Articles Tagués ‘religion’

Smile est un roman de Roddy Doyle paru chez Joëlle Losfeld en août dernier, dans une traduction de Christophe Mercier.

61kpx3-nchlRésumé

Pendant des années, Victor Forde a filé le parfait amour avec Rachel Carey, une jeune cuisinière devenue une présentatrice vedette de la télévision irlandaise. Déprimé, déboussolé, il reprend un appartement à Dublin, dans le quartier où il a grandi. Pour ne pas rester se morfondre seul chez lui, il s’astreint à sortir au pub local et tente de se socialiser. Un jour, un client vient le voir et semble le reconnaître. Cet Ed Fitzpatrick, qui ne le lâche plus, dit se souvenir de lui et même avoir été son camarade de classe à l’école des frères chrétiens. Victor, en revanche, n’a aucun souvenir de ce type qui l’incommode profondément sans qu’il n’en comprenne vraiment la cause.

Mon avis

Né en 1958, Roddy Doyle est un écrivain aguerri et reconnu en Irlande. Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma (The Commitments, The Van…) et il a remporté des prix littéraires et non des moindres, comme le Booker Prize en 1993, pour Paddy Clarke ha ha ha. On le connaît moins en France, où seule une partie de son œuvre a été traduite.

Smile commence comme un roman plutôt classique, mettant en scène un homme entre deux âges se remettant à peine d’une rupture amoureuse. Pourtant, assez vite, un climat anxiogène s’installe, bien que l’on ne parvienne pas à saisir – pas plus que lui d’ailleurs – pourquoi cet ancien camarade de classe met Victor si mal à l’aise. À tel point qu’il se prend à imaginer divers stratagèmes pour l’éviter.

L’auteur installe alors un récit sur plusieurs niveaux, à base de flashbacks, lesquels remontent à la période où Victor rencontrait Rachel mais aussi à son enfance et, plus particulièrement, à ce qui à trait à sa scolarité chez les frères chrétiens. On se doute alors que quelque chose s’est passé, sans qu’on comprenne exactement de quoi il en retourne. De manière machiavélique, Roddy Doyle glisse peu à peu des éléments, plus ou moins anodins, qui prendront tout leur sens dans le final, particulièrement mémorable, mais à propos duquel il serait dommage d’être plus disert ici.

Joliment écrit et sonnant souvent juste, Smile est un roman empreint d’une certaine mélancolie. L’histoire, d’abord banale, bascule ensuite dans un suspense psychologique intense conduisant sans mal le lecteur à un final bouleversant à plus d’un titre. Une belle réussite qui donne envie de poursuivre la découverte de l’œuvre de Roddy Doyle.

Smile (Smile, 2017) de Roddy Doyle, Joëlle Losfeld (2018). Traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier, 256 pages.

L’Enfer de Church Street est un roman de Jake Hinkson paru chez Gallmeister en 2015 dans la collection Néonoir.
Il est traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides.

41iig9yfp2blRésumé

Geoffrey Webb, un gros Américain d’apparence inoffensive se fait braquer sur un parking de station-service alors qu’il remonte dans sa voiture. Le truand fait démarrer le conducteur et le menace d’une arme. Plus coriace que prévu, l’obèse refuse de coopérer, arguant qu’il n’a rien à perdre et qu’il peut très bien les envoyer tous deux dans le décor si ça lui chante. Il propose rapidement un « deal gagnant-gagnant » à son agresseur. Trois mille dollars contre quelques heures de route à l’écouter raconter sa vie sans poser de questions. C’est tout.

Mon avis

L’Enfer de Church Street démarre sur les chapeaux de roues et conte donc l’itinéraire pour le moins mouvementé de Geoffrey Webb, un petit gars mal parti dès le départ et d’abord peu armé à faire face à cette chienne de vie. Après une enfance atroce passée avec un père violent et ivrogne qui abusait de ses propres filles, il trouve grâce à un oncle son salut dans le groupe de jeunes de l’Église baptiste locale. Mal dans sa peau, il est l’objet de railleries mais se découvre un talent pour le prêche et décide de muscler sérieusement le seul point fort que lui ait donné la vie afin de devenir pasteur.

Pas croyant pour un sou mais totalement cynique, frère Webb, qui manie la langue de bois et la flatterie comme personne, gravit vite les échelons pour se retrouver en charge de l’éducation religieuse d’une groupe de jeunes. Entouré d’adolescents, les hormones du pasteur le rattrapent, et le voilà qu’il tombe amoureux de la plus laide de toutes. Non seulement Angela est mineure, mais elle est surtout la fille de frère Card, son supérieur hiérarchique. Qu’à cela ne tienne, Geoffrey n’est pas homme à se laisser abattre lorsqu’il a une idée en tête. Et il est bien décidé à initier Angela au péché de chair.

Forcément, dans ce type de roman, rien ne se passe comme prévu et tout va rapidement aller de mal en pis pour Geoffrey Webb, et pas qu’un peu ! Notamment quand le shérif local, corrompu comme pas deux, commence à le trouver suspect.
Lui-même fils de prêcheur baptiste ayant vécu dans une famille stricte et religieuse, Jake Hinkson prend un malin plaisir à dézinguer ce milieu refermé sur lui-même où la crédulité des uns le dispute à l’hypocrisie des autres. Grâce au personnage de Geoffrey Webb, il peut laisser éclater son cynisme pour la plus grande jubilation du lecteur.

Avec ce premier roman d’une sauvagerie redoutable, Jake Hinkson allume immédiatement une mèche que rien ne viendra éteindre jusqu’à la dernière page et à la détonation finale. Un petite bombe bien noire qui se lit d’une traite.

L’Enfer de Church Street (Hell on Church Street, 2011), de Jake Hinkson, Gallmeister/Néonoir (2015).
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides, 236 pages.

La Nuit des béguines est un roman d’Aline Kiner paru aux éditions Liana Levi au mois d’août dernier.

318smf25uwlRésumé

Paris, 1310.
Dans le quartier du Marais se trouve le grand béguinage royal, où des femmes vivent entre elles, de prières et de divers travaux. Ni mariées ni sœurs, leur statut particulier, mi-religieux mi-laïque, commence à faire grincer certaines dents en ces temps où l’orthodoxie est scrutée de plus en plus près. Ysabel, au béguinage depuis longtemps, s’occupe principalement de son potager où sa main verte fait pousser toutes sortes de légumes et d’herbes, aromatiques ou médicinales. Par un froid jour d’hiver, elle retrouve sur le seuil du béguinage une jeune femme plus très loin du trépas. Sans savoir rien d’elle, elle estime de son devoir de la sauver.

Mon avis

Le premier roman d’Aline Kiner, Le jeu du pendu, était un roman policier classique mais maîtrisé entre présent et Seconde Guerre mondiale. Après le contemporain La vie sur le fil, la voilà qui s’attaque, par le prisme de l’aventure et du suspense, à un sujet peu connu du grand public : le béguinage. Avec le sérieux qui la caractérise, la rédactrice en chef des hors-série du magazine Sciences & Avenir a abattu un grand travail de recherche avant de se lancer dans l’écriture, si l’on en juge par le nombre d’ouvrages cités en fin de roman et surtout, par la vraisemblance de son histoire.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un essai sur cette institution médiévale méconnue mais bien d’une fiction, faisant la part belle aux femmes, forcément. On apprend assez vite que Maheut, la jolie rousse recueillie par Ysabel, fuyait un mariage forcé. Parallèlement, une béguine du Nord de la France, Marguerite Porete – elle a vraiment existé – est arrêtée par les autorités religieuses. Son récent ouvrage, Le miroir des âmes simples, dans lequel elle exprime à sa manière son mysticisme et son amour de Dieu, fait scandale. Il est bientôt jugé hérétique, et le cas de Marguerite préoccupe beaucoup au grand béguinage royal car le roi Philippe IV, qui ne voit pas cette communauté d’un bon œil, pourrait en profiter pour supprimer ce statut particulier toléré par ses prédécesseurs. Dans cette ambiance tendue, nos béguines continuent à vivre, qui à soigner, qui à cultiver, qui à vendre du tissu. Mais un franciscain a été envoyé à Paris pour retrouver la trace de Maheut, et son flair le rapproche du but.

Mettant en scène une belle galerie de personnages féminins aux caractères parfois bien trempés, La Nuit des béguines est un solide roman d’aventure historique où le suspense le dispute à l’érudition. Mêlant habilement faits et personnages historiques aux inventions de son cru, Aline Kiner parvient à être didactique sans sacrifier la dynamique de la narration ni tomber dans l’écueil du cours magistral propre à certains romans historiques.

La Nuit des béguines, d’Aline Kiner, Liana Levi (2017), 329 pages.

Arab jazz est le premier roman de Karim Miské. Il a été publié en mars dernier dans la collection Chemins Nocturnes chez Viviane Hamy.

http://polars.pourpres.net/img/?http://ecx.images-amazon.com/images/I/41BUHGXa9aL._SL500_.jpgRésumé

Ahmed Taroudant ne travaille pas, ne sort pas. Il passe ses journées chez lui à lire des polars achetés d’occasion, qu’il entasse ensuite dans son appartement. Ses seuls rapports avec autrui consistent à aller voir M. Paul, le libraire, pour s’approvisionner, l’épicier du bas de l’immeuble – il faut bien manger – ou encore aller arroser les orchidées de Laura, sa voisine du dessus.

Lorsque cette dernière est sauvagement assassinée, Ahmed se rend compte qu’il fait le coupable idéal et sort brusquement de sa léthargie. Il n’a alors plus qu’une seule idée en tête : trouver le meurtrier de la jeune femme.

Résumé

Ahmed va donc laisser traîner ses oreilles dans le quartier pour aider les policiers de la Crim’ en charge du dossier : Jean Hamelot et surtout Rachel Kupferstein, pour qui il a vite le béguin.

Laura étant juive, la police pense d’abord à un crime confessionnel mais l’affaire s’avère rapidement plus complexe. Plus les enquêteurs creusent, plus ils trouvent de nouvelles pistes, et autant de coupables potentiels. Viennent se mêler à l’histoire, pêle-mêle : des Témoins de Jéhovah au goût pour le secret prononcé, une nouvelle drogue de synthèse (le Godzwill), ou encore un groupe de rap ayant connu son quart d’heure de gloire il y a quelques années.

Chapitre après chapitre, Karim Miské multiplie les pistes et les rebondissements, sans pour autant perdre de vue ses principaux personnages que l’on regarde évoluer avec intérêt.

Arab jazz, premier roman de l’auteur, est un opus à l’écriture travaillée offrant au lecteur quelques heures d’une agréable lecture. Karim Miské a été salué par la critique pour ce texte qui reçu il y a quelques semaines le Grand Prix de Littérature Policière. Paradoxalement, Arab jazz ne laissera peut-être pas aux lecteurs un souvenir impérissable malgré le réel plaisir de lecture immédiat.


Arab jazz de Karim Miské, Viviane Hamy/Chemins nocturnes (2012), 298 pages.

Turbulences catholiques est un roman noir, teinté d’humour tout aussi noir écrit par Colin Bateman, un jeune auteur irlandais.
C’est le cinquième roman mettant en scène Dan Starkey, un jeune journaliste de Crossmaheart, petite bourgade imaginaire d’Irlande du Nord, symbole de tous les travers de la société nord irlandaise.
Ce livre figure dans la sélection automnale du 8e Prix SNCF du polar, catégorie polars européens.

9782070305605Résumé

Dan Starkey a décidé de redonner une chance à son couple. Pour preuve, il s’engage à assumer la paternité de Little Stevie, le bébé que sa femme Patricia a eu avec son amant. C’est ce bon moment de félicité familiale que choisit le primat de Toute l’Irlande pour lui confier une enquête pour le moins inhabituelle sur une minuscule île aux oiseaux, battue par les flots. Sous la houlette du père Flynn, les rares habitants de cette terre isolée sont persuadés que le Messie est né chez eux, et qui plus est, se serait incarné en une petite fille répondant au prénom de… Christine.
Quoi de mieux pour le journaliste qu’une retraite rurale grassement payée ? Et l’endroit idéal pour se mettre enfin à l’écriture de son livre ! Ce qui s’annonce comme un canular facile à déjouer vire peu à peu au cauchemar. Pour Dan, aux prises avec ses vieux démons que sont l’alcool et les femmes, ça tourne carrément à l’île de la tentation ! Au premier meurtre, l’ambiance bucolique prend du plomb dans l’aile. Quant au premier verre, il pourrait bien être le dernier…

Mon avis

Je n’ai pas souvenir d’avoir lu un livre qui m’ait fait autant rire. Lorsque je vois la mention « humour » sur un livre, je suis d’emblée plutôt sceptique. Avec ce livre, j’ai littéralement pleuré de rire dans le train, dérangeant mes voisins par la même occasion. J’étais vraiment pris d’un fou rire inarrêtable. Côté humour, Bateman fait très fort : situations cocasses, excellentes répliques de Dan Starkey, descriptions des personnages, tout est fait pour rire.
Coté suspense, c’est également du très bon qui nous est ici proposé. Les descriptions de cette Irlande, bien loin des clichés pour touristes, m’ont fait penser que ce livre est comme la version irlandaise (avec plus d’humour) de l’excellent Cul-de-sac de Douglas Kennedy (qui lui, se passe en Australie, et que je vous conseille également), notamment avec la scène de chasse à l’homme.
J’ai également apprécié la vision qu’a l’auteur de l’intégrisme religieux de certains catholiques irlandais.
Pour ne pas dire que du bien de ce très bon roman, j’avoue que j’ai été un peu déçu par la teneur d’une des révélations finales.

Turbulences catholiques (Turbulent Priests, 1999), de Colin Bateman, Gallimard/Série Noire (2007). Traduit de l’anglais (Irlande) par Nathalie Beunat, 368 pages.