Articles Tagués ‘roman noir’

La Serpe rouge est un roman inspiré de faits réels paru chez Moissons Noires l’été dernier. Il a été écrit à quatre mains par Nan Aurousseau et Jean-François Miniac.

Résumé

On connaît Georges Arnaud pour son œuvre littéraire, à commencer par Le salaire de la peur (1950), adapté par Henri-Georges Clouzot en 1952, avec Yves Montand notamment. On le connaît moins pour le triple meurtre d’Escoire qui a manqué de peu l’envoyer à la guillotine. Finalement acquitté à la surprise générale après dix-neuf mois de détention à la prison de Périgueux et une brillante plaidoirie de Maître Garçon, cette affaire ne sera jamais tirée au clair.


Mon avis


La Serpe rouge n’est pas le premier document à s’intéresser de près à l’affaire non élucidée du triple homicide survenu à Escoire, en Dordogne, en 1941. Citons notamment Le triple crime du château d’Escoire (éd. de La Lauze, 2002) de Guy Penaud, qui avait eu accès au dossier constitué par Maître Garçon et surtout, plus médiatisé, La Serpe, prix Fémina 2017. Pourquoi un autre livre sur cette affaire après le succès du roman de Philippe Jaenada est en droit de se demander le lecteur ? Les auteurs y répondent en partie dès le prologue. Cette affaire a toujours fasciné Nan Aurousseau et lorsqu’il rencontre Jean-François Miniac qui partage son intérêt pour ce mystérieux fait divers, la collaboration est une évidence. D’autant plus que les auteurs ne semblent pas accorder beaucoup de crédit à la thèse de la culpabilité de René Taulu, le fils du gardien du château, esquissée par Philippe Jaenada.

Bien que très solidement documenté, La Serpe rouge se lit plutôt comme un roman que comme un documentaire historique. C’était d’ailleurs là la volonté des auteurs, amateurs de true crimes, récits littéraires sur des affaires réelles, popularisés par Meyer Levin et autres Truman Capote après-guerre. À lire le duo d’auteurs, on se passionne vite pour l’affaire et ses nombreuses zones d’ombre.

Intéressant et très documenté, La Serpe rouge permet de découvrir les tenants et aboutissants de l’affaire dite « du triple meurtre d’Escoire » tout en ayant souvent l’impression de lire un polar.


La Serpe rouge, de Nan Arousseau & Jean-François Miniac, Moissons Noires (2021), 277 pages.

Les Mains vides est un roman de Valerio Varesi, paru chez Agullo en 2019 dans une traduction de Florence Rigollet.

Résumé

Parme, au cœur de l’été.
Le corps de Francesco Galluzzo est découvert dans son appartement. Le commerçant a été roué de coups mais rien ne semble avoir été volé. Quid du sachet de cocaïne retrouvé dans sa voiture ? Deal ? Règlement de compte ? Tout ça ne semble pas très clair aux yeux du commissaire Soneri, qui pense cependant que la victime, au train de vie curieusement dispendieux eu égard à ses revenus, menait des activités parallèles à sa boutique de prêt-à-porter. La piste financière va rapidement le conforter dans cette idée et le mener vers Gerlanda, un restaurateur prompt à prêter de l’argent à des personnes en difficulté… de manière tout à fait intéressée.

Mon avis

On ne présente plus Valerio Varesi dont ce roman est le quatrième publié par la maison bordelaise Agullo. Le romancier italien, souvent comparé à Georges Simenon n’a pas son pareil pour dépeindre des atmosphères. Les Mains vides n’échappe pas à la règle et la canicule de ce torride mois d’août liquéfiant chaque Parmesan est le personnage central de ce roman d’enquête au rythme assez particulier. Soneri n’est pas un énervé et l’auteur italien ne fait pas dans le thriller, c’est un fait, mais cet opus pousse la chose encore un peu plus loin. À l’image de ses habitants, engourdis par la chaleur suffocante, Parme semble s’amollir et le commissaire peine à faire progresser son enquête dans cette torpeur seulement mise à mal par quelques feux de poubelle – une grève fait rage contre la fermeture d’une usine.

Comme à l’accoutumée, la gastronomie est à l’honneur, tout comme certaines réflexions passionnantes. Ici, l’intrigue amène Soneri et l’usurier Gerlanda à se poser des questions, et le lecteur avec eux, sur ce que la financiarisation de l’économie implique, notamment la transformation en profondeur et à marche forcée du centre des métropoles. À cet égard, le personnage de Gondo, le vieil accordéoniste qui se fait voler son instrument en début d’ouvrage, est assez intéressant. Il est comme le témoin d’une époque qui s’éteint en même temps que les idéaux de certains Parmesans.

Malgré sa lenteur et son côté assez plombant – on déprime un peu avec les personnages – cette quatrième enquête du commissaire n’en demeure pas moins un très bon roman noir. La sixième enquête de Soneri, La Maison du commandant, vient de paraître.


Les Mains vides (A mani vuote, 2018), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2019). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 258 pages.

Nuit bleue est un roman noir de l’Allemande Simone Buchholz qui paraît aujourd’hui dans la toute nouvelle collection Fusion des éditions de l’Atalante, dans une traduction de Claudine Layre.

Résumé

Chastity Riley est procureure à Hambourg. Sa personnalité atypique et quelques déboires passés l’ont amenée à être mise au placard. Désormais cantonnée à la protection des victimes, elle se retrouve ici à l’hôpital à veiller sur un homme mystérieux, sévèrement roué de coups et fraîchement amputé d’un doigt. Bien qu’il finisse par se réveiller, l’inconnu ne semble pas avoir envie de s’épancher ni même de décliner son identité. Riley n’est pas du genre à se laisser abattre. Bières clandestines à l’appui, elle tente d’amadouer l’homme, bien décidée à lui délier la langue.

Mon avis

Nuit bleue est le premier roman d’une toute nouvelle collection, Fusion, lancée aujourd’hui par l’éditeur nantais Atalante, jusqu’à présent connu des amateurs de littératures de l’imaginaire, et plus spécialement de science-fiction et de fantasy. À la tête de ce nouveau projet qui a pour ambition d’explorer les frontières du genre policier : Caroline de Benedetti et Émeric Cloche, deux Nantais ayant déjà à leur actif la revue spécialisée L’Indic.

Nuit bleue, pour en revenir à lui, est la sixième enquête de Chastity Riley et la seconde à être traduite en français, la première, Quartier rouge, étant parue dans un relatif anonymat chez Piranha en 2015. Simone Buchholz a fait le nécessaire pour qu’il soit tout à fait possible de savourer ce titre sans avoir lu les précédents.
On imagine sans peine que l’autrice allemande a mis beaucoup d’elle dans son personnage principal, dotée d’un fort caractère et atypique pour sa profession à bien des égards. Fêtarde, amatrice de bière et de football – en particulier du FC Sankt Pauli, club ouvertement antifasciste qui lui aussi détone dans l’univers du foot – elle est bien plus à son aise dans la nuit et les quartiers populaires de Hambourg que dans les ors des tribunaux.
L’intrigue, sans être folle d’originalité, est solide et mènera rapidement Chastity Riley à s’intéresser à Gjergj Malaj, un intouchable caïd albanais.

La quatrième de couverture nous promet d’ores et déjà que cet opus ne sera pas la dernière aventure de Chastity. Tant mieux, car le cadre de ce polar est peu commun et le plaisir de lecture réel.

Nuit bleue (Blaue Nacht, 2016), de Simone Buchholz, L’Atalante/Fusion (2021). Traduit de l’allemand par Claudine Layre, 240 pages.

Marseille 73 est un roman de Dominique Manotti qui vient de paraître dans la collection Équinox des éditions des Arènes.

pol_cover_38219Résumé

Malek Khider, 16 ans, est abattu alors qu’il sortait d’un café marseillais. Trois balles, tirées quasi à bout portant. Le tueur, depuis une Mercedes, ne lui a laissé aucune chance. Pour ses frères, d’origine algérienne comme lui, il n’y a pas à chercher le mobile bien loin : Malek a été tué à cause de son origine. Malgré une hécatombe chez les Maghrébins de Marseille et des environs, la police nie officiellement toute vague de crimes racistes et présente chaque décès comme un cas isolé : tantôt un accident, tantôt un fait divers à mettre sur le compte des activités interlopes du mort.
Une victime adolescente au casier immaculé présentée comme un bandit. Des douilles récupérées sur la scène du crime mystérieusement écrasées et inutilisables. À l’Évêché, quelques policiers dont le commissaire Daquin commencent à avoir des doutes quant à la version officielle.

Mon avis

On ne présente plus Dominique Manotti, agrégée d’histoire, professeur de lycée puis maître de conférences à Paris-VIII, devenue auteure de romans noirs au succès que l’on sait. Après avoir dépeint Paris ou l’est de la France dans des périodes plus contemporaines comme pendant la Seconde Guerre mondiale, ce roman « phocéen » fait suite à Or noir (Série Noire, 2015) bien qu’il puisse se lire indépendamment. On y retrouve le commissaire Daquin, 27 ans, à son premier poste, à la police judiciaire de Marseille. Les amateurs de l’auteur l’auront peut-être déjà croisé, plus âgé et en région parisienne (Sombre sentier, À nos chevaux !, Kop).

Au total, huit morts en quinze jours. Une bonne moyenne d’un mort tous les deux jours. Mais ce sont les chiffres officiels, la réalité est très probablement différente. […] En fait, depuis l’affaire de Grasse, le 12 juin dernier, il y a eu pratiquement tous les jours des incidents violents à Marseille et dans ses environs immédiats dont les victimes sont toutes des Nord-Africains, comme le disent les statistiques officielles, et, pour être plus précis, jusqu’ici, la très grande majorités des victimes sont algériennes. Ces tirs ne doivent sans doute rien au hasard. La guerre d’Algérie n’est pas finie. […]
– Comment se fait-il que la presse n’ait rien répercuté avant ces tout derniers jours ? Et que nous ne soyons pas tous mobilisés pour mettre fin au massacre ? Encore mieux, nous, à la Criminelle, nous ne sommes même pas au courant ? […]
– Grimbert, appelons un chat un chat. Nous sommes confrontés ici à Marseille à une vague de terrorisme anti-immigrés maghrébins, dans le prolongement de la guerre d’Algérie, et sans doute dans le prolongement du terrorisme de l’OAS. Et apparemment, la consigne donnée à la police et à la justice est de regarder ailleurs. Cela ne peut pas être sans conséquence. Les répercussions seront lourdes sur la société, mais aussi sur le fonctionnement de nos services. Vous le savez aussi bien que moi.
Coup de froid dans le bureau.

Dévorer un ouvrage de Dominique Manotti, c’est un plaisir double. Celui de lire un roman noir de grande qualité tout en prenant un cours d’histoire passionnant. Une fois que l’idée de départ est là, l’auteure met en général plus d’un an à se documenter sur la période concernée avant que les personnages s’imposent à elle et de commencer à rédiger (voir ce passionnant entretien avec l’éditeur Aurélien Masson pour les coulisses d’écriture de ce roman). Ce Marseille 73 fait sinistrement écho à des problèmes sociétaux liés au racisme et aux violences étatiques encore bien trop présentes de nos jours. Si la chronologie a été volontairement contractée – les événements évoqués dans le roman se sont déroulés sur cinq ans et non sur quelques mois – rien n’a malheureusement été inventé ou presque, comme le montre ce reportage de la RTBF tourné à Marseille en août 1973, peu après l’assassinat de Ladj Lounes. Malgré l’acuité des références historiques, l’écriture de Dominique Manotti, sans fioritures, est toujours aussi efficace. Certains passages donnent particulièrement envie de voir ce roman un jour adapté au cinéma.

Malgré ce qu’affirme la police, les frères Khider sont persuadés, tout comme le paternel, que Malek n’a trempé dans aucune affaire sordide ayant pu amener à son assassinat. Grâce à Maître Berger, un jeune avocat progressiste rêvant de faire carrière, ils entendent bien le prouver. À l’Évêché, Daquin doit faire avec sa hiérarchie et ses collègues de la Sûreté, pour qui la mort d’un « Algérien » n’est clairement pas la priorité. À Marseille, une grève se prépare pour dénoncer cette vague de violences racistes que l’histoire retiendra sous l’appellation de « ratonnades de 1973« .

Roman noir historique ultradocumenté sans jamais être pédant ni par trop lent, Marseille 73 est plus que jamais d’actualité. Dans cette époque partagée entre le mouvement Black Lives Matter et des dirigeants pour qui le racisme et les violences policières n’existent pas, il n’est guère difficile de se convaincre que ce type de roman est encore nécessaire. Marseille 73 est une œuvre de première nécessité qui continue de démontrer que le talent des grands romanciers, c’est parfois de nous parler d’hier pour évoquer aujourd’hui.

Marseille 73, de Dominique Manotti, Les Arènes/Équinox (2020), 385 pages.

Les chemins de la haine est un roman d’Eva Dolan paru chez Liana Levi l’an dernier, dans une traduction de Lise Garond.

A Mathematician (?)Résumé

Dans un jardin d’une banlieue anglaise comme il y en a de nombreux, un cabanon prend feu. Rien d’exceptionnel a priori. À ceci près que les pompiers y découvrent un corps calciné. L’état du cadavre rend l’identification extrêmement délicate mais la police soupçonne la victime d’être un travailleur immigré estonien. Et les propriétaires de l’abri de jardin ne le nient pas. En effet, ce Jaan Stepulov, signalé disparu, venait régulièrement squatter leur petit chalet pour y passer la nuit ce qui avait le don de les agacer. Ce qu’ils ne peuvent pas expliquer, en revanche, c’est pourquoi la victime a été enfermée dans le cabanon avant qu’on y mette volontairement le feu.

Mon avis

Salué par la critique outre-Manche, ce premier roman d’Eva Dolan, qui a aussi trusté les sélections de prix hexagonaux et remporté le Grand Prix Policier des lectrices de Elle, est une excellente découverte. Critique de polars avant de se lancer elle-même dans l’écriture, l’auteure britannique sait quels sont les ingrédients qui font un bon roman policier. Mais connaître une recette ne fait pas de chaque cuisinier en herbe un grand chef étoilé. Il faut aussi du travail et du talent. Visiblement, Eva Dolan n’en manque pas tant le plaisir de lecture est grand et tant tout semble simple à la lecture de ces Chemins de la haine – c’est souvent la marque des grands.

L’intrigue, qui connaît de multiples rebondissements, est très bonne. Mais ce roman ne se limite pas à cela, loin de là. Les personnages sont très bien campés, des protagonistes aux seconds (voire énièmes) couteaux. Surtout, le propos et le décor – ils vont ici de pair – sont très intéressants. Car ce à quoi les deux policiers qui enquêtent sur ce meurtre vont être confrontés, c’est à la pauvreté, au racisme, à l’exclusion, au travail clandestin et à la bêtise crasse. Non, nous ne sommes pas dans un pays du tiers-monde ou pendant la révolution industrielle mais bien en Angleterre, au 21e siècle. Et ça fait froid dans le dos tant ce monde hideux que nous donne à voir Eva Dolan semble bien trop réel.

Cette enquête trouve une résonance particulière chez les deux inspecteurs, qui sont tous deux directement concernés par l’immigration à des degrés divers. Zigic est né en Angleterre mais est d’origine serbe. Quant au sergent Ferreira, elle est arrivée de son Portugal natal lorsqu’elle était enfant. Tous deux ne se sentent pas toujours pleinement anglais, et d’aucuns le leur font d’ailleurs bien sentir. Le sujet de l’appartenance à un pays, et plus largement de l’identité, est traité avec beaucoup de finesse par l’auteure et confère à ce roman, déjà passionnant par ailleurs, une grande profondeur.

Au vu du titre ou du résumé, on aurait pu croire à un énième thriller ou roman de procédure à l’anglaise. Il n’en est rien. Les chemins de la haine tient davantage du roman noir social. Qui plus est, il est très bien construit et loin d’être bête. En attendant la suite – le cinquième titre paraîtra outre-Manche en février – les lecteurs convaincus pourront se plonger dans la deuxième enquête de Zigic & Ferreira, déjà disponible, Haine pour haine, ou dans un one shot annoncé par Liana Levi pour février, Les Oubliés de Londres.

Les chemins de la haine (Long Way Home, 2014), d’Eva Dolan, Liana Levi (2018). Traduit de l’anglais (Angleterre) par Lise Garond, 442 pages.

Coup de vent est un roman de Mark Haskell Smith fraîchement paru chez Gallmeister dans une traduction de Julien Guérif.
Je l’ai reçu grâce à la générosité du Picabo River Book Club et des éditions Gallmeister. Merci à eux.

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Neal Nathanson, employé de banque émérite, se retrouve sur un bateau en perdition avec une quantité astronomique d’argent. Des millions, dans une dizaine de sacs, des liasses de multiples devises. Il voit sa dernière heure arriver avant d’être finalement sauvé par une navigatrice. Seulement, lorsqu’il se réveille il est menotté et la jeune femme semble avoir moins bon cœur que prévu devant ces montagnes de billets. Mais toute cette histoire abracadabrantesque avait commencé bien avant ça…

Mon avis

En quatrième de couverture, une citation de Télérama consacre Mark Haskell Smith « roi du polar déjanté ». C’est effectivement ce qui saute aux yeux du lecteur découvrant l’œuvre de l’Américain, connu des lecteurs de Rivages, notamment des années 2000, mais moins présent dans l’Hexagone ces derniers temps. De nombreux passages sont savoureux et certains complètement hilarants si bien qu’on pose parfois le livre pour rire et qu’on suspend parfois sa lecture pour noter certaines phrases ou passages particulièrement bien sentis.

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Un premier paragraphe qui annonce la couleur !

Les personnages sont intéressants, à commencer par les traders autour desquels s’articule le récit, Bryan Le Blanc et Seo-yun Kim. Le premier décide de monter de complexes opérations pour détourner quelques millions et s’éclipser en catimini. La seconde – qui commence à se rendre compte qu’elle n’aime pas son futur mari – sera rapidement amenée à le pister pour le compte de l’agence pour laquelle ils travaillent tous deux.

L’intrigue livre finalement assez peu de rebondissements mais peu importe tant l’humour et l’intelligence de Mark Haskell Smith font des ravages. L’auteur, caustique à souhait tire à tout-va et certains milieux, à commencer par les financiers branchés, en prennent pour leur grade.

« Il mit son ordinateur en veille, enfila sa veste et resserra sa cravate. Le code vestimentaire était l’une des choses qu’il détestait le plus dans ce job. Pourquoi porter un costume hors de prix pour regarder un écran toute la journée ? Il aurait pu bosser en slip. En toute honnêteté, il aurait préféré bosser en slip. Le costume n’était qu’une autre composante de l’imposture qu’ils vous vendaient. Il faut s’habiller comme un homme de pouvoir, un vrai winner. Quel tissu de conneries. »

Pas de véritable sortie de route pour cet opus survitaminé. Tout au plus certains pourraient reprocher à l’auteur de multiplier les scènes de sexe, mais certaines sont données à voir avec tant de truculence que ce serait dommage de s’en priver.

Sans être un chef-d’œuvre, n’exagérons rien, Coup de vent est un roman noir à l’humour grinçant de très bonne facture qui fera passer un très agréable moment, parsemé d’éclats de rire à plus d’un lecteur. Certains retrouveront là Mark Haskell Smith avec plaisir. D’autres, en attendant le prochain opus, auront sans doute envie de se plonger dans les cinq romans de l’auteur déjà traduits.

Coup de vent (Blown, 2018) de Mark Haskell Smith, Gallmeister (2019). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Guérif, 247 pages.

My Absolute Darling est un roman de Gabriel Tallent paru chez Gallmeister en 2018, dans une traduction de Laura Derajinski.

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Julia Arveston, dite « Turtle », quatorze ans, n’a pas la vie facile. De caractère réservé, elle n’a pour ainsi dire pas d’amis. Elle n’aime pas aller à l’école. Les cours y sont barbants. Elle préfère de loin les bois, la côte, et s’exercer avec ses armes à feu. Son grand-père est particulier et boit comme pas deux, mais il est encore plus normal que son père, un être intense mais tyrannique, qui l’aime et la déteste tout à la fois, de façon maladive. Sa rencontre fortuite avec deux lycéens blagueurs et philosophes va l’amener à réfléchir, et à prendre des décisions fortes.

Mon avis

Premier roman de Gabriel Tallent, My Absolute Darling a été en 2017 un grand succès aux États-Unis où il a occupé une place de choix dans le classement des meilleures ventes. Sa fortune n’a pas été autre en France puisqu’en plus d’être un succès de librairie, le roman a remporté prix sur prix depuis sa sortie.

D’aucuns diraient qu’il s’agit d’un roman initiatique, ce qui n’est pas tout à fait faux. D’autres qu’on a affaire à un roman noir, à un roman d’amour ou encore à du nature writing. En vérité, My Absolute Darling est tout cela à la fois et bien plus encore. Tantôt très éprouvant – certaines scènes sont difficilement soutenables – tantôt à pleurer de beauté, il est assurément un texte qui ne peut laisser indifférent. À l’instar de Turtle, jeune fille maigrichonne et un peu garçon manqué, qui a effectivement la carapace bien solide pour tenir debout après avoir encaissé tout ça. À cet égard, la question de la résilience est aussi au cœur de ce récit, passionnant d’un bout à l’autre bien qu’assez pauvre en surprises en un sens. L’alternance entre les moments difficiles et les instants plus calmes est bien gérée. On a plaisir à voir évoluer Turtle dans la magnifique nature sauvage de Californie ou jouer aux cartes avec son grand-père, qui la couve d’un œil bienveillant, comme on redoute certains moments passés avec son père. On le hait en même temps que, tour de force de l’auteur, on en vient presque à le comprendre. C’est que Gabriel Tallent ne verse pas dans le manichéisme et ses personnages sont aussi réussis que complexes, chacun ayant une – plus ou moins grande – part d’ombre et de lumière.

Bien qu’il ne conviendra vraisemblablement pas à tout le monde, on comprend très aisément à la lecture de My Absolute Darling pourquoi il a autant fait parler de lui. Après un tel premier roman, Gabriel Tallent est attendu au tournant. Mais on peut raisonnablement penser, au vu de cette réussite, que l’homme a suffisamment de qualités pour ne pas décevoir son public.

My Absolute Darling (My Absolute Darling, 2017), de Gabriel Tallent, Gallmeister (2018). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Derajinski, 456 pages.

Un été sans dormir (Een Zomer zonder slaap) est un roman de Bram Dehouck paru chez Mirobole en 2018 et traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron.

un_ete_sans_dormir_couv3Résumé

Windhoek, paisible village belge.
Il suffit parfois d’un rien pour que la quiétude ordinaire vire au chaos. Une catastrophe naturelle. Un explosion malencontreuse. Un attentat. Un enlèvement. Ici, rien de tout ça. C’est l’installation de quelques malheureuses éoliennes qui va, sans que personne ne le sache encore, précipiter le village dans l’horreur. Le boucher, rendu fou par ce bruit incessant qui semble ne déranger personne d’autre que lui, perd le sommeil et travaille de plus en plus mal. A tel point que sa femme le retrouve endormi dans son atelier de préparation, la tête littéralement dans le pâté. Un non-événement a priori, mais qui va être le point de départ d’une série de catastrophes en cascade dont peu à Windhoek sortiront indemnes.

Mon avis

Amateurs de littérature sérieuse, fuyez ! Pour son deuxième roman (le premier traduit en français), Bram Dehouck sort l’artillerie lourde. Proposé par Mirobole – dans une traduction du néerlandais d’Emmanuèle Sandron récompensée par le Prix SCAM-SACD – ce polar « belge et méchant » s’inscrit dans la lignée d’autres titres drolatiques proposés par la maison, à commencer par ceux de S. G. Browne.

S’il s’agit bien là d’un pur divertissement noir, qu’on verrait bien adapté au cinéma façon Tarantino ou Rodriguez, l’exigence littéraire est de mise, en particulier dans la construction de l’intrigue. Les personnages sont assez nombreux mais pas suffisamment pour qu’on s’y perde. Ils sont représentatifs de la vie d’un petit village. On a affaire, en plus du boucher insomniaque et de sa famille, à une jeune femme en recherche d’emploi nouvellement installée, à un facteur en proie à des soucis gastriques, à un vétérinaire cocu, à un pharmacien raciste, à un immigré, etc. C’est grand-guignolesque mais totalement assumé et assez malin, si bien que même les idées les plus caricaturales – comme le fils du boucher qui stoppe la viande au grand dam de ses parents pour séduire la jeune fille de ses rêves, végétarienne convaincue – passent comme une lettre à la poste. Enfin, quand le facteur est en état de faire sa tournée…

Surtout, l’auteur a particulièrement travaillé les changements de points de vue. L’effort pour offrir des transitions intelligentes est louable et nous permet souvent de revivre les mêmes événements selon divers angles. Et puis, sans que cela ne soit l’intérêt principal du livre, on sent que Bram Dehouck prend un malin plaisir à égratigner certains comportements et certaines idées de ses compatriotes, ce qui ne gâte rien.

Vous l’aurez compris, Un été sans dormir est un roman qui ne se prend pas au sérieux et ne conviendra assurément pas à tout le monde. Les lecteurs qui ne sont pas contre une tranche de rigolade foutraque devraient néanmoins trouver leur compte avec cette farce noire dont tout le monde est plus ou moins le dindon.

Un été sans dormir (Een Zomer zonder slaap, 2011), de Bram Dehouck, Mirobole/Horizons Noirs (2018). Traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuèle Sandron, 250 pages.

Les Ombres de Montelupo est un roman de Valerio Varesi paru chez Agullo en 2018 dans une traduction de Sarah Amrani.
Il est récemment paru en poche chez Points.

41y6-yjrrdlRésumé

Le commissaire Soneri décide de prendre quelques jours de vacances bien méritées. Il quitte le tumulte de Parme pour rejoindre sa bourgade natale des Appenins, au pied du Montelupo. Au programme : repos, bonne chère et promenades dans les sous-bois à la recherche de champignons.
À peine arrivé, il a comme un pressentiment. De curieuses affichettes annoncent que Paride Rodolfi, fils du magnat de la charcuterie, n’a pas disparu. Lors d’une première cueillette, Soneri ne récolte que des trompettes de la mort, champignons annonciateurs de mauvais présages selon certains. Des coups de fusils inexpliqués éclatent sur les flancs du Montelupo. Le chien du père Rodolfi rentre seul, accréditant la thèse de la disparition de Palmiro. Et puis ce n’est pas un champignon que Soneri trouve sur un tapis de feuilles mortes. Ses vacances sont définitivement foutues.

Mon avis

Après une crue dantesque du Pô dans Le Fleuve des brumes et une enquête dans les rues du vieux Parme dans La Pension de la via Saffi, voici donc la troisième apparition du commissaire Soneri. Ici, il retrouve le temps de courtes vacances le village de son enfance. Lors de ses balades en forêt, tout un tas de souvenirs et de sentiments remontent à la surface en même temps que les odeurs d’humus, de champignons… et bientôt de cordite. La nostalgie, plus encore que dans les deux premiers opus, est incontestablement le maître-mot de ce roman. À cet égard, et malgré un caractère latin incontestable, aussi bien dans la gastronomie que dans les comportements des individus,

Les Ombres de Montelupo fait furieusement penser aux romans d’Arnaldur Indriðason. Comme Erlendur, Soneri est un doux rêveur, la nostalgie le prend régulièrement, souvent par surprise, mais sans pour autant l’accabler. Ses balades introspectives l’amènent à se poser des questions sur lui-même mais aussi sur son père, ancien résistant et communiste, qu’il a finalement assez mal connu. Il se rend compte aussi que même en étant né ici, il n’est plus tout à fait à sa place en ce lieu, les choses étant à la fois immuables et profondément changeantes. Certains lecteurs trouveront peut-être le rythme trop lent à leur goût. Pour autant, Valerio Varesi n’oublie pas de faire progresser l’intrigue. S’il n’est pas adepte de la débauche de twists, l’auteur propose là un certain nombre de rebondissements et une scène de cache-cache épique sur le Montelupo entre les carabinieri et le Maquisard, un homme des bois insaisissable mais suspect que les forces de l’ordre aimeraient interroger. De mystérieux contrebandiers roumains rôderaient aussi sur les flancs du Montelupo, bien que personne n’en soit tout à fait certain. Soneri, bien qu’en vacances comme il aime à le rappeler, ne peut s’empêcher d’enquêter et d’interroger les habitants qu’il connaît bien, à tel point que même les enquêteurs officiels viennent bientôt lui demander conseil.

Aussi mélancolique que magnifique, cette troisième enquête de Soneri est un véritable régal littéraire. L’écriture de Valerio Varesi, à la fois très fine et retorse quand il faut devient incontestablement une référence en matière de roman noir à l’ambiance feutrée. Ça tombe bien, une quatrième enquête du commissaire vient de paraître, toujours chez Agullo : Les mains vides.

Les Ombres de Montelupo (Le ombre di Montelupo, 2005), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2018). Traduit de l’italien par Sarah Amrani, 320 pages.

Dégradation (Turning Blue) est un roman de Benjamin Myers paru au Seuil (Cadre Noir) en 2018 dans une traduction d’Isabelle Maillet.
Il vient d’obtenir le Prix Polars Pourpres Découverte.

pdpp_2018_degradationRésumé

Dans les landes du Yorkshire, une adolescente disparaît sans laisser de traces. Mélanie Muncy, fille de Ray Muncy, un magnat de cette petite ville du nord de l’Angleterre, était rentrée dans sa famille pour passer les fêtes de fin d’année. Lassée par ses parents, elle profite qu’il faille sortir le chien pour faire une longue balade. Sauf qu’elle ne revient pas.
James Brindle, un inspecteur spécialisé dans les enquêtes compliquées au sein de la « Chambre froide » est dépêché sur les lieux. Il y croisera vite Roddy Mace, un journaliste obstiné, toujours à la recherche d’une grande affaire à se mettre sous la dent.
Les deux hommes vont bon gré mal gré s’entraider et sont sur la même longueur d’ondes quant aux suspects : Ray, le père, et
Steven Rutter, un drôle d’énergumène vivant seul dans une ferme délabrée voisine, tiennent la corde.

Mon avis

Une fois n’est pas coutume, commençons par l’écriture. Certains seront peut-être choqués par l’absence totale de virgules et de tirets pour introduite les dialogues. Si cette particularité est assez marquante au départ, on s’y fait relativement bien. En revanche, il est plus difficile de comprendre l’intérêt de ce choix pour le moins étonnant.

L’intrigue, dans un premier temps, n’est pas des plus originales. Pire, l’auteur nous fait comprendre assez vite qui a fait le coup. Mais soyez rassurés, c’est pour mieux nous réserver quelques surprises dans la seconde partie du roman, comprenant quelques rebondissements difficiles à prévoir.

Certes, le personnage de Steven Rutter, espèce de monstre vivant dans un taudis et ayant été traumatisé par sa mère enfant, est assez caricatural. Mais il est néanmoins très bien dépeint : à la fois effrayant et pitoyable. Le flic, Brindle, est une autre sorte de monstre, entièrement dévoué à son travail au point de fuir toute vie sociale qui pourrait perturber ses réflexions. Avec ses tocs et ses curieuses manières, il rappelle quelque peu l’agent Cooper de Twin Peaks.
Le décor très rude de ces landes du nord de l’Angleterre en plein hiver ajoute incontestablement une touche froide et dérangeante, notamment lors des battues à la recherche de la jeune Mélanie.

Dégradation ne fera sans doute pas l’unanimité, de par certains partis pris littéraires notamment. Les lecteurs qui accrocheront seront sans doute tenus en haleine jusqu’à la fin de ce roman plus surprenant qu’il y paraît à la lecture du résumé. Signalons que Benjamin Myers vient de recevoir le Prix Polars Pourpres Découverte pour ce titre paru en septembre (et pas encore sorti en poche).

Dégradation (Turning Blue, 2016), de Benjamin Myers, Seuil/Cadre Noir (2018). Traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, 400 pages.