La fin des hommes, premier roman de la Britannique Christina Sweeney-Baird, est paru en mars chez Gallmeister dans une traduction de Juliane Nivelt.

Résumé

Écosse, 2025.
Aux urgences de l’hôpital de Glasgow, un jeune homme s’étant présenté avec de la fièvre succombe en quelques heures. Puis un deuxième et un troisième. Rapidement, le Dr MacLean craint le pire et en avertit sa hiérarchie : selon elle, une épidémie extrêmement létale se répand et serait déjà hors de contrôle. Ses prévisions jugées alarmistes s’avèrent vite exactes à ceci près que ce qui devient bientôt une pandémie d’une ampleur inégalée ne touche que les êtres humains de sexe masculin. Bébés comme vieillards, c’est bientôt 90 % des hommes qui périssent de ce que la presse a tôt fait d’appeler le « Fléau ». Aucune femme n’en souffre directement, bien qu’il semblerait qu’elles puissent néanmoins véhiculer le virus. Rapidement, c’est l’humanité entière qui est en danger de mort et qui cherche une solution.

Mon avis

Écrit en 2019, avant la pandémie de Covid, comme il a été jugé utile de le préciser par l’auteur dans une préface ultérieure, ce récit post-apocalyptique est à la fois glaçant et curieusement familier. Christina Sweeney-Baird imagine un monde très proche du nôtre duquel quasiment tous les hommes disparaissent en quelques années. Ambitieux, ce roman choral post-apocalyptique qui se déroule sur un temps assez long est passionnant et truffé de bonnes idées. Celle de nous donner à voir évoluer une grande galerie de personnages, issus de tous horizons et évoluant aux quatre coins du globe, est intéressante. Revers de la médaille, il n’est pas aisé de s’attacher à l’un d’entre eux – ou plutôt à l’une d’entre elles tant les personnages féminins dominent – ni même parfois de s’y retrouver. Évoquant de par son sujet des pépites comme Anna (Niccolo Ammaniti) ou encore Les Dames blanches (Pierre Bordage), ce premier roman est à saluer même si l’auteure pêche peut-être un peu par facilité par moments lorsqu’elle imagine des rapports hommes/femmes totalement inversés.

Avec ce récit post-apocalyptique passionnant, la jeune Britannique Christina Sweeney-Baird fait une entrée remarquée dans l’univers des littératures de l’imaginaire. Son éditeur nous apprend qu’elle travaille à l’écriture d’un second roman, que certains lecteurs conquis attendent déjà.

La fin des hommes (The End of Men, 2021), de Christina Sweeney-Baird, Gallmeister (2022). Traduit de l’anglais par Juliane Nivelt, 480 pages.

Chien hurlant , fraîchement sorti de La Boîte à Bulles est la première bande dessinée en solo de Mélissa Morin.

Résumé

Tyler D. commence à être connu sur les réseaux sociaux. Ses vidéos de « tape », comprenez de combats à mains nues entre adolescents, sont largement suivies. Dans la vraie vie, Tyler D. est Andreas, un collégien mal dans sa peau qui peine à contenir ses émotions quand on le contrarie. Malgré un intérêt pour l’école et des bonnes notes, il est rattrapé par ses problèmes, familiaux notamment. À la maison, sa mère a autorisé son père à revenir. Il aurait arrêté de boire, enfin, c’est ce qu’il promet. Andreas n’y croit pas une seconde et la cohabitation est difficile.

Mon avis

Née au Pays Basque en 1988, Mélissa Morin a d’abord été designer dans la mode. À 28 ans, elle se lance dans la BD et dessine l’album Céphéide avec Clotilde Bruneau. Dans son premier ouvrage en solo, qui vient de paraître à La Boîte à Bulles, elle met en scène un adolescent plus isolé qu’il n’y paraît qui glisse dans une spirale infernale en croyant trouver dans la violence un exutoire à ses problèmes.

Le propos est à la fois on ne peut plus actuel et effrayant. Les réseaux sociaux ne sont pas un drame en soi mais on voit régulièrement que des jeunes y perdent pied, surtout lorsque les parents sont absents ou tout comme. Ajoutez à cela ici de vrais problèmes familiaux et vous obtenez un cocktail de galères à venir pour Andrea. Heureusement, il n’est pas tout à fait tout seul. Les enseignants tentent de le recadrer, et surtout, il peut compter sur son oncle paternel, un musicien vivant avec ses chiens dans sa caravane parmi les gens du voyage. Le dessin est efficace et plutôt classique, sauf lorsque les montées de stress d’Andreas, amenant ses comportements violents, sont représentées par des… chiens hurlants.

Une BD parfois dure mais jamais désespérée qui s’interroge sur les causes de la violence et les réponses qu’on peut apporter pour dompter ses démons intérieurs.

Chien hurlant, de Mélissa Morin, La Boîte à Bulles (2022), 128 pages.

La Maison du commandant, paru au printemps 2021 chez Agullo, est le sixième roman de Valerio Varesi traduit en français (ici par Florence Rigollet).

Résumé

On retrouve dans ce sixième opus des enquêtes du commissaire Soneri les rives du Pô, et plus particulièrement la Bassa, la basse plaine du Pô, avec ses immensités inondables et ses brumes caractéristiques. Soneri est dépêché pour enquêter sur la mort d’un anonyme retrouvé sur le bord du fleuve, abattu d’une balle en pleine tête. Si la piste du règlement de compte est rapidement privilégiée, qui était ce jeune homme, vraisemblablement originaire d’Europe de l’est, et surtout, qui l’a tué, et pourquoi ?

Mon avis

Le manque d’éléments pour faire avancer l’enquête, sa connaissance de la région et ses élucubrations amènent bientôt le commissaire au domicile du « Commandant », qui s’avère être mort chez lui depuis un certain temps et ce sans qu’il soit certain qu’il s’agisse d’un acte criminel. De toute manière, qui aurait eu intérêt à tuer ce vieillard, un ancien partisan qui s’était visiblement retiré des affaires et vivait pour ainsi dire en ermite ? Sa mort pourrait-elle néanmoins avoir un quelconque rapport avec celle du jeune anonyme ou bien s’agit-il simplement d’une curieuse coïncidence ? L’opiniâtreté de Soneri, ici souvent épaulé par sa chère Angela, fera ressurgir des brumes insondables de la Bassa des secrets depuis trop longtemps enfouis.

Comme de coutume dans cette excellente série, l’enquête va piano piano, l’atypique commissaire est attachant et c’est toujours un plaisir que de s’attabler avec lui pour déguster les spécialités locales. Cette nouvelle aventure de Soneri est peut-être un tantinet moins entraînante que les précédentes mais pas au point de décevoir les amateurs de Valerio Varesi.

La Maison du commandant (La casa del comandante, 2008), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2021). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 306 pages.

Les algues assassines est le premier opus de Polar Vert, une série de romans pour jeunes adultes traitant des crimes environnementaux. Signés par Thierry Colombié, ils sont publiés par Milan.

Résumé

Klervi a 17 ans. Elle est follement amoureuse de Lucas, ce qui ne plaît pas à Jez, son frère jumeau, qu’elle sent s’éloigner d’elle alors qu’ils étaient si fusionnels. Il faut dire que Jez est investi dans la défense de l’environnement et que Lucas est l’héritier des Royer, une famille très aisée de la presqu’île de Guérande soupçonnée de s’enrichir en partie par des activités illicites, à commencer par le braconnage des civelles, ces bébés anguilles qui se revendent si cher.

Un jour, Klervi se rend compte que son cheval ainsi que son frère ont disparu. Curieux, chacun a un cheval et ne prend jamais celui de l’autre. Paniquée, elle retrouve bientôt les deux êtres chers sur la plage la plus proche, inertes dans des algues vertes. Elle s’évanouit à son tour. À son réveil à l’hôpital elle apprend que Torka a succombé aux vapeurs toxiques et que son frère est entre la vie et la mort, plongé dans le coma. Klervi décide alors de faire son possible pour que les responsables paient.


Mon avis

Thierry Colombié est l’auteur de nombreux livres et documentaires. Spécialiste du grand banditisme, il s’est intéressé ces dernières années au travail de l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique), qui l’a accueilli, ce qui lui a donné l’idée de se lancer dans le projet Polar vert. À l’heure où l’environnement est la principale préoccupation pour un tiers des jeunes et où certains souffrent même d’éco-anxiété, l’auteur était emballé par l’idée d’écrire une série de romans policiers pour jeunes adultes ayant pour principal sujet la criminalité verte. Ici, il est principalement question de la crise des algues vertes et du braconnage d’une espèce protégée – l’anguille argentée – dont les alevins font l’objet d’un trafic mondialisé. En effet, sur le marché asiatique, les civelles rapportent plus que la cocaïne, ce qui aiguise les appétits des organisations criminelles. Grâce au personnage de Klervi, tiraillée entre ses amis écolos et sa belle-famille qui s’embarrasse moins de scrupules tant que ça rapporte gros, Thierry Colombié nous donne à voir les différentes facettes des affaires que peut traiter l’OCLAESP, un service de police judiciaire de la gendarmerie nationale.

Le roman est passionnant et très abordable pour les ados comme pour les adultes. Il ne nécessite pas d’avoir des connaissances particulières en matière de luttes environnementales, l’auteur donnant à voir les tenants et aboutissants des questions évoquées tout en se gardant bien de donner son avis personnel.

Les algues assassines se dévore en quelques heures. Passionnant, on pourra seulement lui reprocher de ne pas se refermer sur une véritable fin. D’un autre côté, il donne sacrément envie d’ouvrir le second opus, Anguilles sous roches, qui paraîtra en février.


Polar Vert t.1, Les Algues assassines, de Thierry Colombié, Milan (2021), 247 pages.

La nuit tombée sur nos âmes est un roman de Frédéric Paulin paru en septembre chez Agullo.

Résumé

Italie, juillet 2001.
La ville de Gênes, 500 000 habitants, se prépare à recevoir les chefs d’État des huit pays les plus puissants du globe. Le centre-ville est en état de siège. La plupart des habitants ont fui la capitale ligurienne ; les autres se sont calfeutrés chez eux. En effet, les forces de l’ordre attendent un demi-million d’opposants de tout poil, organisant pour certains, en parallèle du G8, le Forum social de Gênes. Partis politiques traditionnels de la gauche de la gauche, organisations syndicales, associations altermondialistes pacifistes, mais aussi de nombreux autres opposants anticapitalistes. Avec la crainte pour les autorités italiennes que les électrons libres soient violents.


Mon avis

Après avoir conclu avec La Fabrique de la terreur sa brillante trilogie algérienne, Frédéric Paulin est de retour avec un nouveau roman noir, toujours chez Agullo. Vingt ans après, tout le monde se souvient plus ou moins du G8 de Gênes et des violences qui ont secoué la ville italienne, à commencer par la mort de Carlo Giuliani, tué à 23 ans lors des émeutes par un tir policier. Ce que l’on sait moins, c’est l’état de bouillonnement qui a amené à ces émeutes et à cette violence extrême.

S’emparer d’un pan de l’histoire contemporaine et en faire un roman n’est pas donné à tout le monde. À l’instar de Dominique Manotti, faisant s’entrecroiser de nombreux personnages réels et de son cru, l’auteur rennais s’en sort avec maestria. Les grands de ce monde, Berlusconi et Chirac en premier lieu sont là, tout comme les forces de l’ordre et les principaux leaders altermondialistes. Frédéric Paulin ajoute à ce roman choral maîtrisé quelques êtres de papier, sans doute largement inspirés de son expérience personnelle. Alors âgé de 28 ans, l’auteur était allé manifester à Gênes, une expérience qui l’a durablement marqué. Au gré des pages, on suit Wag et Nathalie, un fougueux couple de militants rennais. Lui est à la LCR et obligé de rendre des comptes aux renseignements intérieurs, qui ont sur lui un moyen de pression. Elle est à la CNT et se moque de tout. On voit aussi évoluer Génovéfa, une journaliste du JDD qui découvre avec stupeur cette ambiance de quasi guerre civile ; Lamar, le conseiller en communication de Chirac ; Martinez et Cazalon, deux agents infiltrés de la DST qui tiennent Wag et se mêlent incognito aux militants.

En suivant en alternance et chronologiquement les nombreuses forces en présence, Frédéric Paulin nous donne à comprendre comment un simple rassemblement d’opposants au G8 a pu déboucher en quelques jours sur des combats de rue d’une rare violence. Le bilan sera finalement d’un mort et plus de 600 blessés, certains manifestants ayant été passés à tabac voire torturés en toute impunité par les policiers italiens dans les locaux de l’école Diaz.

S’emparant d’un morceau d’histoire qu’il a lui-même vécu et qui l’a profondément choqué, Frédéric Paulin signe avec La Nuit tombée sur nos âmes un brillant roman noir, aussi documenté que passionnant.


La nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin, Agullo (2021), 288 pages.

La Serpe rouge est un roman inspiré de faits réels paru chez Moissons Noires l’été dernier. Il a été écrit à quatre mains par Nan Aurousseau et Jean-François Miniac.

Résumé

On connaît Georges Arnaud pour son œuvre littéraire, à commencer par Le salaire de la peur (1950), adapté par Henri-Georges Clouzot en 1952, avec Yves Montand notamment. On le connaît moins pour le triple meurtre d’Escoire qui a manqué de peu l’envoyer à la guillotine. Finalement acquitté à la surprise générale après dix-neuf mois de détention à la prison de Périgueux et une brillante plaidoirie de Maître Garçon, cette affaire ne sera jamais tirée au clair.


Mon avis


La Serpe rouge n’est pas le premier document à s’intéresser de près à l’affaire non élucidée du triple homicide survenu à Escoire, en Dordogne, en 1941. Citons notamment Le triple crime du château d’Escoire (éd. de La Lauze, 2002) de Guy Penaud, qui avait eu accès au dossier constitué par Maître Garçon et surtout, plus médiatisé, La Serpe, prix Fémina 2017. Pourquoi un autre livre sur cette affaire après le succès du roman de Philippe Jaenada est en droit de se demander le lecteur ? Les auteurs y répondent en partie dès le prologue. Cette affaire a toujours fasciné Nan Aurousseau et lorsqu’il rencontre Jean-François Miniac qui partage son intérêt pour ce mystérieux fait divers, la collaboration est une évidence. D’autant plus que les auteurs ne semblent pas accorder beaucoup de crédit à la thèse de la culpabilité de René Taulu, le fils du gardien du château, esquissée par Philippe Jaenada.

Bien que très solidement documenté, La Serpe rouge se lit plutôt comme un roman que comme un documentaire historique. C’était d’ailleurs là la volonté des auteurs, amateurs de true crimes, récits littéraires sur des affaires réelles, popularisés par Meyer Levin et autres Truman Capote après-guerre. À lire le duo d’auteurs, on se passionne vite pour l’affaire et ses nombreuses zones d’ombre.

Intéressant et très documenté, La Serpe rouge permet de découvrir les tenants et aboutissants de l’affaire dite « du triple meurtre d’Escoire » tout en ayant souvent l’impression de lire un polar.


La Serpe rouge, de Nan Arousseau & Jean-François Miniac, Moissons Noires (2021), 277 pages.

Les Mains vides est un roman de Valerio Varesi, paru chez Agullo en 2019 dans une traduction de Florence Rigollet.

Résumé

Parme, au cœur de l’été.
Le corps de Francesco Galluzzo est découvert dans son appartement. Le commerçant a été roué de coups mais rien ne semble avoir été volé. Quid du sachet de cocaïne retrouvé dans sa voiture ? Deal ? Règlement de compte ? Tout ça ne semble pas très clair aux yeux du commissaire Soneri, qui pense cependant que la victime, au train de vie curieusement dispendieux eu égard à ses revenus, menait des activités parallèles à sa boutique de prêt-à-porter. La piste financière va rapidement le conforter dans cette idée et le mener vers Gerlanda, un restaurateur prompt à prêter de l’argent à des personnes en difficulté… de manière tout à fait intéressée.

Mon avis

On ne présente plus Valerio Varesi dont ce roman est le quatrième publié par la maison bordelaise Agullo. Le romancier italien, souvent comparé à Georges Simenon n’a pas son pareil pour dépeindre des atmosphères. Les Mains vides n’échappe pas à la règle et la canicule de ce torride mois d’août liquéfiant chaque Parmesan est le personnage central de ce roman d’enquête au rythme assez particulier. Soneri n’est pas un énervé et l’auteur italien ne fait pas dans le thriller, c’est un fait, mais cet opus pousse la chose encore un peu plus loin. À l’image de ses habitants, engourdis par la chaleur suffocante, Parme semble s’amollir et le commissaire peine à faire progresser son enquête dans cette torpeur seulement mise à mal par quelques feux de poubelle – une grève fait rage contre la fermeture d’une usine.

Comme à l’accoutumée, la gastronomie est à l’honneur, tout comme certaines réflexions passionnantes. Ici, l’intrigue amène Soneri et l’usurier Gerlanda à se poser des questions, et le lecteur avec eux, sur ce que la financiarisation de l’économie implique, notamment la transformation en profondeur et à marche forcée du centre des métropoles. À cet égard, le personnage de Gondo, le vieil accordéoniste qui se fait voler son instrument en début d’ouvrage, est assez intéressant. Il est comme le témoin d’une époque qui s’éteint en même temps que les idéaux de certains Parmesans.

Malgré sa lenteur et son côté assez plombant – on déprime un peu avec les personnages – cette quatrième enquête du commissaire n’en demeure pas moins un très bon roman noir. La sixième enquête de Soneri, La Maison du commandant, vient de paraître.


Les Mains vides (A mani vuote, 2018), de Valerio Varesi, Agullo/Noir (2019). Traduit de l’italien par Florence Rigollet, 258 pages.

Nuit bleue est un roman noir de l’Allemande Simone Buchholz qui paraît aujourd’hui dans la toute nouvelle collection Fusion des éditions de l’Atalante, dans une traduction de Claudine Layre.

Résumé

Chastity Riley est procureure à Hambourg. Sa personnalité atypique et quelques déboires passés l’ont amenée à être mise au placard. Désormais cantonnée à la protection des victimes, elle se retrouve ici à l’hôpital à veiller sur un homme mystérieux, sévèrement roué de coups et fraîchement amputé d’un doigt. Bien qu’il finisse par se réveiller, l’inconnu ne semble pas avoir envie de s’épancher ni même de décliner son identité. Riley n’est pas du genre à se laisser abattre. Bières clandestines à l’appui, elle tente d’amadouer l’homme, bien décidée à lui délier la langue.

Mon avis

Nuit bleue est le premier roman d’une toute nouvelle collection, Fusion, lancée aujourd’hui par l’éditeur nantais Atalante, jusqu’à présent connu des amateurs de littératures de l’imaginaire, et plus spécialement de science-fiction et de fantasy. À la tête de ce nouveau projet qui a pour ambition d’explorer les frontières du genre policier : Caroline de Benedetti et Émeric Cloche, deux Nantais ayant déjà à leur actif la revue spécialisée L’Indic.

Nuit bleue, pour en revenir à lui, est la sixième enquête de Chastity Riley et la seconde à être traduite en français, la première, Quartier rouge, étant parue dans un relatif anonymat chez Piranha en 2015. Simone Buchholz a fait le nécessaire pour qu’il soit tout à fait possible de savourer ce titre sans avoir lu les précédents.
On imagine sans peine que l’autrice allemande a mis beaucoup d’elle dans son personnage principal, dotée d’un fort caractère et atypique pour sa profession à bien des égards. Fêtarde, amatrice de bière et de football – en particulier du FC Sankt Pauli, club ouvertement antifasciste qui lui aussi détone dans l’univers du foot – elle est bien plus à son aise dans la nuit et les quartiers populaires de Hambourg que dans les ors des tribunaux.
L’intrigue, sans être folle d’originalité, est solide et mènera rapidement Chastity Riley à s’intéresser à Gjergj Malaj, un intouchable caïd albanais.

La quatrième de couverture nous promet d’ores et déjà que cet opus ne sera pas la dernière aventure de Chastity. Tant mieux, car le cadre de ce polar est peu commun et le plaisir de lecture réel.

Nuit bleue (Blaue Nacht, 2016), de Simone Buchholz, L’Atalante/Fusion (2021). Traduit de l’allemand par Claudine Layre, 240 pages.

Serena est un roman de Ron Rash paru en France en 2011 aux éditions du Masque dans une traduction de Béatrice Vierne.

Résumé

Smoky Mountains, années 1930.
George Pemberton, exploitant forestier aisé, épouse Serena. Alors qu’il craint au départ que la belle ne soit pas faite pour la vie à la campagne, il se rend vite compte qu’elle est non seulement parfaitement à son affaire à cheval ou parmi les bûcherons mais qu’elle sait en plus manier les armes et se montrer sans pitié lorsqu’il s’agit de protéger l’exploitation. Avant de la rencontrer, Pemberton avait eu une brève aventure, et un enfant illégitime, avec une jeune femme du village. Lorsque cette nouvelle parvient aux oreilles de Serena, un processus latent mais irréversible se met en place.

Mon avis

Deuxième roman de Ron Rash à avoir traversé l’Atlantique (après Un pied au paradis), Serena est chronologiquement le quatrième qu’il a écrit, et sans aucun doute le plus abouti.
On se méfie toujours des arguments de quatrième de couverture et des comparaisons flatteuses des éditeurs, souvent à raison. Ici, les allusions au drame élisabéthain et à Macbeth en particulier semblent assez justes, sans qu’il soit question de comparer l’auteur – par ailleurs féru de poésie et poète à ses heures – à Shakespeare. C’est plutôt qu’en termes d’ingrédients, le texte tient davantage du drame classique que du roman noir contemporain.

Comme dans ses autres livres, la plume de Ron Rash fait des merveilles lorsqu’il s’agit de décrire la nature et les paysages sauvages de Caroline du Nord, sans que cela porte préjudice à l’intensité dramatique du texte. Les personnages et leurs tourments, à commencer par le couple autour duquel gravitent tous les autres, George et Serena Pemberton, sont excellemment décrits. Les conditions de travail des bûcherons d’alors sont aussi rudes que les hivers des Smoky Mountains, aussi les morts ne manquent pas dans Serena, qu’elles soient tout à fait accidentelles ou beaucoup moins fortuites. Voraces et sans scrupules, les Pemberton sont craints et prêts à tout pour déforester jusqu’au dernier arbre de la région, dussent-ils graisser quelques pattes ou neutraliser quelques importuns au passage. C’est ainsi qu’au nœud dramatique du récit, il faut ajouter, en toile de fond mais bien présentes, les conséquences du capitalisme et les premières préoccupations écologiques. Certaines scènes sont mémorables et magnifiquement écrites. Même sans avoir vu le film éponyme (sorti en 2014) ou l’adaptation en bande dessinée de Pandolfo & Risbjerg (2018), des images fortes nous restent en tête. On pense aux premières scènes où Serena dresse son aigle par exemple ou à d’autres moments dont il serait plus délicat de parler ici sans trop en dire.

Sans doute le roman ne brille-t-il pas pour l’originalité de ses rebondissements, que l’on pressent en partie, mais là n’était sans doute pas le but de l’auteur. Le texte semble ne pas compter un mot de trop. Lorsque l’on sait que l’auteur l’a écrit et réécrit pas moins de douze fois avant d’en être satisfait, on comprend que le talent, seul, ne suffit pas à produire une telle prouesse.

Serena est au final un roman noir époustouflant mettant en scène une héroïne aussi féroce qu’inoubliable dont on comprend bien, à l’aune de la lecture, pourquoi elle lui donne son nom.

Serena (Serena, 2008), de Ron Rash, Le Masque (2011). Traduit de l’anglais (États-Unis) par Béatrice Vierne, 380 pages.

Mauvais calcul est un roman d’Anders Bodelsen initialement paru en 1968 au Danemark.

Résumé

Après une journée d’affaires avec ses homologues allemands, Henrik Mörk, cadre d’une grande marque automobile danoise, éprouve le besoin de décompresser. Plutôt que de rentrer chez lui, il va boire un coup dans un bar, et se voit proposer par des jeunes gens d’aller poursuivre la soirée chez l’un deux. Hésitant, Mörk accepte, mais sur place, la soirée vendue comme prometteuse lui file le cafard. Seulement, la maison est isolée, et Mörk n’a pas sa voiture. Un jeune homme, Hostrup, voit qu’il n’a pas bu tant que ça et lui propose de lui prêter son véhicule pour rentrer. A peine parti, dans la nuit et un épais brouillard, les freins donnent des signes de faiblesse. C’est alors que Mörk voit surgir un cycliste et ne peut l’éviter. L’homme meurt sur le coup. Paniqué, il décide de cacher le corps et jette le vélo d’une falaise. Il songe d’abord à aller se rendre au commissariat puis pense à sa femme et à sa fille et change d’avis.

Mon avis

Anders Bodelsen, méconnu en France, est présenté comme l’un des principaux fondateurs de la nouvelle vague du noir scandinave. Né en 1937, il a principalement œuvré dans les années 1960-70 et vu trois de ses romans adaptés au cinéma. Paru en 1968, Hændeligt uheld a connu un certain succès, y compris en France où il a remporté le Grand Prix de Littérature Policière en 1971 dans sa première traduction, Crime sans châtiment, parue chez Stock. Après avoir publié le plus contemporain Rouge encore en 2013, les éditions Autrement décident de donner une seconde vie à ce texte. Ce sera donc Mauvais calcul, dans une nouvelle traduction signée Anne Renon.

On comprend dès les premières pages pourquoi ce roman a connu le succès à l’époque et pourquoi l’éditeur a jugé pertinent de le retraduire. Tenant à la fois du roman noir et du thriller avant l’heure, il est efficace dès son entame, qui plonge le lecteur dans les atermoiements d’un homme ayant involontairement commis l’irréparable (le titre original signifie littéralement « accident fortuit »). Sans l’excuser, on comprend sans mal la conduite d’Henrik Mörk et on en vient à se demander avec lui, comment il va bien pouvoir se sortir de ce mauvais pas. D’autant que l’enquête de police remonte rapidement vers le propriétaire du véhicule, un certain Hostrup. Mörk évite toute sortie au grand jour et se laisse pousser cheveux et moustache, mais cela suffira-t-il ?

Malgré quelques passages moins intéressants (sur le monde automobile ou la construction de la nouvelle maison de la famille Mörk), Mauvais calcul est un suspense encore fringant malgré sa cinquantaine bien sonnée. La psychologie des personnages est particulièrement soignée et le final livre quelques surprises mémorables.

Mauvais calcul (Hændeligt uheld, 1968), d’Anders Bodelsen, Autrement (2014). Traduit du danois par Anne Renon, 375 pages.