La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive / Michel Boujut

Publié: 14 juin 2012 dans Polar français
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La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive est un texte assez inclassable mais réussi de feu Michel Boujut.

 

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Toulouse, 1959.
Marie-Thérèse Désormaux est une de ces jeunes filles que l’on peut qualifier de sans histoires. Issue d’une famille bien comme il faut – son père est lieutenant-colonel dans la gendarmerie –, une succession d’événements vont l’amener à se retrouver mêlée à un fait divers sanglant qui fit alors grand bruit dans le midi. Pourtant, au départ, son seul crime, c’était d’aimer le jazz.

Mon avis

Si j’ai emprunté ce livre et que je l’ai lu, je dois avouer que c’est avant tout parce que j’ai été intrigué par ce titre anormalement long. Il aurait aussi pu s’appeler « Est-ce un crime que d’aimer le jazz ? » par exemple, mais je ne sais pas si je l’aurais lu…

En 1959, Michel Boujut est interpellé par une photo parue dans Sud-Ouest et la glisse entre les pages de La nuit tombe. C’est en la retrouvant dans le roman de David Goodis quarante-cinq ans plus tard, qu’il se souvient de cette affaire. Sur l’image précieusement conservée, on peut voir Marie-Thérèse Désormaux souriante poser aux côtés du chanteur de blues Big Bill Broonzy. La légende affirme : « Coïncidence ? Marie-Thérèse Désormeaux bifurqua dans la vie à partir du moment où sa passion pour le jazz prit une forme excessive. »

« Les relations de Marie-Thérèse D. dans le milieu du jazz (au demeurant fort honorable) étaient éminentes et nombreuses. » Le journaliste de Sud-Ouest enfonce le clou. Il donne très exactement ici le point de vue de l’époque, le jazz associé par les bien-pensants à toutes les turpitudes et à toutes les dérives. En 1959, il se trouve encore des invalides de la perception pour oser écrire, tel un certain Dessouches dans le magazine Tout savoir, que « le jazz s’adresse à la tripe, au bas-ventre », qu’il « fait équipe avec cet art nègre qui a été utilisé comme un bélier contre la civilisation occidentale »… Ou tel speaker des Actualités Gaumont laissant entendre que « ces joueurs de jazz restent d’étranges personnages qui s’éveillent au crépuscule et trouvent leur inspiration dans une excitation artificielle… ». Il faut s’y faire, le jazz n’a pas bonne réputation. Son influence sur la jeunesse est désastreuse, il vous emmène sur la mauvaise pente avec ses contorsions sensuelles et ses appels rauques. Tout simplement, le jazz fait peur. Musique sauvage, musique louche, musique de détraqués ! »

C’est cette insinuation du journaliste de l’époque, qui semble voir un rapport évident entre le jazz et la délinquance – ce genre musical était alors très mal vu dans les sphères supérieures de la société – qui pousse Michel Boujut à approfondir ses recherches. Lorsqu’un journaliste de Détective s’étonne de ce qu’il compte consacrer un livre à cette affaire somme toute « banale et ordinaire », il comprend que ce qui l’intéresse, ce n’est pas tant le fait divers en soi que « cette conjection entre la province, les années 1950, le jazz et une héroïne floue, fille de gendarme qui plus est. »

Pour lui, grand amateur de roman noir, cela ne fait pas de doute, Marie-Thérèse est l’héroïne d’une de ces histoires. Une de ces femmes dont le destin basculent subitement, à la différence qu’ici, il ne s’agit pas de fiction. Au fil des pages, Michel Boujut  essaie de reconstituer le parcours de Marie-Thérèse. Féru de jazz lui aussi, il se rend compte qu’il partage avec elle des connaissances communes. Il mêle alors sa propre histoire, celle du jazz et celle des années 1950 à la vie de la jeune femme. Et lorsque il y a des zones d’ombres, il prend la liberté d’inventer, en veillant à ne jamais s’éloigner de ce qu’il suppose être la vérité.

A la frontière de la fiction et du documentaire, Michel Boujut nous fait revivre dans ce « roman-vérité » un fait divers dont on parla beaucoup dans la région toulousaine à la fin des années 1950, et qui fut aussi vite oublié. Ce texte à la forme originale nous éclaire aussi sur la société de l’époque, notamment au travers de la place qu’elle « accorda » au jazz, genre musical que défend ici l’auteur avec passion. Une lecture peu commune et très agréable.


La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive, de Michel Boujut, Rivages/Noir n°678 (2008), 175 pages.

commentaires
  1. gridou dit :

    Je vois qu’on est sur la même longueur d’onde…Du bon et du tout pourri partout, vive la diversité !

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  2. gridou dit :

    Marrant comme l’histoire se répète…Aujourd’hui, il y a des prétendus journalistes qui disent la même chose du rap, en plus virulent: « sous culture d’anaphabètes »…Il se pourrait que l’histoire leur donnent tort… Ce titre à rallonge m’intrigue beaucoup aussi, je comprends ta curiosité!

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  3. Hannibal dit :

    D’accord avec toi. C’est d’ailleurs marrant de voir que le jazz, qui a été un « mauvais genre » est maintenant avec le classique le genre privilégié des bobos-intellos. Le danger c’est la généralisation et les amalgames. Le rap n’est ni meilleur ni pire que d’autres genres. Des crétins qui n’ont rien à dire font des grosses daubes et des génies font des merveilles pour défendre de belles idées. Il y a de tout dans le rap, comme partout.

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