Articles Tagués ‘vétéran’

Cherry est un roman de Nico Walker paru il y a quelques jours dans la collection Équinox des éditions des Arènes, dans une traduction de Nicolas Richard.

51hvscxkuolRésumé

Cleveland, 2013.
En première année d’études supérieures, le narrateur n’est passionné ni par les cours ni par grand-chose d’autre en vérité, comme on peut l’être à dix-huit ans. Malgré son intérêt pour les filles, à commencer par la belle Madison, sa rencontre avec Emily est plus qu’un choc. C’est une révélation : le véritable coup de foudre. Dès lors, il ne s’imagine plus vivre sans elle. Lorsqu’elle lui annonce qu’elle part pour ses études au Canada, totalement désemparé, il décide de s’engager dans l’armée sur un coup de tête. L’envoi de sa section en Irak sera pour lui le début des ennuis…

Mon avis

Vétéran de la guerre d’Irak, Nico Walker, ancien drogué, a été condamné à treize ans de prison pour braquage. S’il devrait sortir de prison en 2020, ce premier roman, il l’a écrit derrière les barreaux. Bien qu’elle ne soit pas présentée comme telle, Cherry est incontestablement une autobiographie romancée. On ne peut que sourire, en se demandant à quel point l’auteur se moque de nous lorsqu’il écrit, en introduction de son œuvre : « Ce livre est une œuvre de fiction. Ces choses-là n’ont jamais eu lieu. Ces gens n’ont jamais existé. »

S’il est difficile de savoir ce qui lui est réellement arrivé ou non, ce qu’il a vraiment vu ou non – et à la limite, peu importe – ce roman est fortement inspiré de faits réels et de l’expérience hors du commun de Nico Walker. C’est sans doute pourquoi tout paraît si viscéralement vrai. De la puissance de l’amour du narrateur pour Emily à sa décrépitude dans l’héroïne et autres dérivés de l’opium en passant par l’horreur de la guerre d’Irak et ses conséquences sur la santé mentale de n’importe quel être humain normalement constitué. S’il comporte techniquement six parties, le roman est construit en trois blocs bien distincts. La première partie donne à voir la vie étudiante du narrateur, sa rencontre avec Emily, leurs premiers émois et les soirées estudiantines, d’où la drogue n’était déjà pas étrangère… La deuxième partie est entièrement consacrée à l’expérience militaire du narrateur, et en premier chef au quotidien des GI pendant la guerre d’Irak. Si les scènes de guerre sont plus vraies que nature et mettent parfois le lecteur dans l’inconfort total – attention, certains passages sont très rudes – l’oisiveté à la caserne semble presque aussi éprouvante. Tensions internes, consommation excessive de porno, ingestion de produits divers et variés comme le dépoussiérant pour ordinateur faute de drogues à portée de main… Après une année de combats, l’auteur rentre aux États-Unis dans un sale état, comme nombre de ses compagnons d’armes. Il songe au suicide, se fait suivre pour faire face à son état de stress post-traumatique. Puis Emily ressurgit dans sa vie, pour le meilleur et pour le pire. C’est cette longue descente aux enfers, paradoxalement idyllique, que raconte la dernière partie.

D’un réalisme à toute épreuve, aussi bien dans les scènes de guerre et d’amour que dans les descriptions des effets de la drogue ou les dialogues, souvent brillants, Cherry est une expérience de lecture hors du commun, saisissante à bien des égards. Malgré la violence, la rage et l’autodestruction qui s’en dégagent, cette tragédie poignante est aussi l’occasion de grands moments de tendresse. Après avoir été étudiant, soldat, junky et braqueur, Nico Walker est devenu un écrivain de grand talent.

Cherry (Cherry, 2018), de Nico Walker, Les Arènes/Équinox (2019). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, 430 pages.

Le Parisien est un roman de Jean-François Paillard paru chez Asphalte aujourd’hui.

51yb3h1kxhlRésumé

Narval a connu un certain nombre de conflits au sein de l’armée française. Jusqu’à ce que la guerre l’use de trop et qu’on décide qu’il était désormais inapte à la profession de soldat. Qu’à cela ne tienne, ne sachant pas trop quoi faire d’autre, voilà Narval vite reconverti dans la sécurité et, de fil en aiguille, dans des opérations interlopes où son expérience du terrain est grandement appréciée.
Dépêché de la capitale à Marseille pour une opération spéciale, il découvre qu’il s’est fait piéger en beauté. Un caïd de la drogue est retrouvé abattu dans sa chambre d’hôtel. Pour sauver sa tête, Narval est bien décidé à trouver qui a voulu lui faire porter le chapeau.

Mon avis

Connue pour ses auteurs de polar sudaméricains et ibériques, Asphalte publie un polar français pour la première fois. Tout comme Jean-François Paillard, à qui on devait jusqu’alors une œuvre hétéroclite (roman, essai, théâtre, poésie), essentiellement au Rouergue.
Dès l’exergue, l’auteur cite Jean-Patrick Manchette. Les références au père du néopolar sont par la suite – très – appuyées. Un personnage est nommé Terrier (comme le tueur à gages dans La Position du tireur couché) puis peu après, un autre… Manchette ! Ça a le mérite d’être clair.
L’héritage du néopolar est présent, forcément, et le style de l’auteur rappelle aussi, plus proches de nous, des auteurs de la Série Noire dépoussiérée par Aurélien Masson comme DOA ou Antoine Chainas. Le Parisien est très réaliste et les scènes d’action, qui ne manquent pas, sont sèchement décrites, de même que les personnages. D’un autre côté, comme dans Une histoire d’amour radioactive ou autres Pukhtu Primo, les caractéristiques d’une arme ou d’un bolide peuvent parfois être détaillées avec une grande rigueur, ce qui déroutera peut-être les lecteurs qui se contentent que le pistolet tire et que la voiture roule.
Le personnage de Narval, plutôt froid, ne parvient pas à être totalement antipathique, de par ses fêlures notamment (ses différentes guerres, son stress post-traumatique, son suivi psychologique…), à l’instar du Lynx découvert dans Citoyens clandestins. Deux noms d’animaux sauvages pour deux mercenaires des plus efficaces, tiens tiens !
L’intrigue est assez sommaire mais Jean-François Paillard, tout comme Narval, fait très bien son boulot, et plus d’un lecteur sera dérouté par la tournure que prendront finalement les événements.

Efficace dans son genre, Le Parisien laissera sans doute certains lecteurs de polars de marbre mais devrait ravir les amateurs d’histoires de mercenaires et de règlements de compte dans le milieu du grand banditisme ainsi que les aficionados de DOA et consorts.

Le Parisien, de Jean-François Paillard, Asphalte/Noir (2018), 231 pages.