Articles Tagués ‘Rouergue’

Masses critiques est un roman de Ronan Gouézec qui vient de paraître au Rouergue/Noir.

pol_cover_34064Résumé

René Joffre est restaurateur, spécialisé dans les produits de la mer. Ayant eu le malheur de leur acheter des produits sous le manteau, il est depuis victime de chantage et de menaces incessantes des Banneck, un père et deux fils ayant fait de la pêche clandestine leur gagne-pain.
Lorsque l’un des fils l’appelle en urgence en pleine nuit pour lui annoncer le naufrage du bateau familial, René pense être définitivement débarassé de ces enquiquineurs.
Malgré la catastrophe des Banneck, René et son ami de toujours, Marc, ne sont pas au bout de leurs peines, loin de là.

Mon avis

Après Rade amère, premier roman fort remarqué, Ronan Gouézec est de retour au Rouergue avec ce second opus. Encore un roman maritime ? ne peut-on s’empêcher de penser en commençant à parcourir la quatrième de couverture avec un peu d’appréhension. L’auteur ne va-t-il pas par trop se répéter ? Rapidement, les craintes s’avèrent en grande partie infondées et les seules similitudes concernent le quotidien des gens de mer, décrit avec précision mais non sans une certaine poésie par le Finistérien.
La couleur ne change pas : bleu pétrole, pour ne pas dire noir. La tension est présente dès le départ avec cette sombre histoire de chantage et on imagine bien que tout ça ne va pas nécessairement bien se terminer. On est cependant loin du compte tant l’auteur n’hésite pas à malmener ses personnages. Peut-être un peu trop d’ailleurs. Autant de catastrophes qui tombent sur les mêmes personnes en si peu de temps, ça en devient difficilement plausible. Au milieu maritime déjà présent dans Rade amère, Ronan Gouézec ajoute quelques ingrédients, plutôt bien sentis. Une histoire d’amour pas banale et plutôt bien amenée entre un éternel célibataire en surpoids et la fille de son meilleur ami. L’auteur questionne aussi, un peu à la façon d’un Antoine Chainas, le rapport au corps et au médical à travers la thématique de l’obésité. Jusqu’où le corps médical peut-il s’introduire dans votre quotidien si c’est « pour votre bien » ? Jusqu’où peut-on bien vivre son obésité sans conséquences pour sa santé ? Tout cela est une question d’équilibre que Marc ne prend pas à la légère mais qui le dépasse quelque peu malgré tout.

Traitant de différents sujets, Masses critiques est un roman noir bien écrit mais qui peine à convaincre totalement, en partie en raison de son scénario un brin invraisemblable. Pour le reste, certaines scènes – de plongées nocturnes notamment – resteront en mémoire.

Masses critiques, de Ronan Gouézec, Rouergue/Noir (2019), 199 pages.

Elle le gibier est un roman d’Élisa Vix qui paraît ce jour aux éditions du Rouergue.

elle-le-gibierRésumé

Medecines est le leader mondial de l’information médicale. Ils embauchent principalement des jeunes aux cursus exemplaires. Trois d’entre eux, détenteurs de Masters en biologie et autres thèses en biochimie, Cendrine, Chrystal et Erwan, intègrent l’entreprise en même temps. Face à la pression exercée par les managers et aux exigences extrêmes de l’entreprise, leurs réactions sont diverses.
Mais dès le départ, on sait que tout ça va déboucher sur un drame.

Mon avis

Ceux qui connaissent Élisa Vix savent qu’elle n’est pas du genre à écrire des romans de 900 pages mettant 300 pages à démarrer. Toujours au Rouergue/Noir, Elle le gibier n’échappe pas à la règle. Il fait 140 pages – pas une de trop – et l’on entre immédiatement dans le vif du sujet. Quelque chose de grave s’est déroulé chez Medecines et quelqu’un, hors-champ, incite les différents protagonistes à se confier. Un enquêteur, peut-être ? Le roman est choral et voit une nouvelle voix prendre la parole à chaque chapitre.
Élisa Vix est coutumière de ce procédé mais elle aurait tort de s’en priver tant elle excelle dans ce registre où chaque personnage apporte un éclairage nouveau sur les faits et s’exprime avec ses mots et sa sensibilité propres.

Après le harcèlement scolaire dans Assassins d’avant, la mort d’un bébé dans L’Hexamètre de Quintilien et autres petites pépites comme La Nuit de l’accident, celle qui a rédigé une thèse vétérinaire dans une autre vie s’attaque à un autre phénomène de société : la souffrance au travail. Les critiques sont à peine voilées, à commencer par celles allant à l’encontre de certaines pratiques managériales (le « micromanagement », pour faire vite) et ne sont pas sans rappeler d’autres romans marquants comme Les Visages écrasés ou L’Homme à la bombe.
Dans ses remerciements, l’auteur dédie d’ailleurs malicieusement ce livre à ses employeurs « sans qui ce livre n’aurait pas été possible. »

Concentré mais on ne peut plus efficace, Elle le gibier est une nouvelle petite bombe signée Élisa Vix et effectivement, sans aucun doute l’un de ses romans les plus personnels. Une auteur trop peu connue qu’on ne peut que vous engager à découvrir.

Elle le gibier, d’Élisa Vix, Rouergue/Noir (2019), 140 pages.

Rade amère, paru en avril aux éditions du Rouergue, est le premier roman de Ronan Gouézec.

9782812615023Résumé

Caroff vit dans une caravane avec sa femme et sa fille. Depuis le drame, la petite famille est restée unie mais doit vivre de peu et subir le regard mauvais des gens. Même ceux qui les connaissaient bien les fuient désormais comme la peste. L’erreur de Caroff : avoir conduit l’un de ses jeunes matelots à la mort, autant par malchance que par négligence. Depuis, l’ex patron-pêcheur erre à terre, désœuvré et s’en voulant énormément. Lorsqu’on lui propose une bien curieuse façon – pas vraiment honnête il faut dire – de reprendre le large, il accepte. Pour faire vivre les siens plus décemment.
Jos Brieuc a vu sa femme partir. Il a eu du mal à ne pas sombrer mais ça y est, il reprend le dessus et consacre toute son énergie à un nouveau projet. Il lance son entreprise de taxi maritime : amener des particuliers de port en port.

Mon avis

Rade amère est le premier roman de Ronan Gouézec dont l’éditeur nous dit sobrement qu’il est finistérien et pratique le vagabondage côtier et littéraire, ce qui n’aurait pas été trop difficile à deviner tant il excelle à donner à voir sa région et le monde maritime. S’il n’est pas marin, l’auteur s’est a minima bien documenté, notamment au niveau des termes usités, sans que les passages se déroulant sur l’eau soit trop obscurs pour le béotien pour autant. Certains passages sont magnifiquement écrits, notamment la virée de Jos et de René, un ancien dont les jours sont comptés en raison d’un cancer, sur l’île de Sein.

On suit alternativement Caroff et Jos, avec autant d’intérêt bien que l’aspect « criminel » concerne uniquement le premier, et il n’est pas très sorcier d’imaginer que leurs destinées vont être amenées à s’entrechoquer à un moment donné.
La relation entre Caroff et les deux jeunes lascars que le commanditaire lui met dans les pattes, autant pour l’aider que pour le surveiller est intéressante, surtout dans son évolution. Ronan Gouézec utilise tout d’abord certains clichés, seulement pour mieux les mettre à mal ensuite. Le lien vite affectueux puis quasi filial entre Jos et René est émouvant et joliment donné à voir. La combine illégale et maritime à laquelle participe Caroff – et dont nous ne dirons rien de plus ici – est aussi simple que retorse, à tel point qu’on se demande si elle a déjà été véritablement mise en pratique ou si l’auteur l’a inventée pour les besoins du roman… au risque de donner des idées ?

Le suspense n’est pas le maître-mot de ce joli roman noir mais la tension est néanmoins présente et Ronan Gouézec nous offre quelques rebondissements amenant rapidement le lecteur vers un final inévitable et détonant. Un premier roman réussi et loin d’être bateau qui donne envie d’en lire d’autres.

Rade amère, de Ronan Gouézec, Rouergue/Noir (2018), 208 pages.

Par les rafales est le premier roman de Valentine Imhof. Il est paru en mars aux éditions du Rouergue (Rouergue/Noir).

412p2wfzgflRésumé

Alex a de bonnes raisons de se méfier des hommes en général, et de ceux qui sont un peu (trop) prompts à l’aborder en particulier. Sans doute pourra-t-on lui reprocher d’être extrême dans ses réactions de défense mais ce qu’elle a vécu initialement l’était tout autant.
Une fois de plus, elle se venge à sa façon. Mais son apparence est loin d’être passe-partout. Alors voilà qu’elle doit fuir avant qu’on ne fasse le lien entre elle et ce qui s’est passé dans cette chambre d’hôtel…

Mon avis

Les amateurs de scénarii léchés resteront sans doute sur leur faim. Ce roman d’un peu moins de 300 pages peut être présenté comme une course-poursuite, bien qu’il ne se limite pas uniquement à cela. La férocité d’Alex fait beaucoup penser à celle de la mère dans Petite Louve, de Marie Van Moere, titre qui partage plusieurs points communs avec Par les rafales. Les deux textes sont des premiers romans français écrits par des femmes et traitant du sujet du viol. Dans les deux opus, les personnages décident de prendre le problème à bras-le-corps, à leur façon, plutôt que de passer par les cases police et justice. Ce sujet, ainsi que la manière dont il est abordé font que ces romans ne sont pas à mettre entre toutes les mains et qu’ils pourront déranger les plus sensibles.

« Jamais, avant ce soir, il n’a envisagé le tatouage sous l’angle de la féminité et de la sensualité. Au contraire. Il y a toujours vu une démonstration de virilité, tendance macho et délinquant, ostentatoire et vulgaire, une sorte de rite initiatique qui se fait mal et mâle, un truc de marins, de bikers, de routiers, de taulards, ou de frimeurs. Rien, en somme, qui soit susceptible de l’émouvoir ou de l’intéresser. »

Le personnage d’Alex est entier et l’on comprend bien la colère qui l’anime, au point qu’on en vient même à ne plus trouver aberrantes les horreurs qu’elle fait subir à ses bourreaux (ou ceux qu’elle imagine comme tels).
Les textes mis en exergue des chapitres sont une belle trouvaille. Ces poèmes ou autres extraits littéraires, en anglais ou en français et sans ponctuation ni la moindre espace entre les mots, sont autant de lettres et de mots qui recouvrent le corps d’Alex. Valentine Imhof plonge le lecteur, avec ses personnages, dans le milieu du tatouage et du rock, qu’elle semble bien connaître, tout comme la mythologie nordique. Une découverte pour d’aucuns ; moins pour d’autres. Toujours est-il que l’auteur nous donne à voir et à entendre – les références musicales sont nombreuses – sans que ce ne soit par trop didactique et en évitant l’effet « catalogue », qui est parfois l’écueil de cet exercice. On voyage aussi aux côtés d’Alex, de la Belgique à la Scandinavie en passant par Saint-Pierre et Miquelon.

« Il sort faire un tour, déambuler, prendre ses marques. Il a toujours adoré ces premières heures dans une ville qui lui est étrangère et dont il ne parle pas la langue. Traîner sans plan touristique et sans but, se perdre volontairement, se laisser dépayser l’oreille par les bribes de conversation grappillées au vol, faire une première immersion linguistique en lisant les enseignes, les publicités, les unes des journaux. »

Malgré un scénario léger, Valentine Imhof signe un roman puissant et au personnage principal charismatique. On se souviendra longtemps d’Alex, cette jeune femme torturée qui ne se laisse pas abattre, quitte à enfreindre elle-même la loi.

Par les rafales, de Valentine Imhof, Rouergue/Noir (2018), 285 pages.

Assassins d’avant est un roman d’Élisa Vix paru aux éditions du Rouergue en septembre dernier.

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Marie Moineau est une jeune institutrice aimée de ses élèves de CM2. Elle écrit un poème au tableau. Celui que Victor Hugo a écrit en hommage à Léopoldine. Une détonation dans la classe. Elle s’écroule. Un collègue arrive, trop tard, elle est déjà en train de mourir. L’enquête conclut rapidement à la culpabilité d’un élève, qui parvient à s’échapper et meurt à son tour, fauché dans sa cavale par une moto. Fin de l’histoire.
Sauf pour Adèle, qui avait alors cinq ans, et qui ce jour-là, a perdu sa maman. Vingt-cinq ans plus tard, elle n’y tient plus. Elle a besoin de comprendre.

Mon avis

Élisa Vix est une romancière que nous avons ici la chance de suivre à partir de son tout premier roman, La Baba-yaga, paru en 2005. Depuis, une dizaine de romans est à mettre à son actif, et pas un seul flop pour ce qu’on a pu en lire.
Dans ce nouvel opus des plus ramassés – 176 pages – on entre directement dans le vif du sujet. Adèle a donné rendez-vous à Manuel, dont elle a retrouvé la trace sur Copains d’avant. Manuel a assisté enfant à cette scène atroce, mais il est aussi policier. Il accepte de l’aider, pour s’exorciser de ce souvenir traumatique d’abord, puis pour revoir Adèle tant elle est parvenue, malgré elle, à le faire succomber.
Mais ce qu’Adèle ne sait pas, en commençant cette enquête cathartique, c’est qu’elle a ouvert une boîte de Pandore et qu’elle n’est pas au bout de ses peines. Des bizarreries dans l’enquête policière se font jour et des secrets de famille, bien gardés jusque-là, remontent à la surface.
Aussi dense que riche en rebondissements, Assassins d’avant est un de ces romans qu’il est bien difficile d’arrêter en cours de lecture. Élisa Vix fait basculer le récit tantôt du côté d’Adèle, tantôt de celui du policier, également meurtri par l’accident de la route qui a laissé son frère dans un état de locked-in syndrome.

La vie d’Adèle ne laisse pas indifférent et une fois de plus, Élisa Vix nous a concocté un suspense des plus efficaces qui ne devrait pas décevoir ses lecteurs. Pour autant, il ne s’agit vraisemblablement pas de son texte le plus abouti, aussi nous conseillons plutôt à ceux qui souhaiteraient découvrir son œuvre de commencer par L’Hexamètre de Quintilien ou La nuit de l’accident, encore meilleurs.

Assassins d’avant, d’Élisa Vix, Rouergue/Noir (2017), 176 pages.

ppp_2017_betesLes résultats de la 13e édition du Prix Polars Pourpres sont connus depuis tout à l’heure.

Dans la catégorie reine, Colin Niel succède haut la main à Hervé Commère avec son superbe Seules les bêtes paru aux Éditions du Rouergue.
Il devance Sandrine Collette (Les Larmes noires sur la terre) et Víctor del Árbol (La Veille de presque tout).

pdpp_2017_terreDans la catégorie Découverte, un Américain succède à un autre Américain.
Avec son très bon Nulle part sur la terre (Sonatine ; traduit de l’américain par Pierre Demarty), c’est Michael Farris Smith qui succède à Brian Panowich, devant B.A. Paris (Derrière les portes) et David Young (Stasi Child).

Je vous reparle bientôt ici en détail de chacun de ces livres, et notamment des deux lauréats, qui ont tous deux eu ma voix.

 

Félicitations aux heureux lauréats, et à l’année prochaine, pour une nouvelle édition !

Sans la télé est un court roman autobiographique de Guillaume Guéraud paru en 2010 dans la collection doAdo du Rouergue.

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Enfant puis ado, Guillaume Guéraud n’avait pas la télé.
Au départ, il ne savait même pas trop ce que c’était et s’en moquait éperdument. Mais, arrivé en primaire, tous ses camarades de classes parlaient d’un certain Actarus, qui avait des super-pouvoirs, d’un mec masqué qui manie l’épée comme personne ou d’une petite fille prénommée Laura, qui a marché toute une nuit pour aller prévenir le docteur que son père, Charles, était malade.
Seulement, Guillaume ne connaît pas ces gens-là et se sent un peu exclu des conversations. Quand il finit par oser demander qui sont ces gens qui semblent si intéressants aux yeux de ses copains, et où on peut les rencontrer, ceux-ci ricanent jusqu’à ce que la réponse fuse : « Ben, à la télé ! ».

Mon avis

Forcément, pour ne pas être en reste, Guillaume souhaite avoir une télé, « comme tout le monde ». Seulement, à la maison, sa mère comme son oncle sont catégoriques. La télé « est un poison qui rend con ». On n’en a pas besoin, et puis, il y a bien assez de livres comme ça. Mais les livres ça va cinq minutes. Et rapidement, ils ne suffisent plus à Guillaume. Sa mère trouve ensuite une autre solution : grande cinéphile, elle l’amène alors très régulièrement avec elle au cinéma.

Pour le petit Guillaume, c’est une révélation, et le début d’une longue histoire d’amour avec le grand écran. Il a même le droit d’aller voir des films « pour les grands », tant qu’il ne fout pas le bazar dans la salle.

« Et même si elle ne m’emmène pas voir des films pour enfants, même si elle m’emmène juste voir les films qu’elle veut voir, même si je ne comprends pas les films qu’elle m’emmène voir, je suis sage.
Et je vois des images gigantesques. Je vois une ville en flammes et je vois des rats en cage. Je vois des couleurs étincelantes et je vois le faisceau du projecteur trouer l’obscurité et je vois des ombres ramper sur l’écran. Je vois des chevaux soulever de la poussière et je vois des personnages s’embrasser et je vois des filles danser à poil et je vois une foule de visages apeurés. Je vois des choses que je n’ai jamais vues et je vois des choses que je suis certain de ne plus revoir. Je vois la vie éclater et je vois trois millions de secousses agiter le monde. Et je vois des miracles.
Et ça me plaît. Je ne comprends pas le quart des choses qui défilent devant les yeux mais ça me plaît. »

Dès lors, chaque chapitre est consacré à une anecdote qui lie à tout jamais un film à l’histoire personnelle de Guillaume.
Il voit le petit Edmund, regardant Berlin en ruines du haut de son immeuble.
Il voit un extraterrestre gentil et communiste (« Mais si ! Le bout de son doigt est rouge »).
Il pleure la mort de Gelsomina et le chagrin du grand Zampano.
Il pleure aussi en voyant ce type chercher désespérément son vélo dans les rues de Rome.
Et puis il grandit, et va voir des films sans sa mère, en cachette.
Mais il manque de se faire dessus devant cette petite fille possédée.
Il regarde beaucoup de westerns et rêve d’être Gregory Peck pour pouvoir embrasser Jennifer Jones, ne serait-ce qu’une fois.

Enfant sans télé comme lui (d’ailleurs, je n’en ai pas plus aujourd’hui), je me suis complètement retrouvé dans ce court roman autobiographique.
Guillaume Guéraud transmet avec talent et émotion ses souvenirs d’enfance et nous offre par la même occasion une belle ode au septième art. Un court texte très recommandable.
Pour ma part, je n’allais pas beaucoup au cinéma, pas autant que lui en tout cas, loin de là. Mais j’ai toujours énormément lu. Et dans mes souvenirs de lecture tenaces, il y a une place à part pour les romans de Guillaume Guéraud.
J’ai voulu être journaliste comme Alexandre dans Les chiens écrasés.
J’ai été amoureux de Joey et découvert la guerre d’Indochine avec Coup de sabre.
Plus tard, j’ai compris la haine de Martial dans Je mourrai pas gibier qui est sans doute, bien que sombre, le meilleur roman de l’auteur.
Tiens, c’est malin, ça me donne envie de tous les relire…

Sans la télé,de Guillaume Guéraud, Rouergue / doAdo (2010), 101 pages.

Les trois vies d’Antoine Anacharsis est un roman (jeunesse) d’Alex Cousseau paru au Rouergue en 2012.

Résumé

C’est en 1831, au large de Nosy Boraha, petite île de l’océan indien, que naît Taan (ou Antoine), de deux parents enlevés par des Anglais pour être vendus comme esclaves. Il est repêché miraculeusement après le naufrage du bateau qui devait les amener en Équateur, avec autour du cou un médaillon dans lequel est enfermé un mystérieux parchemin. Sur ce dernier, un cryptogramme, censé pouvoir conduire à un trésor, celui de son ancêtre La Buse, célèbre pirate des mers du Sud.

Mon avis

Si je suis loin d’avoir lu toute l’œuvre du prolifique finistérien (tiens tiens !) Alex Couseau, j’ai dévoré plus jeune quelques uns de ses romans (Poisson-lune, Le cri du phasme, Sanguine…) et j’ai plaisir à le relire à l’occasion.

Dans celui-ci, l’auteur adopte un point de vue original. Il fait d’Antoine son narrateur, à la première personne. Jusque là, rien d’exceptionnel. Mais surtout, il le fait raconter son histoire avant-même sa naissance. En effet, durant le premier tiers du livre, il nous raconte l’histoire de ses ancêtres et celle de ses parents depuis l’intérieur du ventre de sa mère. Ce petit côté « Kirikou » ne plaira peut-être pas aux amateurs de réalisme à tout prix mais le procédé est très intéressant.

« Pour l’heure, je suis au chaud au fond du ventre, plié comme le mystérieux bout de papier à l’intérieur du médaillon que ma mère porte autour du cou.
De la taille d’un haricot. Je germe. Mon cœur est une petite bosse, mes yeux deux courtes saillies, mes lèvres restent à dessiner, avec les deux minuscules fentes que sont mes oreilles je n’entends pas encore les bruits, mais déjà ma mère communique avec moi.
Ses mots me cajolent. Ma mère me raconte mon histoire, la sienne et celle de nos ancêtres. Elle me parle à sa façon, de sa petite voix intérieure, une voix muette et fluide, comme un filet de sang parmi tous les autres sangs mêlés à l’intérieur de mes veines. Je suis malgache, français jamaïquain, écossais, russe… Tout à la fois. Je suis du monde entier, ou bien je suis de nulle part. Je suis juste là, présent dans le ventre. Je grandis, je dors, je me nourris de cette voix et de ce sang. Parfois, je sens le corps de ma mère vibrer, et elle me dit ce qui se passe à l’extérieur. »

Roman picaresque autant que d’aventures, Les trois vies d’Antoine Anacharsis verra l’enfant, puis le jeune homme, voyager aux quatre coins du globe et vivre mille aventures en gardant à l’esprit un objectif : retrouver le trésor de son ancêtre. Des États-Unis, où il part à la recherche d’Edgar Allan Poe au Cap Horn où il essuie des tempêtes sur un baleinier (clin d’œil au Moby Dick de Melvile).

Alex Cousseau prend plaisir à lui faire croiser la route de personnages ayant réellement existé. D’Edgar Allan Poe aux sœurs Fox en passant par Phineas Gage. L’ancêtre d’Antoine dans le roman, le pirate Olivier Levasseur, dit « La Buse », a lui aussi existé, et aurait à ce qu’on raconte laissé derrière lui un trésor. Prononcés sur le gibet où on allait le pendre, « Mes trésors à qui saura comprendre », furent ses derniers mots. Dans tous les cas, le cryptogramme en question existe vraiment (il est d’ailleurs reproduit tel quel dans le roman). Jamais déchiffré à ce jour, il continue d’attiser la curiosité de certains.

Avec Les trois vies d’Antoine Anacharsis, Alex Cousseau confirme une fois de plus ses talents de conteur et propose à son lectorat, jeune ou moins jeune, un très beau roman d’aventures. Un auteur à découvrir pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore.

Les trois vies d’Antoine Anacharsis, d’Alex Cousseau, Rouergue (2012), 329 pages.

L’hexamètre de Quintilien, cinquième roman d’Élisa Vix, est paru au Rouergue il y a un an (avril 2014).

Résumé

Le 17 novembre, un camion-poubelle passe devant le 13, rue des Noyers, comme tous les mardis et vendredis matin. Sauf que ce matin, à cause du brouillard peut-être, il heurte la poubelle. De l’un des sacs renversés sort un poing, un petit poing de nourrisson. Sans doute celui de Yanis, le bébé de Leïla, la mère célibataire du 2e étage. C’est en tout cas ce qu’imagine Lucie, sa voisine du dessus, journaliste free-lance en manque de piges. L’occasion pour elle de vendre enfin quelques articles, même si elle aurait préféré s’en passer.

Mon avis

Depuis son premier roman déjà sympa, La baba-yaga, paru en 2005, Élisa Vix a parcouru du chemin. Elle a gagné en savoir-faire et sans doute en confiance. Il en fallait assurément pour oser se lancer dans un roman policier choral uniquement écrit à la première personne.

À la lecture, tout paraît très simple : le style, l’enchaînement des points de vue, l’alternance des temps (avec des flash-back et les notes de Lucie) ainsi que des façons de s’exprimer. Lucie, la pigiste de 28 ans célibataire (depuis 348 jours), ne pense pas comme Marco, le beau gosse dragueur du premier, ni comme Pierre, au rez-de-chaussée, inconsolable depuis le décès de sa femme, ni encore comme Kévin, son fils, l’ado mal dans sa peau qui se réfugie comme il peut dans les jeux vidéos et la haine de ce qui lui reste (son père et l’école). Pourtant, on imagine bien qu’il en faut du travail, et du talent, pour assembler tous ces éléments de telle manière, faire que tout s’imbrique si bien et sonne si juste. On s’identifie assez aux personnages, sauf peut-être à celui de Marco, qui est une belle pourriture dans son genre.

Si l’on prend plaisir à suivre l’évolution des personnages, la conclusion de l’enquête, menée aussi bien par Lucie que par la commissaire Beethoven – « comme le musicien ou le chien, c’est selon » – semble tellement aller de soi que certains lecteurs se diront peut-être en cours de lecture « tout ça pour ça ? ». C’est mal connaître Élisa Vix, qui comme dans le déjà très bon La nuit de l’accident (2012), prend un malin plaisir à achever son lecteur en lui assénant un ultime rebondissement, aussi inattendu que bien trouvé, dans les toutes dernières pages.

Élisa Vix confirme de livre en livre qu’on peut compter sur elle pour écrire de beaux petits polars – ils ne sont jamais très longs, tout juste 200 pages ici – bien écrits, touchants et surprenants. Une auteur trop peu connue qui mérite de l’être davantage. Bonne découverte !

L’hexamètre de Quintilien, d’Élisa Vix, Rouergue/Noir (2014), 200 pages.

L’homme de Lewis est un roman de l’Écossais Peter May paru aux éditions du Rouergue en 2011.

Il s’agit du second tome de la « trilogie de Lewis » mettant en scène le personnage de Fin McLeod.

Résumé

Fin McLeod a consécutivement perdu son fils, fauché par un chauffard, puis sa femme, qui a préféré quitter l’homme qu’il est devenu. Seul et déboussolé, il ne sait plus quel sens donner à sa vie. Traumatisé par la mort de Robbie, ne sachant où aller ni même quoi faire – il a démissionné de la police –, il décide de quitter Édimbourg pour rentrer chez lui, sur son île natale.

Dans une tourbière de l’île de Lewis, le corps d’un jeune homme est retrouvé en bon état, comme momifié dans la tourbe. La police n’a aucune piste mais l’ADN donne miraculeusement un résultat, reliant le corps de la victime à Tormod MacDonald, le père de Marsaili, l’amour de jeunesse de Fin. C’est donc assez naturellement que ce dernier va être amené à proposer ses services à George Gunn, l’un des policiers en charge de l’enquête.

Mon avis

Après l’avoir découvert avec grand plaisir dans L’île des chasseurs d’oiseaux, c’est avec le même enthousiasme que l’on retrouve Fin McLeod et l’île de Lewis. Comme dans le premier opus, Peter May nous décrit avec un talent certain les coins magnifiques et sauvages de ces îles des Hébrides, Lewis tout particulièrement. Pour ceux qui voudraient poursuivre le voyage, l’auteur a publié un livre de photographies de toute beauté avec son ami photographe David Wilson : L’Écosse de Peter May.

La construction du roman est intéressante, l’auteur faisant alterner les points de vue et les personnages ainsi que les époques. On suit (à la troisième personne) l’enquête par le truchement de Fin et de l’inspecteur Gunn, tandis que certains chapitres, racontés à la première personne, nous plongent dans les pensées désorganisées de Tormod.

En suivant le vieil homme, atteint de problèmes de mémoire, on découvre son quotidien peu glorieux. Sans en avoir l’air, l’auteur fait s’interroger le lecteur sur les conditions de vie de certaines personnes âgées, enfermées « pour leur bien », mais souvent contre leur gré, dans des établissements spécialisés où le personnel n’est pas toujours tendre avec elles. Par moments, l’enfermement replonge Tormod dans son passé, à une époque où il était encore enfant et placé dans un austère orphelinat.

Sans trop en dévoiler, disons que L’homme de Lewis est aussi un beau roman sur les secrets familiaux. Qui sont vraiment ces proches que l’on croit connaître ?

Après le succès de L’île des chasseurs d’oiseaux, Peter May confirme tout le bien qu’on pensait de lui dans ce second tome de la « trilogie de Lewis ». C’est avec plaisir que le lecteur retrouvera Fin, Marsaili et les autres dans le troisième opus paru en 2012, Le braconnier du lac perdu.

L’homme de Lewis (The Lewis Man, 2011), de Peter May, éditions du Rouergue (2011). Traduit de l’anglais (Écosse) par Jean-René Dastugue, 314 pages.