Lune captive dans un œil mort / Pascal Garnier

Publié: 8 janvier 2014 dans Polar français
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Lune captive dans un œil mort paru chez Zulma en 2009 est malheureusement l’un des derniers romans de l’excellent Pascal Garnier.

Résumé

Martial et Odette viennent d’acquérir pour leurs vieux jours une maison dans une de ces nouvelles résidences pour seniors du sud de la France. « Les Conviviales », dixit la brochure qui a motivé leur achat, c’est « une résidence clôturée et sécurisée », « des maisons dédiées au confort », « du soleil toute l’année », « une piscine chauffée au solaire », etc. Seulement, lorsqu’ils arrivent, ils se retrouvent seuls – à l’exception de M. Flesh, le vigile/homme à tout faire – dans la résidence certes flambant neuve mais déserte.

 

Mon avis

« En général dans ces guerres nouvelles, il faisait beau. Tout le temps. À l’instar des seniors, la guerre avait décidé de finir ses jours dans les pays chauds. Jamais en Norvège ni en Finlande. Il avait vu cet homme soulever à bout de bras le cadavre d’un nouveau-né. Un enfant d’un jour… de vingt-quatre heures… Qu’avait-il pu penser de ce si bref séjour parmi nous ?… vingt-quatre heures, sous le feu des bombes… Il ne saignait pas, on aurait dit une fève de galette des Rois. La guerre à la télé ne faisait pas peur. On se disait que le monde était en chantier. […] On ne savait jamais très bien où ça se passait tout ça. Loin. Martial préférait les images de nuit, ces feux d’artifice vert fluo qui éclaboussaient l’écran. Mais pour l’instant, on avait cessé le feu. Trop fatigué, la suite au prochain numéro. Dommage, il n’avait pas envie de dormir. Il se fit un lait glacé avec du sirop d’orgeat qu’il alla boire dehors, sous les étoiles. »

Tandis qu’Odette s’occupe à aménager sa nouvelle maison, Martial trouve ses journées interminables. Personne avec qui parler, rien à faire, et en plus il fait moche… Heureusement, de nouveaux habitants arrivent peu à peu. Maxime et Marlène, un couple de riches vieux beaux qu’on croirait sortis d’une de ces pubs pour dentier ou mutuelle. Il y a aussi Léa, qui emménage seule. Pour les autres, les paris peuvent aller bon train : veuve ? vieille fille ? bizarre ? Les uns et les autres font plus ou moins semblant de devenir amis tout en s’épiant et en médisant. Le portail garanti haute sécurité tombe en panne et des gitans rôderaient à l’extérieur faisant monter la tension parmi les résidents.

« Martial n’avait pas fait la guerre, juste l’armée, au ministère de la Marine, à Paris. C’était risqué aussi, on pouvait mourir d’ennui. Par le fait, il n’avait jamais tiré un coup de feu, jamais tué personne. Il en était fier, mais en même temps, il aurait bien aimé savoir ce que ça faisait. Tout comme il n’avait jamais violé personne… Il paraît que pendant la guerre, on fornique beaucoup. On a tellement peur qu’on se raccroche à ce qu’on a, la peur au ventre. Et puis il fait noir, on est dans des caves, il faut bien tuer le temps… »

Avec la malice et l’humour grinçant qui le caractérise, Pascal Garnier prend un malin plaisir à mettre les nerfs de ses protagonistes à rude épreuve. Ces derniers évoluent en vase clos dans leur résidence comme dans une cocotte-minute. Les tensions s’exacerbent, les esprits s’échauffent, et forcément, ça finit par péter… On ne dira rien de plus sur le final réussi de ce court roman (à peine plus de 150 pages), si ce n’est qu’on est bien loin de la tisane et des petits biscuits devant Des chiffres et des lettres, et que le titre du livre prend un tout autre sens.

Le regretté Pascal Garnier (disparu en 2011) signait avec Lune captive dans un œil mort un de ses derniers textes. Paru en 2009, ce huis clos explosif où l’on retrouve son style caractéristique mêlant humour et noirceur est aussi une attaque en règle contre une société où certains croient pouvoir acheter du bonheur comme on acquiert une voiture ou une télé.

Lune captive dans un œil mort, de Pascal Garnier, Zulma (2009), 156 pages.

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