doucement au visage. Je pensais à tous les chevaux que j’avais connus et n’en trouvais pas un de mauvais. Mon père disait que les animaux ne ressentaient pas la douleur comme nous, mais jamais je ne l’avais vu en maltraiter un, jamais. »

Dark Horse, comme son titre le laisse augurer, fait aussi la part belle aux chevaux. Et c’est peu dire qu’on sent rapidement que l’auteur au chapeau les connait bien et les aime, lui qui possède un ranch. Certains passages concernant la « plus vieille conquête de l’homme » sont magnifiquement écrits et le lecteur gardera sans doute en tête quelques scènes mémorables comme cette folle chevauchée sous les éclairs sur une mesa du Wyoming.

Si l’on peut dire que Dark Horse n’est peut-être pas le meilleur opus de la série, Craig Johnson n’arrive décidément pas à décevoir. Chacun de ses romans est une belle réussite et donne furieusement envie de lire le suivant. S’ils peuvent bien sûr se lire indépendamment, il est néanmoins conseillé de lire les aventures du sympathique shérif Longmire dans l’ordre, en commençant par le déjà très bon Little Bird.

Dark Horse (The Dark Horse, 2009), de Craig Johnson, Gallmeister / Noire (2013). traduit de l’Américain par Sophie Aslanides, 327 pages.

Une terre d’ombre (The Cove) est le cinquième roman de Ron Rash, le quatrième traduit en français (le second, Saints at the River, a pour le moment été « oublié » par les éditeurs français).

Il est paru en janvier 2014 au Seuil sous la direction de Marie-Caroline Aubert (qui l’avait découvert pour Le Masque), avec une traduction d’Isabelle Reinharez.

Résumé

Caroline du Nord, 1918.
Laurel Shelton a toujours été traitée comme une pestiférée du fait d’une tache de naissance sur le visage que d’aucuns prennent pour un signe de malédiction. Après le décès de ses parents, elle s’était retrouvée seule dans la ferme familiale jusqu’au retour de la guerre de son frère Hank. Revenu du front européen avec une main en moins, ce dernier ne compte pas s’apitoyer sur son sort et reprend le travail. Un beau jour Laurel entend de douces notes flotter dans la nature et tombe sur un mystérieux joueur de flûte. Elle ne le sait pas encore mais cette rencontre va changer sa vie.

Mon avis

Après Un pied au paradis, Serena et Le monde à l’endroit, Une terre d’ombre est le quatrième roman de Ron Rash à être traduit en France – il s’agit en fait de son cinquième, le second n’ayant pas été traduit pour l’heure. Après les années 1930 et les années 1970, l’auteur américain nous embarque à l’époque de la Grande Guerre. C’est avec un talent certain qu’il nous replonge dans une Amérique profonde, où les gens sont enclins à croire les superstitions, à juger leur prochain en fonction des ragots qui circulent dans le bourg, où l’intolérance est reine.

Laurel retrouve le musicien mal en point et décide de le recueillir. Lorsqu’il a recouvré ses forces, elle se rend compte qu’il est muet mais il lui indique par écrit qu’il se prénomme Walter et qu’il vient de New York. Hank voudrait qu’il parte, pas Laurel. Elle parvient finalement à convaincre son frère de lui offrir le gîte et le couvert en échange de son travail dans les champs.

Hormis l’histoire de la malédiction supposée de la famille rien ne laisse présager au départ de la suite dramatique du roman. Mais peu à peu, l’auteur nous délivre des informations sur le passé du mystérieux Walter et le suspense prend forme.

« Maintenant que la moisson était terminée et qu’elle avait cueilli les tout derniers haricots et le maïs, ramassé les dernières pommes de terre, elle pourrait apprendre à lire et à écrire à Walter. Tout annonçait un hiver rigoureux. Des nids d’écureuils s’accrochaient aux branches basses et les chenilles du papillon vitrail se hérissait. La mousse plus épaisse sur les troncs d’arbres aussi. Il y aurait une belle abondance de journées de neige, qu’ils pourraient passer devant la cheminée, les traits et les courbes au crayon noir devenant petit à petit des lettres puis de mots. Elle se servirait des ouvrages que Mlle Calicut lui avait donnés, emprunterait peut-être quelques livres de lecture comme ceux dans lesquels elle avait appris. Mlle Calicut pourrait lui indiquer où acheter une ardoise et du papier réglé. Elle serait institutrice, finalement. Laurel sourit à cette pensée. »

Des descriptions de la nature à la peinture des personnages, la plume de Ron Rash fait une nouvelle fois des merveilles et il est bien difficile de lâcher ce roman abouti en cours de route. Après cette nouvelle réussite, on ne pourra plus reprocher à un écrivain d’écrire ses textes à la Rash.

Une terre d’ombre (The Cove, 2012), de Ron Rash, Seuil (2014). Traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, 242 pages.

Le monde à l’endroit (The World Made Straight) est un roman de Ron Rash, publié aux États-Unis en 2006 et en France en 2012 aux éditions du Seuil (traduction : Isabelle Reinharez).

Résumé

Travis Shelton, 17 ans, aime beaucoup pêcher. Alors qu’il taquine la truite près d’une cascade, il découvre des pieds de cannabis, se sert, et les revend. Pas vu pas pris, il recommence. Jusqu’à se faire attraper par le propriétaire, qui le punit à sa façon, en lui charcutant le tendon d’Achille au couteau. Rejeté par son père suite à cet épisode, le jeune Travis est hébergé dans le mobile home d’un certain Leonard. L’ancien prof devenu dealer va redonner au jeune homme, en échec scolaire, le goût d’apprendre. En se documentant, Travis va découvrir que la région a connu un terrible massacre durant la Guerre de Sécession, et que cet épisode a durablement marqué les autochtones.

Mon avis

Après Un pied au paradis et Serena (qu’il a en vérité écrit après ce texte), Le monde à l’endroit est le troisième roman de Ron Rash à paraître dans l’hexagone. On y retrouve les paysages du Sud des États-Unis chers à l’auteur, notamment la région de Divide Mountain. Les belles descriptions des Appalaches, des parties de pêche ou encore de la culture du tabac – le père de Travis dirige une exploitation réputée – confèrent à ce roman un côté « nature writing » que ne renierait sans doute pas un éditeur comme Gallmeister.

Au-delà de ça, Le monde à l’endroit est à la fois un roman initiatique et un drame. Une de ces histoires où l’on sait dès le départ que ça va mal finir, mais qu’on prend néanmoins plaisir à lire. On s’attache rapidement aux personnages de Travis et Leonard, qui en sont arrivés là à cause des malchances de la vie et non pas parce qu’ils sont foncièrement mauvais. Les deux hommes s’entendent rapidement et s’entraident, pour le meilleur et pour le pire. Bien qu’il n’y ait pas au départ d’intrigue au sens policier du terme, la tension est forte, l’histoire connaît quelques rebondissements de taille et débouche inéluctablement sur un final enlevé et explosif, après que des éléments ont resurgi du passé.

Écriture soignée, personnages remarquables et tension palpable. Ron Rash offre avec Le monde à l’endroit une espèce de tragédie contemporaine qui marquera sans doute plus d’un lecteur. Un grand roman. Une nouvelle voix sur laquelle il faut compter.

Le monde à l’endroit (The World Made Straight, 2006) de Ron Rash, Seuil (2012). Traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, 288 pages.

Aurora, Minnesota (Iron Lake pour la v.o.) est un roman policier de William Kent Krueger paru aux États-Unis en 1998. Il a été traduit en France par Philippe Aronson et publié au Cherche-Midi en 2011.

Résumé

Malgré la tempête de neige qui s’abat sur Aurora, le jeune Paul Le Beau va livrer ses journaux. Il en a presque fini avec sa tournée lorsqu’il arrive devant chez le juge Parrant. Voyant la porte entrouverte, il entre, pour trouver le corps du vieil homme, qui s’est fait sauter le caisson au fusil de chasse. Mais ça, on ne le sait pas tout de suite…

La mère de Paul signale sa disparition. Lorsque la police, qui a entre temps découvert la mort du juge, se rend compte qu’il y a de fortes chances que Paul soit allé chez lui, elle craint le pire. Le jeune homme a-t-il vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ? L’a-t-on fait taire définitivement ?

Mon avis

Aurora, Minnesota est paru aux États-Unis il y a quinze ans et a reçu dans la foulée les prix les plus prestigieux du polar comme l’Antony Award et le Barry Award. Coup de maître pour un coup d’essai puisqu’il s’agit du premier roman de William Kent Krueger. C’est aussi la première enquête de Corcoran « Cork » O’Connor, l’ancien shérif d’Aurora, encore apprécié de ses concitoyens, qui continuent de le solliciter bien qu’il ait été démis de ses fonctions après une terrible affaire.

Cork est un personnage charismatique auquel on s’attache rapidement. Après avoir perdu son travail, il est en passe de perdre ce qui lui reste de plus cher, sa famille. En effet, sa femme Jo ne l’aime plus et envisage de le quitter, avec leurs enfants. Cork est complètement perdu, entre l’envie de conserver ses proches et le désir qu’il sent monter en lui à chaque fois qu’il retrouve la magnifique Molly, serveuse au Pinewood Broiler.

Wally Schanno, le nouveau shérif, n’avance guère dans son enquête et n’a d’autre choix que de solliciter Cork, lequel semble avoir déjà quelques idées sur la question. Et si le juge ne s’était pas suicidé ? Les deux rivaux ne sont pas au bout de leurs surprises…

William Kent Krueger signe un polar de grande qualité, à l’intrigue riche et passionnante, et aux nombreux rebondissements. Les personnages ne sont pas épargnés mais l’ensemble n’est pas trop sombre, les quelques scènes violentes étant atténuées par des moments plus doux. Cork a beau être un dur à cuire, il est souvent émouvant, dans sa relation avec Molly comme avec ses enfants.

S’étendant sur plus de cinq cents pages, le roman n’est jamais ennuyant, même lorsque l’auteur prend le temps de décrire les rigueurs du climat au Minnesota ou quand il fait la part belle aux Indiens et à leurs légendes, Windigo en tête.

Avec Aurora, Minnesota, William Kent Krueger a fait une entrée très remarqué dans le monde littéraire. Pas étonnant tant ce roman cumule les qualités. Maîtrisé du début à la fin, ce polar fait aussi la part belle aux sentiments et le lecteur se souviendra longtemps de certaines scènes, notamment celle d’une mort, rendue aussi belle que bouleversante par la plume de l’auteur. Cette première enquête de Cork, hautement recommandable, est loin d’être la dernière. En effet, la série comporte déjà une douzaine de titres outre-Atlantique. En France, on peut déjà retrouver Cork dans Les neiges de la mort, A l’heure où blanchit la campagne et Blood Hollow.

Aurora, Minnesota (Iron Lake, 1998) de William Kent Krueger, Cherche-Midi (2011). Traduit par Philippe Aronson, 509 pages.

Le retour de Silas Jones (Crooked Letter, Crooked Letter) est le troisième roman de l’Américain Tom Franklin. Traduit en français par Michel Lederer, il est paru chez Albin Michel dans la collection Terres d’Amérique en janvier dernier.

https://i0.wp.com/polars.pourpres.net/img/uploads/51aIuskGgDL._SL500_.jpgRésumé

Silas Jones, orphelin de père, vit avec sa mère dans des conditions difficiles. Il aime à passer du temps dans les bois et à s’entraîner au base-ball. Il aurait bien envie de jouer avec Larry Ott, qui a l’air bien sympa, mais Larry est blanc, et pour l’enfant noir qu’il est, dans le Mississippi des années 1970, un tel rapprochement n’est pas permis.
Quelques décennies plus tard, une adolescente disparaît et les deux hommes vont de nouveau être amenés à se croiser. Silas est devenu constable, tandis que Larry, accusé de la disparition d’une jeune fille mais non condamné – faute de preuves suffisantes – essaie tant bien que mal de rester debout face au harcèlement permanent d’une partie des habitants, qui font de lui le coupable tout désigné de cette nouvelle affaire du fait de son passé obscur.

Mon avis

Tom Franklin est un de ces auteurs qui nous prouvent qu’on peut très bien tenir le lecteur en haleine sans recourir systématiquement aux tueurs en série ou aux courses-poursuites de bolides. Qu’on peut décrire des personnages en profondeur, ou des paysages bucoliques, sans que l’on ne s’ennuie un seul instant.

Que ce soit durant leur enfance, dans les années 1970, ou aujourd’hui, les personnages de Silas et Larry – on les suit en alternance – sont décrits avec beaucoup de justesse, y compris dans leur relation, ambiguë, dont on découvre peu à peu de nouveaux aspects. A ces personnages des plus réussis s’ajoute cette immersion dans un patelin rural du Mississippi (Chabot, 500 habitants) qui rappelle par moment l’excellent 1275 âmes de Jim Thompson.

Le retour de Silas Jones – bien plus sage que Smonk, redoutable western foutraque et bourré de testostérone – est un magnifique roman nous prouvant, s’il en était encore besoin, que Tom Franklin est avant tout un excellent raconteur d’histoires. Il se dégage vraiment quelque chose de ce texte, qui fait qu’en refermant la dernière page on se dit qu’on serait bien resté encore un moment au Mississippi avec Silas et Larry.

Voilà un très beau texte qui devrait plaire, en particulier à ceux qui ont apprécié le superbe Julius Winsome de Gerard Donovan, avec qui il partage quelques points communs (poésie des mots, présence de la nature…). A découvrir !

Ce roman m’a en tout cas donné envie de poursuivre avec Tom Franklin. Me reste à lire La culasse de l’enfer et Braconniers (un recueil de nouvelles), et je me referai bien Smonk aussi tiens, histoire de le chroniquer ce coup-là (il fait partie des romans qui sont passés entre les mailles du filet).


Le retour de Silas Jones (Crooked Letter, Crooked Letter, 2010) de Tom Franklin, Albin Michel / Terres d’Amérique (2012). Traduit de l’américain par Michel Lederer, 385 pages.

Enfants de poussière (Another Man’s Moccasins en VO), paru en février chez Gallmeister, est le quatrième roman de Craig Johnson ainsi que la quatrième enquête du désormais célèbre shérif Walt Longmire.

Désormais célèbre aux moins aux USA car depuis sa troisième apparition en France, le brave Walt fait l’objet outre-Atlantique d’une adaptation sous forme de série TV qui semble cartonner actuellement sur la chaîne A&E : Longmire. (Après quelques épisodes, je trouve que le résultat est ma foi plutôt réussi, j’y reviendrai peut-être ici…).

enfants_de_poussiere.jpgRésumé

Wyoming, comté d’Absaroka.
Chose peu commune pour la région, une jeune asiatique est retrouvée sans vie sur le bord de la route, apparemment étranglée. À quelques pas de là, un Indien quasi-sauvage et mesurant un bon double-mètre a élu domicile dans une grotte. Les enquêteurs y retrouvent le sac à main de la victime mais tout cela semble trop facile pour Walt Longmire, qui peine à croire à la culpabilité du géant.

Mon avis

« J’étais sur le point de prendre le virage pour passer sous l’I-25 lorsque je vis les deux enfants, ceux qui m’avaient fait signe la veille, et je remarquai que l’un deux portait un T-shirt avec l’inscription Shelby Cobra. Ils étaient appuyés sur la même barrière, comme de banales sentinelles, du haut de leurs huit ans – enfin, l’un de huit ans, l’autre de six, peut-être. J’eus une idée. Je m’arrêtai sur le gravier. J’appuyai sur le bouton pour faire descendre ma vitre, mais avant que je puisse prononcer un seul mot, le plus grand, qui avait des lunettes, s’empressa de parler.

– Vous êtes le shérif ?

– Ouaip. Vous n’auriez pas…

Il sourit et attrapa le plus jeune par l’épaule.
– Moi, c’est Ethan, voici mon frère Devin.

– Enchanté, vous n’auriez…

Le cadet dit, d’une voix fluette :

– Est-ce que vous cherchez des méchants ?

Je hochai la tête.

– Oui. Vous n’auriez pas vu passer par hasard une Land Rover verte il y a environ un quart d’heure ?

Ils hochèrent la tête tous les deux.

– Oui, monsieur. DEFENDER 90…

Le plus grand poursuivit :

– Vert Canada, toit ouvrant, avec pare-chocs avant ARB, et plaques à motifs en losanges sur les ailes avant.

Je restai une seconde à le regarder, ne sachant que répondre à cette description[…]

Je les saluai et mis en marche les lumières et la sirène, mais cette fois, je les laissai allumées, remerciant les forces divines d’avoir fait le mâle américain passionné par tout ce qui roule. »

Après les excellents Little Bird, Le camp des morts et  L’indien blanc, c’est avec plaisir que l’on retrouve dans une nouvelle enquête le désormais célèbre shérif et son entourage.

Rapidement, des éléments de l’enquête obligent le toujours aussi sympathique shérif à se replonger dans son moins sympathique passé. En effet, quelques décennies auparavant, Walt Longmire était occupé au Vietnam, où la guerre battait son plein et où il commençait sa carrière d’enquêteur au sein des Marines. Il semblerait que les événements d’aujourd’hui puissent avoir un lien avec ceux d’hier. Craig Johnson joue sur les deux tableaux et maintient le suspense dans chacune des histoires en faisant s’entrecroiser astucieusement présent et passé.

« – Est-ce que tu crois que je suis raciste ?

Elle sourit et s’empressa de cacher sa bouche derrière sa main.

– Toi ?

– Oui, moi.

Je fourrai mes mains dans mes poches.

Elle leva le menton et m’examina, et j’avais l’impression que j’aurais dû porter une veste plombée anti-rayons X.

– Tu veux dire, à cause de tes expériences pendant la guerre ?

– Ouaip.

– Non.

C’était une réponse franche, qui ne laissait pas beaucoup de place à une poursuite de la discussion. Je jetai un coup d’œil à son regard inflexible et haussai les épaules, puis je me tournai en apercevant Virgil qui bougea son bras et nous regarda tous les deux.

– Je me demandais, juste.

– Tu as un préjugé quand même. (Le chapeau rabattu sur les yeux, je lui lançai un regard par en dessous.) Tu te préoccupes moins des vivants que des morts. »

En plus de nous donner à voir avec réalisme certains aspects de la guerre du Vietnam, l’auteur nous régale en décrivant son Wyoming d’adoption et en faisant vivre ses personnages. Aux protagonistes principaux que l’on retrouve avec plaisir – en plus de Walt, citons Henry Standing Bear, le meilleur ami du shérif ; Vic, sa séduisante adjointe et Saizarbitoria, son autre bras droit – il faut ajouter des personnages secondaires réussis et pas délaissés pour un sou. Certains ne manquent pas de piquant, comme ces deux vieux frères célibataires dont l’un est persuadé que leur mère, morte depuis un quart de siècle, lui prépare encore son café du matin. Comme dans les autres opus de la série, l’humour occupe une belle place, aussi bien dans les situations que dans les dialogues et les pensées de Walt.

« Ils étaient tous les deux de beaux vieux célibataires ; à mon avis, ils ne s’étaient pas mariés parce qu’ils étaient trop radins pour envisager de prendre une épouse. […] Mon interaction professionnelle avec les Dunnigan concernait surtout Den. Un jour, il avait failli tuer un autre rancher avec une pelle lors d’une altercation sur les droits d’accès à l’eau, et une autre fois, il avait brisé une bouteille sur le bar en ville, et menacé de pratiquer une trachéotomie artisanale sur un cow-boy de rodéo. Mais en dehors de cela, nous nous contentions de répondre aux appels de Den lorsque James se perdait, ce qui lui arrivait périodiquement. Deux ou trois ans auparavant, pendant la saison de chasse et les premières neiges, nous avions ainsi répondu – de même que la patrouille de l’autoroute et la brigade de recherche et sauvetage du comté – et nous avions retrouvé James installé au Hole in the Wall Bar. Il nous avait affirmé catégoriquement qu’il avait appelé sa mère pour lui expliquer que tout allait bien et qu’il allait passer la nuit dehors.

Le problème était que sa mère était morte depuis un quart de siècle. »

S’il ne s’agit peut-être pas du meilleur livre écrit par Craig Johnson à ce jour, Enfants de poussière – très beau titre une fois qu’on en a compris le sens, soit dit en passant – n’en demeure pas moins un très bon roman. Un bien agréable moment de lecture passé avec Walt, Henry, Vic et les autres dans les sublimes paysages du Wyoming.


Enfants de poussière (Another Man’s Moccasins, 2008) de Craig Johnson, Gallmeister (2012). Traduit de l’américain par Sophie Aslanides, 322 pages.