Road tripes / Sébastien Gendron

Publié: 13 Mai 2013 dans Polar français
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Road Tripes, qui vient de paraître, est un roman de Sébastien Gendron, le premier de l’auteur bordelais publié chez Albin Michel.

Résumé

Vincent aurait pu être pianiste professionnel. Il aurait aussi pu reprendre le cabinet dentaire de son père. Il aurait pu être heureux. Sa femme et sa fille auraient pu rester avec lui. Mais le destin en a décidé autrement et il se retrouve seul, déprimé, à glisser des prospectus dans des boîtes à lettres. C’est comme ça qu’il rencontre Carell, aussi sympa d’apparence qu’il paraît bête. Le jeune homme le convainc de tout laisser tomber le temps d’une virée en voiture.

Mon avis

« Aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi je suis monté dans cette voiture. Sans doute parce qu’un autre que moi en avait décidé ainsi. Je sais juste que la portière s’est ouverte, la portière s’est refermée. Entre les deux, j’ai eu le temps de m’asseoir et de boucler ma ceinture. »

Encore peu connu du grand public, Sébastien Gendron n’en est pas pour autant à son coup d’essai. Après avoir publié une demi-douzaine de polars chez Baleine et quelques autres petits éditeurs, le Bordelais débarque chez Albin Michel avec Road tripes.

On y retrouve la patte de l’auteur : l’humour, les personnages déjantés et les situations loufoques.

Les protagonistes, Vincent et Carell, deux pauvres types paumés à souhait, forment un duo qui fonctionne bien. L’intellectuel et le demeuré, l’indécis et l’impulsif, le calme et le bestial : ils forment une drôle de paire, plutôt complémentaire. Ensemble, entraînés l’un par l’autre dans leur délire auto et destructeur, ils vont rallier Bordeaux à Montélimar en semant le chaos sur leur passage. Pas d’intrigue à proprement parler, juste un départ, et tout plein d’embûches avant d’éventuellement rallier l’arrivée.

« Le jour serait levé d’ici une heure. L’horizon commençait déjà à rosir. Avec la fatigue accumulée, je sentais revenir l’angoisse, la colère, le manque, la frustration. J’en voulais à Marie de m’avoir viré de chez nous, ça au moins c’était simple. Mais j’en voulais aussi à ma mère et à mon père pour toutes les bonnes choses qu’ils avaient faites pour moi, alors qu’au bout du compte je n’en valais pas le coup. J’en voulais à Carell, sans doute de m’avoir sauvé des eaux, ça aussi, ça coulait de source. Mais plus bizarrement, j’en voulais aussi à ma fille, peut-être d’avoir été conçue par un type qui n’a jamais su ce qu’il voulait. »

L’humour est bien présent, dans les situations « abracadabrantesques » dans lesquelles l’auteur prend un malin plaisir à fourrer ses personnages (le collectionneur de voitures, la secte, etc.), mais aussi dans les dialogues, pas piqué des vers et généralement efficaces.

« Carell était juste un connard quand moi j’étais un con. Carell était bas du front quand j’étais diplômé, cultivé, enfin un type normal qui menait sa barque comme il le pouvait. Carell ne réfléchissait pas, il avançait, et j’avais suivi parce que j’avais toujours été incapable de faire des choix et que je me sentais en sécurité dans le sillage de quelqu’un qui prenait les décisions à ma place. Tout ce que je devais à ce type, c’était d’avoir ajouté à mes propres problèmes une quantité astronomique d’emmerdements qui relevaient désormais des assises. »

La musique, via l’auto-radio, est assez présente, et une playlist récapitulant les titres écoutés figure en fin d’ouvrage. C’est éclectique, allant des pianistes jazz (Dave Brubeck, Bill Evans) au classique (Chopin, Liszt) en passant par la variété française. A signaler, une scène assez exquise où Vincent et Carell s’écharpent quant au talent (ou pas) de Johnny Hallyday.

« Déclencher un incendie, je n’avais jamais fait. Agresser un motard, non plus. Provoquer un accident de voiture, encore moins. La course-poursuite avec la maréchaussée, en toute logique, était elle aussi une première. Je découvrais un monde, celui de la route, où tout devenait possible. On prenait le volant et tout pouvait commencer. J’étais en train de comprendre ce grand sentiment de liberté qui suintait des road movies américains. Carell et moi, on était Peter Fonda, Dennis Hopper, James Taylor, Warren Oates, Robert Blake, Barry Newman : les aigles du bitume, les seigneurs de la ligne discontinue, les princes du pot d’échappement. »

S’il ne s’agit peut-être pas du meilleur Gendron à ce jour, ce Road tripes a le mérite de faire passer un bon moment. A bord du bolide, on ne voit pas passer les 282 pages (ou 4006 km, la numérotation des chapitres correspondant au kilométrage effectué par les compères), qui défilent comme le paysage, à grande vitesse.
Une bonne entrée dans l’univers déjanté de cette voix singulière du polar français qu’est Sébastien Gendron. À poursuivre avec son excellent Poulpe Mort à Denise ou sa parodie de roman d’espionnage Taxi, take off & landing, à moins que vous n’ayez déjà prévu Quelque chose pour le week-end.

Road tripes, de Sébastien Gendron, Albin Michel (2013), 282 pages.

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