Pauvres zhéros / Pierre Pelot

Publié: 30 janvier 2014 dans Polar français
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Pauvres zhéros est un roman de Pierre Pelot initialement publié au Fleuve Noir en 1982.

Je l’ai lu dans une version de 1995 paru dans la collection CRIMES de l’éditeur Car rien n’a d’importance. Le format tout en longueur n’est pas très pratique et la couverture est hideuse. C’est pourquoi je vous l’épargne et vous mets à la place celle de la dernière édition en date, parue dans l’excellente collection Rivages/Noir en 2008 et non épuisée à ce jour contrairement aux précédentes (vous noterez au passage l’infime variante de titre).
A signalera aussi, une adaptation BD signé Baru dans la collection Rivages-Casterman-Noir que je lirai sans doute un de ces quatre.

 

Résumé

 

Sylvette Duty travaille dans un orphelinat. Alors qu’elle fait une sortie seule en forêt avec les enfants – sa collègue lui a fait faux bond – elle a un gros problème. Le petit Joël, un trisomique de six ans, manque à l’appel. Paniquée, elle décide d’abord de taire sa disparition.

Nanase et Darou sont de ceux dont on dit dans leur dos qu’ils sont « braves » ou « pas méchants ». Ils se tiennent souvent compagnie et montent des petites combines. Après avoir commis un petit larcin non-prémédité (l’occasion fait le larron), Nanase se rend en pleine nuit chez Darou pour planquer son butin. Il retrouve son ami en état de choc, victime de ce que Nanase appelle ses « crises d’imagination ». Ce coup-ci, il a bien du mal à s’en remettre, persuadé qu’il est de l’arrivée des « estraterresst ».

Mon avis

 

« Au Café de la Paix, les messieurs en complet-trois-pièces-cravate ne se risquaient guère, ou alors par erreur, par hasard, et s’ils n’étaient pas du pays. […] Ici, c’était le jean et le blouson, les baskets, les bottes de moto, les godillots, les tatanes vulgaris, le tapis vert pour la belote ou le tarot, la bière, canette et pression, le rouge, le pastis et le rhum. Ici, on ne parlait pas en hommes d’affaire, la conjecture on s’en tapait : on causait du boulot qui pèse, des dernières chienneries du patron ou de ses larbins lèche cul, on commentait les nouvelles du monde qui ne tourne plus rond, on disait ce qu’il faudrait faire et ce qu’on ferait si on avait les commandes, on refaisait le monde tout en essayant de ne pas s’écouter trop (à cause du ridicule et de l’inutilité pesante de la situation, bien entendu…), on racontait les femmes que l’on avait baisées, celles qu’on avait loupées, celles qu’on aurait un de ces quatre matins… Pour l’habitué, ici, quand il poussait la porte, c’était comme s’il entrait chez lui ; pour le nouveau venu, c’était comme entrer chez quelqu’un, pas dans un café. »

 

Avec Pauvres zhéros, Pierre Pelot nous plonge dans la réalité crue d’un certain monde rural – ici, un village de Moselle, mais ça pourrait tout aussi bien être ailleurs – et c’est pas joli joli. Comme quelques auteurs (trop peu nombreux je trouve) il s’intéresse au quotidien des petites gens, ceux qui vivent difficilement le travail précaire ou le chômage, le handicap, le regard impitoyable des autres, l’alcoolisme…

 

« Sylvette regardait la télé mais c’était l’intérieur de son être qu’elle voyait sur le petit écran.

Et alors ma vieille ? […]

Eh puis… et puis ce sera bientôt l’hiver, le gris, le froid, le blanc, la gadoue ou le gel, les journées de quelques heures, les nuits de quelques jours, les pieds glacés dans les chaussures poreuses, les lèvres crevassées, les engelures aux doigts, le gel aux carreaux… Ouvrir ses volets sur la rue comme un gouffre, chaque matin, quand un camion passe dans un vacarme mou, éclaboussant de toutes ses roues jusqu’à deux mètres de haut les murs des maisons… Se dire que le mois d’avril n’a jamais été qu’un souvenir, ou une vue de l’esprit, une imagination, un jeu… Et puis Sylvette Duty vivra au milieu de toutes ces secondes, ces minutes. À se cacher, pendant un temps, à être là dans la salle à manger où l’on ne mange plus, à regarder la télé, à écouter le vent dehors et les bruits des gens qui vivent et qui passent. […]

Elle est assise sur le bord du canapé et regarde cet écran qui raconte les malheurs du monde. Jamais les bonheurs. […]

Oh ! Ce n’est pas si grave, allez… Juste une chômeuse de plus. […] Une chômeuse de plus, un gosse disparu : vous voudriez probablement qu’à cause de cela le monde s’arrête de tourner. »

 

Les protagonistes sont bien croqués. La jeune Sylvette Duty, écrasée par son défaut de vigilance, et à qui il est bien facile de faire porter le chapeau, elle qui était à peine salariée de l’établissement (on évoque un obscur contrat « à l’essai », et ce depuis des mois !). Nanase et Darou, les deux types un peu simples et leur amitié rustique sont au moins aussi intéressants. Les personnages secondaires ne sont pas en reste. On trouve José Manucci, le copain de Sylvette, un ancien légionnaire qui rumine encore ce qu’on lui a fait subir, mais aussi la tante Yvonne et la cousine Dandine, à qui Nanase rend souvent visite, armé de restes de viande pour les dizaines de chats ayant élu domicile dans la vieille bicoque.

 

Les Inconnus ont rappé avec humour que la banlieue était pas rose et morose. Pierre Pelot nous prouve s’il en était besoin que les zones urbaines n’ont pas le monopole de la misère dans ce roman pas très optimiste et parfois dur. Pour que ce « vieux » roman ait connu autant de rééditions c’est qu’il devait avoir « un truc ». Effectivement, c’est du lourd, et en refermant le roman on ne peut s’empêcher de penser : Pauvres zhéros.

 

 

 

Pauvres zhéros, de Pierre Pelot, Car rien n’a d’importance, 1995, 188 pages.
Réédition sous le titre Pauvres z’héros en Rivages/Noir, 2008, 238 pages.

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